Regarde comme la lune est rose.

. Il y a juste six mois aujourd'hui que nous sommes mariés. Et nous nous séparons. Ah ! comme nous avons pleuré. Je n'accède pas plus à ma femme qu'à l'âme d'un dieu, qu'au rêve d'une anémone marine.

- Ah ! pourquoi n'as tu pas un front de cristal ? disais-je à ma femme, je verrais le mécanisme prodigieux de ton cerveau.

- Et toi, mon bien aimé, pourquoi ta poitrine ne m'est-elle pas transparente.

 Ce soir là, Claire et moi, nous marchions dans un bois, la nuit commençait à tomber, la lune se leva, majestueuse et rose, traversée en son milieu par une mince baguette de châtaigner.

 - Regarde, dis-je à ma femme, comme la lune est rose !

 Elle examina alors d'un lèvement de cils l'astre magnificent.

 - Rose ? ... la lune ? ... tu es fou, dit-elle. Qui donc a jamais vu une lune rose ? Pourquoi veux-tu que la lune soit rose ? pourquoi dis-tu qu'elle est rose ?

- Mais ma chère âme, parce que je la vois ainsi, elle est rose, elle est rose, elle - est - rose !.

 Claire s'affaissa sur un tronc d'arbre couché.

- Mon Dieu ! mon Dieu ! gémit-elle, il ne m'aime plus, il ne m'aime plus !

 Alors je fis ha ha ! une lune rose c'est absurde, ha ha ! ha ha ! d'ailleurs est-ce bien la lune, là-haut, chère âme que nous voyons ...

 Claire rayonna soudain.

- Tu vois bien , mon chéri, tu vois bien !

 Mais dès lors, entre Claire et moi, l'abîme s'était creusé, l'abîme se creusa. Il n'y eut ni monstrueux cataclysmes, ni transcendantales horreurs, non, mais ce fut bien au contraire, le harcèlement continu de mille petits faits, de mille petits mots, de mille microscopiques détails d'une extraordinaire, écoeurante et sordide vulgarité.

 Etait-ce cela l'amour ? Nous nous aimions pourtant. Claire pleurait. Mais de quoi pleurait-elle ?

 Remarquez que je n'ai rien, absolument rien à reprocher à ma femme, rien sinon d'être une femme, être obscur - et pourtant souvent sous l'être obscur habite un dieu caché -insaisissable, malentendu de la nature.

 Ma femme, son seul crime, c'est d'être une femme.

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 Texte extrait mais réécrit et inspiré d'un conte d'Octave Mirbeau " Vers le bonheur. 1887. Mirbeau aura toujours considéré que l'amour n'est qu'un duperie, voire une mystification.

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