Régulation ou anomie

Frédéric Wyczisk

Résumé

A partir d’un constat d’échec du mode de régulation économique actuel, le dogme libéral du tout marché déréglementé, je propose une vision mixte et synthétisée des problèmes en mélangeant les concepts politique (ultralibéralisme, collectivisme), sociologique (anomie), économique (crise financière, régulation), physique (chaos, entropie) et biologique (vie).

Je montre le paradoxe d’une forte utilisation de la science (modélisation mathématique des risques financiers, modélisation du réchauffement climatique et projection alarmante) et d’une défiance, d’un désintérêt vis à vis de cette même science et d’une perte de confiance en l’avenir.

L’entropie et le désordre croissant de l’univers pourrait nous servir de support conceptuel pour promouvoir une plus grande régulation économique, bien tempérée pour éviter les extrêmes, et pour faire gagner la vie (néguentropie) et l’organisation au coût inévitable d’énergie consommée et de volonté sociale et politique.

Comme le souligne Fayerabend la science est un outil, mais pas le seul, aux services des hommes et ne doit pas être un instrument d’aliénation dans les mains de l’état.

 « Pour avoir une bonne idée il faut en avoir beaucoup »

Linus Pauling

Un nouveau concept : le capitalisme financier

Et oui ça vient de sortir, la faute à qui la crise ? au capitalisme financier. Le capitalisme lui n’y est pour rien, ça marche toujours et il doit continuer à guider nos pas dans la nuit économique que nous traversons, il doit rester notre philosophie pour l’avenir.

De qui se moque t’on ? on nous prend pour des imbéciles, le capitalisme financier n’est ce pas un magnifique pléonasme, car qui a t’il de plus financier que le capitalisme. Je n’ai pas lu Marx mais si les mots ont un sens capitalisme cela vient de capital et le capital c’est précisément une accumulation d’argent non ?

Alors voilà après la chute du communisme il n’y avait plus personne pour contester la victoire du capitalisme, de l’économie de marché avec sa main invisible, comme ils disent, qui allait nous réguler tout ça. Tout le monde s’était dit que c’était comme ça, certain prédisait même la fin de l’histoire, on avait baissé les bras devant l’évidence, le libéralisme économique mondialisé et son lot de délocalisation et de laissés sur la carreau c’était notre nouvel évangile.

Avec une gauche absente et infoutue de proposer une alternative crédible chacun s’était replié sur son petit chez soi et son bonheur individualiste et consumériste.

Oui le capitalisme mondialisé est bien en train de s’écrouler sous nos yeux ébahis et nous avons peine à le croire.

Le renflouement grotesque et scandaleux des banques avec les deniers des états en est la manifestation la plus éclatante. La logique du système aurait voulu que les mauvais gestionnaires, qui s’en sont mis quand même plein les poches, rendent des comptes c’est le cas de le dire, que les responsables des fraudes financières massives soient sanctionnés, mais là non ils sont encouragés à persister.

La gestion du risque financier, même avec de savants modèles mathématiques, cela n’existe pas ou ne fait qu’augmenter le désordre, on ne peut pas fonder toute une économie sur les lois du hasard et sur l’avidité des plus âpres au gain.

Et la gauche extrême en viendrait même à le regretter ce capitalisme et se trouve fort dépourvue car toute sa doxa est une doctrine du contre, de l’opposition à (voir Besancenot et son nouveau parti anti-capitaliste), mais n’a pas grand chose à proposer en face de ce qu’il faut bien appeler une idéologie du marché triomphant et auto-régulateur. L’histoire nous montre de toute façon que le collectivisme poussé à son extrême conduit à la barbarie.

Vers une nouvelle organisation, une lutte contre l’entropie

La solution à tous nos maux ne sera pas à rechercher dans les extrêmes mais dans une synthèse, un consensus qui n’est pas nécessairement mou, comme dit avec humour l’animateur de l’esprit publique sur France culture (Philippe Meyer), on peut être violemment modéré. Alors il va falloir trouver une troisième voie, une synthèse entre le collectivisme communiste et le capitalisme individualiste ultra-libéral.

Il faudra trouver un entre deux avec de la libre entreprise pour ne pas brider la volonté et le génie humain et de la régulation car il s’agit toujours de faire société et de respecter le contrat social.

