Rêve

Océane Martin Aguilera

Le ballon roula, écrasant au passage quelques déjections de chat, dans un crissement énervant. Derrière lui, un petit garçon courait, les bras en avant, un sourire plaqué sur le visage. Il gambadait plus que ce qu'il ne courait. Ses petits pieds et son équilibre encore fort incertain l'empêchaient de faire des sprints dignes des plus grands. Et pourtant... Le ballon quant à lui, continua sa course, et remonta sur une petit bute en simili-goudron. Le brun qui le poursuivait, toujours tout sourire, s'amusa de ce changement de direction. Il rigola d'un rire cristallin, qui ferait fondre n'importe quel bloc de glace. Mais par une malheureuse infortune, il s'embrancha au peu de dénivelé présent. Malgré le balancement de ses bras et de ces hanches, il n'arriva pas à retrouver son équilibre, et glissa sur les quelques graviers présents. Il s'étala de tout son long, à plat ventre, au sol, les mains et les genoux égratignés. Les larmes lui montèrent aux yeux, commencèrent à couler le long de ces joues roses quand des bruits de pas résonnèrent dans le voisinage. Les yeux toujours au niveau 0, il vit une paire d'escarpins noirs se précipiter vers lui. Il sentit alors deux mains sous ses aisselles, et, comme par magie, il se retrouva les fesses sur les bras d'une jeune femme qui s'appuya sur sa hanche, plaquant l'enfant contre elle, le regardant avec amour.

«- Qu'est-ce qui c'est passé mon poussin que tu es tombé par terre ?» Lui demanda-t-elle avec douceur.

«- Je... Je... Je jouais avec... Avec... Avec le ballon quand il... Il est parti... Puis... Puis... Puis j'ai couru pour le prendre et... Et... Et j'ai glissé !»

Sa voix était hachée par ce sanglot terrible qui l'ébranlait. La femme le reposa à terre, et s'accroupit devant lui. Elle ne parla pas, et attendit que l'enfant calme son chagrin. Elle ne put s'empêcher de constater que le petit ressemblait à un petit ange déchu. Des cheveux brun indomptables, des yeux aussi noir que les ténèbres, et un petit corps bien proportionné. Elle remarqua que quand il pleurait, sa main droite froissait son tricot, pendant qu'il se frottait l'œil gauche de son autre main, en retroussant un peu son petit nez. Avec tendresse, la jeune femme prit les mains du petit garçon, plongea dans ses prunelles, et lui murmura, d'un ton plein de secret :

«- Dit mon ange... Tu veux que je te face un bisou magique ?»

C'était la première fois qu'elle lui proposait cela. Un bisou magique ?

«- C'est un quoi un bisou magique Maman ?

- Tu ne connais pas l'histoire du bisou magique !?» Le questionna-t-elle, faussement outrée.

Le petit garçon tourna sa tête de gauche à droite, répondant négativement à la question de sa mère. Elle se rapprocha encore plus de lui et lui expliqua que c'était un très très grand secret, et qu'il ne fallait pas que les autres enfants l'entendent. Ils se cachèrent alors sous le toboggan en métal rouge, s'assirent à même le sol. Les larmes du petit garçon s'étaient depuis longtemps taries, mais, sa curiosité piquée au vif, il voulait connaître le secret.

«- Le bisou magique mon fils, est un cadeau que les fées ont fait aux papas et aux mamans, pour que, quand le monde est triste, avec un bisou magique, tout le monde soit à nouveau heureux.»

La jeune femme posa alors un baiser sur chaque plaies de son enfant, qui retrouva le sourire instantanément. Il sauta au cou de sa mère, et lui fit un gros baiser baveux sur la joue. Elle en eut cure, et enlaça l'enfant, et le berça tendrement. Quand il se détacha d'elle, elle ébouriffa ces cheveux. Le petit garçon, lui, admirait sa mère. Elle était si belle. De long cheveux noirs de jais qui ondulaient gracieusement, retombant en cascade dans son dos. Une peau hâlée magnifique. Et surtout, des yeux vert comme des émeraudes. Elle se releva, essuyant son jean taille basse son chemisier, et prit la main de l'enfant. Elle récupéra la balle en sortant de sa cachette, quand elle vit son petit bout bailler à s'en décrocher la mâchoire. Sans s'en rendre compte, il avait tendu sa petite main vers sa mère. Elle le prit alors en poids, et parti récupérer son sac à main, qu'elle avait laissé sur le banc, en compagnie du groupe de mamies du quartier. Le petit se frotta les yeux, et s'appuya contre l'épaule chaude de sa génitrice, les yeux mis clos. La jeune mère salua les grands-mères, et sortit du square. Avant qu'il ne s'endorme, elle lui susurra quelques mots :

«- Dort Alex mon ange... Et rêve. Rêve mon ange.»


