Réhabilitation

petronille

– On nous envoie un TIG. Il a écopé de trois semaines, celui-là. Il sera parfait pour les jardins, déclara le maire des Envalas. De vrais Travaux d'Intérêt Général, il pourra pas se plaindre !

Le maire était fier de sa petite ville, de ses Halles du XVIe siècle qui attiraient les touristes, et surtout de son parc municipal auquel il consacrait une partie importante du budget de la commune. Les parterres fleuris et les allées bien dessinées le remplissaient d’orgueil, comme une mère se réjouit des selles moulées de son rejeton.

Laurent avait ainsi été affecté au Service des jardins. Manier le râteau, cela semblait lui convenir et il montra aussitôt du cœur à l'ouvrage. Au bout d'une semaine le jardinier, Mounier, qui l'avait d'abord observé avec défiance : un délinquant, donc un paresseux qui allait bâcler le travail - lui confia des responsabilités. Laurent, après avoir ramassé des tombereaux de feuilles mortes - on était au sortir de l'hiver – se vit chargé de la taille des haies de troènes, et le résultat éblouit son chef : un jardinier de métier n'aurait pas mieux fait. Les bordures d'arbustes étaient parfaitement horizontales, pas une brindille ne dépassait.

 – Un vrai travail de pro, confia Mounier au maire à qui il devait rendre compte du comportement de son protégé. Je me demande s'il ne pourrait pas m'aider à préparer le parterre de fleurs à l'entrée de la ville, vous savez, celui devant lequel les visiteurs passent forcément pour aller visiter notre Halle aux Grains...

– Faites comme vous voulez, Mounier, c'est vous qui voyez.

Laurent montra un intérêt certain pour le nouveau travail que son chef attendait de lui. Il s'agissait de préparer le terrain en pente semé de gazon où se détacherait le « Bienvenue aux Envalas » dessiné en jonquilles jaunes. Mounier avait envisagé, comme les années précédentes, d’entourer le texte d’une bordure en forme de cœur. Laurent, en entendant ce projet, se permit d’intervenir :

– M’sieur Mounier, si vous permettez…

– Oui mon garçon ?

– J’ai bien une idée… mais je ne sais pas…

– Vas-y, n’aie pas peur, je t’écoute.

– Eh bien voilà. J’ai pensé, avec cette bordure… on voit moins ce qui est écrit… c’est l’écrit qui est important, croyez pas ? Et pour que ça soit important, vaudrait mieux qu’y ait pas de bordure ? Et j’ai aussi une autre idée…

– Oui, oui…

– Mais je me trompe peut-être, faut me dire… elle est un peu triste, quand même, la cour pavée à l’arrière de la Mairie. Si on y mettait des jardinières, avec le reste des jonquilles… ça mettrait de la couleur...

Mounier hocha la tête. Décidément ce garçon n'était pas idiot, dommage qu'il ait si mal commencé dans la vie... de mauvaises influences, sans doute.

– Figure-toi que j’y avais pensé. C’est ce que nous allons faire.

Le chef se garda l'arrangement des jardinières pour lui. Il songeait à mélanger plusieurs variétés, pas seulement des jonquilles mais aussi des pensées, des bégonias, de quoi surprendre agréablement le maire et obtenir ainsi de l'avancement.  

Mounier expliqua à Laurent comment calculer l'écartement entre chaque lettre, comment tendre la ficelle entre les petits piquets qui permettraient l'alignement des fleurs sur le gazon. Il regarda le jeune homme commencer, vit qu'il s'y prenait fort bien, et lui confia les oignons de jonquilles à planter. D'ici quinze jours les fleurs allaient éclore d’un seul coup, quand les touristes arriveraient avec les premiers week-ends ensoleillés.

Enfin les plantations furent terminées, le jardin municipal nettoyé jusque dans les recoins les plus sombres, et la période de Travaux d'Intérêt Général de Laurent achevée au même moment. Mounier lui proposa, avec l'accord préalable du maire, de rester un peu, un contrat de deux mois à l'essai, le travail avait l'air de lui plaire, alors pourquoi pas ?

Laurent hésita, mais il avait promis à ses parents d'aller les voir, ils se faisaient vieux, ils habitaient loin, il ne les avait pas vus depuis longtemps, enfin bref. Il partit avec la vague promesse de réfléchir. Mounier n'y crut pas trop, les délinquants rechutaient si souvent, une fois livrés à eux-mêmes... Celui-ci s'était bien conduit pendant trois semaines, ça ne prouvait rien.

Le jardinier se retrouva seul. Chaque jour il faisait la tournée de son domaine, inspectait le jardin, donnait un petit coup de cisailles à droite à gauche, surveillait les plantations, tout allait bien, l'essentiel avait été fait.

Le temps restait très frais et retardait la floraison. Mounier songeait aussi au mariage de sa filleule où il devait se rendre bientôt, deux jours de liesse où le soleil était désiré plus qu’à un autre moment de la vie, et il souhaitait un temps radieux aux mariés. Quand il prit la route pour se rendre à la fête, le ciel avait un aspect encourageant. Il passa devant le parterre à l’entrée de la commune et vit avec satisfaction que le N et le U de Bienvenue, ainsi que le L de Envalas commençaient à se lire. C’était bon signe.

De retour le lundi matin, il quitta l’autoroute et s’engagea sur la bretelle vers Les Envalas avec un sentiment d’appréhension : et s’il n’y avait pas eu chez lui le même soleil ardent que là-bas, au mariage ? Quel bonheur ce serait si les jardinières débordaient de fleurs, si le massif à l'entrée de la ville pouvait avoir fleuri pendant ses deux jours d’absence ! Il accéléra, entama la descente vers le rond-point qui marquait l’entrée de la ville. Il sourit en apercevant de loin le jaune des jonquilles écloses. Encore cent mètres et, se détachant nettement sur le fond vert du gazon, il put lire l'accueil adressé aux visiteurs : « Bienvenue aux Enculés ».

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