RESTONS CALMES...

Jean Louis Bordessoules

Résumé

Six jeunes gens réunis dans une résidence pour participer à une émission télévisée : « Les jeunes ont du savoir-vivre ». Pas si simple... Qui est qui dans cette histoire ? Et quel est le but véritable de l'opération ? Quant au savoir-vivre... il va vite voler en éclats. De rire ?

Distribution

(6 femmes – 2 hommes)

Professeur Sophie Desrentes (chef du projet)

Julie Vertard (assistante du professeur)

Docteur Laurence Carville (psychologue, fausse résidente)

Simon Létard (résident, toujours une bonne blague)

Marie-Béatrice Collard de Maupertuis (résidente, tous à l'église)

Sébastien Lecrampon (résident, dragueur impénitent)

Clara Longerive (résidente, la blonde de service)

Ophélie Bellair (résidente, accroc à la sieste)

Sophie peut avoir une quarantaine d'années, Julie et Laurence environ 25 ans, les autres dans la fourchette 18-25 ans. Mais la pièce peut être entièrement jouée par des ados.

Les personnages de Julie et de Laurence peuvent être transposés en personnages masculins.

Costumes et décor

Costumes contemporains selon la personnalité des personnages. Sophie est stricte et bourgeoise, Julie serait plutôt « ethnique », Laurence assez BCBG, Simon genre baba cool, Marie-Béatrice très catholique, Sébastien frimeur bling-bling, Clara provocante, voire vulgaire, et Ophélie très cocooning.

Deux actes sur deux jours, on peut prévoir deux tenues pour chacun, davantage pour Clara qui change de tenue (de plus en plus sexy) à chaque réapparition.

Quant aux décors, un minimum peut suffire, à savoir une table basse et six sièges.

Acte I

 

Le professeur Sophie Desrentes et son assistante Julie Vertard se trouvent devant le rideau fermé, à jardin.

Scène 1

PROFESSEUR SOPHIE DESRENTES – Dites-moi, ma petite Julie, tout est prêt ?

JULIE VERTARD – Oui.

PROFESSEUR SOPHIE DESRENTES – Oui, professeur ! J''aimerais un peu plus de respect de votre part, mademoiselle Vertard. J'osais espérer en outre une réponse un peu plus développée. Mais peut-être est-ce trop vous demander ?

JULIE VERTARD (avec ironie) – Je vous prie de bien vouloir m'excuser, madame le professeur Desrentes. Mon intention n'était pas de vous manquer de respect. J'avais stupidement imaginé que vous auriez pu me faire confiance et n'aviez pas impérativement besoin d'un rapport détaillé et circonstancié. Mais je vous prie de bien vouloir, madame le professeur, pardonner mon outrecuidance coupable...

PROFESSEUR SOPHIE DESRENTES – Ça suffit, avec votre impertinence ! Un jour j'en aurai assez et vous irez voir au Pôle emploi ou au pôle Nord s'il y fait bon vivre ! Quant à ma confiance, je ne l'accorde à personne, surtout pas à une sous-fifre comme vous ! Vous devriez le savoir depuis le temps que vous êtes mon assistante !

JULIE VERTARD (à elle-même) – Pas étonnant qu'elle soit restée célibataire...

PROFESSEUR SOPHIE DESRENTES – Vous dites ?

JULIE VERTARD – Heu... j'aurais mieux fait de me taire.

PROFESSEUR SOPHIE DESRENTES – Je ne vous le fais pas dire. Alors ?

JULIE VERTARD – Tout est prêt, mad... euh... professeur. Les cinq candidats ou cobayes, si vous préférez, sont prêts et nous attendent dans le salon principal de la résidence. Les caméras sont aussi en place pour tout filmer en continu pendant la durée de l'expérience, professeur.

PROFESSEUR SOPHIE DESRENTES – La psychologue est bien là elle aussi ?

JULIE VERTARD – Bien sûr, professeur.

PROFESSEUR SOPHIE DESRENTES – Personne ne se doutera de rien ?

JULIE VERTARD – J'en doute, professeur. La couverture que vous lui avez trouvée est parfaite pour son rôle d'observatrice.

PROFESSEUR SOPHIE DESRENTES – Je ne suis pas mécontente de moi, en effet. Et les cobayes ne se doutent de rien ?

JULIE VERTARD – Absolument de rien, professeur. Ils sont tout émoustillés de passer à la télé, comme ils disent. Ils rêvent tous de devenir riches et célèbres.

PROFESSEUR SOPHIE DESRENTES – La crédulité humaine m'étonnera toujours. Bref, ils ont bien tous signé les contrats ?

JULIE VERTARD – Absolument, professeur.

PROFESSEUR SOPHIE DESRENTES – Sans lire les annexes ?

JULIE VERTARD – Sans lire les annexes, professeur. Quinze pages imprimées en lettres gothiques et en corps 4, personne n'y résiste.

PROFESSEUR SOPHIE DESRENTES – Parfait. Je crois que nous allons pouvoir y aller. Suivez-moi ; mais pas trop près, qu'on ne nous confonde pas. Et n'oubliez pas, devant eux, je ne suis plus le professeur Desrentes, mais Sophie Desrentes, l'animatrice de l'émission. N'allez pas tout gâcher par une de vos gaffes habituelles ! Vous m’appellerez devant eux Sophie. C'est compris ?

JULIE VERTARD – Comptez sur moi, Sophie.

PROFESSEUR SOPHIE DESRENTES – Professeur ! En privé vous m'appelez « professeur » et en public « Sophie » ! Ce n'est quand même pas compliqué à comprendre !

JULIE VERTARD – Bien professeur.

PROFESSEUR SOPHIE DESRENTES – Allons-y.

Scène 2

Le professeur et Julie vont de jardin à cour. Dans le même temps, le rideau s'ouvre. Le plateau reste dans l'ombre, seules les deux femmes sont éclairées. Le plateau s'éclaire lorsqu'elles arrivent à jardin, comme si elles changeaient de lieu. Les 6 participants sont sur le plateau, comme dans une salle d'attente.

JULIE VERTARD – Mesdemoiselles, messieurs, je vous présente Sophie Desrentes, l'animatrice de l'émission de télé-réalité à laquelle vous avez l'honneur de participer, émission dont je vous rappelle le titre « Les jeunes ont du savoir-vivre ».

PROFESSEUR SOPHIE DESRENTES – Mesdemoiselles, messieurs, bienvenue à bord ! Bravo à vous d'avoir choisi de relever ce défi, de vouloir clamer haut et fort que oui, « les jeunes ont du savoir-vivre », que la France n'est pas perdue, que le raffinement français existe encore. Et bravo doublement à vous, les finalistes, d'avoir été sélectionnés parmi plus de trois mille candidates et candidats. Vous êtes d'ores et déjà l'élite de la Nation, le fleuron du savoir-vivre français, la quintessence de la courtoisie, l'avenir du Pays.

Un temps de silence gêné. Le professeur attend d'être applaudie. Julie comprend et commence à applaudir timidement, les autres suivent mollement.

PROFESSEUR SOPHIE DESRENTES (faussement modeste) – Je vous en prie, ne m'applaudissez pas... tout le mérite vous en revient. Certes, c'est moi qui ai eu l'idée géniale de cette expér... de cette émission de télévision non moins géniale, mais sans vous rien n'existerait. Je ne suis que le ferment, vous êtes la pâte.

Nouveau silence gêné, personne n'applaudit.

JULIE VERTARD – Pardonnez mon interruption, prof... Sophie, mais il ne nous reste plus que deux minutes avant le début de l'émission...

PROFESSEUR SOPHIE DESRENTES – C'est juste, Julie. La passion a failli m'emporter. Il ne me reste donc plus que très peu de temps pour vous rappeler les règles du jeu. Vous aller vivre en communauté dans notre résidence durant une semaine. Tout au long de ces sept jours, vous serez filmés vingt-quatre heures sur vingt-quatre. À l'issue de cette période, les téléspectateurs voteront pour désigner celle ou celui d'entre vous qui sera pour un an madame ou monsieur Courtoisie et représentera le savoir-vivre français dans tous les grands événements de la vie publique.

CLARA LONGERIVE – Un détail, madame Desrentes, il avait bien été question d'un prix de trente mille euros au vainqueur, non ?

SÉBASTIEN LECRAMPON – Et tout le monde est payé pendant cette semaine, gagnant ou pas ?

PROFESSEUR SOPHIE DESRENTES (un peu gênée) – Oui, oui... rassurez-vous, tout sera fait... selon les termes exacts du contrat que vous avez signé... Bien. Maintenant, mesdemoiselles, messieurs, l'heure tant attendue arrive, à vous de jouer. Que la meilleure ou le meilleur gagne ! N'oubliez pas que vous représentez la fine fleur de la culture française. Je compte sur vous et vous retrouve en fin de journée pour le pot quotidien avec notre cocktail maison en direct devant des millions de téléspectateurs. Je vous laisse. Vous aussi, Julie.

JULIE VERTARD – Oui... Sophie. (elles sortent)

Scène 3

Au début de la pièce, les personnages en feront « des tonnes » pour utiliser un langage soutenu et paraître le plus courtois possible. Bien sûr, peu à peu, les choses déraperont.

MARIE-BÉATRICE COLLARD DE MAUPERTUIS – Mes chers amis , je vous propose de commencer cette première journée par un acte symbolique fort. Nous allons toutes et tous, sœurs et frères en Christ, nous donner la main et entonner un cantique pour célébrer notre réunion dans la paix et dans la joie. Je vous propose de chanter ensemble « Le laboureur a labouré ». À trois ! Un... deux...

SIMON LÉTARD – Quatre !

MARIE-BÉATRICE COLLARD DE MAUPERTUIS – Plaît-il ?

SIMON LÉTARD – Une innocente plaisanterie ! Je vous prie de bien vouloir m'excuser, très chère collègue de résidence, mais je ne suis pas certain que nous ayons tous envie de chanter ce cantique...

MARIE-BÉATRICE COLLARD DE MAUPERTUIS – Ah ? Pourtant c'est l'un des plus beaux... mon préféré, en fait... on peut en choisir un autre, si vous le souhaitez. Je suis très tolérante sur ce plan là.

OPHÉLIE BELLAIR – Eh bien, pour être tout à fait claire, il me semble que ce ne soit pas le choix du cantique qui pose problème, mais le choix d'un cantique... (elle baille) Pour ma part, très chère collègue de « Les jeunes ont du savoir-vivre », j'ai le regret de vous faire part du fait que je ne suis pas du tout croyante et suppute ne pas être la seule...

CLARA LONGERIVE – Vous supputez fort bien, chère amie de « Les jeunes ont du savoir-vivre », je confirme que je suis également hermétique à ce genre de chose. Mais je ne voudrais surtout pas paraître discourtoise...

MARIE-BÉATRICE COLLARD DE MAUPERTUIS – Vous m'en voyez désolée. Cela me semble pour ma part tellement évident, limpide, divin que je m'imagine toujours que tout le monde partage ma foi ! Je vous prie de bien vouloir m'en excuser très chers amis de « Les jeunes ont du savoir-vivre »

LAURENCE CARVILLE – Rassurez-vous, très chère amie de « Les jeunes ont du savoir-vivre », personne ne vous en tiendra rigueur. Je profite du fait d'avoir la parole pour vous proposer deux choses. Si vous n'y voyez pas d'inconvénient, bien sûr, je ne voudrais surtout pas, ce faisant, manquer de courtoisie à votre encontre.

Approbation générale

LAURENCE CARVILLE – Eh bien voilà. La première serait que nous adoptions le tutoiement. Nous allons passer une semaine ensemble en toute proximité, voire intimité et je pense qu'il serait plus sympathique de casser les barrières. Cela n'entachera bien sûr pas le respect mutuel que nous nous devons. Bien évidemment !

SÉBASTIEN LECRAMPON – Vous av... Tu as entièrement raison, chère collègue de « Les jeunes ont du savoir-vivre ». Pour ma part je trouve cela plus convivial et ne vois pas en quoi notre savoir-vivre devrait en pâtir.

MARIE-BÉATRICE COLLARD DE MAUPERTUIS – J'en saute de joie ! Écoutons le Christ en nous, aimons-nous les uns les autres ! Si tout le monde...

OPHÉLIE BELLAIR – Ça n'a aucun rapport ! Euh... enfin je veux dire : je vous prie... non. Je te prie de bien vouloir me pardonner de te couper la parole, chère amie de « Les jeunes ont du savoir-vivre », (elle baille) mais je crois qu'il serait souhaitable pour conserver la bonne ambiance qui règne entre nous que tu cesses de tout ramener à la religion.

MARIE-BÉATRICE COLLARD DE MAUPERTUIS (un peu vexée) – Bien. Je te remercie de ta franchise. Je fais amende honorable et ne vous embêterai plus à ce sujet. J'espère que vous ne m'en voulez pas...

Silence gêné général.

CLARA LONGERIVE (à Laurence) – Et ta seconde proposition ?

LAURENCE CARVILLE – C'est tout simple : je suggère que nous nous présentions rapidement les uns aux autres. Nous nous sommes salués tout à l'heure en arrivant, mais sans plus. J'aimerais bien savoir qui vous êtes, ce que vous faites dans la vie et puis... au moins comment vous vous appelez !

SÉBASTIEN LECRAMPON – Bonne idée charmante collègue de « Les jeunes ont du savoir-vivre » ! À toi l'honneur !

LAURENCE CARVILLE – Moi ? C'est que je ne voudrais pas avoir l'air de me mettre en avant, je suis très respectueuse des autres... tu me gênes beaucoup, là...

SÉBASTIEN LECRAMPON – Allez, ne te fais pas prier ! Personne ne t'en voudra, au contraire, je crois que ça va tous nous libérer.

LAURENCE CARVILLE – Bien. Je me lance. Je m'appelle Laurence Carville, je fais des études d'anthropologie, et j'ai un hobby un peu particulier, je m'amuse à tirer les cartes, à faire de la voyance...

SIMON LÉTARD – Cool ! Et ça marche ?

LAURENCE CARVILLE – Des fois...

SIMON LÉTARD – Et là, tu vois quelque chose ?

LAURENCE CARVILLE – Là ? Je vois... (elle se concentre, simule une transe) que c'est ton tour de te présenter aux autres ! Mais je ne voudrais surtout pas t'offenser...

SIMON LÉTARD – Mais non, rassure-toi Laurence. Eh bien allons-y : je m'appelle Simon Létard, j'ai arrêté mes études et je fais des petits boulots. En ce moment je travaille dans la restauration rapide. Et je n'ai pas vraiment de passion, si ce n'est raconter des mauvaises blagues... Tenez, j'en ai une bonne : Deux pommiers discutent : - Bonjour monsieur pouvez-vous me dire où va cette route ? - Oui pourquoi ? - Parce que je suis pommé...

Personne ne rit

MARIE-BÉATRICE COLLARD DE MAUPERTUIS (qui a compris tardivement) – Hi, hi, hi, hi ! Que c'est drôle, Simon ! Il y a longtemps que je n'avais pas ri autant... je suis très heureuse que tu sois des nôtres, au moins nous n'allons pas nous ennuyer. Je prierai pour toi ce soir, pour remercier le Seigneur de ta présence parmi nous et Lui demander de te protéger.

OPHÉLIE BELLAIR – Sans vouloir te froisser, on ne va pas retomber dans les histoires de religion... nous ne sommes pas dans un monastère mais dans la résidence de « Les jeunes ont du savoir-vivre »... Simon, tu voulais dire autre chose pour te présenter ?

SIMON LÉTARD – Non, non, merci, j'ai dit l'essentiel, tu peux enchaîner, si tu veux.

OPHÉLIE BELLAIR – Merci Simon. Je m'appelle Ophélie Bellair... (elle baille) Excusez-moi, je n'ai pas eu le temps de faire ma sieste aujourd'hui, et j'ai un coup de barre. J'ai fini mes études et je vis chez mes parents en attendant de trouver du travail.

SÉBASTIEN LECRAMPON – Et tu cherches quoi, comme travail ?

OPHÉLIE BELLAIR – Un truc pas trop ch... enfin, je veux dire un travail sympa, dans un bureau. J'ai un diplôme de secrétariat de direction. (elle baille)

SIMON LÉTARD – À tes souhaits !

OPHÉLIE BELLAIR – Mais ? Je n'ai pas éternué...

SIMON LÉTARD – C'est pour rire. Tu bailles, je dis « à tes souhaits ». De l'humour, quoi...

MARIE-BÉATRICE COLLARD DE MAUPERTUIS – Hi, hi, hi, hi ! C'est vraiment génial ! Il faudra que je le fasse à quelqu'un. Il y en a tellement qui baillent à la messe, j'en profiterai.

SIMON LÉTARD – Merci... mais je ne connais même pas ton prénom. Alors c'est ton tour, tu t'y colles ! Sans vouloir te donner d'ordre, bien évidemment, respectons les règles du savoir-vivre...

MARIE-BÉATRICE COLLARD DE MAUPERTUIS – Aucun problème, cher Simon. Eh bien voilà : je m'appelle Marie-Béatrice Collard de Maupertuis. J'ai des ancêtres qui ont fait les croisades et je suis duchesse. Mais vous pouvez m'appeler Marie-Béatrice, bien sûr, restons simples...

