Retour d'âge

Jean Claude Blanc

vieillir est un désastre, m'enchantent ses vertus

                       Retour d’âge

J’ai pondu, deux, trois gosses, vous passe les virgules

Tellement délaissée, j’avais le feu au cul

J’ai trop longtemps vécu, pour me fendre de scrupules

Ne vais pas vous jouer, les « Précieuses ridicules »

A remonter le temps, j’y passe mes journées

Je touche ma retraite, comme veuve éplorée

Ont dû quitter le nid, mes tendres oiselets

Trônent sur mon chevet, quelques photos fanées

Soixantaine bien sonnée, à qui pourrais-je plaire

Mon miroir me renvoie, le portrait d’une mémère

Ne m’y reconnais pas, est-ce que c’est vraiment moi

Ma beauté intérieure, hélas, ne se voit pas

Pense à la jolie fille, un peu dévergondée

Avec mes copines, écoutions SLC

Dragages et tripotages, de gamines décoincées

Qui étaient enfiévrées, de se faire désirer

Enfin me suis mariée, à peine 20 ans passés

Trop rapidement casée, j’en ai pas profité

Bellâtre plein de promesses, m’a mis la bague au doigt

Finies les amusettes, n’en faire rien qu’à sa loi

Mon humeur est changeante, souvent du vague à l’âme

Devenue respectable, on m’appelle Madame

L’album de famille, n’ose plus le feuilleter

Ne reste plus grand monde, la plupart enterrés

Mariée avec mon Homme, et avec mon métier

La moitié de ma vie, de tendresse amputée

Au boulot, des galants, à l’appart repassage

De mélanger les 2, faisait pas bon ménage

J’ai tailladé un peu, le contrat de mariage

Pourtant j’ai maintenu, en fait, bon gré, malgré

Le foyer éclairé, mais pas un feu d’enfer

Sauvant les apparences, assurant l’ordinaire

J’aurais voulu connaitre, d’autres façons d’aimer

Enfin, débarrassés, des soucis coutumiers

On avait tout prévu, même de voyager

Retrouver notre couple, celui des jeunes années

Fallut que le destin, vienne y fourrer son nez

Je l’ai vu tout de suite, mon mec fatigué

Et même au plumard, faisait que roupiller

Mon fidèle compagnon, voulant pas m’inquiéter

L’a caché jusqu’au bout, son cancer obstiné

Ne vous dis pas la suite, pouvez l’imaginer

Tragédie consommée, les larmes pour pleurer

Il est parti, le Mien, toute seule m’a plantée

C’est là que j’ai perçu, l’odeur des sentiments

Qui la plupart du temps, se logent dans l’inconscient

Je dois survivre, seule, le sort, m’a pas gâtée

Entourée de souvenirs, par mes enfants, choyée

Solidaires dames en noir, voudraient me consoler

Mais ne puis supporter, qu’on attise mes regrets

J’ai atteint l’âge mûr, mais le fruit va pourrir

N’ai plus le goût à rien, envolés mes désirs

Me reste le thé dansant, bal des laissées pour compte

Je n’ose prendre mon billet, tellement j’en ai honte

En guise de retour d’âge, pour moi, c’est boomerang

Elancée dans la vie, affamée d’infini

Te renvoie dans la gueule, le destin, sa vengeance

Faut pas faire le malin, te gifle sa jalousie

Mais demain c’est dimanche, pas la fête à ma tante…

Sans mes souliers vernis, je vais faire mon marché

Pas pour me dégoter, vieux garçon esseulé

Question concupiscence, fermé, poste restante…

Ça fait déjà des lustres, mon cœur souffre le martyr

Je dois même le pincer, pour le faire réagir

Hélas mon baromètre, est un peu détraqué

Je sue quand il fait froid, grelotte aux mois d’été

Retrace dans mes nuits, les images effacées

Visages de mes intimes, pour une fois restaurées

Les exploits d’une gonzesse, qu’avait pas froid aux yeux

Subitement flétrie, assise au coin du feu

Mes remords me tenaillent, m’accusent de jouissance

Me trouvant bien foutue, j’en ai saisi la chance

Aujourd’hui, seins pendants, affaissé mon derrière

Peut-être ai-je mérité, de rejoindre Lucifer

Le film terminé, rembobine la machine

Quand on sait plus penser, alors on imagine

Radoter, ça s’appelle, en terme plus trivial

Compris à mes dépens, ce n’est pas un régal

Passé un certain âge, derrière est le futur

Anniversaires barrées, sur le calendrier

Je vis au jour le jour, toujours, ça de gagné

Ainsi parlait Grand-Mère, pétrie de certitudes

Grâce à son retour d’âge, nous enchante ses vertus JC Blanc octobre 2013 (pour mes Vieux)

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