Une nouvelle voie centrale , la plus rationnelle voire raisonnable me semble t’il, démocratique, d’économie mixte où l’économie se mettrait au service de l’homme et non pas l’inverse, un projet humaniste au delà de la vieille sociale démocratie Européenne qui a montré ces limites. Un projet d’idées, en perpétuel évolution et adaptation, pragmatique, plutôt qu’un projet idéologique et utopique, sclérosant et mortifère (le soviétisme, les fascismes, le libre marché autorégulateur) dont on a vu les méfaits catastrophiques dans un monde que l’on sait chaotique, aveugle et livré à l’entropie croissante.

La crise économique nous montre bien que le chaos règne quand on laisse le libre marché à lui même.

L’entropie est un concept difficile à saisir lié à la notion de perte d’information. C’est ce concept d’entropie qui est à la base du développement de la théorie quantique et de ses applications les TIC (Technologies de l’Information et de la Communication).

Les lois de la physique nous montre que le déterminisme n’existe pas ceci à cause de l’extrême sensibilité aux conditions initiales de tous modèles.

On sait depuis Boltzmann et sa thermodynamique statistique que l’entropie c’est de la perte d’information, de l’irréversibilité ou flèche du temps, un accroissement du désordre (frottement, viscosité, répartition non uniforme de température…). En ce sens l’information c’est de l’entropie négative, de la néguentropie (la vie elle même serait de la néguentropie, une lutte contre l’augmentation du désordre).

Toute information se paie en néguentropie (entropie négative) et une plus grande précision aux conditions initiales demande donc plus d’informations donc une dépense d’énergie qui tend vers l’infini.

Et l’on voit bien aussi l’extrême difficulté pour les climatologues de faire des prévisions sur le long terme en rapport avec le réchauffement climatique, il m’en font pas d’ailleurs ils parlent prudemment de projection. Car là les conditions initiales c’est la description scientifique de l’état climatique de la planète entière à l’instant t, on voit bien le caractère prométhéen de la tache mais ce n’est pas une raison pour se décourager.

Donc sous cet éclairage aussi il s’agit de trouver un compromis entre le laisser faire qui mène au chaos, à l’aléatoire, et la régulation qui de toute façon reste indéterministe mais nécessaire. C’est là que les concepts de volonté politique (mais pas au sens de Sarkozy où il s’agit plutôt de suractivité erratique sans aucune vision ni du passé (voir les lois mémorielles absurdes) ni de l’avenir), de bien commun, de faire société, de synthèse prennent tous leurs sens.

Je verrai bien cette organisation se mettre en place à l’échelle des régions, donc les états seraient appelés à disparaître ou réduit à un rôle fédérateur, oui la région me semble le niveau le plus pertinent pour conserver la diversité culturelle et éviter le gigantisme des états-continents. On peut citer les exemples de l’Allemagne avec ses Landers ou les Etats Unis d’Amérique avec un état fédéral replié principalement sur ces fonctions régaliennes mais présent pour conserver une unité de destins et l’Europe bien sûr qui chapeauterait des régions autonomes.

Je verrai bien aussi au niveau des institutions une troisième chambre d’élus (ou alors on remplace le sénat dont je ne comprends pas exactement le rôle et qui d’ailleurs perdrait sa raison d’être en cas d’autonomie effective des régions) qui réunirait des scientifiques, des philosophes, des religieux, des économistes, des syndicalistes et des représentants de tous les arts et métiers et qui serait charger d’éclairer le parlement et l’exécutif sur la politique à mener. Car nos hommes politiques sont tous formatés à la gestion administrative mais peu au fait des difficultés quotidiennes des travailleurs. Une grande réforme du monde du travail me semble nécessaire pour qu’il n’y ait pas d’un coté les forçats qui se suicident de trop travail et les chômeurs qui se suicident de pas assez. Chacun doit pouvoir trouver une place dans la société par son travail, le dogme de la compétitivité et de la loi du marché ne doit pas être instauré à tous prix, la patience et la créativité doit être privilégié.

De plus trop de lois sont votées et peu sont réellement appliquées. Enfin les problèmes d’éthiques avec les nouvelles possibilités de la techno-science nécessitent du débat citoyen et de l’expertise.

