Regayov

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Il traçait les contours d'un animal en plein galop, avec du charbon sur la roche la plus sèche qu'il avait pu délimiter. Il se réservait de l'espace pour caser ses petits camarades cornus dans sa foulée.

Un explosion toute proche fit trembler les parois de sa caverne. Les membres de la petite tribu et lui se regardèrent. Comme il était l'un des chasseurs, personne ne broncha en l'observant lourdement. Il soupira et se dirigea vers l'entrée.

Dehors, le ressac de la mer résonnait, les quelques coquillages cassés qui avaient été écartés de la fabrication des colliers crissèrent sous ses pieds. Il aperçut, derrière une colline, une colonne de fumée et de poussière. Il la suivit et entra dans la forêt qui leur servait de jardin pour la cueillette. Il croisa bientôt des arbres couchés et alla dans la direction opposée à celle qu'ils indiquaient. S'il restait de la végétation encore debout, elle avait brûlé sur pied. Il arriva finalement à un immense cratère pourvu d'un monticule en son centre. Ses genoux tremblaient mais il sentait la curiosité le tirailler.

-- Un truc est tombé d'en haut.

Il sursauta violemment. Le membre d'un autre groupe vivant plus profondément dans les terres était arrivé dans son dos.

-- Du ciel ? Qu'est-ce qui te fait dire ça ? demanda-t-il une fois sa frayeur passée.

L'étranger pointa l'index en direction du ciel et suivit un tracé. Il vit qu'il s'agissait d'une sorte de nuage en ligne droite zébrant l'azur.

-- Ça a fait cette marque dans les cieux en arrivant sur le sol. Ça allait très vite : ça doit être la fumée des flammes qui le faisait avancer.

-- Des flammes ? Ben voyons. Et si c'est tombé du ciel, comment tu peux dire que ça avançait ?

L'autre jeune homme, qui avait à peu près son âge, se gratta ce qui lui tenait lieu de cheveux, d'un noir de jais.

-- Pour le savoir, faut aller voir.

Le courageux descendit dans le cratère bien que le premier essaya de le retenir.

-- Attend, heu, Bidule...

-- Térak.

-- Ah... moi, c'est Misc. Mais je ne crois pas que ce soit raisonnable de s'approcher d'une chose ''tombée'' du ciel.

-- Pourtant, t'es en train de me suivre.

En effet, Misc avait dévalé la pente sur les talons de Térak.

-- Ben, je peux pas te laisser risquer ta vie tout seul, les tiens ne seraient peut-être pas d'accord ?

-- Y'a des chances. Mais, y'a pas de raisons qu'ils sachent que t'étais là aussi.

Misc hocha la tête silencieusement : était-il trop tard pour faire demi-tour ?

-- Ça brille.

Entre temps, ils étaient arrivés à proximité de l'objet qui, effectivement, lançait des éclats, les mêmes que certaines pierres des cours d'eau. Il était très endommagé mais il avait gardé sa forme étrange et biscornue.

-- On dirait que c'était une sorte de contenant, murmura Térak.

-- Contenant ?

-- Ouais, un truc pour mettre des choses, quoi !

Bien que voisins depuis de nombreux solstices, les deux tribus se côtoyaient peu alors qu'elles parlaient pratiquement le même dialecte. Le chamane de celle de Misc racontait qu'autrefois, elles n'étaient qu'un seul peuple puis, un désir d'indépendance avait poussé une famille à fonder un village de son coté. Cela remontait à bien longtemps et personne ne se souvenait plus de toute l'histoire. Elles se développaient désormais comme deux ethnies distinctes et certains termes linguistiques se développaient indépendamment.

-- Tu a vu ces symboles ? lui demanda Térak.

Ils passèrent leurs mains sur la surface lisse, qu'ils retirèrent aussitôt tant elle était brûlante.

-- Tu vois que ça allait très vite ! Si vite que c'est devenu chaud ! s'exclama-t-il.

-- T'emballe pas. Ça veut pas dire que ça se dirigeait, répondit Misc.

-- Mais si, tu vois bien que c'est une construction !

-- N'importe quoi ! Ce ne sont même pas des gravures : tu vois bien que c'est tout plat !

-- Ça veut dire que c'est un objet magique...

Térak avait dit cela avec une sorte d'illumination dans le regard qui effraya un peu Misc.

-- Comme tu l'entends, je te laisse à tes délires.

