Retour de vacances

silhius

L’aube prépare sa morsure grise, mélange mer et ciel pour mieux avaler l’horizon. Tout est brumeux et décoloré, sans relief. J’ai devant moi un mur de tristesse et de colère. Seuls une brise légère et quelques lents et placides clapots viennent me rappeler que je suis en mouvement. Nonchalamment les premiers éclats pales du soleil de ce matin d’automne turc répandent une chaleur lascive et timide. La nuit était encore profonde et noire quand j’ai laissé la chambre, quittant la quiétude des respirations légères et profondes des enfants. Le réveil solitaire fut comme toujours douloureux. j’ai besoin de fuir le silence pour oublier ce rêve obstiné.


Elle est nue, corps décharnée, famélique et crevard. Ses cernes enveloppent son regard qui brille, affamé devant un défilé d’hommes aux corps huilés. Leurs sexes turgescents se dressent. Assise dans un canapé de cuir dont les senteurs fauves embaument la pièce, elle observe les mâles prêts à toutes les turpitudes pour obtenir ses faveurs. Je suis assis à côté d’elle, nu, essaye de lui parler, d’attirer son attention, en vain. Elle n’a d’yeux que pour ces bites fières, énormes et pleines de désirs qui se présentent devant elle. Les hommes sont jeunes, elle est vieille, ridée, flasque et fatiguée. Malgré mes mots, mes gestes, elle se jette sur ces queues pour nourrir sa boulimie. Soudain mon sexe commence à rétrécir, au fur et à mesure que je la vois avaler goulument ces vits prêts à décharger. Je le sens pas à pas disparaitre en moi. J’essaye frénétiquement de le retenir. lorsqu’il a totalement disparu. Elle se lève, éclate de rire, la bouche remplie de foutre. Je n’existe plus. J’ouvre les yeux, elle s’est enfuie dans le noir. Je reste assis, terrorisé, émasculé.

Je m’allonge dans la chaise longue couverte de rosée. Le contact froid et humide me fait frissonner. Les perles d’eau imprègnent mon teeshirt, le transpercent, attaquent ma peau. Je cherche à faire disparaitre de ma mémoire ce cauchemar lancinent et obsédant. Je regarde cette étendue d’eau argentée. La lumière devient plus vive, des éclairs oranges et bleus annoncent sa majesté. j’ai froid. j’ai froid depuis tellement longtemps. Autour de moi se dressent les parasols refermés, chrysalides qui attendent le réveil de la masse pour s’ouvrir. Les chaises sont au garde-à-vous, armée docile en attente de recevoir les culs des touristes badigeonnés J’aurais aimé voir l’astre se lever devant moi. Mais, non, la plage est orientée à l’ouest et cet enfoiré va me surprendre par derrière. Le magma gris qui s’étend devant moi va recevoir son content de rayons, se dilater et s’ouvrir. Une nouvelle journée démarre. je pense au cul d’Hélène, jolies rondeurs qui me permettent de ne pas sombrer totalement.

Je hais le monde parce que je lui appartiens. Pourriture grise et morne qui essaye de faire croire que chaque seconde qui s’étire est indispensable. Le monde est pire que ses bourreaux. Alors pour me mouvoir dans cette pantalonnade qu’est la vie, je deviens acteur, donne le change. Il est plus facile de s’inventer une vie que de vivre la sienne. Le monde ment et invente des subterfuges pour faire croire à sa beauté. Il parle d’amour. Aimer est une tromperie sans nom ou chaque mot ne sert qu’à nourrir son petit égocentrisme. On croit aimer pour l’autre, le comprendre, l’écouter, le chérir, l’entourer. Tu parles, c’est juste pour se sentir survivre, oublier la solitude et l’ennui, clamer son pouvoir, vouloir affirmer sa puissance. Aimer est une lutte sans fin contre soi-même.

