Renaissance

redisblacklove

Je sentais sa forte respiration dans mon cou se saccader davantage jusqu'à l'essoufflement. Son corps se trouvait contre le mien. Il était encore chaud. Lorsque le bruit avait cessé, ma boîte noire décida de m'éveiller.


Tout n'était que rêve dans ma vie, et comme beaucoup de monde c'était la chose que je préférais faire : rêver.

Vivre dans un monde irréel remplit d'illusions me plaisait, pendant que je dormais tout était réalisable. Gravir l'Everest en seulement cinq petites minutes sans une goutte de sueur sur le front, braquer une banque ou mettre fin à une vie sans risquer de finir ses jours en prison -car, comme on le sait tous, dans cet univers là personne ne pouvait nous attraper : les jours et le temps n'existaient pas-, devenir présidente ou mieux encore, comme cette nuit-là, être à nouveau avec elle.

Ça m'arrivait souvent, de la revoir. Je ne pourrais vous dire si à ce jour elle était en Alaska, tranquillement chez elle, aux Bahamas ou bien même encore vivante. Je l'ignorais.

Ça faisait bien des années que je ne l'avais plus recroiser -à ma grande tristesse- mais j'en étais venue à me dire que tout était bien mieux ainsi.

L'univers tout entier le sait, ce n'est pas la rupture qui est douloureuse mais le manque. Bien qu'il ne soit pas visible pour nos yeux, il est tout de même là quelque part, il nous retourne le ventre ainsi que le cœur à chaque petites choses qui nous rappellent cette personne partie. Que ce soit un parfum, une musique, un endroit, nos souvenirs réapparaissent toujours.

J'avais vécu une histoire d'amour courte mais intense, mais surtout unique.


-

 

Quand ce matin de janvier -alors qu'il ne devait pas faire plus de cinq degrés dehors avec un vent insupportable- je la vit sortir du lycée pour la première fois, je su que je l'aimerais à en crever.

 

Sa silhouette discrète se fondait parfaitement dans la foule et pourtant je ne voyais qu'elle. Ses courts cheveux châtains qui dansaient avec le vent, ses yeux foncés qui venaient de transplanter mon être, la finesse de son corps qui semblait jongler avec le mouvement de ses jambes lorsqu'elle marchait, ses lèvres légèrement ouvertes pour y laisser entrer de l'air. Elle était parfaite.

 

Edycine venait d'arriver. C'était mon amie depuis maintenant treize années. Elle me parlait -beaucoup, comme à son habitude- jusqu'au moment où elle s'arrêta et me fixa pendant une bonne minute avant que je réagisse et lui demanda pourquoi elle me regardait avec tant d'insistance.


- Et? tu m'écoute? Tu rêves encore c'est ça?

- On ne peut pas rêver sans dormir, ce n'est pas réellement possible.

- T'as très bien compris ce que je voulais dire, à quoi tu penses? Encore à Elle*

(*) On n'utilisait jamais son prénom lorsqu'on en parlait, Edycine savait à quel point j'avais horreur d'entendre celui-ci depuis qu'elle avait choisit de disparaître de ma vie.

Malgré qu'elle ne quitte jamais mes pensées, pour une fois je répondis par la négative.

- T'as fumé ou sniffé un truc? Tu penses toujours à Elle, alors soit :
1) t'es en train de planer, et même dans ces moments j'suis quasi sûre que t'y penses encore
2) Elle est revenue se repointer au bout de deux ans sans signes de vie et toi tu retombes naïvement entre ses griffes ou
3) t'as rencontré quelqu'un d'autre d'assez ouf pour ne plus que tu penses à Elle.

-  La 3) Enfin pas vraiment..

- Je la connais?

- Sûrement que de vue, c'est à dire autant que moi.

- Elle était à la soirée de Jane l'autre soir? Je vois pas sinon.

- Non, mais je viens de la voir sortir de ton lycée.

- Elle étudie là aussi?Et tu lui as parlé ? Esther, dis-moi que tu as sorti les doigts de ton.. fin voilà, et que tu es allée lui parler??

- Je t'ai dit, ça s'arrête à l'avoir vu.

- Putain, merde, me dis pas que c'est comme avec Elle, un de tes coups de foudre qui va te donner beaucoup plus de mal que de bien?

- J'crois bien, mais je n'irais pas lui parler.

- D'accord. J'veux bien. Tu n'as pas envie de refaire la même connerie. J'comprends. Mais faudrait peut-être te bouger un peu, non?

- Et c'est toi qui me dis ça, Edycine ou celle qui m'a fait son speech de « Ce n'est pas parce que ton estomac se broie lorsque tu croises une fille qu'il faut espérer vivre heureuse avec tout le reste de ta vie »?

- T'avais besoin de l'oublier, j'essayais de t'aider en disant ça, puis maintenant c'est du passé alors oublie-moi cette connasse et essaye de vivre!

- Je vis.

- Non, tu survis là. Bon, elle ressemble à quoi ton nouveau coup de foudre?

- Elle est vraiment parfaite. Physiquement en tout cas. Elle m'a refait fonctionner ce qui était rouillé en moi.

- Mais encore?

- Elle est petite, peut être 1m60 grand maximum. Des cheveux courts et châtain, des yeux foncés....

- Attends... Je vois oui.. ouais ! Elle est nouvelle, enfin je l'ai jamais vue avant début de semaine donc je pense savoir! Et tu veux que j'aille..

- Non.

- Mais allez Esther, tu vas pas rester là comme une conne!

- Pas maintenant en tout cas. Puis je veux y aller de moi-même, cette fois-ci.

- D'accord. Bon, on y va?

- On y va.

On se dirigeait vers la gare non loin du lycée d'Edycine. Sur le chemin j'étais silencieuse -comme d'habitude- tandis qu'elle ne s'arrêtait toujours pas de parler. J'avais eu le droit à un tas de questions sur ce que j'avais ressenti en voyant la fille de son lycée.

- La même chose que quand je l'avais vu Elle.

- Ah ouais putain, c'est fort alors!

- P'tetre bien. P'tetre que mon cerveau me fait juste des fausses joies.

Une fois arrivée dans le hall bondé de gens de la gare, elle était là. Avec des amis sûrement, et plus si discrète que ça. Sans que je ne m'en rende compte, je m'étais immobilisée comme une débile au milieu du passage. Elle me regardait, je faisais de même.

- Esther, c'est elle non?!