CLARA LONGERIVE – Une duchesse ! Mazette... alors tu vas pouvoir nous donner des cours de savoir-vivre, je parie !

MARIE-BÉATRICE COLLARD DE MAUPERTUIS – Oh, tu sais, il ne faut pas imaginer que nous habitons dans un château. Mon père est chef de rayon dans un supermarché et ma mère est professeur des écoles.

SÉBASTIEN LECRAMPON – Et tu fais quoi ?

MARIE-BÉATRICE COLLARD DE MAUPERTUIS – Je suis en deuxième année d'histoire de l'art. Je trouve cela absolument passionnant !

LAURENCE CARVILLE – Surtout l'art religieux, j'imagine...

MARIE-BÉATRICE COLLARD DE MAUPERTUIS – Oh oui ! Comment as-tu deviné, Laurence ? Mais c'est vrai que tu fais de la voyance, tu triches ! Alors toi qui sais tout de l'avenir, à qui le tour de se présenter, maintenant ?

LAURENCE CARVILLE – J'ai une chance sur deux... (à Clara) toi !

SÉBASTIEN LECRAMPON – J'ai presque envie de te faire mentir, chère Laurence, mais la galanterie m'impose de m'incliner devant le charme féminin et je cède volontiers ma place.

LAURENCE CARVILLE – N'en fais pas trop, quand même. Et puis tu sais ce que l'on dit, on garde les meilleurs pour la fin !

CLARA LONGERIVE – À moi. Mon nom est Clara Longerive. Je travaille dans un cabinet d'esthétique et je fais de la photo.

MARIE-BÉATRICE COLLARD DE MAUPERTUIS – Quel genre de photo ? Sans vouloir être indiscrète, bien sûr... Du portrait, du paysage, des natures mortes ?

CLARA LONGERIVE – Non... ce n'est pas moi qui fais des photos. Je pose pour des photographes... enfin un photographe... De temps en temps...

SÉBASTIEN LECRAMPON (très frimeur) – Parfait, charmante Clara, eh bien c'est mon tour. Je m'appelle Sébastien Lecrampon...

MARIE-BÉATRICE COLLARD DE MAUPERTUIS – Hi, hi, hi, hi... oh pardon. Excuse-moi, c'est nerveux.

SÉBASTIEN LECRAMPON – Je disais donc que je m'appelle Sébastien Lecrampon. (il regarde Marie-Béatrice). Je fais des études de design... (il regarde les filles) et j'aime tout ce qui est beau.

SIMON LÉTARD – Ça me fait penser, j'en ai une bonne à vous raconter :Une fille dit à son amant : - Oh, dis donc, tu baises aussi vite qu'un lapin ! - Tu ne peux pas dire ça. On ne peut pas juger en quelques secondes...

MARIE-BÉATRICE COLLARD DE MAUPERTUIS – Hi, hi, hi, hi ! Oh ! C'est un peu choquant, quand même, non ? Vous ne trouvez pas ?

SÉBASTIEN LECRAMPON (tendu) – Merci, cher Simon. Et tu penses à quelqu'un en particulier, avec cette blague particulièrement subtile et raffinée qui a fait rire tout le monde ?

SIMON LÉTARD (un peu gêné) – Non, non, non ! À personne ! Je racontais comme ça... mais je te prie de bien vouloir m'excuser, cher Sébastien, si j'ai pu te choquer. Et toi aussi charmante Marie-Béatrice.

OPHÉLIE BELLAIR – Bon, eh bien moi je vous laisse, je vais aller me reposer un peu dans ma chambre. (elle baille) À tout à l'heure ! (elle sort)

SÉBASTIEN LECRAMPON – Très bonne idée, Ophélie. Je vais aller faire la même chose. Tu permets que je t'accompagne ? En tout bien tout honneur, bien évidemment, j'ai du savoir-vivre...

OPHÉLIE BELLAIR – Euh... tu peux m'accompagner dans le couloir, bien sûr. (ils sortent)

OPHÉLIE BELLAIR (off) – Oh ! (bruit de gifle)

SÉBASTIEN LECRAMPON (off) – Aïe !

LAURENCE CARVILLE – D'après ce que j'entends, je crois que la glace est rompue entre eux !

MARIE-BÉATRICE COLLARD DE MAUPERTUIS – Et pas que la glace !

LAURENCE CARVILLE – C'est vrai que Sébastien a l'air assez entreprenant, dans son genre. Bien. Comment voyez-vous les choses entre nous, chers amis ? Nous devons cohabiter dans la plus grande des courtoisies et, parallèlement, nous sommes concurrents pour remporter le prix...

MARIE-BÉATRICE COLLARD DE MAUPERTUIS – Si nous nous comportons en bons chrétiens, il n'y aura aucun souci. Vous ne croyez pas ?

LAURENCE CARVILLE – Très chère Marie-Béatrice, je vais te demander de faire un effort qui pour toi sera peut-être énorme, mais je pense qu'il est nécessaire pour conserver, justement une bonne entente entre nous. Tu sembles incapable de participer à une conversation sans faire référence à la religion catholique. Il faut bien que tu comprennes que, d'une part, le catholicisme n'est pas la seule religion sur terre, et que d'autre part tout le monde n'est pas croyant. Je ne pense pas qu'il s'agisse d'intolérance de ma part, mais tu vas rapidement insupporter tout le monde avec ça. Qu'en pensez-vous, Clara et Simon ?

CLARA LONGERIVE – Oh ben moi... la religion, je n'y ai jamais trop réfléchi. C'est pas mon truc.

SIMON LÉTARD – Ça me fait penser, j'en connais une bonne sur la religion : une maman à sa petite fille : - Écoute, si tu es sage, tu iras au ciel, et si tu n'es pas sage, tu iras en enfer. - Et qu'est-ce que je dois faire pour aller au cirque ?

Personne ne rit, même pas Marie-Béatrice.

SIMON LÉTARD – Bon ben... je vous laisse, je vais aussi aller me reposer dans ma chambre.

MARIE-BÉATRICE COLLARD DE MAUPERTUIS – Et moi aussi. Un peu de méditation ne me fera pas de mal. (ils sortent tous les deux)

LAURENCE CARVILLE – A plus tard ! (à Clara) Eh bien nous ne sommes plus que deux pour causer.

CLARA LONGERIVE – Tu vas même te retrouver toute seule... je vais aller me refaire une beauté dans ma chambre, je suis sûre que je suis toute fripée ! Et puis je vais aussi me changer pour la soirée. Tu ne m'en veux pas de te laisser toute seule ?

LAURENCE CARVILLE – Aucun souci ! Ça fait parfois du bien d'être seule, tu sais.

CLARA LONGERIVE – Je dis ça parce que je ne voudrais pas que tu m'en veuilles et que tu penses que je manque de savoir-vivre...

LAURENCE CARVILLE – Non, non, pas de problème, je t'assure. Tu peux aller t'occuper de toi.

CLARA LONGERIVE – Parce que si tu veux que je reste te tenir compagnie, il faut me le dire. N'hésite pas.

LAURENCE CARVILLE – Tu peux y aller, Clara. Je peux rester seule sans aucun problème.

CLARA LONGERIVE – Tu es bien certaine que tu ne m'en voudra pas ? Je ne suis pas encore partie et je peux rester avec toi pour que tu ne sois pas seule...

LAURENCE CARVILLE – N'aie crainte, Clara, je ne t'en voudrai aucunement.

CLARA LONGERIVE – Bon. Je suis rassurée. J'y vais. À tout à l'heure, Laurence !

LAURENCE CARVILLE – À tout à l'heure, Clara ! (un temps, puis à elle-même) Ouf ! J'ai cru qu'elle ne partirait jamais... (elle prend son téléphone) Allô ? Sophie ? … Laurence à l'appareil. … C'est bon, vous pouvez venir faire le point, je suis seule. À tout de suite. (elle raccroche et va s'asseoir).

Scène 4

PROFESSEUR SOPHIE DESRENTES – Ah ! Laurence. Me voici. Faisons vite avant qu'ils ne reviennent. Tout va bien ? Personne ne se doute de votre rôle ?

LAURENCE CARVILLE – Bonjour Sophie. Non, ils me semblent persuadés que je fais partie des concurrents de « Les jeunes ont du savoir-vivre ».

PROFESSEUR SOPHIE DESRENTES – Et l'échantillonnage, comment le trouvez-vous ?

LAURENCE CARVILLE – Il sera vite explosif. La courtoisie de départ ne va pas faire long feu. Surtout après le traitement qu'ils vont avoir. C'est pour quand ?

PROFESSEUR SOPHIE DESRENTES – D'ici peu de temps. J'ai institué un pot de l'amitié tous les soirs avec un cocktail maison. Un cocktail directement issu de nos laboratoires, bien sûr !

LAURENCE CARVILLE – Moi aussi, il va falloir que j'en prenne ?

PROFESSEUR SOPHIE DESRENTES – Non, rassurez-vous, Laurence. Trois verres seront identifiés : un pour moi, un pour mon assistante et un pour vous.

LAURENCE CARVILLE – Et vous êtes certaine que le produit n'aura aucun effet néfaste sur leur santé ? À part la modification de comportement attendue, bien sûr...

PROFESSEUR SOPHIE DESRENTES – Aucun ! Il a été testé pendant six mois sur des rats, il est en principe tout à fait inoffensif. De toute façon, nous n'avons plus le choix, il faut expérimenter sur l'humain ; en groupe de surcroît. Imaginez les débouchés pour notre laboratoire ! Les actionnaires ont hâte de mettre cette molécule sur le marché.

LAURENCE CARVILLE – Il faut oser, quand même ! Un médicament qui rend agressif, au premier abord, les journalistes risquent de vous dénigrer.

PROFESSEUR SOPHIE DESRENTES – Aucun problème. La diffusion du Clakomine sera confidentielle : les armées du monde entier, bien sûr, les milieux sportifs, les hommes politiques nous le réclament. Déjà, ça nous fait une bonne quantité de clients potentiels ! Ensuite, avec un dosage plus léger et présenté comme un simple stimulant, nous vendrons aux commerciaux, aux cadres, aux étudiants pour les examens... bref, il y a du business en vue.

LAURENCE CARVILLE – Mais d'un simple point de vue éthique... vous ne trouvez pas qu'il y a suffisamment d'agressivité, de violence, de guerres dans le monde ? Vous trouvez bien nécessaire d'en ajouter ? Depuis des milliers d'années, les religions, les philosophes tentent de sortir l'homme de sa violence animale et nous, nous allons faire marche-arrière ?

PROFESSEUR SOPHIE DESRENTES – Vous devenez ridicule, Laurence ! Les guerres de religion, ça vous dit quelque chose ? Et toutes les guerres qui existent encore aujourd'hui, n'ont-elles jamais pour origine des oppositions religieuses ? Alors foutez-moi la paix avec votre morale à deux balles !

LAURENCE CARVILLE – Il n'empêche que je me sens mal à l'aise en participant au développement d'un produit destiné à augmenter l'agressivité de nos contemporains...

PROFESSEUR SOPHIE DESRENTES – Eh bien si ça vous gêne vraiment, démissionnez ! Allez trouver du travail ailleurs ! Dans le cas contraire, oubliez vos états d'âme de midinette et restons dans le cadre de votre mission !

LAURENCE CARVILLE – Vous devez avoir raison...

PROFESSEUR SOPHIE DESRENTES – Bien sûr, que j'ai raison ! Si je m'écoutais, moi aussi, j'hésiterais ! Vous croyez que cela m'amuse, de penser que des gens vont se battre, s'étriper, se massacrer grâce à une molécule que j'aurais contribué à développer ? Non, Laurence ! Alors je pense à la bonne et grosse prime que les actionnaires vont m'accorder si je réussis, et tout à coup, ça va mieux. Beaucoup mieux, même ! (on entend une porte claquer et des bruits de pas) Mais je me sauve, ils arrivent. A plus tard pour l'apéritif au Clakomine ! (elle sort)

Scène 5

OPHÉLIE BELLAIR – Ah ! Je me sens mieux ! Rien de tel qu'une bonne petite sieste pour vous requinquer ! Ça va, Laurence, tu ne t'ennuies pas, toute seule ?

LAURENCE CARVILLE – Impeccable, Ophélie ! Contente de te voir en pleine forme. Je crois que je vais aussi aller dans ma chambre me reposer un peu avant le pot offert par nos hôtes. J'y vais, je me dépêche c'est dans peu de temps. (elle sort)

OPHÉLIE BELLAIR – Quant à moi, je vais m'asseoir un peu histoire de ne pas être trop fatiguée tout à l'heure.

SÉBASTIEN LECRAMPON – Ah, Ophélie... je suis content de me retrouver seul avec toi.

OPHÉLIE BELLAIR – Je te préviens, Sébastien, je ne suis pas prête à subir à nouveau tes assauts !

SÉBASTIEN LECRAMPON – Justement, je tenais à m'excuser pour ce qui s'est passé tout à l'heure...

OPHÉLIE BELLAIR – Tu peux !

SÉBASTIEN LECRAMPON – Je sais que les apparences sont contre moi, mais ce n'est pas du tout ce que tu crois.

OPHÉLIE BELLAIR – Oh mais je ne crois rien du tout, j'ai bien senti ce que j'ai senti.

SÉBASTIEN LECRAMPON – Justement... ce geste déplacé, ou plutôt ce geste que tu crois déplacé, ne l'était pas du tout...

OPHÉLIE BELLAIR – Ben voyons ! Caresser les fesses d'une femme est tout à fait naturel... un geste de courtoisie, probablement ! Comme Chirac avec les vaches au salon de l'agriculture ! Tu veux montrer que tu as du savoir-vivre ! Eh bien bravo, c'est justement le sujet de l'émission à laquelle nous participons !

SÉBASTIEN LECRAMPON – Moi ? Te caresser les fesses ? Ophélie, tu me déçois beaucoup ! Tu penses vraiment que j'en serais capable ?

OPHÉLIE BELLAIR – Oui.

SÉBASTIEN LECRAMPON – Je suis vraiment offensé, Ophélie. Sache quand même, si toutefois cela t'intéresse, que ce n'était pas du tout mon intention. C'est uniquement de la maladresse de ma part. De la distraction.

OPHÉLIE BELLAIR – Ben voyons !

SÉBASTIEN LECRAMPON – Oh, je vois bien que tu ne me crois pas. Et pourtant c'est tout simple...

OPHÉLIE BELLAIR – Je n'en doute pas...

MARIE-BÉATRICE COLLARD DE MAUPERTUIS (qui entre) – Me voici ! Alors, chers amis, vous faites plus ample connaissance ?

SÉBASTIEN LECRAMPON – Ah ! Marie-Charlotte ! En effet, nous causions...

MARIE-BÉATRICE COLLARD DE MAUPERTUIS – Marie-Béatrice, pas Marie-Charlotte, s'il te plaît. Sache que sainte Béatrice a fui la cour d'Espagne pour se réfugier dans un couvent et échapper ainsi aux harcèlements dont elle était victime à cause de sa beauté...

OPHÉLIE BELLAIR – Ça tombe bien, nous parlions de harcèlement !

SÉBASTIEN LECRAMPON – Allons, Ophélie, n'embêtons pas Marie-Amélie avec notre conversation...

MARIE-BÉATRICE COLLARD DE MAUPERTUIS – Marie-Béatrice !

SÉBASTIEN LECRAMPON – Béatrice. Pardon.

MARIE-BÉATRICE COLLARD DE MAUPERTUIS – Merci. Et puis je suis certaine que votre conversation est tout à fait passionnante. Continuez, je vous en prie, ne vous occupez pas de moi. Je m'en voudrais de vous avoir interrompus.

SÉBASTIEN LECRAMPON – Ce n'est rien. De toute façon, nous en avions fini.

OPHÉLIE BELLAIR (ironique) – Mais pas du tout ! Tu étais justement en train de m'expliquer, cher Sébastien, la différence entre harcèlement et maladresse...

MARIE-BÉATRICE COLLARD DE MAUPERTUIS – Oh oui, Sébastien, ne te fais pas prier ! Je prie suffisamment le Seigneur pour ne pas avoir en plus à prier un camarade de bien vouloir alimenter la conversation...

OPHÉLIE BELLAIR – Alors, Sébastien ?

SÉBASTIEN LECRAMPON – Eh bien... En fait, c'est tout simple. Il s'agit d'un malentendu entre Ophélie et moi-même. Ophélie est persuadée que j'ai cherché à la séduire, tout à l'heure, alors qu'il n'en est rien...

OPHÉLIE BELLAIR – Séduire ! Tu as de ces manières de faire la cour !

MARIE-BÉATRICE COLLARD DE MAUPERTUIS – Il n'y a aucune honte à chercher à séduire une charmante jeune femme comme Ophélie, cher Sébastien. Le tout est de le faire avec tact et courtoisie, bien évidemment ! Mais je ne doute pas qu'un concurrent de « Les jeunes ont du savoir-vivre » ne soit un homme du monde accompli et incapable du moindre geste déplacé !

