Rêve
arthurm
(..) et si l’inconnu ne me choisissait pas, j’allais encore devoir me taper le vieux baron, à ruminer pendant des heures son nœud tremblant, comme une vache mâche un chewing-gum, comme un enfant tête sa mère, comme moi, bientôt, comme moi, hier, et le jour d’avant.
L’inconnu traversa le cendrier et vint se poser sur le canard, assis ailes ouvertes et prévu à cet effet, afin de nous regarder défiler devant lui, parées de nos plus belles pièces de viande, qui un plat de sushis, d’autres des escalopes premier choix et ainsi allait la parade, jusqu’aux légumes et pousses de soja pour cette nouvelle clientèle végétarienne.
On avait choisi pour moi ce soir une délicate parure de steak, délicatement nervurée mais pas trop, faisant ressortir la peau laiteuse dont la vie m’avait fait cadeau.
Une à une donc nous passions devant lui, marchant pieds nus et dévoilant nos charmes, le regard complice, accrocheur, pour ne pas lui donner le moindre doute quant à la passe historique qu’il vivrait s’il nous choisissait. La politique de la maison était assez stricte, jamais plus de deux viandes par client car, comme le disait Madame Auguste : « un plat cela suffit, n’oublions pas les vins et les desserts ».
L’horloge de la cuisine sonna trois coups et un cri se fit entendre, prêt à envoyer. Dans le monte-charge en verre renvoyant dans les chambres apparut alors un véritable buffet d’au moins cinq filles, un soufflet de Saint-Jacques accompagné de quatre bouteilles de blanc.
Madame Auguste tiqua. Elle n’aimait pas quand la parade était interrompue, même si cela donnait au client la preuve que le service proposé ici était d’une qualité autre que les boui-bouis et autres kebabs du coin, vendant de la petite grasse.
Derrière, dans le petit salon où l’interdiction de fumer rendait les hommes nerveux, on entendait des rires, ceux des habitués, qui devaient à n’en point douter s’échangeaient leurs premières venues ici, comparant le temps d’attente à celui que l’inconnu, toujours assis sur son canard, leur offrait par force de la non-connaissance des produits.
C’est lors du deuxième passage qu’il me regarda avec une attention particulière, et dans son sourire carnassier je devinais aisément qu’il avait faim, faim de moi, et je souris en retour, rougissant presque de ce désir animal, minaudant un peu, roulant des hanches et mordillant ma lèvre inférieure. Une bouffée presque incontrôlée me monta et rosit ma poitrine dénudée, offrant un dégradé de couleur entre ma robe et le reste de mon corps. L’homme se leva du canard, traversa le cendrier, presque glissant sur les cendres froides sans recouvrir ses chaussures et le bas de son pantalon. Arrivé à ma hauteur, il chassa un petit tas de mégots, digue artificielle derrière laquelle, après le parcours, nous nous réfugions en attendant que l’homme fasse son choix. Il enfreignait une règle, se faisant, mais il en avait cure. Il me prit par les hanches et ses doigts, s’enfonçant profondément dans le steak jusqu’à toucher ma peau, m’amenèrent vers lui pour un baiser rude et brûlant. Il me souleva et me reposa de son côté. Un regard à Madame Auguste, qui tapa dans ses mains, deux petits coups brefs, pour que les autres retournent au vestiaire se changer.
Désormais rien que nous trois, il refusa la proposition de ma maquerelle d’aller en cuisine me faire cuire légèrement. Il me voulait là, me roulant dans les effluves de tabac froid pour faire pourrir la viande. Il dut pourtant prendre une chambre, et accepta cette contrainte avec un sourire bonhomme. Il retourna s’assoir et je le suivis, docilement. L’homme dégrafa son pantalon et je vins m’assoir sur ses cuisses chaudes, son membre viril dressé droit vers le ciel se positionnant entre mes cuisses, le long de mon sexe.
Deux petits coups brefs et la carte des vins apparut. Un autre petit claquement de mains et le défilé commença. De la Bourgogne à l’Australie, blanc, rouge et rosés se montrèrent face à nous, devant séduire tant le client que la viande, par ses arômes fleuris ou poivrés, sa robe légère ou ses notes fruitées.
Notre choix s’arrêta sur un Bordeaux tannique, en robe pourpre sur peau cuivrée, aux yeux verts et aux jambes fuselées. Le canard tenait bon nos deux corps sur son échine, mais le client lui, frémissait contre mon corps, perlant légèrement. D’un geste anodin, je recueillis du bout de l’index cet amuse bouche pour le porter à mes lèvres. Madame Auguste sourit.
Nous étions fin prêt, nous montâmes dans la chambre.