Edycine me sorti de mon monde parallèle à force de me répéter sa question. Un vrai moulin à parole quand elle s'y mettait vraiment.

- Je, euh, ouais, c'est la fille là-bas, la masculine avec les cheveux courts.

- Je m'en doute, t'arrêtes pas de la fixer comme une mongole ! Merde, c'est qu'elle aussi te matte!

Elle était toujours aussi vulgaire, mais c'est ça qui faisait son charme et un des pourquoi on avait réussi à tenir une si longue amitié.

Je jonglais entre son regard et celui de mon amie qui faisait de même avec elle et moi.

- Mais t'attends quoi là ? Que j'aille te présenter p'tetre? Vas-y ! V.A.S.-.Y. M.E.R.D.E.

Elle faisait de drôles de grimaces lorsqu'elle essayait d'être discrète et de me parler en chuchotant, même si cela dit, ce n'était pas vraiment chuchoter.

 

Voyant que je ne me décidai pas à aller aborder cette fille, elle se mit derrière moi me donnant un coup de fesses afin de me faire avancer. Je manquais de me latter littéralement devant tous ces visages que contenait le hall. Juste le temps de reprendre mes esprits et de me rendre compte que j'avais atterri juste devant elle.

Cette fille était encore plus belle de prêt. Je ne pouvais m'empêcher de la regarder de mes grands yeux bleus. J'avais les lèvres ouvertes comme une imbécile, et elle qui me fixait d'un regard profond comme si elle attendait que je puisse sortir un son de ma bouche. Rien ne venait.

Heureusement qu'Edycine était là, elle était venue me sauver la mise en venant se glisser entre la belle et moi voyant que je serais incapable d'oser lui parler.

 

- Salut, moi c'est Edycine, et elle c'est Esther, une très bonne amie à moi.

- Chris, pas Christina ou Christa, juste Chris, répondît la fille.

- C'est sympa genre... Mixte quoi, c'est cool. Écoute, mon amie voulait venir te parler mais vu comme elle s'y prend un peu comme un manche je vais un peu l'aider.

Je fusillais Edycine du regard. J'étais horriblement gênée et elle en rajoutait une couche. Mais wow, Chris.. J'adorais ce prénom. Il lui allait si bien à elle et son style garçonne.

Je tournai la tête en sa direction et remarqua qu'elle me regardait mais cette fois-ci, en souriant. Elle déposa à nouveau ses beaux yeux foncés sur Edycine.

- Et du coup, ton amie, elle voulait quoi?

- Tu vas rire. En réalité elle est très portée sur les coups de f.....

- T'avais l'air...gentille. Alors je me suis dit que ça serrait cool.. enfin qu'on puisse tu sais.. discuter ou se voir un jour..?

Génial. Je bégayais comme une idiote. Mais au moins j'avais évité le pire. J'hallucine, Edycine allait lui dire que j'avais eu un truc pour elle, sûrement un coup de foudre. La honte.

Je voyais Chris rigoler gentiment.

- C'est d'accord. Mais je dois y aller là.

Elle sorti un stylo de son sac à dos et déchira une feuille de son agenda pour y gribouiller dessus. Elle me tendit le papier.

- Écris-moi. On planifiera par sms un jour pour se revoir. A bientôt Esther.

Elle s'en alla.

- Bordel Esther elle est vraiment cool, elle m'a même plus calculé quand t'as ouvert ta bouche pour lui parler, elle te kiffe!

- Arrête tes conneries, j'ai été nulle. Je n'arrivais même pas à construire une phrase sans merder..

- Mais elle t'a donné son numéro, alors c'est qu'elle ne pense pas que t'ai merdé tant que ça!

- Je.. ouais. T'as sûrement raison..

- Bien sûr que j'ai raison imbécile! T'as intérêt à assurer toute seule maintenant.

- Je devrais lui écrire quand tu penses?

- Dans deux jours, pas avant, surtout pas.

- Mais j'ai envie de lui parler..

- Esther, la règle du « je ne fais pas ma fille collante mais pas non plus celle qui s'en branle », oublie pas. Deux jours c'est bien.

- D'accord. Merci.

- C'est normal. T'as besoin de passer à autre chose, d'oublier définitivement cette salope et d'être heureuse. Elle ne te méritait pas.

Sur cette dernier échange je quittai Edycine et m'en alla vers mon arrêt de bus afin de rentrer chez moi.

 


-Deux jours après, comme prévu-

 

7:19

 


« - C'est Esther, la fille de la gare, tu sais, l'autre jour avec mon amie.

- Je m'en souviens, je me demandais si tu allais m'écrire ou si l'envie de le faire était déjà passée.

- L'envie est toujours là. Je ne devrais pas te le dire parce que c'est stupide mais c'est Edycine qui m'a dit d'attendre deux jours. Elle a des règles assez spéciales.

- Je vois, tu l'écoute toujours pour tout?

- Non, mais quand il s'agit de quelqu'un qui me plait je le fais maintenant.

- Je te plais?

Et merde, je n'avais même pas relevé que je lui avais bien écrit et envoyé ça.. Ressaisis-toi Esther.

- Oui, t'es très belle.

- Tu t'arrêtes qu'à mon physique? Puis cela dit il n'est pas ouf.

- Non, loin de là, c'est pour ça que j'ai voulu te parler, savoir si ta personnalité me plairait tout autant.

- Je ne suis pas quelqu'un qui plaît.

- Arrête tes conneries Chris, j'suis sûre de l'inverse.

- Tu verras bien après tout.

- Oui, je verrais. »

 

La conversation était déjà terminée. Je n'étais vraiment pas douée pour ça. Trop introvertie.

 


21:20

 



Je ne m'attendais pas à entendre mon téléphone sonner et voir le nom de Chris s'afficher sur l'écran après avoir eu une conversation aussi merdique la matinée même.

Je décrochai.

 

« - Demain après-midi pour 15:30 à l'endroit où on s'est parlé, ça te vas?

- Parfait, j'y serai.

- Parfait. »

Le bip bip de fin d'appel fit apparition.

 

L'échange était court mais je souriais. Elle voulait me revoir. Sans même qu'elle s'y sente obligée ou forcée. J'étais heureuse.

 


-Le lendemain-

 

15:00

 



J'étais toujours en retard pour tout, pour une fois que j'avais l'occasion de voir une fille qui me plaisait vraiment je n'allais pas arriver une heure en retard. Mais du coup, j'étais beaucoup trop en avance. Je devrais vraiment apprendre à mieux gérer mon temps.