OPHÉLIE BELLAIR – Tu parles d'or, chère Marie-Béatrice !

MARIE-BÉATRICE COLLARD DE MAUPERTUIS – Merci Ophélie. Alors, Sébastien ? Tu as courtisé Ophélie ou pas ? Je suis impatiente de tout savoir.

CLARA LONGERIVE – Salut les amis ! J'avais peur d'être en retard pour le pot, mais je vois que non. Je n'ai pas arrêté une minute ! Vous savez ce que c'est, se démaquiller, une bonne douche, se remaquiller, se coiffer, choisir une toilette, bien se préparer... c'est l'enfer ! Parfois c'est bien vrai qu'il faut souffrir pour être belle.

OPHÉLIE BELLAIR – Tu es magnifique, Clara ! Je suis certaine que tu vas beaucoup plaire à Sébastien.

SÉBASTIEN LECRAMPON – Mais non ! Pas du tout !

CLARA LONGERIVE – Merci Sébastien ! Cela me fait chaud au cœur de savoir que tu me trouves laide...

SÉBASTIEN LECRAMPON – Ce n'est pas ce que je voulais dire, tu es très séduisante ! Mais je ne vois pas pourquoi Ophélie a dit que tu allais beaucoup me plaire !

MARIE-BÉATRICE COLLARD DE MAUPERTUIS – D'autant plus que Sébastien était en train de faire la cour à Ophélie, ce serait déplacé de regarder une autre femme ! Contraire à la morale chrétienne.

CLARA LONGERIVE – Sébastien sort avec Ophélie ? Eh bien dites donc, tous les deux, vous avez été rapides ! Le coup de foudre ?

OPHÉLIE BELLAIR – Le coup de main, plutôt ! Tu fais fausse route, Clara, je te laisse Don Juan ! C'est juste qu'il a fait une tentative ; sans succès.

MARIE-BÉATRICE COLLARD DE MAUPERTUIS – De toute façon, votre vie privée ne nous regarde pas. Tant que vous respectez les règles du savoir-vivre, tout va bien. Mais tu étais en train de nous expliquer, cher Sébastien, la différence entre harcèlement et maladresse. J'avoue que je ne vois pas le rapport qu'il pourrait y avoir entre les deux...

SÉBASTIEN LECRAMPON – Aucun, justement. Ophélie est persuadée que je lui ai manqué de respect, alors qu'il s'agissait uniquement d'un geste maladroit...

OPHÉLIE BELLAIR – Et tu voulais faire quoi, lorsque tu as été « maladroit » avec mes fesses ?

MARIE-BÉATRICE COLLARD DE MAUPERTUIS – Avec tes... Ciel ! (elle se signe)

OPHÉLIE BELLAIR – Alors, Sébastien ?

CLARA LONGERIVE – Allez, Sébastien, ne te fais pas prier ! Et puis si tu as vraiment volontairement fait ce que dit Ophélie, ce n'est pas dramatique pour autant.

OPHÉLIE BELLAIR – Merci, Clara. Tu aimes peut-être que l'on te tripotes à la sauvette ; moi pas !

CLARA LONGERIVE – Oh ! Traite-moi d'allumeuse, pendant que tu y es !

MARIE-BÉATRICE COLLARD DE MAUPERTUIS – Mes amies, mes amies ! Calmez-vous ! Vous oubliez où nous sommes ! Pourquoi nous sommes là ! Ressaisissez-vous, de grâce !

OPHÉLIE BELLAIR – Tu as raison, Marie-Béatrice. Je me suis stupidement emportée. Pardon, Clara, je ne pensais pas ce que je disais. Mais je ne supporte pas le geste de Sébastien. Sébastien, j'attends ton explication.

SIMON LÉTARD – Salut les filles ! Salut Sébastien ! Je vois que je ne suis pas en retard pour le pot. Dites, j'en ai une bonne à vous raconter : ça se passe dans le métro, une jeune fille sent une main masculine qui s'aventure en bas de ses reins. Elle se retourne et lâche : - Dites donc ! Vous ne pourriez pas mettre vos mains ailleurs ? - Euh... fait une petite voix, je voudrais bien, mais je n'ose pas !

OPHÉLIE BELLAIR (énervée) – Tu le fais exprès ? Tu as écouté notre conversation ? C'est de la provocation ?

CLARA LONGERIVE – Du calme, Ophélie... tu sais bien que Simon a toujours une mauvaise blague à nous raconter.

MARIE-BÉATRICE COLLARD DE MAUPERTUIS – Pas si mauvaise que ça... Certes, c'est un peu grivois, mais tellement drôle !

OPHÉLIE BELLAIR – Passons. Alors, Sébastien ? Cette explication ?

SÉBASTIEN LECRAMPON – Eh bien voilà, c'est tout simple. Je voulais prendre mes clés dans ma poche de pantalon quand tout à coup... euh...

OPHÉLIE BELLAIR – Quand tout à coup ?

SÉBASTIEN LECRAMPON – Je... j'ai raté ma poche, ma main est partie devant et... j'ai dû effleurer tes fesses. Mais sans le vouloir ! Elles étaient sur la trajectoire, tu comprends ?

OPHÉLIE BELLAIR – C'est la meilleure ! Vous y croyez, vous à cette histoire de dérapage de main qui rate une poche et qui finit par atterrir, comme par hasard, sur mes fesses ?

MARIE-BÉATRICE COLLARD DE MAUPERTUIS – Cela ne m'est jamais arrivé, mais dans le doute, je crois, chère Ophélie qu'il te faut pardonner à Sébastien et clore l'incident.

OPHÉLIE BELLAIR – Je n'y crois pas un instant, mais je veux bien ne pas envenimer la situation. À une condition cependant : il est hors de question que cela recommence !

SÉBASTIEN LECRAMPON – Je t'en remercie, Ophélie et je te promets de faire bien attention à mes gestes maladroits à l'avenir.

Scène 6

PROFESSEUR SOPHIE DESRENTES (qui entre, suivie de Julie Vertard qui porte un plateau avec verres et deux bouteilles) – Chers concurrents de « Les jeunes ont du savoir-vivre », bonsoir ! L'heure du cocktail a sonné, nous voici ! Nous vous avons préparé un petit apéritif maison dont vous me direz des nouvelles... Tenez, Julie, si vous voulez bien poser le plateau sur cette table... doucement ! Vous allez encore tout casser !

JULIE VERTARD (à mi-voix) – C'est vous, qui commencez à me les casser...

PROFESSEUR SOPHIE DESRENTES – Vous dites, Julie ?

JULIE VERTARD – Que... je ne veux pas commencer à les casser...

PROFESSEUR SOPHIE DESRENTES – Mouais... en attendant, donnez-moi cette bouteille, je vais servir ces jeunes gens. Non ! Pas cette bouteille-ci, l'autre, imbécile ! Tout le monde est là ?

SÉBASTIEN LECRAMPON (dragueur) – Presque, chère Sophie, si vous permettez que je vous appelle Sophie, bien sûr...

PROFESSEUR SOPHIE DESRENTES – Je vous en prie, un peu de convivialité ne nuit aucunement au savoir-vivre. Mais vous disiez « presque », Sébastien ; vous vous appelez bien Sébastien, n'est-ce pas ?

SÉBASTIEN LECRAMPON – Bravo Sophie ! Vous avez aussi bonne mémoire que vous êtes séduisante...

PROFESSEUR SOPHIE DESRENTES – Je vous remercie, Sébastien, mais là n'est pas la question... tout le monde n'est pas là ?

SÉBASTIEN LECRAMPON – Il nous manque notre amie Laurence.

OPHÉLIE BELLAIR – Elle ne devrait pas tarder. Je l'ai croisée en revenant de ma chambre, et elle m'a dit qu'elle revenait rapidement.

PROFESSEUR SOPHIE DESRENTES – Cela m'ennuie de commencer sans elle. Ce serait un manque de savoir-vivre, vous ne trouvez pas ?

MARIE-BÉATRICE COLLARD DE MAUPERTUIS – Voulez-vous que j'aille la chercher ?

SÉBASTIEN LECRAMPON – Non, laisse, Marie-Béatrice, j'y vais, j'ai quelque chose à prendre dans ma chambre au passage.

PROFESSEUR SOPHIE DESRENTES – Merci, Sébastien. (il sort) Eh bien en attendant Laurence et Sébastien, chers amis, causons !

LAURENCE CARVILLE (off) – Ooooh ! (bruit de gifle)

SÉBASTIEN LECRAMPON (off) – Aïe !

LAURENCE CARVILLE (qui entre, suivie de Sébastien se frottant la joue) – Me voici ! Excusez-moi de vous avoir fait attendre.

OPHÉLIE BELLAIR – Qu'est-ce qui t'arrive, Sébastien ? Tu as essayé d'attraper tes clés dans ta poche au moment où Laurence passait ?

SÉBASTIEN LECRAMPON – Mais absolument pas ! Je cherchais l'interrupteur dans le couloir...

LAURENCE CARVILLE – Et tu en as profité pour me tripoter les seins ! Il va te falloir des lunettes, mon pauvre vieux !

PROFESSEUR SOPHIE DESRENTES – Allons, mes amis, n'oubliez pas où vous vous trouvez... dans l'émission « Les jeunes ont du savoir-vivre » ! Alors je vous en prie, ne recherchez pas de sujet de querelle entre vous. Julie, vous voulez bien me passer les verres, que je serve notre cocktail maison ?

JULIE VERTARD – Tout de suite, Sophie... voilà...

PROFESSEUR SOPHIE DESRENTES – Prof... ! Euh... rien. Merci, Julie.

JULIE VERTARD – Mais de rien, Sophie !

PROFESSEUR SOPHIE DESRENTES (à voix basse à Julie) – N'en faites pas trop, quand même ! Ophélie) Tenez, chère Ophélie, à vous l'honneur, prenez ce premier verre.

OPHÉLIE BELLAIR – Merci Sophie. Tiens Sébastien, je te le donne. Je ne bois jamais d'alcool et puis... au moins tu auras les mains occupées.

SÉBASTIEN LECRAMPON (crispé) – Merci.

PROFESSEUR SOPHIE DESRENTES – Oh, Ophélie, vous allez me faire de la peine. Vous refusez ce petit verre que je vous offre de tout mon cœur...

OPHÉLIE BELLAIR – Je suis désolée, Sophie, mais je ne bois pas d'alcool.

PROFESSEUR SOPHIE DESRENTES – Je me permets d'insister... c'est très peu alcoolisé, vous savez. Et puis vous pouvez bien faire une exception... pour me faire plaisir... une forme de savoir-vivre, en quelque sorte...

OPHÉLIE BELLAIR – Bon... je cède. Mais c'est bien pour vous être agréable, Sophie.

PROFESSEUR SOPHIE DESRENTES – Je vous remercie, chère Ophélie. Je suis sensible à l'effort que vous faites. Tenez, Marie-Béatrice, vous aussi vous allez participer à cette sorte de communion.

MARIE-BÉATRICE COLLARD DE MAUPERTUIS – Merci, Sophie. C'est vrai que partager un verre est un symbole très fort qui va bien au-delà de la simple consommation d'alcool. Cela renforce la fraternité, c'est une véritable communion qui me rappelle... (devant le regard noir des autres) enfin je me tais, sinon je vais encore dire des bêtises.

PROFESSEUR SOPHIE DESRENTES – Tenez, Clara, Simon, voici aussi vos verres... il ne reste plus que Laurence, Julie et moi à servir et nous pourrons trinquer... (mal joué) Ah, flûte ! Cette bouteille est déjà vide ! Julie, passez-moi la seconde bouteille, s'il vous plaît.

JULIE VERTARD – Voici, Sophie.

PROFESSEUR SOPHIE DESRENTES – Merci. Tenez, Laurence, voici votre verre. Ne l'égarez pas ! Je plaisante, bien sûr... et les deux derniers pour Julie et moi-même.

SIMON LÉTARD – À propos d'alcool, j'en ai une bonne à vous raconter ! Voilà : vous savez qu'il est scientifiquement prouvé que l'alcool contient de hormones féminines ?

CLARA LONGERIVE – Non... c'est vrai ?

SIMON LÉTARD – Mais oui, Clara, tu sais bien que quand on a bu on parle trop, on dit des bêtises et on conduit mal !

(silence général devant la nullité de la blague ; pendant ce temps-là, Sophie a servi les trois derniers verres avec la bouteille sans Clakomine)

PROFESSEUR SOPHIE DESRENTES – Eh bien sur cette note d'humour particulièrement remarquable, je vous propose de porter un toast à votre séjour dans la résidence de « Les jeunes ont du savoir-vivre ». Mesdemoiselles, messieurs, à vous !

CLARA LONGERIVE – À nous ! Et je voudrais en profiter pour dire combien je suis heureuse de participer à cette émission, je suis très émue... être vue par des millions de gens, c'est... troublant... je ne sais pas trop quoi dire...

OPHÉLIE BELLAIR – Eh bien ne dis rien et bois, c'est ce que tu sais faire le mieux.

CLARA LONGERIVE – Comment ? Mais je ne suis pas une alcoolique !

OPHÉLIE BELLAIR – Je ne parlais pas de boire, mais de te taire.

CLARA LONGERIVE – Oh ! Charmant !

SÉBASTIEN LECRAMPON – Ne le prends pas mal, chère Ophélie. Clara ne voulait pas dire que tu dois te taire, mais que ta beauté se suffit à elle-même... tu n'as pas besoin de parler pour exister. N'est-ce pas, Ophélie ?

OPHÉLIE BELLAIR – On va le dire comme ça...

LAURENCE CARVILLE – Eh bien moi, je vous propose que chacune et chacun d'entre nous fasse un vœu pour ce séjour avant de trinquer. Qu'en pensez-vous ?

JULIE VERTARD – Super idée, ça va être amusant !

PROFESSEUR SOPHIE DESRENTES – Je vous en prie, Julie, personne ne vous a rien demandé !

JULIE VERTARD – Excusez-moi, Sophie.

LAURENCE CARVILLE – Alors, qui commence ? Vous, Sophie ?

PROFESSEUR SOPHIE DESRENTES – Pourquoi pas ? Je formule le vœu que votre séjour en ce lieu concrétise tous les espoirs que j'y ai fondés. Au projet ! À « Les jeunes ont du savoir-vivre » !

TOUT LE MONDE – À « Les jeunes ont du savoir-vivre » !

MARIE-BÉATRICE COLLARD DE MAUPERTUIS (elle pose son verre et va prendre les mains de Sophie qui doit donc aussi poser son verre) – Et moi je fais le vœu, chère Sophie, que vous soyez exaucée. Car sans vous nous ne serions pas là à vivre cette exaltante aventure humaine qui nous mènera sur des chemins que nous ignorons, peut-être bien au-delà de ce que nous supposons. Un chemin probablement parsemé d'embûches, mais aussi, espérons le, de moments de bonheur ou de simple joie. La joie qu'apportent des rapports humains riches, vrais, simples, ceux qui font la noblesse de l'être humain qui a su s'élever au-dessus de l'état animal. De l'être humain qui se rapproche ainsi de son créateur, et... euh... c'est tout.

(Un moment de silence après ce délire verbeux. Puis tout le monde se croit obligé d'applaudir, et pose par conséquent son verre...)

PROFESSEUR SOPHIE DESRENTES – Merci, Marie-Béatrice pour cet émouvant témoignage. À qui le tour de porter un toast ?

CLARA LONGERIVE – Eh bien moi, je bois à la beauté !

SIMON LÉTARD – Et moi, à l'humour !

SÉBASTIEN LECRAMPON – À l'amour !

OPHÉLIE BELLAIR – Moi aux vacances...

JULIE VERTARD – Et moi à l'abolition de toutes les dictatures !

PROFESSEUR SOPHIE DESRENTES – Vous pensez à quelqu'un en particulier, Julie ?

JULIE VERTARD – Bien sûr que non, Sophie...

PROFESSEUR SOPHIE DESRENTES – Et vous, Laurence ?

LAURENCE CARVILLE – Moi ? Je bois à l'espoir du déroulement heureux de cette semaine.

MARIE-BÉATRICE COLLARD DE MAUPERTUIS – Que Dieu vous entende.

OPHÉLIE BELLAIR – Carton rouge !

MARIE-BÉATRICE COLLARD DE MAUPERTUIS – Hein ?

OPHÉLIE BELLAIR – Carton rouge, Marie-Machine, tu as encore parlé de ton bon Dieu.

MARIE-BÉATRICE COLLARD DE MAUPERTUIS – Béatrice, nom de Dieu ! Tu va finir par... Merde ! J'ai juré ! Et je deviens grossière ! (elle se signe) Pardonnez-moi chers amis, je ne sais pas ce qui m'a pris.

PROFESSEUR SOPHIE DESRENTES – Ce n'est pas grave, Marie-Béatrice, la fatigue, sans doute. Allez, buvons !

(Chacune et chacun se saisit d'un verre, Sophie, Laurence et Julie sont un peu paniquées car elles ne savent plus quel était leur verre...)

SÉBASTIEN LECRAMPON – Bravo, chère Sophie, et trinquons en nous regardant dans les yeux. (il se met face à elle et l'oblige ainsi à boire en même temps que lui)

LAURENCE CARVILLE (qui renverse volontairement son verre) – Zut ! Quelle maladroite je fais, voilà mon verre renversé !

