Rencontres
heathcliff
1ère rencontre
La première fois que Neil vit Côme, elle le trouva franchement excentrique. Aussi étrange que cela puisse paraître, il avait des cheveux bleus électriques qui s’accordaient à merveille avec ses grands yeux d’un gris métalliques, surmontés de sourcils relevés comme l’angle des toits de pagode qui lui donnaient une expression continuellement perplexe. Un doux sourire énigmatique flottait sur son visage, tel un grand point d’interrogation.
Il était mince, efflanqué, beau tout simplement. Bien que le moindre de ses gestes soit empli de noblesse, le blouson de cuir qui pendait à son épaule gauche et le trousseau de clés de voiture qu’il manipulait entre ses doigts lui donnaient une désinvolture qui contrastait singulièrement avec son allure de bourgeois. Neil envisagea un instant d’aller lui demander s’il se prenait pour John Travolta mais elle se ravisa à la dernière minute. Ce garçon l’intriguait et elle se refusait à l’approcher de cette manière. Ou plutôt, elle avait peur. Ainsi, elle n’osa pas l’aborder ce soir là. Et lui ne la remarqua pas.
aly
2ème rencontre
Alors qu’elle pensait ne jamais le revoir, elle le rencontra de nouveau une semaine plus tard, à une soirée qui, pourtant, avait pris place très loin de la précédente. Si elle n’avait pas mémorisé ses traits dans les moindres détails, elle ne l’aurait probablement pas reconnu. Il était, ce soir là, entièrement vêtu de blanc. La chemise, la veste, le pantalon, tout cela était immaculé et impeccablement repassé. Neil nota avec intérêt que ses yeux avaient changé de couleur : Ils étaient noirs comme le charbon. Il devait dépenser une fortune en lentille…
Ses cheveux, enfin, avaient été teints en blanc, afin de parfaire son habillement. Seule sa barbe de trois jours s’opposait au reste.
De celui qu’elle avait vu la dernière fois, il ne restait plus que l’éternel et mystérieux sourire.
Elle l’observa, songeuse, se frayer un chemin à travers les autres invités, et se prit à envier l’aisance avec laquelle il se mouvait dans la foule environnante. D’ailleurs, elle avait horreur de ce genre de grandes réceptions, mondaines au possible, où tous les riches de la ville venaient parader, arborant des parures hors de prix. Mais maintenant qu’il était là, elle, n’allait tout de même pas s’en aller.
Elle se rendit compte trop tard qu’il se dirigeait vers elle. Pétrifiée, elle baissa les yeux, s’absorbant dans la contemplation de ses ongles. Ca y est, il se tenait devant elle ! Elle releva lentement la tête. Il la dévisageait avec une insistance peu bienséante, tout en sirotant un verre de champagne. Il paraissait attendre qu’elle engage la conversation. Ce qu’elle fit. Leurs noms à tous deux déclinés, il se déclara enchantée de la connaître et s’inclina maladroitement, esquissant une révérence. Neil se crut un instant revenue au temps de Jane Austen.
Alors qu’elle s’apprêtait à le questionner sur son habillement, il lui prit délicatement la main et l’attira vers la fenêtre devant laquelle il se tenait. Elle donnait sur le jardin ; dehors, il neigeait.
3ème rencontre
La troisième fois que Neil et Côme se rencontrèrent, la magie qui avait habité les derniers instants qu’ils avaient passés ensemble n’était pas au rendez-vous. Ils se croisèrent, par le plus grand des hasards, sur une place de la ville enneigée au possible. Surprise, Neil glissa et s’étala lamentablement sur le sol dur et glacé. Côme ne se pencha pas pur l’aider à se relever. Ce faisant, elle lui jeta un regard d’une noirceur infinie. Gêné, il regarda longuement ses avant de lui demander comment elle allait. Elle ne répondit pas et continua à la détailler. Il ne portait rien d’autre qu’un short, un tee-shirt et des tennis, semblant ainsi défier ironiquement tous ceux qui tremblaient de froid dans le matin glacial. Il lui proposa d’aller s’asseoir sur les marches de l’église qui surplombait la place. Toujours sans répondre, elle prit la main qu’il lui tendait et le suivit.
Neil trouvait son comportement étrange. Côme semblait être incroyablement éclectique. Comment construire une relation avec ce genre de personne ?
Il sortit un lecteur MP3 de sa poche et lui tendit une oreillette. Une mélodie indescriptible vint envahir l’oreille droite de la jeune femme. L’air était à la fois léger et envoûtant, passionné et déroutant. La musique invitait à voyager, mais où ?
Quelle ne fut pas sa surprise quand Côme lui déclara qu’il en était le compositeur.
« Je l’ai écrite pour toi ». Sa voix éraillée fit frissonner Neil. Son mystérieux compagnon appuya sur pause et la contempla longuement avant de suggérer qu’ils aillent prendre un café, à deux pas de là. Elle accepta, tout en se maudissant intérieurement. Pourquoi fallait-il qu’elle le suive alors qu’elle avait une montagne de choses à faire ?
Il était décidément aussi envoûtant que l’air qui résonnait encore dans ses oreilles.
A sa demande, il s’assirent à l’extérieur, et aucun serveur ne se montrant, Neil entra à l’intérieur pour commander. Le destin, cruel destin il la sans dire, voulut qu’en se levant, elle fit tomber ses clés d’une poche de son manteau. Côme les ramassa.