J'en profitai pour m'asseoir sur un banc et lire un peu, Cosmétique de l'ennemi d'Amélie Nothomb.

J'étais tellement plongée dans ce monde imaginaire qu'était celui de la lecture que je sursautai en voyant quelqu'un s'emparer de mon livre.

- Et!

Je levai la tête, c'était Chris.

- Excuse-moi je ne savais pas que c'était toi. Tu es en avance!

- Toi aussi à ce que je vois, alors voyons voir ça.. Nothomb, Cosmétique de l'ennemi.. J'ai dû le lire quatre fois. T'as d'bon goûts.

- J'en suis à ma septième fois, et oui, je suis toujours tombée sur de belles choses, en littérature du moins.

- C'est sûr qu'humainement avec moi c'est pas une belle chose. Elle rigola.

- Je n'ai pas dit ça. Et si tu.. t'es vraiment jolie et.. t'as un tu sais.. quelque chose de particulier.

- Particulier? Je parais si bizarre que ça?

Son regard se referma.

- T'es pas bizarre, merde, j'aurais dû utiliser un autre mot j'suis bête... T'as un truc qui fait que tu plais.

- Que je te plais surtout ?

- Aussi, oui.

Elle me sourit et s'asseyait à côté de moi.

 

Elle sentait bon le parfum pour homme. Guess 1981, un de mes préférés. Ses cheveux courts étaient coiffés vers l'arrière mais une mèche lui retombait délicatement sur le front. Elle portait un jean slim noir, des baskets de la même couleur et un polo rouge. Toujours avec son sac à dos également noir avec elle.

 

- Et sinon, à part lire et mater des filles que tu croises dans la gare, t'aimes faire quoi?

- Je ne matte pas "des filles", il n'y a que toi que je regardais.. et sinon j'adore écrire, depuis le collège j'écris.

- Flattée. Tu écris sur quoi?

- Ce qui m'inspire, ce que je ressens, ce qui me.. blesse.

- Et je t'inspire moi?

Je me sentais gênée. J'aurais eu du mal à lui avouer que j'avais passé ces trois jours assise au bureau de ma chambre à écrire dans mon carnet d'écriture à quel point elle me rendait folle quand je l'avais vu sortir du lycée.

 

- Peut-être.

- T'es très réservée comme fille, j'aime bien. J'espère juste que tu n'écris pas des horreurs en t'inspirant de moi.

- Les personnes qui m'ont fait le plus de mal sont celles sur qui j'ai écrit. Et dans ces textes, ils ressemblent plus à des héros qu'à des monstres.

- C'est spécial ta façon de voir les choses. Je tâcherai de ne pas être trop gentille avec toi alors, comme ça si un jour tu deviens célèbre avec tes écris, je ferais partie de tes héros.

- Tu n'as pas besoin de ça pour exister, pour être dans ma tête.

Et merde.

- Ah oui? Je suis dans ta tête, c'est vrai?

- Véridique. Je pense beaucoup à toi depuis que je t'ai croisé à la g.....

- Pas à la gare, au lycée.

Je devenais toute rouge, Chris m'avait vu la regarder au lycée. Je me sentais plus si discrète que ça.

 Tu sais, reprit-elle, je t'ai aussi vue ce jour-là.

Je l'écoutai, étonnée.

- Je suis pas habituée à ce qu'on me regarde comme tu l'as fait.

- Comment je t'ai regardé ?

- Comme si tu n'avais jamais rien vue d'aussi beau, alors que pour être honnête, je me trouve vraiment pas jolie.

- Mais tu l'es.

Elle ne releva pas et continua.

- Personne n'a jamais eu de coup de foudre pour moi avant toi.

- Je ne t'ai jamais parlé de coup de foudre...

- J'suis pas stupide, Esther. J'ai très bien vu dans ton regard cette étincelle. Je ne l'ai jamais ressenti non plus, c'était la première fois que je le voyais. C'était vraiment beau. Avant toi, je n'y croyais pas, j'veux dire qu'avant cet instant, le coup de foudre n'était qu'un mythe pour moi. Et maintenant je sais que quelqu'un peut réellement en avoir un.

- Je.. je sais pas quoi te dire.. j'ai l'impression que mes neurones ont grillés d'un coup, j'suis en panne là..

- J'vais être franche avec toi, je sais que je te plais et maintenant je suis sûre de ce que j'ai vu, mais j'ai déjà quelqu'un.

Après la panne, le blocage. J'essayais de garder un sourire mais je ne pouvais mentir, tout était trompeur dans mon attitude.

- Je suis désolée, je pensais qu'être juste amies te suffirait.

- Il a de la chance de t'avoir.

J'aurais pu faire pire, mais mieux surtout.

-  C'est elle, et je ne sais pas.

Une nana en plus de ça, super.

- Pourquoi?

- Je suis solitaire, et elle n'aime pas quand je préfère être tranquille dans mon lit à lire en écoutant de la musique les weekends plutôt que de les passer avec elle.

- Tu as le droit d'avoir du temps pour toi, on est pas toujours obligée d'être collée à l'autre dans une relation. C'est pas bon je pense..

- Merci.

- Pour?

- De me comprendre. T'es capable de faire la part des choses dans un couple toi, ça se voit.

- J'en sais rien..

- Explique-moi ?

- Je n'ai pas été en couple plus que ça.. Je n'ai eu qu'une vraie relation.

- Avec une fille?

- Avec une fille.. C'était mon premier coup de foudre.

- Avant moi.

- C'est ça.. Et maintenant je suis seule.

- Tu veux en parler ?

- Non, Elle n'existe plus et je...fin genre j'ignore ce qu'elle est aujourd'hui.

- Elle t'a oublié ?

- Je pense. Sinon elle n'aurait pas fait ce qu'elle a fait.

- Elle est partie?

Chris avait remarqué que je me fermais de plus en plus au fil de ses questions.


- Désolée, je ne devrais pas insister..

- Oui, elle est partie, comme ça, sans raisons.

- Elle a dû avoir peur..

- J'y ai pensé, mais peur de quoi? J'étais parfaite avec Elle, je l'aimais à en crever, j'aurais tout donné pour Elle.

C'était au tour de Chris de se refermer sur elle-même.


- Je devrais pas t'emmerder avec mon passé, désolée..

- C'est rien, juste qu'Elle me fait penser à quelqu'un que je connais, et si c'est pour la même raison qu'elle s'en est allée, j'en suis navrée..

