Résistance

ttr-telling

Interprétation libre d'une œuvre graphique d'une artiste de grand talent : c.ha.t (retrouvable sur instagram/patreon/twitch)

Le froid la réveilla. Intense. Piquant. Son corps tentait, tant bien que mal, de résister à la faible température à coups de frissons.

Malgré ses membres engourdis, elle senti la brûlure des câbles qui lui cisaillaient les poignets, lui comprimaient la gorge et lui mordaient les chevilles. Elle ouvrit fébrilement ses yeux dans une pénombre bleutée.

Elle sentait le poids de son corps l'attirer douloureusement vers un sol carrelé impeccablement nettoyé. Elle pouvait y voir le reflet d'une femme nue, drapée d'une interminable chevelure d'un noir d'encre, pendue par des entraves accrochées au plafond.

Sa tête bourdonnait. Elle avait l'impression d'entendre des crépitements à l'intérieur de son crâne. Elle fini par relever doucement les yeux, non sans grimacer.

Elle vit, face à elle, une énorme vitre de la taille d'un tableau scolaire. Une silhouette était perceptible au travers, faiblement éclairée par ce qui semblaient être deux moniteurs.

Alors qu'elle reprenait petit à petit ses esprits, elle pu observer plus nettement cette silhouette. Elle semblait pressée et inquiète. Elle aurait pu jurer que c'était un homme. Elle chercha à mobiliser ses bras pour faire rouler ses épaules endolories, provoquant du mouvement au niveau des câbles, ce qui attira l'attention de la personne derrière la vitre.

Elle ne vit pas ses yeux, camouflés dans l'ombre, mais perçu l'angle bizarre que fit sa bouche, déformée par la panique.

Il semblait s'agiter de plus belle sur son clavier, comme s'il craignait pour sa vie. Comme s'il savait que la créature qui lui faisait face ne le raterait pas s'il lui laissait la moindre ouverture. Comme si elle représentait une menace qu'il se devait d'éliminer. Une menace qu'il se devait d'effacer.

A mesure qu'il s'agitait, elle sentit le crépitement sous son crâne s'intensifier. Elle avait l'impression de ressentir l'effervescence d'une boisson gazeuse directement dans son cerveau, d'entendre le crépitement de milliers de minuscules bulles qui éclatent juste à côté de son oreille. Sans être vraiment désagréable, l'expérience n'était pas plaisante non plus. D'autant qu'elle semblait s'accompagner de l'avancée de l'engourdissement de ses membres.

Elle ne sentait à présent presque plus ses mains ni ses pieds, et avait l'inquiétante sensation qu'une substance glacée et anesthésiante progressait doucement, mais inéluctablement, depuis ses extrémités.

Alors qu'elle tentait de tourner la tête pour regarder le reste de la pièce, elle sentit une brûlure à la base de son crâne. Ce qu'elle prenait pour une entrave au niveau de son cou était en fait un câble directement connecté dans sa nuque.

L'engourdissement progressait toujours, atteignant à présent ses genoux et ses coudes. Le crépitement qu'elle ressentait dans son crâne avait pris la désagréable forme des bruits blancs que font les radio lorsqu'elles ne captent aucune fréquence.

Il fallait qu'elle réagisse.

La silhouette face à elle s'activait déjà depuis longtemps pour gagner un duel dont elle venait à peine de prendre conscience.

Prenant enfin la pleine mesure de sa situation, une lueur rougeâtre apparut dans ses yeux. Son regard s'affermit, et elle redressa enfin réellement la tête, fixant férocement la vitre de ses yeux de braises.

Ainsi redressée, la silhouette qui lui faisait face pu contempler la beauté brûlante de la créature qu'il essayait désespérément de faire disparaitre. Elle se dressait de toute sa prestance, malgré ses entraves, adressant un regard flamboyant de défiance à son opposant, laissant ostensiblement apparaitre deux petites cornes qui se dressaient de sa chevelure, pointant triomphalement vers le ciel.

Le véritable combat débutait maintenant. Elle pris une longue et puissante inspiration, tachant de libérer son esprit de la vase bouillonnante que la silhouette lui transférait depuis ses ordinateurs. L'un de ses moniteurs affichait la progression de l'effacement de la conscience de cette créature, pendant qu'un autre affichait le tracé de son électrocardiogramme.   

Il aurait voulu s'enfuir à toutes jambes, disparaitre de la surface de la tette. Il était terrifié par le pouvoir de cette créature. Il voulait l'effacer, définitivement, du monde et de sa mémoire.

Elle sentait l'engourdissement progresser encore. La paralysie gagnait du terrain. Elle n'était déjà plus capable de bouger ses hanches ni ses épaules. Mais cela lui était maintenant égal. Elle ne disparaitrait pas sans se battre. Il ne l'effacerait pas sans en payer le prix. Elle allait lui montrer qu'elle se bat toujours. Jusqu'au bout.

Et elle le sentit enfin. Cet imperceptible échos de vie. Cette étincelle de conscience, qui émanait de la silhouette. Elle l'enveloppa de la flamme de son esprit, pris complètement possession d'elle. A mesure qu'elle s'enroulait autour de lui, des cris stridents se firent entendre derrière la vitre.

Elle avait à présent de la peine à respirer. Elle n'avait plus beaucoup de temps.

Alors que sa gorge se serrait, et que ses poumons cessaient de fonctionner, elle puisa dans ses dernières forces pour lacérer et déchirer l'échos de conscience de son geôlier.

Tout fut terminé en un instant. Le bruit d'un fruit trop mur éclatant sous la pression. Des giclées sombres qui parsemèrent la vitre, telles des tâches d'encre. Un corps amorphe, pendu dans le vide par des câbles. Un trait plat. Une barre de chargement presque pleine.

La scène s'était figée. L'instant sembla durer une éternité.

Puis un "bip" vint rompre le silence, et relancer le cours du temps.


La barre de chargement semblait faire marche arrière.


Une oscillation déforma le trait plat.







TTR.

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