Le ciel anémié a pris des couleurs. La lumière doucement devient éclatante. On distingue maintenant la ligne des montagnes qui se détachent à l’horizon. Octobre est là, mais on se croirait en juillet. Les premiers birkenstocks arrivent, il est temps pour moi de regagner ma chambre, les enfants vont se réveiller. Il me faut ranger mes pensées pour aller affronter leurs rires.
Je suis dans la piscine. Les garçons virevoltent autour de moi, lancent leurs éclats de bonheur. La fraicheur de l’eau contraste avec la chaleur de l’air. Je suis bien. «Papa, pourquoi fais-tu cette grimace?» Mentir une fois de plus, inventer une pensée qui n’est pas mienne. Je sors de l’eau, vais m’allonger. Mon regard parcourt cette usine à bonheur ou nous séjournons. Couples, vieux, beaucoup d’enfants, pas de personnes seules. Les chairs le plus souvent débordent. L’Europe grasse qui s’empiffre vient se prélasser au soleil. J’allume une cigarette. Les garçons plongent, chahutent, se poussent, s’ébrouent comme des jeunes chiens fous. S’imaginent-ils que dans quelques années le souffrance de la vie va les happer? Non, ils sont pour l’instant la joie à l’état pur. Mes yeux se ferment lentement, comme toujours pour mieux retourner vers ces souvenirs qui me hantent.

Il était tôt, très tôt. Bien trop tôt pour soulever le drap sans interrompre le léger ronflement. Je l’ai écouté, chant bruissé qui venait de me réveiller. Allongée sur le dos, ses lèvres gigotent, laissant passer ce souffle qui il y a peu chatouillait ma peau. Je ne bougeais pas, laissant mes sens reprendre lentement leurs droits. Je me suis retourné et approché d’elle sans la toucher. Juste sentir l’irradiation de son corps qui réchauffe la couette. Dehors, dans la chambre encore obscure il fait froid. Aucun bruit extérieur ne vient troubler la douce sérénité de l’aube qui s’éveille. Je laisse s’écouler les minutes, sans bouger, gardant les yeux fermés, ma main posé sur mon front. Je sens la couette se lever légèrement au rythme de sa respiration. Son lit, son monde, son royaume dans lequel par le hasard d’une nuit maintenant lointaine je me suis retrouvé.
Aucune idée de l’heure. A travers les volets, je peux voir la lumière laiteuse du jour qui se lève. j’ai le temps, même si dans quelques heures il me faudra partir. Il y a quelques jours, elle m’a dit qu’elle avait rêvé de moi. Dans son rêve elle m’assassinait. Il n’y a rien à répondre, je suis déjà mort. Le ronflement c’est transformé en un souffle léger et régulier. Je tente de me rendormir, me tourne, lui offrant mon dos. Mes mouvements l’ont agitée. Elle se tourne aussi, elle se rapproche de moi, son ventre vient se coller contre mes reins, je ne dis rien. Elle est là, rivée contre moi et malgré tout, elle veut me tuer.
Je l’étouffe m’a -t-elle dit . Pourtant, elle respire maintenant. Je l’étouffe parce que je suis trop souvent là, trop souvent présent, trop attentionné, trop amoureux, trop tout quoi. Elle a besoin de distance, de silences, de ne pas sentir l’attachement de l’autre. J’ai fait la moue, argumenté, rien à faire, à partir de maintenant, c’est un weekend sur deux. De l’overdose, on passe à celle infinitésimale.
Il faudrait que je me lève, préparer un café, chercher le sucre, trouver les tasses dans le fouillis de son appartement dévasté par les travaux qu’elle à entrepris. La poussière a tout envahit, comment s'’aimer dans ce capharnaüm indescriptible. Je n’en ai pas le courage, d’autant plus qu’elle m’immobilise, sa jambe couchée sur ma cuisse. Je suis un condamné à mort, prisonnier de ses fantasmes, attendant passivement la montée à l’échafaud. Il me faut profiter jusqu’au bout de chaque instant que m’offre sa vie.
J’essaye de comprendre, ce corps aggloméré au mien. Elle pose sa main sur ma hanche, légèrement. Je sens qu’elle se réveille doucement, sa respiration est plus saccadée. Et pourtant, elle ne veut plus me voir, en tout cas pour moi c’est pareil, comment allier ronronnements et amusements deux fois par mois: obligatoirement ça créé des obligations, des scénarios, ça devient compliqué. Je tente de bouger, mais elle me retient. Elle est peut-être somnambule. Elle aime en dormant, y exprime ses désirs, ses sentiments. Je ne suis qu’un rêve, non une peluche.