- A qui? Et pourquoi? Pourquoi partir dans ce moment parfait?

- A moi.. et parce qu'elle t'aimait..

- Arrête de te foutre de moi.

- Esther, je sais de quoi je parle.. beaucoup de gens ont peur de détruire ceux qu'ils aiment et l'amour nous fait peur. Alors on reste seule dans un coin le plus souvent possible, par peur de s'attacher, et on décide un jour de partir du jour au lendemain, sans donner de raisons..

- Et laissant l'autre se demander pourquoi, être mal, se remettre sans cesses en question..

- C'est un choix à faire.. la disparition lui fera mal, mais au moins elle ne souffrira pas par amour..

- Foutaises. L'amour, le vrai, fait mal. L'amour détruit. Plus on aime, plus on souffre. Il n'y a que les lâches qui s'en vont. Et ceux qui prétendent être amoureux mais ne le sont pas vraiment en fin de compte.

Il y avait un gros blanc entre nous. Je la voyais se sentir coupable mais de savoir qu'elle pouvait cautionner ce qu'Elle avait fait, je ne pouvais pas. Je n'avais pas de compassion.

Je décidai quand même de rompre le silence.

 

- Avec ta copine, ça fait combien de temps?

- Deux ans, dans un mois.

- Et tu l'aimes?

- Pourquoi cette question?

- Pourquoi ne pas me répondre que oui?

- Je.. je n'en sais rien. J'pense que oui, j'me sens bien avec elle.

- Mais l'amour c'est pas ton truc.

- Ouais. Je n'ai jamais aimé quelqu'un à en crever comme toi tu l'as fait, et j'serrais incapable de savoir si j'suis avec la bonne ou non.

- Même en étant pas douée, si tu étais avec la bonne tu l'aurais su.

- ... Sûrement.

- C'est sûr, effectivement.

- Je vais devoir y aller, il est déjà 18:00, le temps passe vite avec toi.

- J'prends ça pour un compliment.

- Tu peux. A bientôt ?

- A bientôt, oui.

Je m'approchai d'elle pour lui dire au revoir. En lui tendant ma seconde joue elle me prit dans ses bras et me serra fort. Sous le coup de la surprise je ne mis pas mes bras autour d'elle, mais Chris s'en était chargé en le faisant à ma place.

Sa bouche s'approcha de mon oreille gauche et je l'entendis me murmurer « T'es peut-être plus importante que tu ne le crois. Plus intéressante aussi. Ne doute jamais que tu es belle et que tu as été parfaite dans ta précédente relation. Tu verras, dans la nouvelle elle ne partira pas. »


Et elle s'en alla.

 

Le soir même c'était Edycine qui m'appela, car évidemment je m'étais sentie obligée de lui dire que je verrais Chris aujourd'hui.

- Allô?

- Présente.

- Racontes moi tout!

- Elle était vraiment belle, encore plus que l'autre jour à la gare. Elle a été gentille, puis elle aime lire aussi. Beaucoup, comme moi.

- Mais encore? Tu l'as galoché j'espère avant de partir?

- Non.

- Je m'en serais douté.. c'est quoi qui t'as fait bloquer?

- Elle.

- Mais pourquoi? T'es con ou quoi?

- Elle a quelqu'un. Une copine. Depuis bientôt deux ans.

- Et merde Esther... j'espère que t'as pas fait la connerie de lui dire qu'elle te plaisait alors? Parce que les nanas sont vraiment grave jalouses entre elles j'te dis pas.

- Touché.

- Double merde.. et qu'est-ce qu'elle t'a dit?

- Qu'elle était flattée mais qu'elle s'attendait qu'à une relation amicale.

- Putain, tu t'en fait friendzoné avant même d'être assez proche d'elle..

- Merci, j'avais remarqué.

- Te vexe pas ma belle, j'suis désolée pour toi..

- Moi de même.

- Elle l'aime vraiment sa copine?

- Elle pense que oui. Mais elle n'avait pas l'air emballée plus que ça.

- T'as encore tes chances alors!

- Je suis pas une de ces salopes qui brisent des couples.

- T'es pas obligée de le briser, juste de faire en sorte qu'elle s'attache à toi et qu'elle se sente mieux en ta compagnie qu'avec celle de sa nana!

- Tu me connais, je sais pas m'y prendre.

- Je connais la Esther d'avant, celle qui a tout fait pour avoir une fille qui l'avait rendu folle juste en la voyant. Je sais que quand t'en as vraiment envie tu peux y arriver. Bon, j'dois y aller, sinon tu connais ma mère, elle va encore me saouler parce que je ne dors toujours pas. Vive la vieillesse !

- D'accord, bonne nuit.

- Bonne nuit ! »

 

Je ne pouvais m'empêcher de penser aux paroles d'Edycine. C'est vrai qu'autrefois quand je désirais quelqu'un je faisais tout pour être avec. C'est ce que j'avais fait avec Elle. Et bordel, qu'est-ce que je voulais Chris, je ne pouvais le nier..

 

J'avais passé ma nuit à me tourner dans tous les sens dans le lit. Elle n'était même pas foutu de me répondre qu'elle aimait sa copine, elle n'était pas bien dans cette relation, ça se ressentait. J'avais peut-être dormi deux heures sur les neuf que je faisais habituellement.

 

J'avais la tronche complètement ravagée par la fatigue. Des cernes bleus sous les yeux comme si je m'étais faite cogner dans mon sommeil, sauf que, bizarrement, pendant mon peu de temps de sommeil je n'avais pas rêvé comme à mon habitude. Le moment que j'aimais le plus c'était fait remplacer par des pensées. Toutes consacrées à Chris. Mon estomac n'avait cessé de faire la fête dans mon corps. Les papillons dans le ventre, on appelle ça. Mais dorénavant je le nommerai l'effet Chris.

 


-Deux semaines plus tard, devant le lycée d'Edycine-


16:00

 



Les lycéens commençaient à sortir par le portail d'un bleu bien délavé. Edycine était là à me faire de grands gestes au loin. Toujours dans la discrétion.

 

Je la saluai et lui demanda comment elle allait.

- Super, contente d'être en weekend et de ne plus voir la salle gueule de cette prof. Elle est vraiment insupportable, je sais pas comment t'as pu l'avoir pendant 2 ans sans lui dire ses quatre vérités, elle me gonfle!