SIMON LÉTARD – Un de perdu, dix de retrouvés ! Tiens, Laurence, permets que je te resserve...

PROFESSEUR SOPHIE DESRENTES (qui a visiblement bu un verre qui rend agressif) – Non mais dites donc, vous, ne vous gênez pas ! Piquez-moi ma bouteille !

Jusqu'à la fin de l'acte, seules Clara, Laurence et Julie ne seront pas sous l'effet du Clakomine. Pour les autres, l'effet ira diminuant avec le temps.

SIMON LÉTARD – Vous fâchez pas, Sophie, il vous en restera ! Tenez, je vous ressers aussi. Ça vous va ?

PROFESSEUR SOPHIE DESRENTES – On fera avec ! Merci.

MARIE-BÉATRICE COLLARD DE MAUPERTUIS – Vous pourriez quand même être un peu plus aimable avec lui, Sophie ! Vous avez vu sur quel ton vous lui avez parlé ?

PROFESSEUR SOPHIE DESRENTES – De quoi je me même, la cureton ? Elle va fermer sa gueule, la grenouille de bénitier ?

MARIE-BÉATRICE COLLARD DE MAUPERTUIS – Oh ! Espèce de garce !

CLARA LONGERIVE – Doucement mes amies... vous oubliez où nous sommes !

SÉBASTIEN LECRAMPON – C'est vrai, vous êtes dans « Les jeunes ont du savoir-vivre », ne l'oubliez pas, merde !

OPHÉLIE BELLAIR – Tu peux en parler, l'obsédé sexuel, du savoir-vivre ! Je ne crois pas que tu aies de leçon à nous donner !

LAURENCE CARVILLE – Du calme, du calme, tout le monde. Vous ne croyez pas qu'il serait temps d'aller gentiment se coucher ?

OPHÉLIE BELLAIR – T'as qu'à demander à Sébastien-la-grosse-queue ! Il ne connaît que ça...

MARIE-BÉATRICE COLLARD DE MAUPERTUIS – Alors là, c'est trop, je n'en peux plus, je sors ! Vous êtes monstrueux...

SIMON LÉTARD – C'est ça, casse-toi et va t'enfiler un cierge, ça te détendra !

MARIE-BÉATRICE COLLARD DE MAUPERTUIS – Oh !!!! (elle sort en courant)

Scène 7

PROFESSEUR SOPHIE DESRENTES – Moi aussi, je sors, j'en ai assez de toute cette clique de dégénérés. Julie, on y va !

JULIE VERTARD – Non.

PROFESSEUR SOPHIE DESRENTES – Plaît-il ?

JULIE VERTARD – Non. Je reste discuter encore un peu.

PROFESSEUR SOPHIE DESRENTES – C'est de la rébellion ?

JULIE VERTARD – Tout au plus de l'insoumission...

PROFESSEUR SOPHIE DESRENTES – Vous me le paierez, Julie. Vous me le paierez.

JULIE VERTARD – Bonne nuit, Sophie.

SÉBASTIEN LECRAMPON – Attendez-moi, Sophie, j'aimerais vous parler...

PROFESSEUR SOPHIE DESRENTES – Toi, tu restes où tu es ou tu t'en prends une ! C'est compris ?

SÉBASTIEN LECRAMPON – Euh... oui, Sophie. (elle sort)

Scène 8

CLARA LONGERIVE – Et de trois !

SÉBASTIEN LECRAMPON – Trois quoi ?

CLARA LONGERIVE – Râteaux !

SÉBASTIEN LECRAMPON – Très drôle ! Eh bien puisque c'est comme ça, je m'en vais aussi. Salut la compagnie, à demain ! (il sort)

LAURENCE CARVILLE – Tu as été un peu dure avec lui, Clara, tu ne trouves pas ?

CLARA LONGERIVE – Toi, ta gueule. Oh et puis j'en ai marre, moi aussi, je m'en vais. Bonne nuit, bande de nases ! (elle sort)

JULIE VERTARD – Eh bien, je ne sais pas si « Les jeunes ont du savoir-vivre », mais il y a encore du boulot à faire. Pour l'instant, c'est à qui aura le moins de savoir-vivre.

OPHÉLIE BELLAIR – Et alors, ça va faire de l'audience ! C'est ça que les spectateurs attendent ! Pourquoi pensez-vous que les gens regardent ces émissions à la con ? Ça leur permet de vivre par procuration. Nous faisons ce qu'ils n'osent pas faire, ce qu'ils rêvent de faire. Ils ont l'impression en nous voyant que c'est eux qui le font !

SIMON LÉTARD – Ce soir, ils sont servis. Même Sophie s'y est mise. C'est pourtant l'animatrice de l'émission. Tu parles d'une animatrice. Elle pète les plombs et elle se casse...

LAURENCE CARVILLE – Eh bien, Simon, tu as perdu ton sens de l'humour, tu n'as pas une bonne histoire à nous raconter ?

SIMON LÉTARD – Non. Je ne sais pas ce qu'il m'arrive, je me sens tout énervé. Je vais aller m'en fumer un dans ma chambre, ça me détendra. Salut tout le monde. (il sort)

LAURENCE CARVILLE – Bien... nous ne sommes plus que trois pour passer une bonne soirée. La fête est un peu gâchée... vous ne trouvez pas ?

JULIE VERTARD – La faute à qui ? Vous ne seriez pas arrivée en retard, rien ne serait arrivé ! Alors vous feriez mieux de la fermer. D'ailleurs, je m'en vais aussi, j'en ai assez. (elle sort)

Scène 9

OPHÉLIE BELLAIR – Tu vas rire, Laurence, mais moi qui suis toujours endormie, ce soir j'ai une pêche d'enfer !

LAURENCE CARVILLE – Le café, peut-être ?

OPHÉLIE BELLAIR – Tu plaisantes ! Je n'en bois jamais, des fois que ça m'empêcherait de dormir...

LAURENCE CARVILLE – C'est si bon, de dormir ?

OPHÉLIE BELLAIR – C'est le meilleur moment de la vie. Pas d'agressions, pas de stress, pas d'embouteillages, pas d'impôts, pas de politique, rien que des rêves sympa... le pied, quoi !

LAURENCE CARVILLE – C'est une façon de voir la vie. Mais, tu n'as pas l'impression de perdre ton temps, en dormant ?

OPHÉLIE BELLAIR – Bien sûr que non, puisque je suis heureuse quand je dors ! Crois-moi, si les généraux et les dirigeants politiques dormaient autant que moi, je suis certaine qu'il y aurait moins de malheur dans le monde.

LAURENCE CARVILLE – Pas faux ! Plutôt que ce soient eux qui nous endorment avec leurs pseudo programmes politiques, on devrait les piquer pour qu'ils dorment. Au moins, pendant ce temps-là, il ne feraient pas de conneries !

OPHÉLIE BELLAIR – En les piquant aux tranquillisants, ça éviterait qu'ils nous piquent notre argent et nous serions tranquillisés.

LAURENCE CARVILLE – Bien dit, Ophélie. C'est toi qui es dans le vrai. On va créer un nouveau parti politique : le PS !

OPHÉLIE BELLAIR – Ben non, ça existe déjà, et ça ne sert pas à grand chose. Ou alors faudra m'expliquer à quoi...

LAURENCE CARVILLE – Pas le même, un nouveau, un vrai : le Parti du Sommeil !

OPHÉLIE BELLAIR – Bien dit. Ou encore l'UMP, l'Union des Maniaques de la Pionce !

LAURENCE CARVILLE – Génial !

OPHÉLIE BELLAIR – Mais bon, faut pas rêver...

LAURENCE CARVILLE – Exact, nos dictateurs démocratiques ont encore de beaux jours devant eux, et nous de dures journées.

OPHÉLIE BELLAIR – Heureusement, il nous reste les nuits.

LAURENCE CARVILLE – Alors bonne nuit, Ophélie, à demain.

OPHÉLIE BELLAIR – Bonne nuit, Laurence, je vais rêver à un monde meilleur. (elle sort)

NOIR

Acte II

En début d'acte, les protagonistes vont boire du Clakomine. Ils seront très excités, mais l'effet se résorbera peu à peu au cours de l'acte. Il faudra donc doser le jeu en conséquence.

Scène 1

PROFESSEUR SOPHIE DESRENTES – Julie ! Dépêchez-vous, ma fille ! Ils vont bientôt arriver.

JULIE VERTARD (qui entre, chargée de bouteilles et verres) – J'arrive, professeur, j'arrive... Mais si vous m'aviez aidée, ce serait déjà fait.

PROFESSEUR SOPHIE DESRENTES – Non mais dites donc, vous vous imaginez que j'ai une tête à faire la bonniche, moi ? Allez, déposez-moi tout ça sur la table. Et sans rien casser si ce n'est pas trop vous demander.

JULIE VERTARD – Voilà, voilà... vous voyez, c'est fait et je n'ai rien cassé. Étonnant, non ?

PROFESSEUR SOPHIE DESRENTES – Vous n'imagineriez tout de même pas vous moquer de moi !?

JULIE VERTARD – Mais pas du tout, professeur, qu'allez-vous penser ?

PROFESSEUR SOPHIE DESRENTES – Je pense ce qu'il me plaît de penser ! Et n'oubliez pas que je ne tolérerai aucun manque de respect de votre part ! C'est compris ?

JULIE VERTARD – Bien sûr, professeur. J'ai beaucoup trop d'admiration pour votre travail pour oser me moquer de vous. Soyez en assurée.

PROFESSEUR SOPHIE DESRENTES – J'aime mieux ça, et vous avez bien raison. En suivant mon exemple, peut-être un jour vous aussi atteindrez-vous des sommets... Mais ne rêvez pas trop quand même.

JULIE VERTARD – Merci pour vos judicieux conseils et vos encouragements, professeur. Si j'osais, j'en profiterais pour vous poser une question. Mais je ne voudrais pas abuser...

PROFESSEUR SOPHIE DESRENTES – Allez-y, Julie, posez la, cette question, je m'efforcerai d'éclairer votre médiocrité.

JULIE VERTARD – Eh bien voilà. Hier soir, vous avez annoncé un cocktail quotidien en fin de journée. Enfin, quand je dis cocktail, je parle de la dose de Clakomine, bien sûr. Et voilà que nous leur apportons dès le matin les bouteilles et verres...

PROFESSEUR SOPHIE DESRENTES – Exact. Le programme a changé depuis hier. Les financeurs souhaitent que les choses aillent plus vite pour coûter moins cher. Donc, on double les doses ! Et cette fois-ci, c'est du concentré ; hier je les ai trouvés un peu mous.

JULIE VERTARD – Vous n'avez pas peur qu'ils s'entretuent ? Comme les rats ?

PROFESSEUR SOPHIE DESRENTES – Nous les en empêcherons. Peut-être... De toute façon, nous sommes bien assurés, ne vous inquiétez pas, Julie. Mais je vous remercie de vous en soucier. Je suis heureuse de voir que votre travail vous tient à cœur. Sur ce, filons, je préfère ne pas être là quand ils reviendront. (elles sortent)

Scène 2

CLARA LONGERIVE (qui entre suivie de Sébastien) – Nous sommes les premiers ! Si j'avais su, j'aurais accepté ta proposition...

SÉBASTIEN LECRAMPON – On y retourne ? Jamais deux sans trois !

CLARA LONGERIVE – Dis donc, tu n'es pas fort en maths, toi ! Depuis hier soir, il y a longtemps que nous avons dépassé le chiffre de trois ! Ou alors ça ne t'a pas beaucoup marqué... ce qui n'est pas flatteur pour moi !

SÉBASTIEN LECRAMPON – Je parlais de trois depuis que le soleil s'est levé ! Quant à la nuit merveilleuse que nous avons passée... vivement ce soir !

CLARA LONGERIVE – Tiens ? Regarde, Sébastien, il y a encore du cocktail comme hier soir ! On s'en sert un verre, ou on attend les autres ?

SÉBASTIEN LECRAMPON – Les deux ! On s'en sert un et ensuite, on en boit avec les autres ! (il remplit deux verres et en tend un à Clara) Tenez, mademoiselle Longerive...

CLARA LONGERIVE – Merci, monsieur Lecrampon. (elle boit)

SÉBASTIEN LECRAMPON – Je vous en prie, appelez-moi Sébastien... (il boit)

CLARA LONGERIVE – Je ne sais pas si je dois, nous n'avons pas encore été présentés...

SÉBASTIEN LECRAMPON – C'est promis, je ne le répéterai pas à vos parents !

CLARA LONGERIVE – Alors merci Sébastien. Je préfère Sébastien à Lecrampon. Quel nom ridicule !

SÉBASTIEN LECRAMPON (froissé) – Merci ! C'est vrai que Longerive ça fait mieux que Clara qui fait un peu pétasse...

CLARA LONGERIVE – Hein ? Pétasse !

SÉBASTIEN LECRAMPON – Oui, et pétasse susceptible, en plus...

CLARA LONGERIVE – Quand je pense que je me suis forcée à passer ma nuit avec un Don Juan de pacotille et qu'il me chie dans les bottes dès le matin venu !

SÉBASTIEN LECRAMPON – Forcée, forcée... ce n'est pas l'impression que j'ai eue. Dans le genre chaudasse tu n'étais pas mal ! Toujours à minauder, à faire la belle, à aguicher...

CLARA LONGERIVE – Et voilà ! Le discours du mâle de caricature ! Dès qu'une femme essaie d'être belle et séduisante, le macho de base s'imagine qu'il s'agit d'un appel sexuel et se greffe une bite à la place du cerveau ! Incapable d'apprécier la beauté et l'esthétique en tant que telles ! Monsieur est dirigé en automatique par sa queue ! Le GPS masculin : Grossier Pervers Sexuel ! Ah elle est belle la masculinité ! J'ai bien envie de l'émasculer, la masculinité !

SÉBASTIEN LECRAMPON – J'y crois pas ! Mademoiselle joue les jeunes filles prudes et effarouchées, maintenant ! (il prend un ton féminin) Oh, excusez-moi, je n'ai pas fait exprès de vous provoquer sexuellement... je n'imaginais pas qu'une jupe à ras la touffe ça pouvait être provoquant... un décolleté qui descend jusqu'au nombril non plus d'ailleurs... je voulais simplement être élégante... (il reprend un ton normal) Quand on est incapable de faire la différence entre une pute et une femme du monde, on ne vient pas jouer les vierges effarouchées après !

CLARA LONGERIVE – Oh le salaud ! Tu vas dire que c'est moi qui t'ai abordé, peut-être ? C'est moi qui ai forcé la porte de ta chambre ? Qui me suis imposée dans ton lit ? Hein ? Ose dire que je ne t'ai pas repoussé, au début ?

SÉBASTIEN LECRAMPON – C'est vrai, j'avoue. Tu m'as repoussé au début. Pendant... au moins dix secondes... peut-être même douze... avant de me fourrer ta grosse langue dans la bouche que j'ai failli en dégueuler !

CLARA LONGERIVE – Et c'est en trébuchant que je me suis retrouvée couchée sur mon lit avec un pervers sur le ventre, peut-être ? À moins que tu n'aies eu un malaise et que tu ne te sois écroulé, par pure malchance sur moi et mon lit ?

SÉBASTIEN LECRAMPON – C'était pour te faire plaisir, j'ai bien vu que c'était ce que tu attendais ! Je sais me tenir dans le monde, moi, je ne suis pas impoli, moi ! Mais si j'avais su, je me serais abstenu. Autant d'efforts pour se faire chier.

CLARA LONGERIVE – Quoi ? Tu oses dire que tu t'es ennuyé alors que c'est toi qui as remis le couvert peut-être une dizaine de fois ?

SÉBASTIEN LECRAMPON – Si j'avais pris du plaisir la première fois, je n'y serais pas revenu ! Quand tu as fait un bon repas, tu ne te remets pas à table une demi-heure après !

CLARA LONGERIVE – Tu oses dire que ce n'était pas agréable ?

SÉBASTIEN LECRAMPON – Pour moi, pas vraiment. Mais tout le monde ne peut pas en dire autant. Si tu t'étais entendue crier, appeler ta mère... c'était d'un ridicule !

CLARA LONGERIVE – Et tout ça pour te faire plaisir, pour flatter le mâle en toi, pour te faire croire que tu es un bon coup ! Eh bien si j'avais su, j'aurais dormi, je serais moins fatiguée aujourd'hui.

SÉBASTIEN LECRAMPON – Eh bien vas-y, vas te reposer, va dormir un coup, là au moins tu ne me feras pas chier.

CLARA LONGERIVE – Oh ! Mufle ! (elle sort)

Scène 3

 

LAURENCE CARVILLE (qui croise Clara qui sort) – Bonjour Clara ! au revoir, Clara... (à Sébastien) Qu'est-ce qui se passe ? J'ai dit quelque chose qu'il ne fallait pas ?

SÉBASTIEN LECRAMPON – Toi ta gueule ! Ne viens pas en rajouter, j'ai assez les boules comme ça de m'être fait roulé par cette roulure !