Alex, âgé de huit ans, jouait dans sa chambre avec ses chevaux et ses soldats en plastiques qu'il avait reçu pour son dernier anniversaire. Il imaginait plusieurs épopées, digne d'Homère. En ce moment même, le chevalier Vayant se battait contre un escadron ultra entraîné du nec plus ultra de l'armée militaire américaine. Vayant, armé de son épée Espalitur et de plusieurs braves fantassins aux lames affûtées, devait forcer les défenses américaine, constituées essentiellement de tanks dernier cri et de mitrailleuses, à peine sorties du carton. Dans la réalité, Vayant, pour peu qu'il fût doté d'un minimum de lucidité, aurait fait demis tour, et abandonner sa quête. Mais Alex ne l'entendait pas de cette oreille. Non. Pour Alex, un chevalier était forcément grand, brave, fort, courageux, et guimauvement gentil. Il était donc normal pour Alex de faire exploser des tanks à coup de flèches, ou bien de tuer des militaires à bout portant, sur un cheval, avec une dague. Vayant avait le dessus. Mais, coup du sort, une balle vient se loger dans son épaule. Sans plus attendre, il partit voir de médecin de son camp, aujourd'hui représenté par son ourson en peluche, Patgor. Alex, inspira, prit sa voix la plus virile, et dit, comme au cinéma :

«- Juste un pansement. Mes hommes sont encore en train de faire la guerre, et ils ont besoin de moi !»

Le médecin-ours s'exécuta, et Vayant reparti au combat, au triple galop. Il arriva vers les premières lignes, quand il cria :

«- En avant ! YAAAAAAH !»

Alors que Vayant récupérait son coffre au trésor plein de bonbons et de papiers vides, il entendit des éclats de voix montés depuis le rez-de-chaussée. Il s'empara d'un Batna, le fourra dans sa bouche, et écouta. Il ne comprenait pas beaucoup ce qu'il se passait. Il se leva, et s'appuya contre son lit, serrant Patgor contre sa poitrine, et lui parla, comme s'il était réel.

«- Je crois que Maman et Papa sont encore en train de se disputer. Tu sais Patgor, Maman me gronde quand, parfois, je répète un gros mot. C'est pas beau les gros mots !»

Et pourtant... Il ne savait pas pourquoi ces parents se disputaient encore. Il n'y avait aucune discussion. Seulement des injures, des mots et des concepts qu'un garçon de seulement huit était incapable de comprendre.

«- Tu n'es qu'un branleur George ! Depuis combien de temps est-ce que tu te caches dans ce bar miteux, à dépenser notre argent en alcool et en pute !? Hein ?! Depuis combien de temps est-ce que tu t'es fait viré de ton boulot ?! Même ça, tu n'as pas été capable de le garder !

- Oh Anne je t'en prie, ferme la ! Tu ne sais pas par quoi je suis passé !

- Bordel George ! JE SUIS TA FEMME ! Quand comptais-tu nous dire que tu nous avais mis sur la paille avec tes conneries d'adolescents ? Hein ?! QUAND !? Quand nous ne pourrions manger que deux repas par jour ?! Quand nous n'aurions plus d'électricité !? Ou bien quand les huissiers seraient venu perquisitionner la maison, et tous les jouets de ton fils !?»

Soudain, Alex tiqua, et se dit à lui même que jamais, les huistiers n'emporteraient son vélo tout neuf ! Il prit Patgor par la patte, et sorti de sa chambre. Ces parents étaient juste en bas de l'escalier. Ils ne l'avaient pas remarqué, mais lui, les voyait très bien. Sa mère, un jean large et un t-shirt simple sur les épaules, peinait pour cacher sa haine et sa colère. Ces cheveux étaient attachés en un chignon plus que négligé, qui tombait penchait vers le côté gauche. Son père, lui, était écarlate de rage. Ses poings se serraient tellement qu'il avait les mains blanches. Alex pensa alors que ces mains étaient en feu. Il tourna les talons, et alla pour ouvrir la porte et partir, quand sa femme l'intercepta.

