Retour au bled.
petit-scarabee
21h. Aéroport de Casablanca, embarquement.
Encore engourdie des six heures d'attente dans cet aéroport infernal grouillant de monde, je me traîne tel un zombie vers ma porte d'embarquement, un long soupir afflictif s'empare alors de moi lorsque je m'aperçois de l'excessivement longue file de Burkinabais, Nigériens et de ces quelques « anasaras » échoués là. Toute l'Afrique est représentée dans cet aéroport. Il faut croire qu'en six heures, le temps ne m'a pas manqué pour trouver diverses occupations, et l'une des plus amusantes se trouva être celle du catalogage des voyageurs desquels j'essayais de découvrir, d'imaginer leur histoire, leur personnalité, leur appartenance et pourquoi ils retournaient au pays. Aucune nécessité de trop inventer car j'avais en face de moi, autour de moi, un théâtre vivant où chacun est spectateur et acteur à la fois. C'est dans un aéroport qu'on découvre rapidement qu'il existe plusieurs catégories africaines. Il y a la famille de ceux qui ont l'argent, de ceux qui ne l'ont pas, de ceux qui veulent l'avoir, de ceux qui prétendent l'avoir et de ceux qui prétendent ne pas l'avoir. N'oublions pas qu'il existe plusieurs autres catégories pouvant être dérivées des premières mais les principales sont là. Les premiers, « ceux qui ont l'argent et qui ne s'en cachent pas, au contraire (souvent ce sont ces ploutocrates de première ou leur famille) » sont tous « sapés », sur leur trente et un et sont les rares qui n'adressent pas la parole aux autres, ils avancent la tête haute et passent devant tout le monde dans la file car comprenez bien : ils ont des places VIP, voyons ! J'ajouterais tout de même que ces messieurs accordent un certain intérêt aux jeunes filles et tout particulièrement à ces « gos » en jeans moulants qui sentent le parfum à plus de quatre mètres à la ronde… Certaines, habillées comme des sous-neufs ploient sous le poids du maquillage ou d'autres encore sous celui des bijoux. Tous, unis : ils parlent forts, rient forts et dégagent cette envie de vivre. Un «gajo» bling bling de la catégorie « ceux qui prétendent l'avoir » m'accoste :
« - hé ma chérie, tu vas où même ? Plus besoin de chercher d'où venait cette odeur suffocante au chocolat…. (appel à la gente masculine africaine subsaharienne : ne peut-on pas savoir doser quand on met du parfum et encore plus du déodorant surtout lorsqu'il est bientôt 22 heures, que vous avez patienté 6h enfermée sans sortir dans un aéroport certes grand mais bondé et que tout ce dont vous rêvez est d'être dans un lit ?) À la place de quoi je réponds avec mon accent africain :
- c'est qui même ta chérie ? tout de suite un de ses amis derrière lui se moque de lui dans sa langue burkinabaise, il ne s'attendait pas à ce que je lui réponde ça.
– tchié, tu as la parole hein. Pardon, je voulais juste parler un peu quoi ? Tu vas ou même ? Ouagadougou ou Niamey ?
–Niamey. – Niamey, ha c'est dommage ça, parce que moi je vais à Ouagadougou, mais si tu veux je peux venir avec toi… un racoleur aux méthodes vraiment dépassées, je ne comprendrai jamais pourquoi certaines femmes trouvent ça charmant. En outre, notre cher ami baratineur commence malencontreusement à m'agacer.
– Mon père m'attend à l'aéroport tu m'accompagnes t'es sûr ? les gens autour de nous qui entendent notre conversation gloussent.