Edycine était plus jeune que moi et avait redoublé une année, la seconde. Ce qui faisait qu'elle en était à sa deuxième première année de lycée et moi en terminale dans un lycée général. J'avais été dans celui-ci aussi mais les cours pratiques du professionnel n'étaient pas fait pour moi. Pas du tout. Mais elle semblait avoir trouvé sa voie en restauration.

- Tu parles de Mme. Nert?

- Exact. C'est vraiment une grosse..

- Edycine! Tais-toi un peu!

-  Madame Esther se rebelle?

- Faut bien, tu t'emportes tellement vite.

- Excuse. En attendant je ne retire pas qu'elle est vraiment infecte.

- Je ne le nierais pas. Mais c'est vrai qu'avec toi elle est sacrément horrible, l'amour peut être...

- Putain mais t'es dégueu Esther!

Je lui mimais des scènes de baisers langoureux et nous éclations toutes les deux de rire.

- Bon sinon, des nouvelles de ta jolie Chris?

- Rien.

- C'est bizarre, je ne l'ai pas vue au lycée depuis deux semaines.

- Vraiment?

- J'te jure, je trouvais ça bizarre, puis j'ai pensé à une gastro. Beaucoup de gens de ma classe n'était pas là parce qu'ils n'arrêtaient pas de vomir et de..

- Edycine! J'pense que ça va, j'ai pas besoin de détails..

- Oui, enfin bref, ils étaient seulement absents trois jours ou quatre grand maxi. Deux semaines c'est sûrement pas la gastro.

- Ça ferait beaucoup effectivement..

- No stresse ma belle, elle va revenir, je pense.

- Tu penses.. On pense tous qu'elles vont revenir..

- Et oh! Déprime pas, y'a sûrement une explication! Tu la reverras ta chérie. Elle n'est pas ELLE.

- Ma chérie.. si seulement. Mais oui, j'espère que je la reverrais.. 

 

J'avais ramené Edycine jusqu'à chez elle. Sa mère n'aimait pas les gens, une vraie femme seule et insociable, alors je me contentais toujours de l'accompagner jusque devant sa porte et de repartir jusqu'à mon arrêt de bus.

Une fois à celui-ci et seule, je changeai la musique qui passait dans mes écouteurs qui était Back in Black d'AC/DC et mis quelque chose d'un peu plus calme, Étincelle de Lonepsi. Un de mes chanteurs favoris.

Je trifouillais mon téléphone dans l'espoir qu'il se mette à sonner. Mais rien. Je restais bloquée devant ma conversation avec Chris. Elle ne faisait que quelques lignes et datait déjà un peu. Je commençais à écrire dans la zone « Saisir un texte », recommençant plusieurs fois. J'avais fini par trouver un truc.

 

« Salut, Edycine m'a dit qu'elle ne t'avait plus vue depuis 2 semaines au lycée. Tout va bien? »

Le bus était là.

Une fois arrivée chez moi, je saluai rapidement ma mère et monta dans ma chambre. J'avais branché mon téléphone sur ma chaîne hi-fi, mis un peu de musique en fond -l'album de Radiohead, OK Computer- et pris un livre, Ma vie en dix-sept pieds de Dominique Mainard.

Allongée sur mon lit, lisant, je ne pouvais me concentrer sur ma lecture. Entre deux pages je jetais un œil à mon téléphone. Pas de réponse.

 


23:16

 



Mon livre achevé, je le rangeai et alla me coucher. Je commençais les cours à 10:30 le lendemain matin mais je ne voulais surtout pas arriver en retard. Encore un, et j'aurais une heure de colle. Une heure à me faire observer sous toutes les coutures par le vieux pion pédophile qui devait facilement avoir la cinquantaine. Je n'avais jamais vu de surveillants aussi vieux malgré que j'aie fait deux lycées et trois collèges différents. Il était réputé pour regarder sous les jupes des filles en été et des bruits courraient sur le fait qu'il en aurait tripoté une pendant son heure de colle, justement. Ce n'était que des rumeurs et je déteste m'y fier d'habitude, mais si vous aviez vu son regard et sa bouche toujours ouverte quand il voit une jeune, prêt à y laisser un filet de bave s'y échapper. Si je n'avais pas été attirée par les filles, j'aurais vérifié son entrejambe et j'y aurais sûrement vu un début de gaule. Écœurant.


 

-Le lendemain, les cours venant de s'achever. -



12:30

 


- Esther, ça va? T'es vraiment pas bavarde aujourd'hui. Enfin, encore moins que d'habitude.

- Yep. 

C'était Enzo, la seule personne avec qui j'avais réussi à vraiment bien sympathiser dans la classe. Edycine prétendait le détester mais c'était toujours la première à me demander quand est-ce que je le voyais pour venir s'incruster. Il aimait bien la taquiner jusqu'à ce qu'elle explose de colère. Le chat et la souris.

- Chagrin d'amour?

- On peut dire ça.

- Elle s'appelle comment?

- Chris.

- Mais c'est un mec?!

- Non, Chris au féminin.

Je me rappelai de la première fois où je lui avais parlé, quand elle expliquait à Edycine son prénom.

- C'est pas Christina ou Christa, juste Chris. C'est un prénom mixte, Enzo.

- Sympa! Et cette pas Christina mais cent pour cent Chris, elle vient d'où?

- Du lycée d'Edycine. Enfin, venait. On ne sait pas trop, ça fait deux semaines qu'elle n'est plus venue en cours.

- Hm.. t'as une photo?

- Non, rien.

- Des conneries, file-moi ton téléphone!

Enzo m'arracha mon smartphone des mains et s'amusa à fouiller dedans, sous mes yeux impuissants.

- Et bah!

- Qu'est-ce que t'as trouvé Enzo?!

- T'inquiète miss, j'suis pas tombé sur un nude où une photo de ton Kurt Cobain chéri la cervelle éclatée.

- Qu'est-ce que t'as alors?

- Ta Chris, elle veut te voir.

- Et moi je suis la reine d'Angleterre. Je lui ai écrit hier dans la soirée et elle m'a totalement ignoré. T'en connais beaucoup des jeunes qui ne répondent pas dans un laps de temps de presque quatorze heures?

- Bah dans ce cas excusez-moi ma majesté, Ô, reine de ce si beau pays qu'est le Royaume Uni, mais mise à part si je suis myope, ce qui en soit est impossible car j'ai une vision parfaite de 10/10 à chaque œil, c'est bien elle qui t'as écrit. « J'ai besoin de te voir. 17:00 à la gare aujourd'hui? » Que c'est mignon!