«- Espèce de lâche ! Tu fuis ! Encore ! Tu ne sais faire que ça ! Porte tes couilles pour une fois et soit un homme !»

Son mari fit volte face, et lui assena une gifle monumentale, qui la projeta contre les dernières marches des escaliers. Un craquement sonore se fit entendre quand elle tomba. Elle hurla de douleur, mais son cri ne fut rien comparé à celui que poussa Alex, qui dévalait les escaliers à une vitesse folle. Alors que son père armait son bras pour une nouvelle attaque, Alex se mit devant sa mère en écartant les bras, faisant alors barrière, Patgor toujours dans sa main.

«- Non Papa non ! Tu n'as pas le droit de frapper Maman !»

L'enfant se pencha vers sa mère qui tenait son bras, qui avait prit une forme peu conventionnelle, et lui posa ces lèvres dessus. Puis il regarda son père, droit dans les yeux, et déclara :

«- Je suis lui ai fait un bisou magique. Comme ça, elle n'aura plus mal. Et grâce à la magie des fées, tout le monde sera à nouveau heureux, et plus personne ne dira de gros mots !» 

La figure de George se déforma sous la colère, et poussa son fils hors de son chemin, lui hurlant que les fées n'existait pas, et que cette histoire n'était que foutaise. Alex se cogna la tête contre le sol. Jamais il n'avait eu autant mal de sa vie. Il avait l'impression que son crâne était en feu au niveau de l'impact. Il releva la tête, et regarda la scène. Même avec un léger voile devant les yeux, il savait ce qu'il se passait. Sa mère hurlait, et suppliait son mari d'arrêter, alors que ce dernier la battait. A plat ventre sur sa peluche, Alex sanglota, priant son père d'arrêter. Malgré tout, George cessa ces coups. Il avait beau être le plus beau des connards, il n'était pas assez mauvais pour frapper sa femme sous les yeux de son fils. Il parti dans le salon, fourra quelque chose dans la poche de son pantalon, prit son manteau, et sortit en claquant la porte. 

Les voisins, alertés par le bruit, entrèrent dans la maison. Très vite, des hommes en uniformes avec un camion rouge arrivèrent, et emmenèrent la mère et l'enfant dans un grand endroit tout carreler qui sentait la javel, avec pleins de gens en blouse blanche. Et durant tout ce temps, Alex serrait Patgor contre sa poitrine, comme jamais il ne l'avait fait auparavant. C'était fini. Son papa était parti.

Et il ne repassa plus jamais la porte d'entrée. 


Alex courait. Vraiment. Pas comme quand il était enfant. Non, cette fois-ci, il courait à en perdre l'haleine. Pourtant, il hurlait de choix à chaque carrefour, et avait cet inexplicable sourire plaqué sur ces lèvres. Au bout d'un énième croisement, il poussa le portillon du jardin, et enfonça la porte d'entrée.

«- MAMAN ! »

Une bonne et suave odeur de coriandre et d'oignons flottait dans l'air. Il se dirigea au pas de course vers la cuisine américaine, où il vit sa mère mettre des boulettes de viandes hachés dans la poêle.

«- Voyons Alex ne crie pas comme cela ! Qu'est-ce qui te mets de si bonne humeur ? »

Pour toute réponse, il lui montra une lettre et son enveloppe. Mère et fils se dévisagèrent un instant.

«- C'est... Commença Anne.

- Oui. Je suis pris. Maman, je suis pris ! »

Anne ne put retenir son cri de joie, et sauta littéralement au cou de son fils, qui la souleva et tourna sur lui même, la faisant décoller du sol. Quand il la reposa, ils ne coupèrent pas leur étreinte, bien au contraire. Anne serra un peu plus étroitement son enfant dans ses bras, qui, depuis maintenant longtemps, la dépassait d'une tête et demi.

«- Je suis si fière de toi Alex... Mon poussin...» Dit-elle en posant un baiser sur son front.

Sur la table, une lettre venant d'une des plus grandes écoles d'ingénieries possibles, venait de confirmer à Alex qu'il était reçu dans la section de son choix. Il n'y eut plus un bruit, hormis les cris d'une viande cuisant, et les pleurs silencieux d'une mère comblée.