«Papa, arrêtes de dormir, viens nager avec nous!» Je suis immobile, les garçons, veulent du mouvement, de l’action. Je m’extirpe de mes pensées futiles, cours et plonge à nouveau dans l’eau transparente. Je nage sous l’eau. Je pense à mes mouvements. Il faut les garder lents, réguliers pour bruler le moins d’énergie possible; relâcher doucement son souffle en laissant passer quelques bulles. Chaque mètre gagné est une victoire. Mes poumons sont prêts à exploser. Je donne un dernier coup sur le fond pour remonter. Les garçons nagent vers moi. Rémi a un style coulé, élégant qui m’impressionne beaucoup. Il nage pratiquement aussi vite que moi. Seule la différence de taille me donne encore la victoire. Ils sont sur moi, se jettent à l’assaut de mes épaules, crient, rigolent. Leur énergie m’épuise. Je réussi à échapper à leurs étreintes et retourne sur la chaise-longue. Je m’allonge de nouveau, laisse le soleil absorber les gouttes d’eau qui ruissellent sur mon corps, allume une nouvelle cigarette. J’ai envie d’une bière mais il est encore trop tôt. La nicotine calme mon envie. Elle est de nouveau la. Il ne sert à rien de lutter contre son invasion. Depuis ce jour d’avril ou allongé sur le lit d’une chambre d’hôtel je l’attendais, les tic tic tic de ses talons martelant le couloir m’ont pour toujours enchainé. Je cherche maintenant un refuge, une ile solitaire ou rien de la putain ne me transpercera.

Les vacances sont terminées. Les enfants sont retournés chez leur mère. Le soleil s’est évaporé. Paris un weekend de la Toussaint, temps d’automne. Voila novembre. Il tombe des cordes. Je suis assis dans une brasserie du boulevard des Italiens, déguste quelques huitres. J’ai passé la nuit à dévergonder Hélène. Plaisirs bruts, violents, je réapprends à être moi. Dehors tout est gris, ocre. Quelques tâches de couleurs passent vite, un bus rouge, une camionnette jaune, un parapluie vert. La seule couleur immobile, l’enseigne d’une banque. L’argent éclaire la ville comme la pute illumine la nuit. Je bois une gorgée de Sancerre. Les huitres me laissent un petit arrière goût métallique au fond de la gorge.
Une dame au visage austère qui contraste avec le sifflotement léger du serveur consulte le menu. Je commande un nouveau verre de Sancerre. Il me faut tuer le temps avant d’aller prendre l’avion. Elle a une alliance. Son regard est perdu. Elle porte sa main devant sa bouche, caresse ses lèvres d’un air pensif avec son index. Son regard scrute la salle.
Une mère et sa fille. Elles ont mangé du poulet. Elles sont silencieuses, ne se regardent pas. La mère a les mains jointes. Pourquoi prie-elle? Parce que déjà à sa fille de 10ans elle n’a plus rien à dire?
Blanc, gris, noir, défilent les autos dont les yeux brillent dans la lumière triste. Cela me rappelle le regard de la putain un soir de janvier. Je l’attendais au Sélect, un café boulevard du Montparnasse ou nous avions nos habitudes. J’ai passe mon temps à l’attendre. Elle est enfin arrivée. Cheveux défaits, crinière de lionne, yeux pétillants. Elle venait de passer une après midi avec sa brune et un queutard. Je lui avais proposé de m’appeler dans l’après midi pour que je vienne la chercher à l’hôtel ou se tenait son rendez-vous. Cela m’amuse de venir te chercher lui avais-je dit la veille. Comme à son habitude, elle ne m’avait pas répondu et bien entendu ne m’appela pas. La putain voulait bien jouer, mais je ne devais être qu’un spectateur silencieux. Ce n’est qu’une fois ses agapes terminées qu’elle me joignit pour me proposer le lieu ou nous nous trouvions maintenant. J’avais oublié qu’elle pouvait briller et petit à petit, ses yeux se sont éteints. C’est ce soir la que j’ai compris qu’elle était loin et je n’ai rien fait pour la rattraper. Aujourd’hui le fantôme de la putain vient me tirer les pieds chaque nuit. Le jour Il m’enveloppe, m’agresse, me grignote.

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