Réunion Agence Com/3
jireoparadi
« ... pas certaine qu'il faille communiquer sur ce type de média tu vois ? Je pencherai plus sur un support qui vous permettrait de décliner une image populaire sans être paupérisante. »
OK, Jérôme, Sandra et Denis autour de la Directrice Artistique, Charlotte et Victoire pas très loin, me voici peinard. Je m'apprête à rejoindre Eric quand je croise le regard de Victoire. Elle lit ce que je pense ; ça semble l'intriguer.
Je saisis ma chance, j'entasse 3 macarons et 2 tiramisus sur une assiette et me dirige vers elles : « Je porte un remontant à mon fardeau. Servez-vous.
— Merci Lucas. C'est vrai qu'il ne t'a pas raté tout à l'heure, me répond Charlotte.
— Juste une question d'habitude. Il a beaucoup souffert plus jeune.
Sourire... De Victoire.
— On a pas encore fait connaissance, je peux me joindre à vous ?
— Avec plaisir.
On s'éloigne. J'ai juste eu le temps d'observer Jérôme. Manifestement un peu sur les dents ; on le sentira vite.
— Tiens toi droit espèce d'autiste ! Je t'emmène de la compagnie.
— T'as bien fait. Vous me sauvez la vie Victoire, j'en pouvais plus de sa conversation.
— Vous êtes toujours comme ça tous les deux ou c'est juste une allergie aux agences de pub ? Je peux vous chiper une cigarette Lucas ? »
Je lui tends mon paquet et lui allume une Camel.
Elle est vraiment plus que canon. C'est une très, très, belle femme. Je remarque une toute petite cicatrice sous son nez, quelques taches de rousseur sur les pommettes, bouche rieuse, dents parfaites ; je ne sais pas ce qui me prend :
— Vous avez l'air épuisée. C'est notre réunion ?
— Non, mais c'est vrai que je suis crevée. Ça se voit tant que ça ?
— Oui, enfin, non, vous êtes très bien c'est juste que… Oh merde, oui un peu. Mais je ne voulais pas vous gêner. »
Eric lève les yeux au ciel : « Il sait parler aux femmes non ? »
— Pas mal, oui c'est exact. Ne vous inquiétez pas. C'était très délicat.
La vache, la voix qu'elle a eu pour me dire ça. J'en ai les jambes qui tremblent. Silence.
Une,
Deux,
Trois secondes.
Dont elle nous libère.
— Bon, alors dites moi. Vous en avez pensé quoi ?
— Euh, on peut être franc ?
— Bien sûr Eric, allez-y.
— Bon, j'ai adoré votre intro. Votre commercial aurait besoin de répéter un poil avant une intervention comme celle là et la directrice artistique a été assez inexistante, heureusement sa stagiaire avait bien bossé le fond.
— Merci, what else ?
— Ah, vous en voulez encore ? Ben je ne suis pas sûr que nous parlions de la même boite en fait, mais ce n'est pas forcément de votre faute.
Je suis déjà prêt à le retenir par l'épaule mais pour le moment, aucun agacement perceptible chez Victoire ; un peu de curiosité plutôt. Je garde quand même l'oeil sur Eric. Il a en général encore plus de mal à s'arrêter... Qu'à se retenir de démarrer.
— C'est-à-dire ?
— Je peux ? je propose.
— Ouais vas-y. Vaut mieux que ce soit lui.
— Moi aussi, j'ai aimé votre intervention. Bon en même temps vous n'alliez pas nous dire que notre boite était naze et que le projet n'était pas dans vos cordes.
—C'est vrai..., sourit-elle.
— En fait, j'adorerais vraiment ces réunions si je n'avais pas autant l'impression qu'on joue les faire-valoir.
— …
— Vous voyez bien ce que je veux dire ; l'essentiel est déjà acté et c'est surement bien. Je regrette juste qu'on n'en ait pas parlé ensemble avant. Et je vois bien que le brief qu'on vous a transmis est magnifique dans l'idée... Mais, dans l'idée... Bon, ça ne me dérange pas de venir apporter un peu de caution aux ambitions de Charlotte hein ? Je pense juste qu'on pourrait faire vraiment mieux.
— Je vous écoute.
— On vous a emmené faire un tour sur le terrain, regarder nos collections, écouter nos clients, nos vendeurs ?
— Vous savez on a hérité de ce dossier assez récemment en fait.
— Oui je sais, non mais pas de problème avec vous, avec personne d'ailleurs, mais,…
— Sûr ?
— Bien joué... Non, franchement tout va bien avec vous. Je crois simplement qu'on perd un peu de temps à rectifier les écarts de compréhension et les soucis d'égo. Et encore, on n'a pas commencé le débrief, je pense que vous allez mieux comprendre ce que je tente de vous expliquer.
— J'ai l'impression que j'ai compris vous savez, me répond-elle les yeux plantés dans les miens.
— Soyez tranquille, c'était sympa de discuter. Je vous promets d'être positif.
— Merci. Et vous Eric ?
— Pareil que Miguel, je pense que vous avez très bien compris la situation. Vous n'y pouvez rien et vous devez faire tourner votre business. Ce serait juste bien qu'on arrive à redonner un peu de concret aux propositions de votre DA.
— On va y arriver, » nous dit elle. Puis se dirigeant vers le buffet : « Je retourne à mes obligations business, laissez moi faire. Merci pour la cigarette Lucas. »
Je crois que j'arrive juste à lui bredouiller un « Pas de quoi » en me rallumant une clope.
On reste assis un moment avec Eric. On fume. Silence.
Dans mon ventre,
« Merci »,
Ni bloc de marbre,
« Merci »,
Ni fourchettes,
« Merci pour la cigarette Lucas. »,
Rien.
On rejoint les autres et la salle.