LAURENCE CARVILLE (qui voit les bouteilles sur la table et qui comprend) – Je vois... excuse-moi. Il est bon, le cocktail ? Tu en as bu beaucoup ?

SÉBASTIEN LECRAMPON – Ça te regarde ? T'es de la police ? C'est toi qui le paye de ta poche, ce cocktail à la con ?

LAURENCE CARVILLE – Ne te vexe pas ! Je disais ça comme ça... juste par curiosité.. pour savoir s'il tu le trouves bon.

SÉBASTIEN LECRAMPON – Pas mauvais. D'ailleurs, je vais m'en resservir un verre, ça me détendra. Tu trinques avec moi ? (il la sert)

LAURENCE CARVILLE – Non, non, merci !

SÉBASTIEN LECRAMPON – Pourquoi ? Tu ne veux pas boire avec moi ? Je ne suis pas fréquentable ? Tu es comme Clara ? Une sainte Nitouche ?

LAURENCE CARVILLE – Pas du tout ! Que vas-tu imaginer ? C'est simplement que je ne l'ai pas trop aimé hier soir et que je n'ai pas envie d'en boire dès le matin aujourd'hui.

Scène 4

SIMON LÉTARD (qui entre accompagné de Marie-Béatrice, tous deux euphorisés par un joint et chantant) – C'est la chenille qui redémarre !

MARIE-BÉATRICE COLLARD DE MAUPERTUIS – La, lalala, lala lala !

SIMON LÉTARD – Salut les amis, ça va ? Vous n'êtes que tous les deux ? Nous qui venions faire la fête, on est un peu déçus. Pas vrai, Marie-Béatrice ?

MARIE-BÉATRICE COLLARD DE MAUPERTUIS – Un peu, mon neveu ! Youpi ! C'est la fête ! Allez, on s'embrasse !

SÉBASTIEN LECRAMPON – Non mais ça va pas ! Elle est dégueulasse celle-là !

LAURENCE CARVILLE (pour éviter l'altercation) – Heu... bonjour Simon et Marie-Béatrice... Je crois qu'il vaut mieux laisser Sébastien se détendre un moment, il est un peu énervé, ce matin...

SIMON LÉTARD – Laurence ! Je ne t'avais pas vue ! Tu tombes bien, j'ai une blague pour toi. Une dame dit à un oculiste : « Docteur, ma vue baisse. » « Ah ! Fait l'oculiste, et que faites-vous dans la vie ? » « Justement, je suis voyante. » Elle est drôle, hein ?

MARIE-BÉATRICE COLLARD DE MAUPERTUIS – Hi, hi, hi, hi, hi ! Arrête, Simon, tu vas me faire mourir de rire avec ton humour ! C'est trop ! Tiens, je vois qu'il y a à boire, je vais prendre un verre, ça me fera du bien. Après la nuit que nous avons passée !

SIMON LÉTARD – Chut ! Marie-Béatrice ! Tout le monde n'a pas à savoir que nous avons couché ensemble !

MARIE-BÉATRICE COLLARD DE MAUPERTUIS – C'est vrai, tu as raison ! Mais qu'est-ce qu'on s'est marrés ! Allez, à ta santé ! Vous ne buvez pas, vous autres ?

LAURENCE CARVILLE – Euh... non, merci, sans façon.

SÉBASTIEN LECRAMPON – Moi, c'est déjà fait. Je vous laisse, j'en ai marre de vous entendre vous marrer pour des conneries. (il sort)

SIMON LÉTARD – Et hop ! Cul sec ! (un temps) À ta santé grande conne !

MARIE-BÉATRICE COLLARD DE MAUPERTUIS (qui vient de boire aussi) – Qu'est-ce que t'as dit, là ?

SIMON LÉTARD – J'ai dit : « À ta santé, grande conne ». il y a quelque chose qui te gêne ?

MARIE-BÉATRICE COLLARD DE MAUPERTUIS – Grande conne ? C'est de l'humour ? Je ne comprends pas cette nouvelle blague...

SIMON LÉTARD – Normal que tu ne comprennes pas ! Puisque tu je me tue à te dire que tu es une grande conne !

MARIE-BÉATRICE COLLARD DE MAUPERTUIS – Quoi ? Alors ce n'est pas une plaisanterie ? Tu penses vraiment ce que tu dis ? Oh le salaud ! Oh le mufle !

LAURENCE CARVILLE – Du calme, tous les deux, ce n'est pas si grave... ce doit être l'alcool contenu dans ce cocktail qui vous rend un peu nerveux...

SIMON LÉTARD – Toi, la pouffiasse, ta gueule !

MARIE-BÉATRICE COLLARD DE MAUPERTUIS – Fous nous la paix, la sorcière !

LAURENCE CARVILLE – Bon...

MARIE-BÉATRICE COLLARD DE MAUPERTUIS – Quand je pense que par pure charité chrétienne j'ai accepté de passer ma soirée avec ce dégénéré ! Que j'ai sacrifié ma virginité pour sauver une âme perdue de l'enfer ! Tout ça pour me faire traiter de... de grande conne sitôt le matin venu ! Seigneur, pardonnez-moi, mais je ne peux laisser continuer de vivre cette créature infernale, ce monstre démoniaque ! Je dois l'éliminer, dussé-je aller moi aussi en Enfer ! (elle avance menaçante vers lui)

SIMON LÉTARD – Vade retro, Putanas ! Mais c'est qu'elle est encore plus allumée que je le croyais, Jeanne d'Arc ! Je me sacrifie pour faire connaître un peu la vie à une demeurée ! Je lui offre même un joint pour la détendre ! Au prix où c'est ! Et voilà comme je suis récompensé... Arrière ! La folle ! Retourne dans ton bénitier !

LAURENCE CARVILLE (qui s'interpose) – Allons, allons, mes amis calmez-vous... rappelez-vous où vous êtes : « Les jeunes ont du savoir-vivre », l'émission ! Vous êtes filmés, ne l'oubliez pas...

SIMON LÉTARD – Rien à foutre, de cette émission à la con ! (entrée de Clara)

Scène 5

MARIE-BÉATRICE COLLARD DE MAUPERTUIS – Ils vont être édifiés, les spectateurs ! Ils vont découvrir que le vrai savoir-vivre c'est de détruire tout ce qui est une insulte au Seigneur ! Par exemple le déchet humain qui est devant moi !

CLARA LONGERIVE (dans une nouvelle tenue) – Dites donc, les allumés, ça vous dérangerait d'être polis ! J'arrive, j'ai fait un effort de toilette pour vous plaire, et vous me snobez, vous m'ignorez ! Merci bien ! « Bonjour ! » Vous connaissez, ce mot ? C'est celui que l'on prononce en général quand quelqu'un arrive. Alors moi, qui ai du savoir-vivre, je vous le dis : bonjour.

MARIE-BÉATRICE COLLARD DE MAUPERTUIS – Pour qui tu te prends l'allumeuse ? Pourquoi nous devrions te saluer en premier ? Parce que tu montres ton cul ? Moi aussi je peux le faire, si tu veux ! (et elle le fait !)

SIMON LÉTARD – C'est vrai, ça ! C'est plutôt à toi qui arrives de l'extérieur de nous dire bonjour ! Alors ferme la et apprends le savoir-vivre avant de nous agresser !

CLARA LONGERIVE – Bravo ! Belle notion de savoir-vivre ! Bref. Je ne polémiquerai pas, moi ! Vous avez vu Sébastien ? Je le cherche.

LAURENCE CARVILLE – Non nous ne l'avons pas vu, Clara. Probablement est-il dans sa chambre parti se calmer un peu. Il semblait très énervé tout à l'heure après votre entretien.

CLARA LONGERIVE – Mêle-toi de ce qui te regarde. Bon, puisque je suis là, autant n'être pas venue pour rien, je vais me resservir un verre de cocktail. Tout à l'heure j'avais la pêche, mais je sens que je me ramolli un peu. Ça me requinquera.

LAURENCE CARVILLE – Tu ne pourrais pas attendre encore un peu ? Tout le monde n'en a pas eu, et ce serait sympa de trinquer tous ensemble...

CLARA LONGERIVE – Les absents n'ont qu'à être là, moi, je bois. (elle se sert et boit) De toute façon ce connard de Sébastien ne mérite pas que je trinque avec lui. Quant à Ophélie, cette mollasse, elle n'a qu'à moins dormir.

MARIE-BÉATRICE COLLARD DE MAUPERTUIS – Eh bien moi, qui suis chrétienne, je vais aller les chercher avant que les égoïstes que vous êtes ne boivent tout !

SIMON LÉTARD – C'est ça, casse-toi la curetonne ! Ça nous fera des vacances.

MARIE-BÉATRICE COLLARD DE MAUPERTUIS – À moi aussi de ne plus voir ta face de fesse ! (elle sort)

SIMON LÉTARD (Laurence et Clara rient) – Oh ! Vous arrêtez de rigoler, toutes les deux ! Attendez qu'elle revienne, je vais lui régler son compte à l'allumeuse de cierges !

Scène 6

MARIE-BÉATRICE COLLARD DE MAUPERTUIS (qui revient avec Sébastien) – L'allumeuse de cierges, elle te dit merde ! Je n'ai pas réussi à réveiller Ophélie, mais voici toujours Sébastien. Viens, Sébastien, buvons à l'amitié. (elle le sert et boit aussi)

SÉBASTIEN LECRAMPON – Ben alors, Laurence ? Tu n'as pas bu un seul verre ? Nous sentons mauvais, peut-être ?

CLARA LONGERIVE – C'est vrai, ça, tu nous snobes ou quoi ? Mademoiselle ne veut pas se mélanger avec le peuple ?

SIMON LÉTARD – Ça me rappelle une blague. Vous savez pourquoi je préfère les bières aux femmes ? Parce qu'on ne risque pas d'attraper une maladie en se tapant une bière !

MARIE-BÉATRICE COLLARD DE MAUPERTUIS – Tu penses à qui en disant ça ? Fais gaffe, Simon, tu vis dangereusement depuis un moment !

SIMON LÉTARD – Une autre supériorité de la bière sur la femme, c'est qu'elle ne fait jamais la gueule, elle !

MARIE-BÉATRICE COLLARD DE MAUPERTUIS (qui le gifle) – Salaud !

SIMON LÉTARD (prêt à lui rendre sa gifle) – Non mais dis donc, la bonne sœur!  Pour qui tu te prends ? Retourne dans ta sacristie et fous moi la paix, si tu n'es pas contente !

LAURENCE CARVILLE – Du calme, du calme ! Vous n'allez pas vous battre, quand même. « Les jeunes ont du savoir-vivre », ne l'oubliez pas...

SÉBASTIEN LECRAMPON – Toi, ta gueule ! Si tu avais accepté de boire avec nous, rien ne serait arrivé ! Alors tu vas me prendre ce verre (il la sert) et me faire le plaisir de le boire.

LAURENCE CARVILLE – Non ! N'insiste pas, Sébastien. Je ne peux pas boire d'alcool... pour des raisons de santé.

CLARA LONGERIVE – Tu pourrais quand même faire un petit effort pour nous faire plaisir ! Sale égoïste ! J'ai bien envie de te mettre une baffe moi aussi !

MARIE-BÉATRICE COLLARD DE MAUPERTUIS – C'est vrai, ça, on est tous en train de s'énerver uniquement parce que tu ne veux pas boire ! Allez, fais un effort !

SIMON LÉTARD – C'est pas un petit verre qui va t'envoyer à l'hôpital, quand même ! Tiens, ça me rappelle une blague : - Docteur, je suis très inquiet. Votre diagnostic n'est pas le même que celui de votre confrère. - Je sais. C'est toujours comme ça, mais l'autopsie prouvera que j'avais raison. Elle est bonne, hein ?

SÉBASTIEN LECRAMPON – Nulle, comme d'habitude.

SIMON LÉTARD – Chez moi, au moins, ce sont les blagues qui sont nulles...

SÉBASTIEN LECRAMPON – Et tu sous-entends quoi, espèce d'abruti ?

SIMON LÉTARD – Qu'à part jouer les bellâtres, tu es nul !

SÉBASTIEN LECRAMPON – Tu t'excuses, le primate, ou je te casse la figure !

CLARA LONGERIVE – Ouais ! Du sang ! Du sang !

MARIE-BÉATRICE COLLARD DE MAUPERTUIS – C'est pas chrétien mais on s'en fout, ça fait du bien !

LAURENCE CARVILLE – Allons, allons, mes amis ! Contrôlez-vous, n'oubliez pas que « Les jeunes ont du savoir-vivre » ! Nous sommes là pour le prouver !

Scène 7

OPHÉLIE BELLAIR (qui arrive et hurle) – Silence ! Oh !

CLARA LONGERIVE – Tiens, voilà Hibernatus !

OPHÉLIE BELLAIR – Ce n'est pas un peu fini, ce bazar ? Pas moyen de dormir, ici !

SÉBASTIEN LECRAMPON – Faut dormir la nuit, ma grande, c'est fait pour ça !

OPHÉLIE BELLAIR – Je voudrais t'y voir ! Avec le bruit que Clara et Marie-Trucmuche ont fait en dormant, impossible de fermer l'œil plus d'une demi-heure sans être réveillée par des cris de bête ! À mon avis elles rêvaient toutes les deux qu'elles étaient dans la jungle.

SIMON LÉTARD – Ça m'en rappelle une bonne ! Je vous la raconte ? (silence général) Bon ben voilà : un éléphant demande à un chameau : - Dis, pourquoi t'as des nichons sur le dos ? - Pfff, la question est un peu osée venant de quelqu'un qui a un sexe au milieu du visage !

MARIE-BÉATRICE COLLARD DE MAUPERTUIS – Hi, hi, hi, hi, hi !

CLARA LONGERIVE – Pourquoi elle hennit encore la bonne du curé ?

MARIE-BÉATRICE COLLARD DE MAUPERTUIS – Très drôle ! Et bien moi je préfère être bonne de curé que conne débourrée !

CLARA LONGERIVE – Oh ! Salope ! (elle avancer sur elle pour la frapper)

LAURENCE CARVILLE – Stoooop ! On se calme !

OPHÉLIE BELLAIR – Je peux savoir ce qui se passe ? Vous m'avez tous l'air d'être excités comme des poux ! Vous parlez d'une ambiance !

LAURENCE CARVILLE (faux cul) – Ah ? Tu trouves que l'ambiance est tendue ? Peut-être...

CLARA LONGERIVE – Il n'y a bien que l'ambiance qui soit tendue, parce que chez Sébastien...

MARIE-BÉATRICE COLLARD DE MAUPERTUIS – Chez Simon aussi, tu sais...

SÉBASTIEN LECRAMPON – Oh dites, les deux pouffiasses ! Fermez la ou je parle de vos prouesses cette nuit !

SIMON LÉTARD – Ça m'en rappelle un bonne ! (un temps) Je vous la raconte : Bonjour monsieur le pharmacien, je voudrais du viagra. - Euh oui vous avez une ordonnance ?
Non, mais j'ai une photo de ma femme.

MARIE-BÉATRICE COLLARD DE MAUPERTUIS – Et tu trouves ça drôle ?

SIMON LÉTARD – Ben...

OPHÉLIE BELLAIR (qui attire l'attention de tout le monde) – Je voudrais profiter de ce calme relatif pour vous parler de quelque chose qui m'inquiète.

LAURENCE CARVILLE (vaguement inquiète) – Ah ? Et de quoi s'agit-il ?

OPHÉLIE BELLAIR – Voilà. Cette nuit, pendant que je ne dormais pas à cause de certains cris sur lesquels je ne reviendrai pas...

SÉBASTIEN LECRAMPON (ironique face à Clara) – Hé, hé !

CLARA LONGERIVE – Ta gueule !

OPHÉLIE BELLAIR – Je peux parler ?

SIMON LÉTARD – Vas-y, Ophélie, mais vite, on n'a pas que ça à faire.

OPHÉLIE BELLAIR – Et si vous m'interrompez tout le temps, je n'y arriverai pas.

MARIE-BÉATRICE COLLARD DE MAUPERTUIS – Alors vas-y, parle ! On t'attend !

OPHÉLIE BELLAIR – Voilà. Donc, cette nuit, pendant que je ne dormais pas...

SÉBASTIEN LECRAMPON – Tu te répètes ma grande !

OPHÉLIE BELLAIR – C'est pour que ceux dont l'intelligence est limitée puisse bien me suivre ! Donc : cette nuit...

SIMON LÉTARD – Pendant que tu ne dormais pas...

MARIE-BÉATRICE COLLARD DE MAUPERTUIS – Ça suffit, Simon, on ne s'en sortira jamais ! Bon : Ophélie, qu'est-ce qui s'est passé cette nuit pendant que tu ne dormais pas ?

OPHÉLIE BELLAIR – J'ai lu.

CLARA LONGERIVE – Hein ? C'est pour nous dire ça ? Pour nous faire cette révélation spectaculaire que tu nous fais chier depuis dix minutes ! Mademoiselle lit quand elle n'arrive pas à dormir ! Fantastique ! Incroyable ! Vous ne trouvez pas ?