Quand elle revint, il avait disparu. Sur la table en plastique rouge reposait le porte-clés. C’était en fait une photographie protégée par un étui transparent, qui la représentait, elle, avec Alex, son ex-petit ami. Neil n’aurait su dire pourquoi elle sen sentait aussi…trahie. Il ne s’était pourtant engagé qu’à prendre un café avec elle, mais la façon dont il avait disposé la photographie, bien en évidence sur la table, laissait à croire qu’il l’avait interprétée à sa façon.
Lui, submergé par la jalousie ? Comme croire à une chose pareille !
Comble de malchance, elle ne le retrouva pas. Elle eut beau arpenter désespérément la ville, fréquenter toutes les soirées de l’agglomération et autres lieux terriblement mondains, Côme ne se montra pas.
Mais au fond, que savait-elle de lui ? Son prénom, rien de plus. De leurs trois rencontres, seul lui restait un goût amer, dans la bouche. Elle n’avait pas su le cerner, et au fond, elle n’aurait même pas su le décrire.
Comment et pourquoi s’était-il évaporé dans la nature, elle ne le saurait jamais.
Ainsi, quelques mois plus tard, il n’était plus, dans ses songes, qu’une silhouette floue à l’horizon.
4ème rencontre
La quatrième fois que Côme et Neil se rencontrèrent, c’était six ans plus tard, pour le mariage de Neil. Alex avait finalement réalisé qu’elle était le grand amour de sa vie ou du moins, la femme qu’il lui fallait. Comme elle était belle dans sa splendide robe bleu nuit qui faisait à merveille ressortir ses yeux turquoises ! Le collier de perles qui ornait son cou avait suscité beaucoup d’admiration. Alex, avant de se lancer dans le management, avait été ostréiculteur.
Une foule d’une centaine de personnes se pressait devant l’église. Neil soupira. Pourquoi avait-il fallu que les familles tiennent à ce que l’union soit célébrée dans un cadre religieux ? Elle continua cependant d’évoluer de groupes en groupes pour saluer les invités mais quelques instants plus tard elle se figea et son cœur fit un bond dans sa poitrine. Sur les marches de l’église, était assis un ange. Un ange grand, impressionnant et majestueux. Un ange aux cheveux blonds et aux yeux noirs qui portait un jean élimé et un tee-shirt avec une inscription. C’était écrit noir sur blanc. Côme !
Comme dans un rêve, Neil sortit de la foule et monta précipitamment les marches pour aller à sa rencontre. Lui ne fit pas, un geste. Il ne cilla même pas. Elle resta debout à côté de lui, sans oser parler. Pourtant, elle en était sûre, c’était lui !
Enfin, il daigna la regarder, et déclara sans une hésitation : « Alex était mon meilleur ami » ; dans l’esprit de Neil, les pièces du puzzle s’assemblaient à toute vitesse. Côme, apercevant Alex sur la photo avait cru qu’ils étaient encore ensembles. Déçu, il était parti et n’avait pas souhaité la revoir. Tout de même, quelques énigmes attendaient d’être résolues. Pourquoi Alex ne lui avait-il jamais parlé de Côme et vice-versa ? Pourquoi ne les avait-elle jamais vu ensemble ? Et surtout, comment Côme avait-il pu réagir d’une manière aussi puérile ?
Elle allait le lui demander mais il ajouta : « Aimeras-tu Alex jusque la mort t’en sépare ? ». Elle balbutia, ne sachant que répondre, mais une main se posa sur son épaule. Son père. « Il est temps d’y aller ». Elle acquiesça et le suivit. Par-dessus son épaule, il s’écria, en direction du jeune homme : « Et bien le bonjour, jeune homme ! ».
Neil était redevenue une petite fille, vulnérable au possible. Son esprit confus fourmillait de questions et de doutes. Pourquoi était-il réapparu précisément aujourd’hui, pour semer la confusion en elle ? Pourtant, il n’était pour elle plus qu’un lointain souvenir. L’aimait-elle ? Certainement pas ! Mais elle se prit à rougir. Etait-ce donc cela, l’amour ? Cette émotion qui vous prenait si soudainement, ne vous lâchait plus et vous laissait complètement déboussolée. Ce sentiment, surtout, qui ne ressemblait en rien à ce qu’elle éprouvait pour Alex. « Non », murmura t-elle. Mais elle savait qu’elle était perdue. Elle regarda distraitement les invités s’engouffrer dans l’église, tachant de faire le vide dans son esprit. Mais lorsque Côme passa, majestueux, magnifique, devant elle, leurs regards se croisèrent et elle trembla toute entière. Dans ses yeux, elle vit l’invitation au voyage, l’espièglerie, l’amour et puis l’univers tout entier. Ainsi, quand elle s’avança vers l’autel, que la foule toute entière se leva d’un seul mouvement et se retourna pour lui sourire, quand elle vit Alex qui l’attendait à l’autre bout de l’allée et que la ferme poigne de son père se referma sur son bras, tout se fit clair dans sa tête.
Lorsque Neil ressortit de l’église, quelques minutes plus tard, elle était seule, et sa décision était prise. En bas des marches, elle vit Côme qui l’attendait, un anneau doré à la main.