La volonté en l’avenir

Ce qui se précise à l’heure actuelle c’est qu’il va falloir inventer autre chose que ce capitalisme, ce libéralisme aveugle et tourner vers la spéculation et surtout qu’il va falloir redonner confiance à tout le monde. Car la crise c’est surtout une crise de confiance en l’avenir, on ne croit plus au progrès ni scientifique ni social ni même politique et l’on a même peur que le ciel nous tombe sur la tête. La science est devenue une activité néfaste et il faut s’en protégé par le principe de précaution. On ne fait plus de politique mais de la communication et du people. Le développement durable nous assène tous les jours que la croissance cela n’est pas bon, cela entraîne un réchauffement climatique qui conduira….si ce n’est à la fin du monde au moins aux pires fléaux pour notre pauvre petite planète aux ressources limitées.

Comment voulez vous que les gens aient le moral avec ce déferlement de peurs et de résignation devant l’avenir. Comment notre jeunesse ne pourrait elle pas se révolter devant le tableau affligeant d’une espèce humaine qui en vient presque à s’excuser d’être là à polluer la planète (certains écolos purs et durs et décervelés se font même stérilisés pour dame nature, pas d’enfants ça pollue).

Mais la nature n’est pas hospitalière, elle est aveugle et impitoyable, les efforts de l’homme ont toujours été de vouloir s’en extraire pour atteindre à la technique et à la culture. Le phantasme d’une nature paradisiaque, propre et bienfaisante est une douce utopie comme l’est l’utopie de la santé parfaite, la grande santé aurait dit Friedrich Nietzsche (santé de l’homme et de ses gênes sains et santé de la terre avec le projet écologique).

Mais il me semble que quoi qu’on en pense nous vivons toujours en harmonie, en symbiose avec la terre, notre niche écologique. Car en définitive la nature c’est aussi nous, même si on l’oublie un peu, aveuglé par notre anthropocentrisme. Le pire n’est jamais sur, la terre a encore de quoi nourrir 10 à 12 milliards d’individus, tout ne va pas si mal, nous prospérons. Et qui nous dit que le réchauffement climatique, qui finira par se réguler de lui même quand il n’y aura plus d’énergie fossile, ne va pas nous être bénéfique par la libération des terres aux pôles qui pourront être employé à l’agriculture.

Alors que reste t’il, la confiance, la foi, Emmanuel Kant disait que la seule chose bonne pour les hommes est la volonté, la volonté au sens moral et politique des hommes de se construire un avenir commun avec toujours moins de conflits et toujours plus d’échanges. Un nouvel humanisme à inventer avec de la raison mais aussi de la passion et de la joie de vivre….

En latin chose se dit « res » je crois que l’on retrouve dans réalité et république, la res-publica (la chose publique) ce à quoi chaque citoyen devrait être particulièrement attaché.

La séparation de la Science et de l’Etat ?

Non la science, et les techniques qui en découlent, n’est pas dangereuse en soi, il faut juste regarder le bon coté des choses (espérance de vie augmentée au moins dans les pays les plus développés, maîtrise de la connaissance (matière énergie), communication mondialisée via internet, transports rapides….) même s’il y a toujours un revers de la médaille. La science est une philosophie, la physique s’appelait la philosophie naturelle il n’y a pas si longtemps.

Il faut arrêter de compartimenter toutes les activités, il faut décloisonner les disciplines (mathématique, physique, philosophie, linguistique, poésie, sociologie, psychologie….) et ouvrir les esprits, chaque citoyen doit redevenir honnête homme, philosophe c’est à dire prendre part à la recherche scientifique et à ses applications techniques, prendre part à la vie de la cité c’est à dire faire de la politique au sens le plus noble du terme, être poète et philosopher à l’occasion, être sociologue et psychologue, être cartésien et épicurien, être volontiers hédoniste et essayer de vivre une sexualité épanouie….. en gros la doctrine du tout est bon et du gai savoir chère à Nietzsche.