Alex, sacré roi de sa promotion au lycée, avançait d'un pas lourd dans les rues de Paris. Voilà maintenant un bon moment qu'il suivait ces cours d'études supérieurs, et il faisait parti des meilleurs. La crème de la crème. Même encore en plein dans son cursus scolaire, beaucoup d'entreprise le contactaient, et lui offraient un emploi, grassement payé. Mais il les refusait tous : il ne voulait pas griller les étapes. Sa mère pensait qu'il devait accepter au moins une demande, afin de pouvoir se payer un appartement décent, mais ne voulait pas : il n'était pas attiré comme l'argent comme beaucoup de ces camarades de classes. Lui, s'il faisait ces études là, c'était avant tout par passion. Il ne rechignait pas devant le travail, et n'était pas contre une ou deux fêtes étudiantes de temps à autres. Mais pour le moment, il avait besoin de prendre l'air, de se changer les idées. J'aurais mieux fait de ne pas me lever cette semaine... Je dois avoir une malédiction de Merlin sait quel dieu sur le dos... En effet, ce n'était pas sa semaine. 

Après avoir déserté le domicile familial il y a des années de cela, laissant sa mère agonisante sur les escaliers, il avait revu son père. La scène était encore ancrée dans son esprit, bien qu'elle remonte à quelque jours déjà.

Par un hasard des plus improbable, dans une rue déserte, après un coup de vent, le chapeau de paille d'un vieil homme s'envola. Ayant été bien éduqué, Alex le ramassa et le tendit à son propriétaire. 

«- Papa ..?»

L'homme n'avait rien répondu, et avait tourné les talons, une étincelle de honte et de culpabilité dansant dans ces yeux. Son mutisme fut sa perte et son aveux.

«- Non reviens ! Lança-t-il d'une voix forte.»

Il le suivit, et posa une main sur son épaule.

«- Non ! Pas cette fois ! Tu ne partiras pas cette fois !»

Son géniteur fit volte face.

«- Écoute... Commença-t-il.

- Non ! Toi écoutes ! Je ne veux pas t'incriminer de quoi que se soit. Tu as merdé. Énormément. Je ne vais pas te blâmer pour tes conneries. Mais pour tes absences. Je ne réclame que des explications... Pourquoi aucun coup de fil pour mes anniversaires ? Pourquoi aucune carte pour Noël ? Je veux simplement savoir pourquoi j'ai du grandir sans mon père... S'il te plaît...»

Le vieil homme avaient maintenant les cheveux grisonnant, le teint blafard, et des rides profondes et ses joues creusent marquaient son visage du temps qui passait. Il pleurait. Cet homme qui jadis battait sa femme et abandonnait son fils pleurait des larmes de remords et de regrets. Une larme roula le long du doux visage d'Alex. Mais le Alex de vingt-cinq ans était bien loin, laissant place à un petit garçon qui avait du se construire sans image paternelle près de lui, la seule lui restant étant l'image d'un homme violent et colérique.

«- Je sais pas quoi te répondre Alex... Sache simplement que j'ai vécu une vie d'errance sans ta mère et toi, et il n'y a pas un jour où je me suis senti comme un homme bon depuis que je suis parti. Je suis rongé par mes remords... N'en veut pas à ton vieux père mon garçon... Essaie de ne pas faire les mêmes erreurs que j'ai faite... Et respecte cette règle. Ne joue pas la survie de ta famille pour quelques sous, tu as bien plus à perdre. Respecte la. Ne fais pas comme moi...»

George leva sa main vers la joue de son enfant, qu'il caressa tendrement. Il fut secoué d'un sanglot qu'il étrangla, avant d'ajouter :

«- Mon plus grand regret sera toujours ne jamais avoir pu voir mon garçon devenir un homme... Tu as tellement grandi...»

C'est à ce moment précis qu'un automobiliste, ivre au volant, décida de foncer droit sur le trottoir où ils se tenaient. Il percuta Alex sur l'extrême bord de la cuisse. Le rétroviseur extérieur lui frappa les côtes, lui coupant le souffle. Son père, lui, se prit la voiture de plein fouet, et vola, quelque mètres plus loin, avant de se s'écraser comme une poupée de chiffon contre une bâtisse.

«-Papa...» murmura Alex, soudainement prit à la gorge par une émotion qui ne l'avait encore jamais ébranlé.

Il courut jusqu'à être auprès de son géniteur, sans prêter attention au chauffard qui s'était écrasé la tête contre le volant. Il s'agenouilla près de George. Il respirait à peine. Il émettait un sifflement à chaque respiration. Alex posa la nuque de son père contre sa cuisse intacte, et lui caressa doucement les cheveux.

«-Alex... Prononça George, en un murmure à peine audible.

- Non Papa... Je t'en prie...