- Y'a pas problème. Comment une fille comme toi qui rentre au pays n'est toujours pas mariée ? A ce moment là, une irrépressible envie d'envoyer sur les roses cet être lourdaud m'envahit. J'aurais dû lui dire : « comment un gars de ton âge se permet de draguer une fille plus jeune que toi d'au moins 15 ans avant de monter dans un avion pour une destination différente ? Comment te permets-tu de juger la vie de quelqu'un que tu ne connais même pas ? Comment pour toi est-ce toujours raisonnable qu'une fille doive se marier vers l'âge de ces 20 ans avec des machos irresponsables dans ton genre qui ne pensent qu'à reluquer toutes les filles plus jeunes que lui ? ». A la place je répondis froidement, en bonne et parfaite diplomate et ambassadrice de la nana française et de la nana africaine :
- Dans ce cas bon voyage, je t'attends à l'aéroport. Ainsi, je tranchais cours à notre conversation déjà vide de sens.
4 heures du matin. Niamey.
Le temps idéal. Pas trop chaud, pas trop froid : vive l'hiver au Niger, on peut être en tee-shirt sans grelotter ! On nous dirige vers un vieil autobus pour nous conduire jusqu'au petit bâtiment qui se trouve être l'aéroport national du pays. Au lieu de faire deux allers-retours, le chauffeur a préféré que nous nous serrions comme des sardines en boîte dans le bus geignant sous le poids des passagers. Je suis persuadée que ce vieux bus va craquer tôt ou tard mais au soulagement de tous, celui-ci tient le coup.
On est obligé de passer par une ‘'doctoresse ‘' qui nous applique une bien trop généreuse quantité de gel désinfectant qui dégouline sur nos mains et qui emplie la salle de cet odeur chimique d'hôpital. Une autre femme possède un ‘'pistolet à température'' et contrôle qu'aucun de nous détienne les symptômes de l'Ebola. Notre troupeau se dirige vers les contrôleurs qui comme à leur habitude sont d'une lenteur horripilante même pour tourner une page. Quand vient mon tour, je lui fourni les documents nécessaires mais, ce monsieur tout à coup pointilleux décide de me mener la tâche plus difficile, il me demande mon adresse de domicile à Niamey. Je lui réponds que je ne l'ai pas puisque je viens de déménager. Il me dit qu'il s'en moque et que je n'ai qu'à aller chercher mon père qui m'attend dehors. Personnellement, je pense que c'est un coup du karma qui me punit d'avoir été désagréable avec le macho de la porte d'embarquement à qui j'ai aussi dit d'aller voir mon père… J'essaie de raisonner ce contrôleur si consciencieux, détail d'ailleurs qui m'intrigue : il est très rare de tomber sur un contrôleur scrupuleux à l'aéroport et mon instinct me dit que ce cher monsieur doit faire parti de la catégorie «ceux qui veulent l'avoir par tous les moyens possibles ». Récapitulons : il est 4 heures du matin, je n'ai pas dormi de la nuit et j'ai six heures de vol non stop dans les pattes sans compter les heures d'attentes à Casa avant tout ça, je sors d'un bus bondé, prêt à craquer et empli de l'odeur de plus d'une cinquantaine de voyageurs n'ayant pas pu faire leur toilette depuis six heures et je suis coincée devant un contrôleur condescendant à mourir qui n'attend qu'une chose que je ne lui filerai en aucune manière. J'essaie juste de garder mon self contrôle, je suis à la limite de la crise. Et c'est là que mon sauveur apparut. En effet, notre petite scènette qui avait durée une bonne dizaine de minutes commençait à impatienter la longue queue de passager derrière moi qui, eux aussi, ne rêvaient qu'à leur lit. Les plaintes commençaient à se faire entendre. Le monsieur juste derrière moi qui devait faire parti de «ceux qui ont de l'argent et qui prétendent ne pas l'avoir quand ça les arrange et vice versa », sûrement plus impatient que les autres décida d'intervenir et aborda mon cher contrôleur « hé, mon fils, laisse la passer, c'est ma petite nièce, je connais son père, je te donne mon adresse à la place ». Le contrôleur ne pouvant contredire un de ces dignitaires du pays ne pût que se taire et s'exécuter devant mes yeux moqueurs. Je récupérais mes documents et d'une manière bien trop solennelle pour être vraie je dis au revoir à Monsieur le Pointilleux en remerciant au passage l'inconnu qui était alors derrière moi et qui m'avait sauvé soit encore de quelques longues heures d'attentes soit de perdre quelques économies.