- Rends-moi ça, abruti !

Je lui repris mon téléphone des mains et m'empressa d'aller vérifier. Il avait raison, elle m'avait répondu. Tard, mais elle l'avait fait.

- Bon, je te laisse, j'ai mon train dans trois quart d'heure, puis j'ai promis à Edycine de passer l'emmerder un peu à la fin de ses cours.

- Vous finirez vraiment ensembles vous deux!

- Erk, non! T'es malade!

- Allez allez, tu dois te toucher tous les soirs en criant son prénom ! File, salle gosse! Ne fais pas attendre mon amie!

- Une raison de plus pour l'énerver, être en retard, même si elle doit être habituée avec toi m'dame!

Il s'en alla en faisant des bruits de jouissances, criant le prénom d'Edycine pour se foutre de moi. Je rigolais comme une débile en le voyant s'effacer au loin. Je remarquai que je n'avais pas encore répondu à Chris.

 

« À 17:00, ok. Je serais là. »


 

-Dans la soirée, à la gare-



16:50


 

Chris était déjà là. Elle n'avait pas une tête à avoir eu une gastro. Bien habillée et coiffée comme toujours, les joues rosées mais une mine vraiment triste.

Elle s'approcha de moi.

- Hey.

- Comment tu vas ?

- Désolée de ne pas t'avoir répondu hier soir, j'étais prise.

- Avec ta copine ?

- Je n'ai plus de copine.

Je n'osais pas lui demander pourquoi. Nous n'étions pas assez intimes pour que je puisse me permettre de m'introduire dans sa vie sentimentale. Je décidai tout de même à poursuivre la conversation.

- Tu as besoin d'en parler ?

- En parler, non. De t'en parler, oui.

- Pourquoi à moi ?

- Parce que ça te concerne. On peut d'abord aller dans un endroit plus tranquille ?

- Pas de soucis, c'est vrai que la gare n'est pas un bon endroit pour avoir une discussion au calme.

- Tu me suis ?

- Je te suis.

Chris marchait en direction opposée au centre-ville. Je ne savais pas du tout où est-ce qu'elle m'emmenait. Mon sens de l'orientation était vraiment merdique, je priais pour ne pas tomber dans un guet-apens dans une forêt perdue ou je ne sais quoi tendu par sa copine et elle car celle-ci serrait jalouse que je parle à Chris. Edycine m'avait prévenu, les nanas entre elles sont très jalouses. Puis autant vous dire, je ne saurais refaire le chemin en sens inverse.

Nous étions arrivées dans un grand parc quasiment désert. Elle alla s'asseoir par terre dans l'herbe puis s'alluma une cigarette.

- T'en veux une ?

- Je veux bien.

- Tu fumes au moins ? J'aimerais pas t'attirer dans un cercle vicieux merdique juste parce que tu veux m'impressionner.

- J'ai commencé y'a déjà bien longtemps, t'en fais pas.

Elle souriait légèrement et sorti une cigarette de son paquet.

- Tiens moi la mienne s'il te plaît.

Je m'exécutai et la regarda faire. Chris mit ma cigarette dans sa bouche, sorti un briquet de la poche de son gilet –taillé trop grand pour elle- et l'alluma.

- C'est bon, on peut échanger de cigarette.

Je lui tendis la sienne et récupéra celle qu'elle venait de m'allumer.

- Histoire d'avoir ma bouche sur la tienne, indirectement. Un peu comme une métaphore, tu sais.

- Je saisis oui.

Je n'osais lui dire que j'aurais cent fois plus apprécié avoir réellement ses lèvres contre les miennes, mais au vu de la situation, je doute qu'elle aurait apprécié. Elle m'avait quand même dit qu'elle n'avait plus de copine, donc bon. J'abandonnai l'idée.

- Je sais que tu te demandes pourquoi je t'ai dit ça tout à l'heure.

- De quoi tu me parles ?

- Que je n'avais plus de copine.

Merde.

- Je l'ai quitté, hier soir. C'est pour cette raison que je ne t'ai pas répondu avant ce midi.

- Je.. D'accord.

- T'aimerais savoir pourquoi mais t'oses pas me le demander de peur que ça me rende triste, c'est ça ?

- Exact..

- J'ai beaucoup réfléchi à ta question de l'autre fois, si je l'aimais.

Double merde. C'était de ma faute si elle l'avait larguée.

-  Et du coup ?..

- J'en ai conclu que tu avais raison. Même si je ne suis pas douée, si ça avait été la bonne, je n'en aurais pas douté. Je pense qu'au final je ne l'aimais pas. En tout cas, pas comme j'aurais dû le faire. Puis elle ne me comprenait pas. Elle n'acceptait pas le fait que je sois une fille solitaire et que j'avais d'autres passions en dehors de faire des "activités de couples" comme aller au cinéma, diner au resto, coucher avec elle.

Il y avait des choses dont j'aurais préféré ignorer leurs existences. L'imaginer en train de coucher avec une fille autre que moi en faisait partie.

- Tu es sure d'avoir pris la bonne décision ?

- Certaine. Et je t'en suis redevable. Si on ne s'était pas connues, je n'aurais jamais remis mes sentiments en question.

- Ta copine, enfin ex-copine du coup, doit me détester..

-Pourquoi ? Je ne lui avais pas parlé de toi.

Aoutch.

- J'aurais pensé que tu lui aurais dit qu'une amie t'as fait te remettre en questions.. mais tant mieux dans ce cas.

- Si je n'étais pas en cours depuis deux semaines, c'est parce que j'étais partie.

- Où ça ?

- Oh, pas loin tu sais. A deux trois villes d'ici. J'avais besoin de prendre du temps pour moi, me remettre en questions. Alors j'ai laissé en plan les cours et mon ex-copine pendant ces quinze jours.

- Et moi avec..

Chris ne savait plus quoi répondre. Je l'avais mise mal à l'aise.

- C'est pas ce que je voulais dire.. enfin si. J'ai vraiment cru que tu ne reviendrais pas. Puis quand j'ai attendu ta réponse hier soir à mon message, ce sentiment s'est juste confirmé..

- J'ai également réfléchi à ça.

- Ça ?

- J'ai plus envie de partir aux moindres sentiments amoureux grandissant. Si je n'ai pas fuis avec elle, c'est parce que je n'étais pas vraiment amoureuse comme je te l'ai dit.