- Je t'aime, mon fiston... Ton papa t'aime, et t'as toujours aimé...»

Puis plus rien. Le sifflement s'était éteint, sa poitrine ne se soulevait plus, et ses yeux étaient vides de tout.

«- Non... Non Papa s'il te plaît ne m'abandonne pas...»

Alex secoua un peu le corps sans vie de son géniteur, mais rien se produisit. Il était détruit. L'espace d'un instant, il avait espéré pourvoir revoir son père, aller au cinéma avec lui, aller dans un parc d'attraction... Rattraper le temps perdu. L'espace d'un instant, il crut retrouver son père, après tant d'années d'absence. Mais le destin n'était pas en sa faveur. Son père avait été arraché à la vie sous ses yeux, et il tenait sa dépouille encore chaude entre ces bras couverts de sang. Il tremblait. Il tremblait de tout son être et toute son âme. Il ne senti même pas qu'un homme en uniforme noir et rouge lui avait saisi les épaules, et l'accompagna jusque dans un camion de secours, qui parti en trombe vers l'hôpital le proche. Il avait perdu son père. On lui avait arraché son père une nouvelle fois. Et la douleur qu'il éprouvait était encore plus forte que celle qui avait éprouvé quand il était dans cette salle blanche, tenant Patgor contre son coeur, quand il comprit que son papa était parti, et qu'il ne reviendrait pas. Non. La Mort lui avait arraché son père... Et une partie de lui même.

Alex en frissonna. Il avait passé le reste de la journée aux urgences. Il n'avait rien, hormis une écorchure et un bleu sur le côté. Et s'il était maintenant, à une heure si tardive en Paris, près de la Seine, ce n'était pas par un heureux hasard non plus. Sa mère venait de lui téléphonait. Cela faisait un moment qu'elle se sentait mal, et qu'elle avait le teint pâle. Je suis simplement fatigué mon chéri... lui disait-elle. Il n'y croyait pas. Il avait du la forcer à aller voir un médecin. Après presque un mois et demi de pression, et elle avait rendez vous. Le verdict était inquiétant. Elle a donc subi plusieurs examens complémentaires, jusqu'à ce que la réalité anéantisse leur vie : le cancer. Sa mère avait un cancer.

Un cri, suivi par des pas précipité le tirèrent de ces pensées. Sûrement des ados paumés qui jouent les kaïds... Mais un autre cri suivi le premier, plus strident encore : un cri de détresse. Mais aucun bruit de pas. Alex décida de suivre la trace des hurlements qui retentissaient, troublant cette nuit si belle et si calme. Au détour qu'une rue, il vit une jeune femme, au sol, se protégeant et battant des jambes tant qu'elle le pouvait, entourée de trois hommes. L'un la tenait fermement, l'empêchant de trop gigoter. Un autre tentait de lui retirer sa jupe de force, tandis que le troisième commençait à défaire son pantalon. 

«- Lâchez moi ! » Supplia la femme.

Son visage fut vite baigné de larmes, sous les rires rauques et gras des trois agresseurs. Alex réagit au quart de tour.

«- ET ! LACHEZ LA IMMEDIATEMENT ! 

- Et... Regardez les gars... On dirait que ton chevalier servant vient d'arriver ma jolie...» Lui susurra l'un d'eux, lui caressant la joue, qu'elle dégagea aussi vite qu'elle le put en tournant la tête.

Alex n'hésita pas une seconde, et sorti son arme à feu de sa besace. Depuis qu'un de ces amis avait été tué dans une embuscade dans une banlieue à risques, il avait réussis à obtenir un droit pour porter une arme. Il la pointa sur les trois hommes, et lança de sa voix la plus ferme :

«- Lâchez la. Je ne me répéterai pas.»

Ils détalèrent en courant, laissant la jeune femme au sol. Alex remarqua que, même dans celle situation, elle était sublime. De long cheveux d'ébène et bouclés tombaient sur ces épaules bronzées. Ces yeux étaient d'un bleu perçant et captivant. Elle avait quelque rondeurs, et des formes à en faire pâlir Aphrodite. Il s'approcha d'elle, et posa sa main sur son épaule. Avant même qu'il ne la touche, elle s'accrocha à son cou et sanglota. Ses larmes chaudes coulaient le longs de sa joue, jusqu'à s'écraser contre l'épaule d'un Alex qui ne savait comment agir. Il décida de s'asseoir, dos contre un mur, et de la bercer doucement, passant sa main dans ces cheveux, la rassurant.

