Requiem

anabalina

 

C’est entre deux inspirations. C’est dans les talons qui claquent sur les pavés irréguliers. Qui se pressent en trébuchant au son de clavecins, lointains et baroques.  C’est, encore, dans l’opéra doré d’une cour poudré. C’est immémorial. C’est il y a longtemps, dans l’Histoire qui fait rêver. Celle passée. Celle regrettée.


Au balcon, il y a la fille qui soupire. La poitrine est gonflée. Illuminée, en claire-obscure par le cristal incendiaire des chandelles au plafond. Veloutée. Les chandelles qui scintillent et pleuvent d’en haut, comme des anges glacés. 


La fille lève les yeux. Tout est trop beau. Tout trop pesant. Tout jusqu’à sa robe, lourde du satin qui se disperse comme la lumière. Sur le bois du fauteuil, sur le velours des tentures, sur le marbre strié du balcon. Apprêtée. Le satin lourd de sa robe qui la noie illumine les yeux chargée de fard de l’opéra. Illumine les yeux qui convoitent d’éclats mordorés, décourageants... Mais, c’est la richesse feinte. La fille n’est pas noble, la robe n’est pas d’elle, le soupir est de regret. Elle regarde en arrière. S’imagine dans les bras de ce passé brillant. Et soudain, le rideau se lève. 


Pour la fille, c’est encore plus tragique. Car on joue cette nuit le requiem inachevé. La symphonie enterrée. Puis profanée. Et rejetée sur la scène dans de la dentelle fanée. Jaunie. Jouée en public pour des funérailles illustre. Vivifiée pour divertir les foules avides de mort prématurée. C’est triste. C’est comme elle; de l’esbroufe, de la mascarade gantée. C’est contre nature aussi. Le requiem sur scène comme un oiseau en cage. 


La fille sait qu’elle pleurera bientôt. Elle connaît ce morceau. Elle est venu là, ce soir à l’opéra pour  le comprendre. S’insérer dans les rouages de la mécanique de l’âme. Infiltrer les tissus filandreux de l’émotion. Elle est venu, en effet, pour s’émouvoir face à l’émotion même. Pour être bouleversée sans devoir se contenir. Pour exulter au milieu des autres sans qu’on ne la remarque. Pour s’unir dans la tourmente à la chaire endimanchée et malodorante qui l’entoure. Pour sentir de toute part ce siècle qui l’a faite. Pour le retenir. Ici elle est n’est plus dans sa mansarde aux relents de moisi. Elle veut être là. Elle est heureuse d’être là. Elle s’est vendu entièrement pour être là. Assister ce soir au requiem ressuscité. L’homme à la chevelure fictive lève sa baguette:


Requiem. Les premières notes, sourdes, naviguent en serpentant. De l’eau noire entre les sièges. De l’eau glacée qui s’infiltre. De l’eau de nuit. La fille frémit et porte la main à son sein. Enserre entre ses doigts la dentelle ruisselante. L’eau qu’elle entend est comme une ombre. C’est comme l’agonie. Comme celle de sa mère. L’agonie ignorée de l’être qui meurt. L’agonie su par la fille qui la cache à sa mère. C’est sournois. Elle se dit que oui, c’est peut-être bien sournois. Et que c’est pour ça qu’il y a comme un serpent. Caché sous les notes qui tapissent l’opéra. Et puis tout à coup, ça éclate. L’opéra est noyé. Très vite. C’est l’eau qui a débordé et submerge la foule. Ces notes là, c’est la mort. La fille pense à la mort de sa mère. Surprenante comme la musique qui éclate. Surprenante malgré le serpent tapis, qui se cachait là pour mettre en garde. Et c’est alors que les voix se dévoilent. Elles s’extraient tristement  de l’entrelacs de cordent. Pour la fille, elles racontent la mort détestée. Mais tout l’opéra lève ses mains tendues, suppliantes. Et elle aussi. Car elle aussi attendait les voix, comme un réconfort. Les voix sont l’explication qui console. Les voix atténuent la peur tout comme elles l’aiguisent. 