SÉBASTIEN LECRAMPON – Ah oui, vraiment, merci Ophélie de cette révélation ! Nous en discutions justement tout à l'heure, nous nous demandions avec angoisse ce que tu pouvais bien faire lorsque tu ne dormais pas.

OPHÉLIE BELLAIR – Vous avez fini, de vous moquer de moi ! Vous ne voulez pas savoir ce que je lisais ?

CLARA LONGERIVE – Un traité sur les vertus de la sieste ?

MARIE-BÉATRICE COLLARD DE MAUPERTUIS – La Bible ?

SÉBASTIEN LECRAMPON – Un magazine de mode ?

SIMON LÉTARD – Un recueil d'histoires drôles ? Ça m'en rappelle une :- Monsieur, savez-vous que votre chien aboie toute la nuit ? - Oh, ça ne fait rien, il dort toute la journée ! (silence exaspéré) Bon. Faites comme si je n'avais rien dit.

OPHÉLIE BELLAIR – J'essayais donc de dire ce que je lisais, et vous devriez m'en être reconnaissants, car il s'agit des contrats que nous avons tous signés en arrivant ici hier.

CLARA LONGERIVE – Ben faut vraiment rien avoir d'autre à lire pour lire ces conneries !

OPHÉLIE BELLAIR – Je crois justement que j'ai bien fait de les lire. On s'est fait rouler !

SÉBASTIEN LECRAMPON – Hein ?

OPHÉLIE BELLAIR – Oui Sébastien : rouler. Nous étions tout émoustillés de passer à la télé, tu te souviens ?

SÉBASTIEN LECRAMPON – Oui, je ne suis pas complètement idiot !

CLARA LONGERIVE – Ah ?

LAURENCE CARVILLE – Ah non ! Vous n'allez pas recommencer, tous les deux !

SÉBASTIEN LECRAMPON – Ben tiens, justement, Laurence, notre chère voyante sait peut-être ce qu'Ophélie a découvert dans nos contrats ?

LAURENCE CARVILLE – Euh... non, je ne vois pas. Mais ça ne se fait pas comme ça, la voyance, il ne suffit pas d'appuyer sur le bouton, comme la télé !

OPHÉLIE BELLAIR – La télé, justement, c'est de ça que je voulais parler. J'ai voulu savoir sur quelle chaîne on allait passer. Vous vous étiez posé la question, vous ?

SIMON LÉTARD – Pas vraiment... le principal c'était de participer à cette émission. Et puis comme il y a toujours des maisons de production qui font ça pour les chaînes, je ne m'en suis pas préoccupé.

MARIE-BÉATRICE COLLARD DE MAUPERTUIS – Moi non plus. Alors, Ophélie ?

OPHÉLIE BELLAIR – Aucune ! Mes bons amis !

SÉBASTIEN LECRAMPON – Comment ? Qu'est-ce que tu dis ?

OPHÉLIE BELLAIR – Aucune, tu as bien entendu. Il est écrit que nous serions filmés en permanence, que cela serait retransmis, mais il n'est fait mention d'aucune chaîne.

MARIE-BÉATRICE COLLARD DE MAUPERTUIS – Et c'est si grave ? Après tout, ça ne change rien au fait que nous sommes payés et que l'une ou l'un d'entre nous va gagner le premier prix... être vu par des millions de gens, ce n'est qu'une question d'orgueil !

OPHÉLIE BELLAIR – Justement, Marie-Truc !

MARIE-BÉATRICE COLLARD DE MAUPERTUIS – Béatrice !

OPHÉLIE BELLAIR – Béatrice. Précisément. Il n'est nulle part fait mention de cette rémunération ni d'un prix à gagner dans tout le contrat !

MARIE-BÉATRICE COLLARD DE MAUPERTUIS – Ce n'est pas possible, Sophie nous en a parlé, non ?

OPHÉLIE BELLAIR – Comme tu dis, elle en a parlé. Nous l'avons tous entendue. Mais rien n'est écrit. Souviens-toi de sa réponse, hier, lorsque nous lui avons posé la question...

MARIE-BÉATRICE COLLARD DE MAUPERTUIS – Eh bien elle a dit... je ne me souviens plus vraiment...

SÉBASTIEN LECRAMPON – Moi je me souviens. Elle a dit que tout serait fait selon les termes des contrats que nous avons signés.

CLARA LONGERIVE – Attends, tu as vu les contrats ? C'est complètement illisible ! Il faut une loupe pour tout lire. On dirait des contrats d'assurance.

OPHÉLIE BELLAIR – Je confirme. Il faut une loupe pour les lire, et il se trouve que j'en ai une. Il y a des tas de clauses sur nos obligations, sur la sécurité, la confidentialité, etc. etc., mais rien, absolument rien sur une éventuelle rémunération. Quant à un prix récompensant la ou le meilleur d'entre nous, même chose...

CLARA LONGERIVE – Mais c'est dégueulasse ! J'ai acheté plein de tenues et de produits de beauté pour être élégante, et tout ça pour rien !

SIMON LÉTARD – Vous allez rire, mais je ne trouve pas de blague à raconter, sur ce coup-là...

SÉBASTIEN LECRAMPON – Je sens que je vais me la faire, la Sophie de mes deux. Elle ne perd rien pour attendre, celle-là !

CLARA LONGERIVE – Te la faire ? Tu peux me donner des détails sur la manière dont tu veux « te la faire » ?

SÉBASTIEN LECRAMPON – Pas comme cette nuit, si c'est le sens de ta question. Elle, ça m'étonnerait qu'elle en redemande !

MARIE-BÉATRICE COLLARD DE MAUPERTUIS – Bon, ça va ! Passez-nous les détails, s'il vous plaît. Il y a autre chose de plus important que vos histoires de fesses. Moi, je trouve ça choquant. Nous mentir à ce point-là ! Nous escroquer ! Et toi, Laurence, tu ne dis rien. Ça ne te fait pas réagir ?

LAURENCE CARVILLE – Eh bien, euh... je ne sais pas trop quoi dire...

OPHÉLIE BELLAIR – Tu n'es pas en colère, toi aussi, de t'être fait rouler ?

LAURENCE CARVILLE – Tu as peut-être mal lu, Ophélie, ou sauté une page ?

OPHÉLIE BELLAIR – Non, non, crois-moi. Avec le bordel qu'il y avait dans les chambres voisines, je n'ai pas fermé l'œil de la nuit et j'ai eu tout le temps de lire et relire ce foutu contrat. Je te garantis qu'il n'y a rien dedans.

SÉBASTIEN LECRAMPON – Bon, alors qu'est-ce qu'on fait, maintenant ? On continue ou on se casse ? On se bat ou on capitule ?

MARIE-BÉATRICE COLLARD DE MAUPERTUIS – De toute façon, c'est fini, la comédie de « Les jeunes ont du savoir-vivre » ! Moi je ne fais plus semblant.

LAURENCE CARVILLE – Vous pouvez peut-être essayer de négocier...

CLARA LONGERIVE – Tu dis « vous pouvez » ? tu n'as pas l'intention d'essayer de te battre ? Tu t'en fous ? Tu es richissime et tu n'as pas besoin d'argent ?

LAURENCE CARVILLE – Si, comme tout le monde... mais c'est que... je ne sais pas trop comment faire pour me battre. Alors je vous laisse prendre les initiatives.

OPHÉLIE BELLAIR – Cela dit, ton idée n'est pas mauvaise. Entre continuer de se laisser rouler et tout arrêter, il y a peut-être un intermédiaire.

CLARA LONGERIVE – Et tu as une idée ? Parce que moi...

OPHÉLIE BELLAIR – Oui, toi, on s'en doute, les idées...

CLARA LONGERIVE – Hein ? Qu'est-ce que tu dis ? Prends-moi pour une conne pendant que tu y es !

OPHÉLIE BELLAIR – Mais non, Clara, ce n'est pas vraiment ça. Mais on a compris qu'avoir des idées ne fait pas partie de tes pratiques habituelles, de tes habitudes de vie. Tu places des priorités ailleurs, quoi... mais ça ne veut pas dire que tu n'es pas capable d'en avoir, des idées.

SIMON LÉTARD – C'est vrai, ça, on ne sait jamais.

MARIE-BÉATRICE COLLARD DE MAUPERTUIS – Souviens-toi, sainte Bernadette, elle a bien vu apparaître la Vierge, alors que personne n'aurait pu l'imaginer !

CLARA LONGERIVE – Euh... oui, bon. N'en faites pas trop, quand même.

SIMON LÉTARD – Ça m'en rappelle une excellente ! Vous allez rire...

MARIE-BÉATRICE COLLARD DE MAUPERTUIS – Stop ! Ça suffit, avec tes conneries ! Je me suis forcée à rire de tes âneries depuis le début, maintenant j'en ai marre. Et les autres aussi, je crois.

SIMON LÉTARD – OK ! Merci de ta franchise, ça fait toujours plaisir... allez, je vais me servir un verre de ce machin pour digérer. Ça me remontera le moral !

LAURENCE CARVILLE – Non ! Ne bois pas, Simon !

SIMON LÉTARD – Et je peux savoir pourquoi tu m'interdirais de boire ? Tu es ma mère ? Il y a des flics dans le couloir qui vont faire un contrôle d'alcoolémie ? Tu veux tout boire toute seule ? D'ailleurs tu n'as rien bu !

CLARA LONGERIVE – C'est vrai, ça ! Tu commences par refuser de boire avec nous, et maintenant tu veux empêcher Simon de boire !

LAURENCE CARVILLE – Euh... c'est plein d'alcool, de sucre et de colorants, ce machin, un vrai poison ! J'ai du jus de fruit bio dans ma chambre, vous voulez que j'aille en chercher ? Ce sera meilleur !

MARIE-BÉATRICE COLLARD DE MAUPERTUIS – Je ne dis pas non. C'est vrai que leur cocktail a comme un arrière-goût bizarre. Je ne sais pas ce qu'ils mettent dedans, mais ça ne doit pas être très bon pour la santé.

LAURENCE CARVILLE – J'y vais, je reviens tout de suite avec de bonnes bouteilles ! Attendez-moi pour boire. (elle sort)

Scène 8

OPHÉLIE BELLAIR – Et en attendant, qu'est-ce qu'on décide par rapport à Sophie ?

SÉBASTIEN LECRAMPON – On peut lui pourrir son truc ! Elle veut que l'on soit très aimables ! Faisons semblant de nous engueuler, d'être vulgaires...

MARIE-BÉATRICE COLLARD DE MAUPERTUIS – Et si c'était justement ça qu'elle voulait ? Parce que si ce n'est pas pour passer à la télé, même si on n'est pas payés, à quoi ça sert, tout ce bidule ? Quel est l'intérêt ?

OPHÉLIE BELLAIR – C'est vrai. Je ne m'étais pas posé la question, mais c'est quand même bizarre. À quoi ça peut servir de faire vivre une semaine en communauté six personnes en leur demandant d'être le plus courtois possible ?

SIMON LÉTARD – Une chose est sûre, c'est qu'ils doivent nous observer, nous filmer, télé ou pas. Sinon ça ne sert strictement à rien.

CLARA LONGERIVE – Ça ne doit pas être regardé en direct, sinon la grande Sophie aurait déjà rappliqué !

SÉBASTIEN LECRAMPON – Profitons-en pour réfléchir vite et prendre une décision.

OPHÉLIE BELLAIR – Si elle veut observer nos rapports et leur évolution, c'est que nous avons quelque chose de particulier, sinon ce n'est pas intéressant.

SIMON LÉTARD – Attends, on n'est pas des mutants, ni des célébrités. Et nous n'avons pas vécu de choses extraordinaires. Enfin du moins pour ce qui me concerne.

MARIE-BÉATRICE COLLARD DE MAUPERTUIS – Alors c'est qu'il y a un élément extérieur qui va nous faire évoluer et elle veut mesurer, analyser cette évolution.

CLARA LONGERIVE – Quel élément extérieur ? Bon. J'en ai marre d'attendre Laurence, j'ai soif, je me sers un verre...

SIMON LÉTARD – Stop !

CLARA LONGERIVE – Ben quoi ? Tu t'y mets toi aussi ? Tu rejoins Laurence dans la ligue antialcoolique ?

MARIE-BÉATRICE COLLARD DE MAUPERTUIS – Simon a raison, Clara. Je crois que sans le vouloir tu as mis le doigt sur le fameux élément extérieur que nous cherchions...

CLARA LONGERIVE – Le cocktail ?

SIMON LÉTARD – Mais bien sûr ! C'est évident, maintenant ! Je me souviens, tout à l'heure lorsque nous sommes arrivés avec Marie-Béatrice. Nous étions d'excellente humeur, non ?

MARIE-BÉATRICE COLLARD DE MAUPERTUIS – Je confirme. Nous venions pour faire la fête avec vous autres.

SIMON LÉTARD – Nous avons bu un verre... et aussitôt...

MARIE-BÉATRICE COLLARD DE MAUPERTUIS – Nous nous sommes engueulés !

SÉBASTIEN LECRAMPON – Nous aussi, exactement pareil juste avant vous !

OPHÉLIE BELLAIR – Attendez... il y a quelque chose qui me gêne, là dedans. Laurence, qui n'a pas dit grand chose depuis un moment, qui refuse de boire de ce machin et qui empêche Simon d'en boire...

MARIE-BÉATRICE COLLARD DE MAUPERTUIS – Je pense la même chose que toi ! Elle est dans le coup ! C'est une taupe de la grande Sophie pour nous espionner. Si ça se trouve, il n'y a même pas de caméras !

CLARA LONGERIVE – Ne parlez pas si fort ! Elle va revenir d'un instant à l'autre...

SIMON LÉTARD – Mais alors, si elle est complice de Sophie, pourquoi elle m'a empêché de boire, tout à l'heure ?

MARIE-BÉATRICE COLLARD DE MAUPERTUIS – Peut-être qu'elle n'est pas très à l'aise dans ses baskets ! Et puis voir les gens se disputer, s'agresser, presque se battre, tu parles d'un boulot !

SÉBASTIEN LECRAMPON – C'est vrai qu'être payée pour ça...

SIMON LÉTARD – Oui, mais si elle a voulu m'empêcher de boire, c'est qu'elle change de camp.

CLARA LONGERIVE – On devrait quand même la piéger, histoire de l'obliger à se trahir et être sûrs de ce que l'on dit.

MARIE-BÉATRICE COLLARD DE MAUPERTUIS – Pour une fois, ce n'est pas trop con, ce que tu dis Clara.

CLARA LONGERIVE – Oh toi, ça va !

MARIE-BÉATRICE COLLARD DE MAUPERTUIS – Alors puisque tu es dans une phase d'intense activité intellectuelle, tu as peut-être une idée de la manière de la piéger...

CLARA LONGERIVE – Ben, euh...

MARIE-BÉATRICE COLLARD DE MAUPERTUIS – C'est bien ce que je pensais.

SIMON LÉTARD – Et si on la forçait à boire son poison ? Ça serait marrant, non ?

SÉBASTIEN LECRAMPON – On a déjà essayé, on n'a pas réussi. Il faudrait vraiment lui faire boire de force, et ce n'est pas mon truc.

CLARA LONGERIVE – Et si on faisait semblant de s'engueuler ? Pour voir comment elle réagit ?

OPHÉLIE BELLAIR – Bravo, Clara ! Ça c'est une idée ! Tu vois, quand tu veux, tu peux avoir des idées... On prend tous un verre à la main et on s'engueule !

MARIE-BÉATRICE COLLARD DE MAUPERTUIS – Non, c'est trop direct. Surtout pas de verre à la main, comme ça on verra si c'est elle qui parle du cocktail...

CLARA LONGERIVE (qui regarde vers le couloir depuis quelques répliques) – On y va, elle arrive... (changeant de ton) Putain merde ! Vous avez fini de me prendre pour une conne !

Scène 9

SÉBASTIEN LECRAMPON – Eh, ça va, la poupée Barbie, ferme ta gueule !

SIMON LÉTARD – Et celle-là, tu la connais ? Que dit-on d'une blonde avec la moitié d'un cerveau ? - Qu'elle est douée !

MARIE-BÉATRICE COLLARD DE MAUPERTUIS – Génial ! Super drôle !

CLARA LONGERIVE – (à mi-voix) N'en faites pas trop, quand même ! (à voix normale) Vos gueules ! Vous commencez à me faire chier, depuis tout à l'heure ! Vous vous êtes regardés, avec vos petites gueules de cons !

OPHÉLIE BELLAIR – Parle pour toi, la chaudasse !

LAURENCE CARVILLE – Doucement, les amis, doucement ! Tenez, je vous apporte le jus de fruit ! Vous auriez quand même pu m'attendre, pour boire ! Je vous avais dit que j'allais chercher ce qu'il faut !

OPHÉLIE BELLAIR – Ben ? Qu'est-ce qui te fait dire que nous avons bu ?

LAURENCE CARVILLE – Eh bien... je ne sais pas, moi... vous avez l'air un peu ivres, non ?

SÉBASTIEN LECRAMPON – Ivres ? Tu trouves que nous avons l'air d'être bourrés ?

LAURENCE CARVILLE – Eh bien, heu... un petit peu...