Misc reprit le chemin inverse et sortit du cratère. Il retourna aux grottes pour rassurer l'ensemble de sa tribu.

***

-- Il paraît qu'il y avait un objet au centre du trou de fumée ?

Misc leva les yeux de son ouvrage, le dépeçage d'un gibier, pour regarder son chamane en face.

-- C'est ce qu'a dit celui de l'autre tribu... Térak, il me semble. Franchement, j'en crois rien.

-- Mais il y avait bien quelque chose ?

-- Oui, une chose bizarre, qui avait des dessins étranges dessus, avec des lignes droites. Pourquoi ?

-- Nos voisin prétendent maintenant que c'est un cadeau d'êtres vivant dans les nuages.

Térak fronça les sourcils. Il avait du mal à déterminer ce qui l'intriguait le plus : croire qu'il y avait des habitants dans les cieux ou s'imaginer qu'ils offraient des cadeaux à des inconnus.

-- Ils font une fête à tout casser et pour bien marquer le coup, devine ce qu'ils font ? Ils rabattent du gibier ! Ils vont vider la forêt en un instant.

Misc décida de ne pas relever l'exagération des propos du chamane qui, tout le monde le savait, avait un naturel naturellement angoissé.

-- Tu as un contact là-bas. Va le voir !

-- On ne peut pas vraiment appeler Térak, un contact, vous savez.

Le chamane continua ses élucubrations sans prêter aucunement attention au démenti de Misc. Ce dernier haussa les épaules et préféra accepter de se rendre dans l'autre communauté. Il gagnerait du temps et de l'énergie car discuter avec l'homme saint quand il était dans cet état, était juste complètement inutile.

***

Il soupira : il aurait dû bifurquer après le gros arbre. Ils avaient tellement peu d'interactions avec leurs voisins que Misc n'avait qu'une vague idée du positionnement de leur village. Il s'était donc à nouveau perdu. Comme sa plage et ses grottes lui manquaient. Il tendit l'oreille : au loin, des cliquetis et des bruits sourds résonnaient. Il se dirigea au son et déboucha sur une large clairière ombragée. En son centre brûlait un feu de joie autour duquel s'agitait du monde occupé à amasser un tas de branches et de coquillages brillants. Les plus jeunes arrachaient les feuilles et les écorces pour obtenir des tiges bien lisses.

Misc avisa Térak qui semblait diriger les opérations. D'un large sourire, ce dernier l'accueillit :

-- Hé, comment ça va depuis la dernière fois ?

-- Bien mieux que vous tous, apparemment, remarqua Misc.

-- Quoi ? Qu'as-tu dit ?

-- Rien. Je peux savoir ce que vous faites ?

Il s'avança un peu plus et aperçut l'objet du ciel sur un promontoire.

-- Mais pourquoi avoir sorti ce truc de son trou ?

-- C'est un contenant et un cadeau des Hommes du ciel !

-- Non mais tu t'entends ? Comment les hommes pourraient-ils vivre dans le ciel ? Y'a pas de sol !

Térak fronça les sourcils, l'air de réfléchir puis il fit un geste comme s'il chassait une mouche.

-- On essaie de refaire un contenant pareil que celui qui nous a été offert.

-- C'est une idée complètement stupide, se lamenta le jeune homme de la côte. Jette cet objet et oublie-le. Cette idée de don du ciel est archi débile !

-- Archi ? C'est quoi, un ''don'' ?

-- Une qualité que l'on obtient sans l'avoir demandé. Par exemple, j'ai un don pour faire des animaux sur les murs.

Le regard de Térak s'illumina d'un éclat fou qui fit reculer Misc.

-- C'est cela ! Un don du ciel !

Térak se mit à passer de groupes en groupes pour expliquer ce nouveau concept. Misc décida qu'il perdait son temps, définitivement. Il salua le jeune fou et retourna à sa grotte en se répétant qu'il lui fallait mettre ces absurdités derrière lui.

***

Plusieurs jours s'étaient écoulés et Misc se désespérait d'oublier cette histoire de chute de ''contenant''. La rumeur avait couru parmi les membres de sa tribu à une vitesse affolante en comparaison du peu de contacts qu'ils entretenaient avec les autres. Insidieusement, il commençait à se suggérer que la folie allait plus vite que tout le reste. Car les siens se laissaient contaminer par les élucubrations de Térak en se demandant si tout cela n'avait pas un fond de vérité. Après tout, jusqu'à maintenant, les choses tombées des cieux disparaissaient alors que ce truc avait résisté.