Kyrie. Le timbre grave vient d’un homme sombre. C’est un avertissement qui déferle dans le velours cramoisi. Dans le marbre gelé. Dans le bois grinçant, le cristal cassant et l’or sévère. Et dans les perruques puantes. Dans les étoffes. Un avertissement qui coule sur les peaux parfumées. Qui se mêle à la sueur et à la crasse. Qui rentre, comme un essaim de mites, dans les linges troués et frottés au romarin. Un avertissement donné à la faune qui frémit. Les femelles portent leurs mains au coeur. Les mâles s’agitent sur leur séant, l’oeil vitreux. Pour la fille qui est belle, la voix grave est un défi. Qui la nargue. Qui l’agace. Elle se redresse, glorieuse. Mais les voix féminines effacent cet affront. Elle ondulent comme des vagues de tristesse. La fille les aime profondément. C’est parce-qu’elle ne connaît rien de si beau. Elle a souvent cherché quelque-chose qui pourrait se comparer à ces voix là. Elle les trouve étranges. Jamais elle ne les avait trouvé vraiment humaine. Et même cette nuit, face à elles, dans l’opéra. Elle voit les femmes d’où proviennent les voix. Mais dans un sourire satisfait, retrouve l’inhumanité qu’elle a tant chérie. Les larmes viennent. Chez elle comme chez tout le monde. C’est parce-que le Kyrie est inégalable pour tout le monde, elle pense. 



Insaisissable requiem. La fille croise ses bras abîmées et rougis sur le bois, heureuse quand le satin jaune absorbe ces larmes. Tant espérées. 


Confutatis. Fuite à grandes enjambées sans regard en arrière. Et puis hésitation. Fiacre qui s’emballe et chevaux affolés. Et puis hésitation. La colère éteinte dans la sévérité des chants surprend la fille. Les anges glacés de l’opéra vibrent et se balancent. Réveillés par l’ardeur de ce mouvement là. Réveillés par les choeurs. La fille de satin mouillé a connu la colère. A connu la fuite  sans regard. Et cette soudaine hésitation qui l’oblige à penser. Sa mère. Sa mort. Et puis fuir la douleur, encore. Avant de la connaître trop. Pour ne pas la regretter. Mais c’est toujours là. Dans la musique. La fatalité qui pèse. Qui se répand dans les gorges et les emmêle. Qui entre par les bouches ouvertes de l’opéra. Trajectoire saccadé d’une partition pleine de taches de sang. Et les choeurs féminins, ceux de l’hésitation et de la tendresse s’inclinent. La fille aussi, s’incline.


Lacrimosa. C’est alors poignant comme le souvenir. C’est la musique du souvenir immédiat. C’est la musique du pathétique autorisé. Celui dont on ne peut pas rire. Car il est trop tôt. C’est la musique du portrait de la mère, qu’on regarde en pleurant. Qu’on regarde dans l’instant. En pensant que c’est ça la douleur. C’est la musique qui ignore le temps à venir. La fille des yeux mordorés sait ça. Elle entend les notes qui ruissellent. Des goûtes puis des cascades. Elles abreuvent le satin. Le fard et la poudre se mêlent et coulent, gris et grisâtres. Coulent de tout les balcons, sur toutes les poitrines de l’opéra. Le fard et la poudre se mêlent comme les cordes et les voix tristes. Parce-que c’est triste, le souvenir qui vient trop tôt. C’est le lacrimosa qu’elle préfère. Elle n’est pas allé au delà. Car elle a peur. Car elle ne s’y résout pas. Car tout chez elle s’y refuse. Le lacrimosa c’est le point final qu’elle a mis à la mort de sa mère. Elle pense que c’est beau. Que c’est digne. Que ça convient bien. Que ça porte bien le noir. Les gens endimanchés semblent penser ça aussi. Contents d’être tristes. Émus d’être bouleversés. Ranimés par la mort. Le lacrimosa ça lui dit ça. Elle avait cru en Dieu autrefois. Et puis elle avait arrêté, comme ça. Sans raison, avec beaucoup de prétextes. Un peu comme l’opéra splendide. Un peu comme la musique entêtante qui s’insinue très fort. Sous les ourlets. Entre les fibres. La musique déferlante comme la mer qui s’insinue dans les striures du bois et les commissures des lèvres. Divine elle aurait dit. Divine pensent les gens pleins de couleurs, tâchés de musique. Jusque dans le linge de corps. 


C’est alors qu’elle se lève. Délaisse l’opéra. Délaisse la poudre et l’or. Délaisse l’hommage à ce jeune compositeur si prometteur. Délaisse le requiem et la mort. Sur les pavés luisants, les talons se précipitent. Elle fuit parce-que c’est tragique et grandiose. C’est comme ce siècle. Les seins qui jaillissent des dentelles. Elle porte la musique avec elle. Elle comprend que la mort aussi, porte la musique avec elle. 

 

C’est la nuit. Dans son studio aux relents de moisi, elle éteint sa chaîne hi-fi. Elle a encore rêvé. 

  • c'est joli le texte et la musique...je n'y connais pas grand chose en opera, mais j'ai ecoute en lisant et j'ai trouve ca tres beau

    · Il y a presque 12 ans ·
    Suicideblonde dita von teese l 1 195

    Sweety

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