CLARA LONGERIVE – Tu es sûre qu'il n'y a pas autre chose ?

SIMON LÉTARD – Cherche bien, Laurence...

MARIE-BÉATRICE COLLARD DE MAUPERTUIS – Hein ? Il n'y a pas un indice qui t'aurait fait croire que nous avions bu du cocktail ?

LAURENCE CARVILLE – Vous... vous avez deviné...

OPHÉLIE BELLAIR – Deviné quoi, chère Laurence ?

MARIE-BÉATRICE COLLARD DE MAUPERTUIS – Que tu te moques de nous depuis le départ ?

SÉBASTIEN LECRAMPON – Et que Sophie et son acolyte aussi ?

CLARA LONGERIVE – Que nous ne sommes que des sortes de cobayes pour boire un machin qui rend fou ?

SIMON LÉTARD – C'est quoi, ce soi-disant cocktail ? Un poison ? Un excitant ?

LAURENCE CARVILLE – Bon, OK, je vous dis tout... De toute façon je fais ce sale boulot à reculons depuis le départ, j'en ai ma claque.

OPHÉLIE BELLAIR – Alors vas-y, nous t'écoutons.

LAURENCE CARVILLE – Eh bien voilà. En fait, je suis psychologue et fais partie du service de recherche dirigé par Sophie Desrente, ou plutôt le professeur Sophie Desrentes. Ce service de recherche fait partie du laboratoire pharmaceutique Cerdos. Nous travaillons actuellement sur un produit qui s'appelle le Clakomine, lequel est destiné à augmenter l'agressivité de ceux qui le consomment.

SIMON LÉTARD – Augmenter l'agressivité ? Mais à quoi ça sert, d'augmenter l'agressivité ? Tu trouves qu'il n'y en a pas assez comme ça, de l'agressivité ?

LAURENCE CARVILLE – Moi si. Je pense comme toi. Mais nous sommes dans une logique capitaliste. On de ne développe pas en priorité des produits pour soigner les gens, mais des produits qui se vendent.

SIMON LÉTARD – Vu ce que je viens d'entendre, je n'ai pas besoin de ton Clakomachin pour être en colère... Et les pontes de ton laboratoire, tu es sûre qu'ils n'ont pas pris du « Rend con-mine » ? Le produit qui rend con ?

LAURENCE CARVILLE – Je te comprends complètement, Simon, mais ils vivent sur une autre planète. La planète pognon. Ils ne voient la vie qu'au travers de tableaux de chiffres, de bilans et de comptes d'exploitation.

SIMON LÉTARD – Et ils croient sérieusement que des gens vont aller à la pharmacie et demander un produit qui met en colère ? Il est où, l'intérêt ?

LAURENCE CARVILLE – L'intérêt ? Le marché est immense, Simon. L'armée, d'abord. Ou plutôt les armées du monde entier. Un bon conditionnement idéologique, un comprimé de Clakomine et c'est parti, on va au casse-pipe sans état d'âme et avec une énergie du tonnerre !

SIMON LÉTARD – Charmant. Mais c'est vrai que ça fait déjà un marché énorme...

LAURENCE CARVILLE – Et ce n'est pas tout, Simon. Le milieu sportif est aussi preneur. À des doses un peu moins fortes, il ne faut pas que les athlètes se battent entre eux, quand même, mais qu'ils aient davantage d'agressivité. Et quand tu voies les sommes astronomiques auxquelles sont rémunérés les footballeurs, pour ne citer qu'eux... tu imagines l'intérêt des managers sportifs... Surtout que ce n'est pas un produit dopant.

SIMON LÉTARD – C'est promis, je ne regarderai plus un match à la télé !

LAURENCE CARVILLE – Et ce n'est pas tout. À des doses encore un peu plus faibles, c'est le produit idéal pour stimuler les commerciaux, les cadres, les étudiants pour les examens, les ouvriers à la chaîne... j'en passe et des meilleures. Les hommes politiques pendant les périodes électorales, etc.

SIMON LÉTARD – Et tout ça au nom de l'argent...

SÉBASTIEN LECRAMPON – Et nous, là-dedans ?

LAURENCE CARVILLE – Vous ? Vous étiez sensés nous aider à doser le produit, à mesurer sa durée d'action dans le sang, à voir les éventuels effets secondaires...

SIMON LÉTARD – Des cobayes, quoi.

MARIE-BÉATRICE COLLARD DE MAUPERTUIS – Et la télévision ?

LAURENCE CARVILLE – Vous êtes filmés, c'est vrai, mais uniquement en interne. Il n'y a même personne qui regarde les images. Elles seront analysées après coup.

CLARA LONGERIVE – Quant à notre rémunération...

LAURENCE CARVILLE – Il n'y en aura pas. Les contrats sont rédigés par nos experts juridiques qui sont des maîtres de l'embrouille.

OPHÉLIE BELLAIR – J'ai passé la nuit à les déchiffrer, et c'est bien ce que j'avais compris. Hélas.

SIMON LÉTARD – Bref, nous nous sommes fait rouler en long, en large et en travers. Et en plus pour participer à un projet malfaisant... C'est rare, mais je ne trouve pas de blague rigolote à raconter. Pour résumer la situation : j'ai les boules.

LAURENCE CARVILLE – Et maintenant que vous savez tout. Qu'est-ce que vous comptez faire ?

SIMON LÉTARD – Pas compliqué. Je file dans ma chambre récupérer mes bagages, et je me casse. Et je crois que je ne serai pas le seul. Pas vrai, les collègues de « Les jeunes ont du savoir-vivre » ?

CLARA LONGERIVE – Sans attendre une heure de plus. Et sans prendre un pot d'adieu avec ce poison de merde... Les jeunes ont du savoir partir !

LAURENCE CARVILLE – Je serais vous, je m'abstiendrais... n'est-ce pas, Ophélie ?

SIMON LÉTARD – Pourquoi Ophélie ? Elle est complice elle aussi ?

LAURENCE CARVILLE – Non, bien sûr. Mais elle a lu les contrats, elle !

OPHÉLIE BELLAIR – Exact. Et si nous partons avant la fin de la semaine, non seulement nous ne serons pas payés, mais en plus nous devrons dédommager le laboratoire pour n'avoir pas rempli notre engagement...

SIMON LÉTARD – Tu plaisantes !

OPHÉLIE BELLAIR – J'aimerais.

SIMON LÉTARD – Alors on est coincés !

CLARA LONGERIVE – Eh bien moi, je refuse de me laisser avoir comme cela sans réagir.

MARIE-BÉATRICE COLLARD DE MAUPERTUIS – Le problème c'est qu'il nous faudrait une grosse bonne idée pour s'en sortir avec honneur.

CLARA LONGERIVE – Moi, j'en ai une (silence général) Oh ! Ne me regardez pas comme ça ! Je sais que vous m'avez collé la réputation d'être une imbécile mais faut pas exagérer quand même. C'est trop facile ! Dans cette société, soit une femme est jolie, soit elle est intelligente. Mais pas les deux. Surtout pas les deux ! Si je joue le jeu, c'est que ça m'arrange. Vous n'imaginez pas tout ce que l'on peut apprendre quand les gens vous prennent pour une imbécile. Tous les avantages que l'on peut en tirer. Ils se laissent aller, ils se découvrent plus facilement, certains que l'on ne comprendra rien... le problème c'est que ce n'est qu'une apparence. Et dès que l'occasion s'en présente : paf ! Un coup sur le museau, le vilain macho !

SÉBASTIEN LECRAMPON – Bon, ça va, la leçon de morale. C'est quoi ton idée ?

CLARA LONGERIVE – Voilà. Je vous propose que nous lui donnions une bonne leçon. Elle a voulu jouer aux apprentis sorciers avec nous ? Eh bien nous allons la servir ! Nous allons nous exprimer avec elle de manière complètement incohérente. Comme si son Clakotruc nous avait bouffé les neurones. Comme si nous avions un cerveau d'huître.

SÉBASTIEN LECRAMPON – Je comprends que ce soit toi qui aies eu cette idée. Tu n'auras pas à te forcer...

CLARA LONGERIVE – Oh le mufle ! Tu as une idée à proposer, monsieur le génie ? (un temps) Non ? Alors ferme ta gueule. Je poursuis. Ce sera plus marquant si nous retournons tous dans nos chambres et ne revenons que les uns après les autres. Sa panique va augmenter à chaque nouvel arrivant réduit à l'état de légume. Et surtout, il faut que Laurence arrive en dernier, qu'elle ne puisse pas lui demander ce qui se passe et ne pas mettre Laurence en mauvaise posture. Officiellement, Laurence ne nous a rien dit. Tout le monde est d'accord ?

SÉBASTIEN LECRAMPON – Yes, chief !

CLARA LONGERIVE – Allez, tout le monde dehors. Je propose que Simon reste et fasse semblant d'avoir bu. D'accord ? Et puis vidons cette bouteille dans ce vase, elles croiront que nous avons bu leur poison.

SIMON LÉTARD – Tu peux compter sur moi, Clara. Allez, filez tous avant qu'elle n'arrive. (ils sortent sauf Simon)

Scène 10

JULIE VERTARD (une bouteille à la main) – Bonjour Simon ! Vous êtes seul ? Vos amis ne sont pas là ?

SIMON LÉTARD – Mes amis ? Quels amis ?

JULIE VERTARD – Ah ? Eh bien disons vos collègues de « Les jeunes ont du savoir-vivre ». Oh, mais je vois que vous avez tout bu. J'ai bien fait de vous en apporter d'autre !

SIMON LÉTARD – Je peux vous demander quelque chose, mademoiselle ?

JULIE VERTARD – Faites, je vous en prie.

SIMON LÉTARD – À quelle heure est-ce qu'il passe ?

JULIE VERTARD – ... Euh... je ne sais pas. Quelqu'un doit passer ?

SIMON LÉTARD – Pas quelqu'un ! Le troupeau d'éléphants. Ils sont déjà passés tout à l'heure. Je voudrais bien retourner dans ma chambre mais j'ai peur de me faire écraser. Vous comprenez...

JULIE VERTARD – …. Ah ? Le troupeau... ça va, monsieur Létard ? Vous vous sentez en pleine forme ?

SIMON LÉTARD – Oui, oui... un peu inquiet, simplement.

JULIE VERTARD – Inquiet ?

SIMON LÉTARD – Ben oui, les éléphants...

JULIE VERTARD – Oui, oui, bien sûr. Les éléphants. Où avais-je la tête ?

CLARA LONGERIVE (qui entre) – Ouf ! Je n'en peux plus. Je suis littéralement crevée ! Quel boulot !

JULIE VERTARD – Oh ! Ne me dites pas que vous êtes venue ici pour travailler ! Au contraire, profitez-en pour vous reposer !

CLARA LONGERIVE – Pourtant il fallait bien le faire ! Si je n'avais pas pris la peine de le faire, personne ne l'aurait fait à ma place. D'ailleurs, à ce sujet, votre résidence manque quand même un peu d'entretien. Je trouve surprenant que ce soient nous les pensionnaires qui ayons à effectuer ce genre de corvée !

JULIE VERTARD – Corvée ? Quelle corvée ?

CLARA LONGERIVE – La pelouse ! Je viens de passer la tondeuse dans la salle de bains ! Et il était temps, l'herbe était haute comme ça ! (elle fait le geste)

JULIE VERTARD – La pelouse dans la salle de bains ?

CLARA LONGERIVE – Ça vous étonne ? Avec l'humidité qu'il y a ?

JULIE VERTARD – Euh... non, non... Excusez-nous pour cette négligence. Et merci de l'avoir fait. (à elle-même) Ils ont fumé un truc, c'est pas possible autrement...

MARIE-BÉATRICE COLLARD DE MAUPERTUIS (qui entre) – Ça y est, c'est rebouché ! Ça n'a pas été facile, mais c'est fait ! Oh, bonjour Julie, vous allez bien ?

JULIE VERTARD – Oui, oui... merci. Et vous ?

MARIE-BÉATRICE COLLARD DE MAUPERTUIS – Maintenant que c'est réparé, je me sens mieux. J'avais peur que vous m'accusiez.

JULIE VERTARD – Quelque chose était cassé dans votre chambre ?

MARIE-BÉATRICE COLLARD DE MAUPERTUIS – Les toilettes ! Il y avait une sacré fuite, même ! Mais ça va mieux, ça ne fuit presque plus.

JULIE VERTARD – Une fuite dans les toilettes ?

MARIE-BÉATRICE COLLARD DE MAUPERTUIS – Eh oui ! Imaginez-vous que chaque fois que je tirais la chasse, l'eau (et le reste) partait aussitôt par un énorme trou qu'il y avait au fond ! Mais un vrai trou ! Gros comme ça (elle montre) !

JULIE VERTARD – Et... ça vous embêtait ?

MARIE-BÉATRICE COLLARD DE MAUPERTUIS – Pas tellement pour moi. Après tout, ce sont vos toilettes, vous en faites ce que vous voulez. Mais j'avais peur d'être accusée d'avoir fait ce trou. Mais maintenant rassurez-vous, je l'ai bien bouché et l'eau ne part presque plus !

JULIE VERTARD – Mais alors... le reste aussi...

MARIE-BÉATRICE COLLARD DE MAUPERTUIS – Notez bien que ça n'a pas été facile ! Mais bon, avec beaucoup de papier bien tassé, je suis arrivé à bien reboucher ce fameux trou. Vous pouvez me remercier !

JULIE VERTARD (à elle-même) – Eh bien, on n'est pas dans la merde. Ils sont tous les trois complètement shootés... (aux autres) Je peux vous poser une question ?

SIMON LÉTARD – Je vous en prie, Julie.

JULIE VERTARD – Vous n'auriez pas, par hasard, fumé ou consommé de la drogue ?

CLARA LONGERIVE – Pour qui nous prenez-vous ? La seule herbe que j'aurais pu fumer, c'est celle que j'ai tondue !

MARIE-BÉATRICE COLLARD DE MAUPERTUIS – Bien sûr que non ! Nous n'avons rien consommé depuis hier soir. À part votre cocktail, bien sûr. Fameux, d'ailleurs. Je crois que nous avons tout bu.

JULIE VERTARD – Ah ?

OPHÉLIE BELLAIR (accompagnée de Sébastien) – Excusez-nous d'arriver si tard, mais nous avons eu un mal fou à nous garer. Il y a un de ces embouteillages dans le couloir ! (Julie court vers le couloir regarder et revient, de plus en plus inquiète)

SÉBASTIEN LECRAMPON – Vous savez si les flics passent souvent, Julie ? Parce que je n'ai pas mis de ticket de stationnement, et je ne voudrais pas avoir une amende.

SIMON LÉTARD – Tu n'es pas garé devant le plan d'eau, au moins, parce qu'avec les éléphants...

SÉBASTIEN LECRAMPON – Les élé... aucun risque ! Je les ai vus partir vers le cinéma. Dans l'autre direction.

SIMON LÉTARD – Ah, tu me rassures. Alors je vais pouvoir retourner dans ma chambre sans risquer de ma faire écraser.

LAURENCE CARVILLE – Bonjour, tout le monde ! Ça va ?

JULIE VERTARD – Ah doct... euh... Laurence. Ça va, merci. Vous... vous n'avez rien remarqué d'anormal ?

LAURENCE CARVILLE – Quelque chose d'anormal ? Ma foi non. Et vous, mes amis, vous avez remarqué quelque chose ?

CLARA LONGERIVE – Non, non. Tout va bien. Pourquoi ?

LAURENCE CARVILLE – C'est Julie qui me pose la question.

CLARA LONGERIVE – Bon, ben c'est pas le tout, mais je vous laisse, il faut que j'aille tailler mes rideaux. Ça pousse à une vitesse en cette saison ! Ils sont à ça du sol (elle montre) ! Si je ne les taille pas vite fait, demain ils frottent par terre. Il faut dire que j'ai mis ce qu'il faut comme engrais...

OPHÉLIE BELLAIR – Tu t'y connais en taille de rideaux ! Tu veux bien me montrer, je rêve d'apprendre. J'en ai marre de toujours faire venir un tailleur à la maison pour les miens.

CLARA LONGERIVE – Avec plaisir, Ophélie. Allons-y. (elles sortent)

SIMON LÉTARD – Et moi j'en profite pour rentrer pendant que les éléphants sont partis au cinéma. À plus tard, les amis !

SÉBASTIEN LECRAMPON – Je t'accompagne, il faut que je donne un coup de peigne à ma voiture, elle était toute ébouriffée tout à l'heure. Si ça continue, elle va me faire la gueule, et après, elle refuse de démarrer. Tu sais comment elles sont ! (ils sortent)

MARIE-BÉATRICE COLLARD DE MAUPERTUIS – Moi, je trouve ça bizarre, pas vous, Julie ?

JULIE VERTARD – Bizarre ? J'ai l'impression d'être chez les fous !

MARIE-BÉATRICE COLLARD DE MAUPERTUIS – Je n'irai pas jusque-là, quand même. Mais je trouve qu'il en cède trop à sa voiture. Personnellement, je ne supporterais pas que ma voiture me parle comme la sienne. Mais je suis une femme, c'est peut-être la raison...

JULIE VERTARD – Vous...