-- C'est vrai, argumentait le chamane. Ils disent que ça a tout à la fois la couleur de la pierre et celle du soleil.

-- Et qu'est-ce qu'ils disent déjà ? fit un autre. Ils disent qu'il y a des inscriptions dessus comme les dessins de Misc.

« Pitié, laissez-moi en dehors de ça » songea l'intéressé.

-- Non, ce ne sont pas des dessins comme les miens : ce sont des petites lignes droites qui se croisent avec un machin comme ça.

Misc traça une sorte de spirale sur le sol sableux.

-- On dirait un coquillage, remarqua quelqu'un.

-- On dirait rien du tout ! s'exclama le ''dessinateur''. Même moi, j'en fais des plus jolis !

-- Tu es arrivé le premier sur les lieux ?

Leur chef les avait rejoint et avait posé sa question en le regardant droit dans les yeux.

-- Tu y es allé mais y es-tu arrivé le premier ?

Les pensées se bousculaient dans sa tête : qu'est-ce qui impliquerait le moins de risques pour lui ? Dire qu'il était bien arrivé en premier ou prétendre que Térak était là avant lui ? Tous attendaient sa réponse et la panique l'empêchait de réfléchir.

-- C'est moi... je suis arrivé le premier.

-- Donc c'est toi qui a trouvé le contenant ?

« Encore ces idioties de contenant » pensa-t-il avant d'acquiescer.

-- Donc ce cadeau des cieux est à nous !

Misc bégaya sous l'effet de la surprise pendant que les autres explosaient de joie.

-- Enfin, ''arrivé le premier'', ''arrivé le premier''... J'avais pas une grosse avance non plus...

Mais personne ne l'écoutait plus. Un vent d'indignation courait dans les rangs de ses compagnons qui semblaient prétendre que la préhension de la découverte leur en donnait la propriété. Progressivement, le pauvre Misc voyait se monter un plan rocambolesque pour récupérer le contenant du ciel. À ses yeux, c'était à s'en arracher les cheveux.

***

L'incendie avait ravagé la presque totalité de la forêt avoisinante. Il s'était réfugié sur la plage, avachi contre une pierre afférente près de l'eau. Les clapotis couvrirent son approche. Térak se laissa tomber à côté de Misc qui sursauta. Le jeune homme avait une large entaille au-dessus de l'arcade gauche. Il plongea la main dans l'eau de mer et entreprit de nettoyer sa plaie.

-- Il y a des survivants chez toi ? demanda Misc quand il fut certain que l'autre n'était pas là pour le tuer.

-- Pas que je sache. Ils se sont laissés surprendre par les flammes. Les tiens ont eu une bonne idée en pensant que personne n'abandonnerait le contenant.

-- Ce truc a survécu au feu ?

Térak soupira longuement avant de répondre.

-- C'est un cadeau d'êtres supérieurs, bien sûr qu'il a résisté ! Mais je ne sais pas où il est dans tout ce bazar. Comme il brille, le soleil nous le montrera quand l'incendie sera éteint.

-- TE le montrera ! Moi, je m'en moque complètement ! Ce machin peut bien être enterré pour toujours que ça ne me fera rien du tout !

Térak sourit tristement et retomba allongé sur le sable. Ils restèrent ainsi un moment interminable, de longues minutes qui devinrent des heures. Au loin, les derniers arbres debout craquaient sous la chaleur. Le village de Misc n'était plus que ruines également, les grottes avaient été saccagées. Il ne l'avait pas révélé à Térak mais il savait pertinemment où se trouvait l'objet tombé du ciel : un certain nombre de ses compatriotes avaient profité de la confusion de la destruction pour emmener la chose avec eux en sécurité. Misc ne voulait pas paraître pessimiste mais il lui semblait qu'il s'agissait également de la fin de sa tribu...

-- Tu te souviens comme c'était quand on ne recevait pas de cadeau des cieux ?

***

Journal télévisé France 3 national, le 13 septembre 2013 :

« Exploratrice infatigable, lancée dans une formidable odyssée de l'espace depuis 36 ans, la sonde Voyager 1 est le premier objet fabriqué par l'homme à avoir quitté le système solaire, à plus de 21 milliards de kilomètres du Soleil. »

http://dravic.wix.com/artiste