- Et c'est juste avec une stupide question que je t'ai faite changer d'avis ?

- Pas qu'avec ça, c'est un tout.

- Je peux en savoir plus ?

- C'est d'avoir vu le mal que j'ai pu faire autrefois à travers ta fragilité, car toi tu sais ce que c'est, que d'avoir vécu un abandon. Je ne l'avais jamais remarqué parce que tout simplement je ne m'intéressais plus aux filles que je zappais après les avoir laissé seule avec le cœur brisé. Mais aussi en voyant ton regard la première fois que tu m'as aperçu, cette explosion dans tes pupilles, ce coup de foudre comme tu l'appelles. C'était si beau. Je crois que c'est ce jour-là que j'ai commencé à me remettre en question. J'avais le bide tordu dans tous les sens quand je t'ai vue. Mais par pudeur je ne t'ai pas regardé plus d'une seconde avant de te frôler pour continuer mon chemin et de ressentir des milliers de petits frissons sur les bras.

Je l'écoutais alors que mon cœur s'emballait. Ma tête tournait de plus en plus vite. Je me sentais aspirer par une chose inconnue qui me faisait me sentir bizarre mais qui m'apportait tant de bien à la fois.

- Je n'avais jamais ressenti ça avant.

- Tu penses que c'est..

- Un coup de foudre aussi, oui.

- Mais tu me disais encore l'après-midi où on s'était vues que tu ne cherchais qu'une relation amicale..

-Tu n'imagines pas les mensonges qu'on peut inventer pour refouler des sentiments inconnus mais surtout aussi forts.

- Je pense être capable de l'imaginer maintenant, si..

- Esther, ça ferait vraiment gros cliché de te dire qu'avec toi j'ai découvert l'amour le vrai, mais c'est vraiment ce que je pense.

Chris mit sa main sur le haut de ma cuisse, je posai la mienne dessus toujours en l'écoutant attentivement.

- J'aurais très bien pu continuer ma routine dans mon couple qui m'ennuyait juste parce qu'elle ne me prenait pas trop la tête, histoire de pouvoir dire que j'ai quelqu'un. Si on venait m'emmerder j'avais juste à dire que j'étais déjà prise. Mais j'ai envie que ça change, j'ai envie d'avoir quelque chose de vrai dans ma vie. Et je pense que ce vrai, c'est toi.

- Je ne sais pas quoi te dire Chris..

- Je sais, tu es une fille méfiante, ça se sent. Tu ne voudrais pas que je fasse comme Elle en te laissant tomber et hop, dans les oubliettes rangées dans un coin de ma tête. Sauf que j'ai envie de changer. J'ai besoin de le faire. J'ai dix-huit ans, plus douze. Alors oui, je suis encore jeune et j'ai le temps, mais je pense qu'arrivée à un stade, je dois me bouger le cul et prendre des responsabilités. Si tu n'avais pas bougé le tien en venant m'aborder, j'en serais toujours là, dans mon quotidien qui m'emmerde et me déprime. Il n'y avait qu'en lisant que je me sentais bien, et tu sais toi, ce que c'est que de ressentir ça.

- C'est parce que j'avais la même routine que toi que je le sais, oui. Sans la copine et avec un cœur en mille morceaux en contrepartie. 

- Laisse-moi t'aider à te redonner confiance en l'amour.

- Tu lui ressembles beaucoup tu sais..

- A Elle ?

- Oui..

- Mais je ne suis pas cette fille. Et je n'ai pas l'intention de te faire du mal. 

- C'est ce qu'Elle disait toujours..

- Je vois que je ne te ferrais pas changer d'avis sur moi, j'en suis désolée..

- Laisse-moi du temps, j'ai besoin d'être sûre de moi. Oui, j'ai totalement craqué pour toi, je te trouve magnifique et maintenant qu'on se connait mieux, j'aime ta personne. Mais j'ai plus envie de me faire prendre pour la dernière des connes. Pas encore.

- Compris. Tu devrais rentrer, il va bientôt faire nuit.

- Oui maman.

- Je ne rigole pas, s'il t'arrive quelque chose je m'en voudrais.

- Comme je m'en veux de toujours tomber amoureuse.

- Tu ne peux pas tout contrôler dans la vie, Esther. Et c'est pareil pour tout le monde.

- Hm.. Je vais y aller. T'as raison. J'ai un bus dans quinze minutes.

- Je te raccompagne jusqu'à ton arrêt.

- Si tu veux.

- Je ne te l'aurais pas proposé sinon.

- Accordé, allons jusqu'à l'arrêt de bus alors.

 

Quasiment aucunes paroles ne s'étaient échangées durant le chemin. J'étais horriblement heureuse que Chris m'avoue ce qu'elle avait sur le cœur et ce qu'elle ressentait, mais j'avais également terriblement peur. Peur d'à nouveau être abandonnée et finir seule dans mon lit à soit a) espérer qu'un de mes livres finira par m'absorber à force de lire, soit b) que je m'endorme et finisse mes jours dans un monde parfait qui ne serait pas réel. J'avais été assez naïve.

A l'arrêt de bus, Chris ne s'attarda pas, et c'était mieux comme ça. Elle m'embrassa sur la joue et me sourit avant de se retourner et d'aller vers la gare. Ce n'était pas le même genre de sourire qu'elle faisait en général. Était-ce parce qu'une carapace d'elle avait cédé et que je la voyais différemment maintenant ? Je l'ignorais. Mais à présent je voyais en elle de la fragilité. Chose qui, dans le passé, était invisible en apercevant cette jeune fille pleine d'assurance en train de marcher d'un pas ferme afin de rejoindre ses amis à la gare et de déconner avec eux.

 


-Quelque temps plus tard-



16 :00



Comme à ma bonne habitude, j'allai chercher Edycine après ses cours. J'étais très en retard, mon bus n'était pas passé à l'heure puis en plus de ça il était blindé. L'odeur nauséabonde qui régnait à l'intérieur de celui-ci me donnait toujours la gerbe. Classe.

Je m'approchai du lycée. Les élèves étaient déjà tous quasiment partis. J'en avais croisé un bon paquet sur le chemin. Je n'avais pas une vue parfaite, mais suffisamment pour me rendre compte qu'au loin, adossés au muret qui se trouvait côte à côte avec le portail de l'établissement scolaire, c'était Enzo et Edycine en train de se bécoter. Je souri et alla les rejoindre.

