Renoir et berlingot
Fabrice Lomon
Renoir et berlingot
Euh ? Vous êtes client, enfin j’veux dire, comme moi ? Non, non j’suis d’la maison, j’ai dit à la fille plutôt sympa, un peu vulgaire, genre pute.
Remarquez, c’est bien, si vous avez fait des études, c’est bien, moi je dis qu’c’est bien ; bon, moi, mon père qui s’barre, ma mère qui picole, enfin, voilà, vous êtes là et moi j’attends que Monsieur le procureur m’envoie en prison ; remarquez je dis pas, y fait son métier ; dites, vous croyez vraiment que j’vais aller au zonzon pour un berlingot d’eau de javel ; enfin je suis pas une voleuse, mais un berlingot à 4,50 c’est du vol, je suis pas une voleuse, une petite vieille qui laisse tomber son porte-monnaie, je lui rends, alors je suis pas une voleuse ; la dame du Super U, elle en a de l’argent, alors un berlingot, c’est quoi pour elle, hein qu’est-ce que vous en pensez.
Un collègue, grand mince et sympa a occupé le bureau, juste le temps d’un rappel à la loi.
Quand elle est ressortie, la fille m’a dit, trois ans sans voler, sinon, je plonge, voilà c’qu’il a dit le procureur, vous en pensez quoi vous monsieur… mais au fait, vous habitez dans la région, enfin j’veux dire vous allez pas vers C…. ?
Bon, alors je vous explique faisait le type devant qui Michel se contenait un maximum :
… donc, j’y avais donné ma salle à manger, oh y a dix ans, et aujourd’hui, voilà ma salle à manger devant ma porte de garage, devant juste devant, alors moi comment j’fais pour entrer dans mon garage, hein, je fais comment monsieur. Et puis faut voir, des clous qui dépassent du bois des clous de dix centimètres, bon donc juste devant ma porte de…
Non Michel n’allait pas tenir le coup, pas possible, deux jours qu’il voyait des tarés dans ce genre là, deux jours sans compter la fille qui s’était fait piquer ses courses par sa copine.
Le temps d’aller chercher une baguette, et puis pu d’courses, ma meilleure amie qui m’vole mes courses… mais, mais… non non monsieur j’peux pas rester ici, non j’peux pas…
Et t’aurais vu ça, faisait Michel, la nana qui se tenait la tête à deux mains en faisant, non, non, j’peux pas rester ici, j’ai les cheveux qui rétrécissent, j’peux pas rester…
Non, deux jours que j’me tape des barjots.
Un type un peu crade est entré, droit dans les yeux il m’a fait :
- Monsieur bonjour, en me tendant la main.
- Bonjour…
- Je me présente, Auguste Renoir.
- Comme Renoir, le peintre ?
- Non pas du tout.
- Alors ?
- Auguste, comme Auguste, Renoir, R.E.N.O.I.R
- Ok, comme le peintre donc.
- Non monsieur pas comme le peintre…
- ?
- Pas comme le peintre, je suis le peintre !
- Ah ok, j’ai fait.
- Je sais je sais, vous vous dites, ce type-là, il est cinglé !
- Non monsieur, pas du tout, mais à l’occasion donnez le bonjour à Van Gogh.
- Mais monsieur, le savez-vous seulement, savez-vous que bientôt Monet Gauguin et moi on doit se retrouver, tenez, j’vais vous montrer c’que j’ai fait de mieux.
Renoir m’a sorti un calendrier avec un clown un peu triste.
- C’est moi, c’est moi qui l’ai fait, pour une pizzéria, longtemps, j’ai été patron d’une pizzéria, maintenant je suis agent immobilier. Avec mes amis on reproduit des fresques sur les immeubles que je vends, d’ailleurs si vous passez rue du Buisson à V… j’en ai fait une de Monet, une autre sur une villa, et une troisième de Gauguin.
Et dites moi Monsieur Renoir, je suppose que vous venez pour votre Labrador, mais je vous l’ai dit déjà, quelqu’un l’aurait récupéré au local de l’association des Boulistes.
- Ah mais vous savez que j’y tiens à mon chien, et vous j’vous aime bien m’a fait Auguste, ça fait plaisir de rencontrer des gens cultivés.
Quand je suis sorti la fille du berlingot était dehors, j’ai fait celui qui voyait pas, la tranquillité m’appelait avec force.