Paul Fayerabend, physicien et philosophe, dans son essai « Contre la méthode, Esquisse d’une théorie anarchiste de la connaissance » nous proposait ceci en conclusion de son ouvrage :

« Ainsi la science est beaucoup plus proche du mythe qu’une philosophie scientifique n’est prête à l’admettre. C’est l’une des nombreuses formes de pensée qui ont été développées par l’homme, mais pas forcément la meilleure. La science est indiscrète, bruyante, insolente ; elle n’est essentiellement supérieure qu’aux yeux de ceux qui ont optés pour une certaine idéologie, ou qui l’on acceptée sans jamais avoir étudié ses avantages et ses limites. Et comme c’est à chaque individu d’accepter ou de rejeter des idéologies, il s’ensuit que la séparation de l’Etat et de l’Eglise doit être complétée par la séparation de l’Etat et de la Science : la plus récente, la plus agressive et la plus dogmatique des institutions religieuses. Une telle séparation est sans doute notre seule chance d’atteindre l’humanité dont nous sommes capables, mais sans jamais l’avoir pleinement réalisée. »

Donc prenons ce qui est bon dans la science mais ne nous laissons pas enfermer dans la techno-science et les TIC (Technologies de l’Information et de la Communication) et toutes les dérives potentielles associées : manipulation, propagande et contrôle social.

L’ordre ou le désordre, l’anomie* ou la régulation

En conclusion je prône une liberté voire une anarchie au niveau des idées qui nous permettra de dégager des pistes pour l’avenir (connaissances, poésie, arts, spiritualité ….) mais un pragmatisme et une volonté politique au niveau de la régulation sociale et économique.

Une synthèse entre l’individuel et le collectif, une capacité à refaire du lien social (pour ne pas sombrer dans l’anomie) non pas au niveau mondialisé ce qui est hors de portée de notre échelle humaine même avec la vitesse des ondes électromagnétiques, mais à l’échelle culturelle d’une région. Ceci ne doit pas nous empêcher de se sentir habitant de la planète terre mais sans tomber dans l’utopie écologique qui est une idéologie voire une nouvelle barbarie. Je ne sais plus qui disait tout ce qui est excessif est insignifiant.

Avec cette culture régionale il ne faudra pas oublier le partage et les échanges avec les cultures d’à coté et donc de ménager un espace pour la paix, le métissage et ainsi d’éviter les conflits. De plus cela permet un brassage génétique favorable à l’adaptabilité environnementale (Darwin).

Donc on en revient toujours à cette notion de mixité, de synthèse, de métissage, d’échange et d’équilibre entre des extrêmes :

-       individuel – collectif

-       particularisme culturel - citoyen du monde

-       autonomie – hétéronomie

La vie en définitif c’est de l’ordre (entropie négative) mais aussi du lien, du relationnel, du partage, du rapport, du social sans tomber dans le socialisme idéologique. Un être vivant tout seul cela n’a pas de sens, la vie est un processus relationnel et d’interdépendance.

Linus Pauling, le seul scientifique à avoir obtenu 2 prix Nobel seul (chimie et Paix), spécialiste de la liaison chimique, avait bien senti cette importance du lien, de la liaison car après avoir travaillé sur la chimie quantique il avait bifurqué vers la biologie et failli de peu découvrir la double hélice de l’ADN, il a fait une citation sur le rapport entre la vie et la liaison chimique qui allait dans ce sens là aussi.

Pauling a dit que le seul moyen d’avoir une bonne idée est d’en avoir beaucoup, c’est ce que pensait aussi Einstein qui faisait feu de tout bois, alors osons avancer une idée, une intuition, en procédant par analogie, la vie ne serait pas attribuable à l’organisme seul mais aux rapports aux liaisons chimiques peut être, aux échanges d’énergie entre l’organisme et son environnement. La vie c’est de l’échange, de la liaison. La vie c’est la lutte de l’ordre (néguentropie) et la régulation contre le désordre.

Un cerveau humain ne fonctionne pas tout seul, son mode ontologique d’existence c’est l’interaction avec son environnement et ses pairs si je puis dire (voir les derniers travaux sur le fonctionnement du cerveau humain, la réalité c’est une construction mentale mais les philosophes l’avait déjà perçu il y a très longtemps, voir la doctrine nominaliste au moyen age par exemple).

NB

Sans tomber non plus dans le relativisme absolu (hum !) on voit aussi que ce concept de rapport, de relatif, d’interaction intervient fondamentalement dans les disciplines scientifiques (mathématiques et physique) où l’on ne traite que du rapport entre les choses (les équations, la mesure, la relativité…) ce que je montrerai dans un article à paraître.

Frédéric Wyczisk

* Anomie : Etat d'une société caractérisée par une désintégration des normes qui règlent la conduite des hommes et assurent l'ordre social (cf wikipedia) 

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