- Alors, comme ça on ne se supporte pas mais pour se rouler des grosses pelles pleines de baves tout vas bien ?

- Au moins elle ne râle pas, tu devrais me remercier Esther ! Sans ton chevalier Enzo, Edycine serrait en train de nous expliquer comment elle a remis Mme. Nert en place cette après-midi.

- Et ! C'était à moi de lui raconter pauvre con ! C'est ma meilleure amie !

- En attendant ton con tu aimes bien lui toucher les fesses !

- Vous n'êtes pas possible tous les deux, j'vous jure.

Comme trois gamins de primaire, on explosa de rire en chœur. C'était vraiment cool qu'ils ne se balance plus un tas d'injures, Edycine à ma gauche et Enzo à ma droite, pendant que j'essayais d'échapper à leurs petits coups taquins entre eux et aux postillons qui se balançaient de tous les côtés quand on se voyait en général tous ensemble.

Elle arrêta de lui manger la bouche jusqu'à la glotte et retira ses mains des fesses de son nouveau petit copain.


- Bon du coup Esther, t'en es où toi ?

- C'est-à-dire ?

- Fais pas la conne, tu m'as très bien comprise. En amour imbécile !

- Bah comme vous savez tous les deux, j'ai pris un peu de temps pour moi. Pour réfléchir.

- Et du coup ? Conclusion ?

- Conclusion, je suis vraiment heureuse comme ça.

- Tu te fous de moi ? T'as toujours été déprimée comme tout quand tu faisais ta rebelle solitaire ! Puis excuses-moi, mais en tant que meilleure amie, je me dois de te le dire, mais t'es vraiment chiante quand t'as pas embrassé quelqu'un depuis longtemps.

- Je n'ai eu qu'une copine, tu ne peux pas dire que je sois tant que ça porté sur les baisers sinon j'aurais pris les premières venues !

- C'est un peu ce que tu faisais quand on sortait les samedis soir..

- Je t'emmerde !

-  Un peu de politesse mademoiselle !

- Bon, d'accord. J'avoue. J'ai tendance à être chiante si je n'arrive pas à montrer que je peux plaire.

- Ah bah voilà ! Quand même tu l'avoues ! Donc ne restes pas seule en mode dépressive hein !

 

Mon téléphone sonna. « Pas de soucis, à tout de suite. »


Edycine me regardait avec ses gros yeux ronds d'incompréhension. Enzo, lui, était bien trop occupé à se foutre de sa gueule pour se poser des questions.

- C'était qui ?

- Je vous ai peut-être trouvé un prêtre pour que vous puissiez vous marier sur le champ, Enzo et toi…

- Tu… t'as fais..q..quoi ?

- Déstresse ma belle. Je rigole. Je ne savais même pas avant de venir que vous sortiez ensembles je te rappelle.

- C'est vrai. Alors, dis-moi qui c'était !

- Tu verras.

- Je déteste les surprises !

- Je sais. C'est pour ça que tu vas attendre encore deux petites minutes.

- Saloperie !

Une fois le temps écoulé, je regardai en direction du chemin que j'avais emprunté pour venir rejoindre Edycine –et du coup, par la même occasion, Enzo-. On pouvait voir au loin de la fumer flotter dans les airs et se dissiper.

Chris s'approcha de nous trois, tira une dernière latte sur sa cigarette avant de souffler en l'air et d'écraser son mégot sous sa basket. Aussi belle qu'à son habitude, elle me sourit. Je regardais les deux cachottiers en espérant voir des têtes se décomposer d'incompréhension. C'était le cas.

Je m'emparai des lèvres de Chris. Elle avait ses bras autours de ma taille tandis que j'enroulais les miens autours de son cou. Notre baiser dura un bon moment, nos langues s'entrelaçaient langoureusement et de temps en temps, je jetais un regard vers les deux têtes d'abrutis à ma droite. 

- Bordel, j'aurais dû le filmer pour mater le film ce soir quand je serais seul dans mon l… Edycine claqua l'arrière de la tête à Enzo.

- La ferme toi !

- Désolé chérie..

Chris et moi rigolions en voyant les deux faire les cons à côté de nous.

- Du coup tu ne vas pas être chiante parce que tu n'auras pas galocher quelqu'un depuis longtemps ? Génial ! dit Edycine.

- Promis. Puis tu vois bien que je ne suis pas seule.

- Et elle ne le sera plus maintenant, ajouta Chris.

 

-


Je n'avais rien ressenti de plus beau dans ma vie qu'un coup de foudre. Le premier avait été beau, même si il m'avait détruite et que j'avais perdu foi en l'amour. Mais le second l'était davantage, et au moins, dans cette histoire, tout finissait bien.


Edycine n'était plus avec Enzo. Ils avaient choisi de rester en bon terme parce que de toute façon, au long terme, l'un des deux aurait fini par assassiner l'autre. Même sans raison valable, juste histoire de l'emmerder.

Elle était fiancée à un garçon qui avait su la canaliser. Enfin le moulin à parole avait pris un rythme normal.

Quant à Enzo, mon imbécile préféré, il était devenu créateur de jeux vidéo. Il resterait toujours un gros gamin.

 

Aujourd'hui, mon histoire remonte à il y a vingt ans. Cela fait autant d'années que je suis avec Chris.
Je vous l'accorde, au début on ne pense pas à la durer d'une relation car on était vraiment très jeunes et immatures. Elle avait dix-huit ans et moi qu'une année de plus. Mais une fois qu'on trouve la bonne personne, ça ne peut que bien se dérouler et tout se construit tout seul avec le temps.
On s'était installées depuis peu dans un grand appartement qui contenait deux chambres d'amis en plus de la nôtre, une salle de bain spacieuse, une cuisine qu'on avait aménagé à la façon des diners américains ainsi qu'un grand salon dont les murs étaient cachés par de grandes bibliothèques. On avait notre chez nous.

 

Chris était la bonne. Elle avait fait renaître en moi les belles choses que j'avais pu ressentir autrefois et qui avaient disparues. Elle était capable d'entretenir cette étincelle qu'il y avait entre nous et moi de même. Je revivais en amour. Et je peux vous le jurer, que c'était sûrement la meilleure chose que j'ai pu ressentir de toute ma vie.

 

-

 

22 Mars 2016, dans le hall de la gare, bousculée par Edycine et me retrouvant nez à nez avec elle.
Ce fut le jour où je vins au monde.
Une seconde fois. 

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