MARIE-BÉATRICE COLLARD DE MAUPERTUIS – Après tout, cela ne nous regarde pas. Ce sont leurs histoires de garage. Sur ce, je vous laisse, je vais aller réparer ma langouste. À tout à l'heure, Julie. (elle sort)

Scène 11

JULIE VERTARD – Vous avez entendu ce que j'ai entendu, docteur ?

LAURENCE CARVILLE – Oui, pourquoi ?

JULIE VERTARD – Et vous trouvez leur conversation normale ?

LAURENCE CARVILLE – Oui, pourquoi ?

JULIE VERTARD – Et vous avez bu vous aussi du Clakomine ?

LAURENCE CARVILLE – Oui, pourquoi ?

JULIE VERTARD – Pour rien... (elle prend son téléphone) Allô ? Professeur ? Je crois que nous avons un léger problème, professeur... au sujet des effets du... cocktail (on sent qu'elle ne veut pas parler devant Laurence) Excusez-moi un instant, professeur ! (à Laurence) Dites, docteur, vous ne voudriez pas aller voir si la taille des rideaux se passe bien ? J'ai peur qu'elles ne se blessent...

LAURENCE CARVILLE – Vous avez raison, Julie. Il vaut mieux être prudent avec ces choses là. Surtout que ce sont des rideaux sauvages, tout juste apprivoisés. (elle sort)

JULIE VERTARD (atterrée) – C'est grave, professeur ! Même le docteur Carville ! Ils sont tous fous. Ils tiennent des propos complètement incohérents ! J'ai peur, professeur ! … Merci, professeur.

Scène 12

PROFESSEUR SOPHIE DESRENTES (qui arrive quelques instants après) – Qu'est-ce qui se passe, encore, Julie ? J'espère que vous ne me dérangez pas pour rien !

JULIE VERTARD – J'ai la trouille, professeur. Ils disent tous n'importe quoi. Simon a vu un troupeau d'éléphants traverser le couloir, Sébastien est parti peigner sa voiture...

PROFESSEUR SOPHIE DESRENTES – Peindre. On dit peindre une voiture et peigner la girafe, Julie. Probablement une voiture miniature. Ce doit être un collectionneur fétichiste. Un cas intéressant pour Laurence.

JULIE VERTARD – Le docteur Carville aussi, professeur. Elle est partie voir si Clara et Ophélie ne se blessent pas en taillant les rideaux ! Et Marie-Béatrice a bouché les toilettes parce qu'elle n'arrivait pas à les remplir et maintenant elle est partie réparer sa langouste...

PROFESSEUR SOPHIE DESRENTES – Cela ne me semble pas si grave. Tailler les rideaux, pourquoi pas ? Si elle veut leur donner une forme particulière. Faire de la décoration.

JULIE VERTARD – Ce n'est pas ça ! Elle en parle comme si c'était des plantes qui poussent ! Elle veut les tailler pour ne soient pas trop long !

PROFESSEUR SOPHIE DESRENTES – Vous avez dû mal comprendre. N'oubliez pas que vous n'êtes qu'une subalterne, ma petite Julie.

JULIE VERTARD – Ça va, avec votre suffisance et votre air supérieur ! Je ne suis pas plus bête qu'une autre ! Je sais ce que j'ai entendu. Ils sont tous fous. C'est votre Clakomine que les a rendus dingues ! À vouloir accélérer le mouvement, clore l'expérience plus tôt et augmenter les doses, vous leur avez grillé le cerveau !

PROFESSEUR SOPHIE DESRENTES – Comment ? De la rébellion ? Taisez-vous, insolente ! Cela ne vous regarde pas, ce qui peut arriver aux cobayes... enfin, je veux dire aux testeurs volontaires.

JULIE VERTARD – Volontaires ! Vous êtes gonflée dans votre genre ! Vous leur avez dit, ce qu'il y a dans votre fameux cocktail ? Vous leur avez dit qu'ils ne seraient pas payés ?

PROFESSEUR SOPHIE DESRENTES – Silence ! C'est moi qui commande, ici. Vous, vous obéissez, quoiqu'il arrive.

JULIE VERTARD – J'ai une conscience, moi ! Et je ne supporte pas d'être complice de l'abrutissement de ces pauvres gens ! Ce que vous faites est complètement illégal ! Mais au nom du fric on ferait n'importe quoi, aujourd'hui ! Et comme le groupe pour lequel nous travaillons a les moyens d'acheter les tribunaux, vous pouvez magouiller en toute impunité ! Mais vous ne l'emporterez pas au Paradis !

PROFESSEUR SOPHIE DESRENTES – Aucun risque, le Paradis n'existe pas. Pas plus que votre morale à deux balles. C'est la loi de la vie, ma petite. Depuis des millions d'années, bien avant que l'humanité n'existe. C'est le plus fort qui survit, les autres disparaissent. La loi de la jungle, le libéralisme, c'est ça la véritable écologie. Alors vos états d'âme de midinette, vous les remballez ou vous pouvez estimer que votre contrat dans cette entreprise touche à sa fin. Compris sœur Emmanuelle ?

Scène 13

SIMON LÉTARD (accompagné de Marie-Béatrice) – Ah, Sophie ! Vos tombez bien ! Nous sommes très embêtés. Figurez-vous que nous étions en train de pêcher le saumon dans la baignoire de Marie-Béatrice – la sienne est orientée nord-sud, c'est beaucoup mieux que la mienne qui est est-ouest, surtout que le vent vient de l'ouest – quand tout à coup que voyons-nous ? Je vous le donne en mille ?

PROFESSEUR SOPHIE DESRENTES – Heu... je ne sais pas...

MARIE-BÉATRICE COLLARD DE MAUPERTUIS – Un chalutier ! C'est inadmissible, n'est-ce pas ? De quoi se mêle-t-il, ce chalutier, qui vient troubler notre partie de pêche ?

JULIE VERTARD – Vous voyez, pr... Sophie, ce que je vous disais...

PROFESSEUR SOPHIE DESRENTES – Attendez, attendez... vous pouvez me répéter, ce que vous venez de m'expliquer ? Je crois qu'il y a un détail qui m'échappe.

OPHÉLIE BELLAIR (accompagnée de Sébastien et Clara) – Ah, bonjour Sophie ! Vous tombez bien, nous avons un gros problème. Il nous arrive quelque chose d'incroyable.

PROFESSEUR SOPHIE DESRENTES – Ça m'étonnerait ! Après ce que je viens d'entendre, plus rien ne peut me surprendre...

SÉBASTIEN LECRAMPON – Alors voilà. Nous étions en train de tirer à la courte-vache pour savoir laquelle ou lequel de nous trois serait de corvée de foin pour lustrer les coquillettes, quand tout à coup...

JULIE VERTARD – Ça va, Sophie, vous êtes toute pâle ? Asseyez-vous, ça ira mieux...

CLARA LONGERIVE – C'est vrai, vous n'avez pas l'air dans votre centrifugeuse. Tenez, buvez un compresseur, ça vous fera du bien.

PROFESSEUR SOPHIE DESRENTES – Non ! Surtout pas !

OPHÉLIE BELLAIR – Pourquoi ? Vous n'aimez pas les pendules comtoises ?

JULIE VERTARD (avec un certain sadisme) – Allez, Sophie, un petit effort pour faire plaisir à nos concurrents de « Les jeunes ont du savoir-vivre »...

PROFESSEUR SOPHIE DESRENTES – (à mi-mot à Julie) Vous, je vous retiens ! (à haute voix) Non, non, sans façon... je ne veux pas de ce pois... de cette boisson !

JULIE VERTARD – Vous avez tort, Sophie... regardez, ils sont en pleine forme, après en avoir bu votre cocktail, eux. Vous devriez en faire autant ! (elle approche un verre plein à la main)

PROFESSEUR SOPHIE DESRENTES – Non ! Ne m'approchez pas ! Vous êtes virée, Julie !

JULIE VERTARD – Vous croyez vraiment que c'est moi, qui vais être virée ?

Scène 14

LAURENCE CARVILLE – J'arrive peut-être un peu tôt... vous n'avez pas terminé ?

PROFESSEUR SOPHIE DESRENTES – Laurence ! Où étiez-vous passée ? J'ai cru qu'ils vous avaient séquestrée !

SIMON LÉTARD – Et pourquoi l'aurions-nous séquestrée, chère Sophie ?

JULIE VERTARD – C'est vrai, ça, Sophie, pourquoi ?

SÉBASTIEN LECRAMPON – Parce que nous avons découvert à quel jeu vous jouez, peut-être ? Que vous essayez de nous empoisonner et de nous escroquer, peut-être ?

PROFESSEUR SOPHIE DESRENTES (qui comprend) – Tiens, vous n'êtes plus fous, tout à coup ! Vous vous êtes bien moqués de moi !

JULIE VERTARD – J'avoue que moi aussi j'y ai cru... bravo pour l'idée, mais vous auriez pu me prévenir, quand même !

CLARA LONGERIVE – Pourquoi vous prévenir ? Vous êtes la complice de Sophie, il me semble...

JULIE VERTARD – Complice par force, et à reculons.

PROFESSEUR SOPHIE DESRENTES – Une traitre et une rebelle, plutôt ! Julie, dehors, je vous ai déjà dit que vous êtes virée !

JULIE VERTARD – Je sortirai si je veux, madame le professeur Sophie Desrentes ! Parce que j'en ai marre d'être votre souffre-douleur, de trembler devant vos moindres caprices ! Je ne supporte plus d'être la femme de chambre du professeur Foldingue qui se croit le maître du monde ! D'une empoisonneuse qui tuerait père et mère pour du pognon et la gloire !

PROFESSEUR SOPHIE DESRENTES – Silence ! Sans moi vous n'êtes rien !

JULIE VERTARD – Je suis moi-même et ça me suffit. Mais imaginez-vous que quand les journalistes vont savoir ce que vous magouillez dans votre laboratoire, vous risquez de changer de standing, très chère madame le professeur ! Avec tous ces pauvres gens qui vont témoigner, vous risquez même peut-être d'être logée aux frais de l'État dans une bonne vieille prison !

PROFESSEUR SOPHIE DESRENTES – Vous n'y pensez pas ? Vous n'oseriez pas ? Après tout ce que j'ai fait pour vous !

JULIE VERTARD – Et vous avez fait quoi pour moi ?

PROFESSEUR SOPHIE DESRENTES – …

LAURENCE CARVILLE – Bien. L'abcès est crevé, les masques sont tombés, mais que fait-on pour sortir de cette situation ?

PROFESSEUR SOPHIE DESRENTES – Écoutez, je vous propose un compromis. Vous terminez la semaine comme convenu, vous vivez cela comme une semaine de vacances. J'expliquerai à ma direction que le Clakomine est inefficace, et je m'engage à les convaincre de vous payer comme il était convenu. Bien sûr, il n'y aura pas de prix spécial au vainqueur, puisqu'il n'y aura pas de vainqueur...

SIMON LÉTARD – Pourquoi pas ? Après tout, nous n'avons rien à perdre, et autant prendre un peu de vacances tous frais payés, et même plus. Vous en pensez quoi, les copains ?

JULIE VERTARD – Vous n'allez pas mordre à l'hameçon, quand même ! Pour vous ça va aller, bien sûr ! Vous passez votre petite semaine de vacances, vous touchez votre petit chèque à la sortie, et c'est reparti, la vie reprend comme avant. Mais qu'est-ce que vous croyez qu'ils vont faire, les affreux, juste après, Sophie en tête ?

PROFESSEUR SOPHIE DESRENTES – Julie, je vous en prie, vous dépassez vos prérogatives !

JULIE VERTARD – Ta gueule, toi ! Vous savez ce qu'ils vont faire ? Ils vont recommencer avec d'autres ! Ils vont un peu mieux ficeler le paquet cadeau, histoire de ne pas se planter comme aujourd'hui, et au bout du compte, ils vont la commercialiser, leur saloperie !

MARIE-BÉATRICE COLLARD DE MAUPERTUIS – Vous croyez, Julie ?

JULIE VERTARD – Bien sûr ! Et quand vous aurez des enfants, dans quelques années, vous avez envie qu'on les empoisonne pour les rendre plus compétitifs, plus performants ? Qu'on en fasse des machines à vendre, des machines à jouer au foot ? Des machines à étudier ? Des machines à tuer ?

OPHÉLIE BELLAIR – C'est vrai que vu sous cet angle...

CLARA LONGERIVE – Alors qu'est-ce qu'on fait ?

JULIE VERTARD – Une seule solution, celle que je proposais tout à l'heure. On fait éclater un bon gros scandale ! Je sais que tôt ou tard ils recommenceront. Je ne me fais pas d'illusion. Mais au moins, ça les ralentira quelques années.

PROFESSEUR SOPHIE DESRENTES – Vous m'av...

JULIE VERTARD – Ta gueule !

PROFESSEUR SOPHIE DESRENTES – Mais, Jul...

JULIE VERTARD – T'as compris ? Tu te tais ! Je ne veux plus t'entendre ! Tu n'es qu'un monceau d'ignominie ! Un tas d'immondices puant !

MARIE-BÉATRICE COLLARD DE MAUPERTUIS – Laissez-la parler, Julie, il ne faut pas faire aux autres ce qu'on leur reproche de nous avoir fait. Je sais que vous ne voulez pas que je parle de mes valeurs chrétiennes, mais là...

JULIE VERTARD – OK... Vas-y, la salope, crache ton dernier jet de venin.

PROFESSEUR SOPHIE DESRENTES – Vous y allez un peu fort, Julie. Profitez-en bien que vous êtes en position de force... ce que je voulais dire, c'est que vous m'avez convaincue. Je vais vous aider à monter le dossier pour la presse. De plus je connais bien le journalistes, ça pourra aider. Après tout moi aussi j'en ai marre de ce boulot. Je me suis laissé emporter parce que j'étais toujours le nez dans le guidon. Je gagne beaucoup d'argent mais je n'ai aucune vie personnelle. C'est boulot-boulot et de temps en temps dodo. Je vais me recycler dans un laboratoire où l'on fabrique de vrais médicaments pour soigner ceux qui en ont besoin. Je n'ai qu'une parole, vous pouvez me faire confiance.

SÉBASTIEN LECRAMPON – Confiance ? On a vu ce qu'elle vaut, votre parole, hier !

PROFESSEUR SOPHIE DESRENTES – Vous doutez ? Eh bien je vais vous prouver que vous avez tort ! (elle prend son téléphone, compose un numéro) Allô ? Monsieur le président ? … Professeur Desrentes au téléphone. … Très bien, monsieur le président. Je voulais vous dire, monsieur le président, que je démissionne. … Non, monsieur le président, je ne plaisante pas. Votre groupe pharmaceutique pue, monsieur le président. Il pue la mort et le pognon. Au revoir, monsieur le président. (elle raccroche et pose son téléphone sur la table) Satisfaits ?

LAURENCE CARVILLE – Effectivement, on ne peut être plus clair, et je ne crois pas que vous pourrez rester dans la société après de tels propos.

PROFESSEUR SOPHIE DESRENTES – Pour fêter ça, je vous invite toutes et tous à prendre un pot au café qui est en bas de l'immeuble !

SIMON LÉTARD – Avec plaisir, Sophie ! Nous pouvons continuer à vous appeler Sophie ?

PROFESSEUR SOPHIE DESRENTES – Je vous en prie, Simon. Allez, venez, tout le monde ! (tout le monde sort, sauf Julie et Laurence qui restent derrière)

LAURENCE CARVILLE – Tu ne viens pas, Julie ?

JULIE VERTARD – Elle a oublié son téléphone... je vais en profiter pour relever le numéro du président, on ne sait jamais, ça peut servir...

LAURENCE CARVILLE – Ce n'est pas très honnête, mais je te comprends.

JULIE VERTARD – Merde !

LAURENCE CARVILLE – Quoi, qu'est-ce qu'il y a ?

JULIE VERTARD – Elle n'a pas appelé le président ! C'est le numéro de la météo ! La garce, elle s'est foutue de notre gueule !

LAURENCE CARVILLE – Alors, qu'est-ce qu'on fait ?

JULIE VERTARD – Ce qu'on fait ? On va faire le boulot à sa place. Regarde, le numéro du président est dans son répertoire, je l'appelle. (elle appelle le président) Allô, monsieur le président ? Professeur Desrentes, au téléphone. … Oui, j'ai une drôle de voix. Un peu enrouée à force de crier après mon assistante, monsieur le président. Mais je vous appelle pour tout autre chose, monsieur le président. J'ai décidé de quitter votre entreprise d'empoisonnement public, monsieur le président. Je n'en peux plus d'être la complice de vos magouilles politico-financières, monsieur le président. Vous êtes un enfoiré, monsieur le président. Au-revoir, monsieur le président, et mes amitiés à madame. (elle raccroche)

LAURENCE CARVILLE – Mais, c'est malhonnête !

JULIE VERTARD – Pas du tout. Je suis une bonne assistante, tout simplement. La pauvre s'était trompée de numéro tout à l'heure, j'ai juste rectifié son erreur. Par pure conscience professionnelle. Allez, on les rejoint, la lutte ne fait que commencer.

NOIR FINAL

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