«- Chut... C'est terminé maintenant... C'est terminé maintenant... Il ne t'arrivera plus rien...»

Plusieurs minutes s'écoulèrent jusqu'à ce que la brunette se calme enfin. Alex se remit debout, et l'aida à se lever. Elle sortit un papier, et griffonna quelque chose, qu'elle tendit à Alex.

«- Merci... Et n'ouvre ce papier que quand je serais partie.»

Et elle partie en direction des beaux quartiers. Quand Alex regarda le morceau de papier, son coeur s'accéléra.

Voici mon numéro de téléphone. Après ce que tu as fait, je te dois bien un verre. A très bientôt je l'espère. Clémence. 


Ces mains étaient moites, et il ne cessait de les essuyer sur son bas de smoking. La dernière fois qu'il avait été aussi nerveux, c'était en attendant sa lettre d'admission à l'université. Il regardait tantôt ses pieds, tantôt la foule assise sur les bancs en bois de l'église. Il sentit quelqu'un lui poser une main sur l'épaule, et lui murmurer :

«- Relax mec... C'est bientôt l'heure.

- C'est facile à dire pour toi ! Ce n'est pas toi qui est sur le point de te marier.

- Et alors ? Reste cool. Tu signes pas ton arrêt de mort ! Arrête de gigoter, on dirait un collégien qui attend de savoir si la fille pour qui il a le béguin l'aime !»

Les deux hommes pouffèrent. Alex pouvait toujours compté sur son meilleur ami, Chris, pour le détendre. Après avoir été diplômé, Alex avait accepté un emploi dans une grosse entreprise. Chris et lui faisait équipe, et depuis, ils étaient copain comme cochon. C'est alors qu'elle entra par la grande porte. Tous se levèrent, et le fiancé mit plus de temps à réagir. Quand il dénia enfin se tourner vers la grande allée, son coeur loupa un battement. Peut-être même plusieurs. La femme de sa vie s'avança d'un pas lent le long des rangées. Sa longue robe blanche traînant au sol, elle était sublime. Son vêtement était serré à la taille, et la soie s'ajustait parfaitement à la forme de ses seins. Elle était simple. Sans aucune dentelle, aucun décor. Une simple robe en soie blanche, bien coupée. Et pourtant, le résultat était sans appel. Ces cheveux étaient attachés en un chignon complexe, parsemé de petites plumes blanches, et un voile lui tombait devant le visage. Mais même à travers, il pouvait la voir sourire, se tenant fermement au bras de son père pour ne pas tomber. Ce dernier l'abandonna une fois devant l'autel, lui baisa les mains, qu'il tendit ensuite à Alex. Quand elle fut devant lui, il souleva lentement le voile jusqu'à le mettre à l'arrière de la tête de sa bien aimée. 

«- Tu es divine.» Lui souffla-t-il.

Le religieux commença son discours, qui abrutissait la quasi-totalité des invités. Il en arriva aux vœux. Durant les répétitions, ils ne les avaient formulés : c'était une surprise. Étrangement, la fiancée avait toujours insisté pour que son futur époux commence. L'homme d'église lui fit un signe de tête, lui donnant l'autorisation de commencer :

«- Il y a cinq ans de cela, je me promenais dans les rues de Paris, repensant à quel point la semaine que j'avais vécu avait été désastreuse. J'avais perdu mon père sous mes propres yeux, et appris que ma mère été malade. Mais qui aurait pu savoir ce qu'il se passerait pas la suite ? Personne. Parce que jamais je n'aurais pu penser que cette jeune femme se faisant agresser dans une ruelle sombre deviendrait ma femme un jour. Non. Ne pleure pas mon ange. Mais souviens toi. Ce soir là, quand tu t'es effondré, je t'ai retenu. Je le ferais toute ma vie. Ce soir là, quand tu pleurais, je séchais tes larmes. Et je le ferais jusqu'à la fin de mes jours. Ce soir là, j'étais là pour toi, et je le serais jusqu'à mon dernier souffle. Ce soir là, nous avons vécu le pire, et nous sommes ici pour vivre le meilleur. Je t'aime Clémence. C'est aussi simple que cela. Tu ne seras ni mon bateau, ni mon vent, ni ma voile, et encore moins mon ancre. Tu seras toi. Tu seras mon ange. Rien de plus.»

La jeune sécha ses larmes, et déclara à sa suite :

«- Il y a cinq ans de cela, je rentrais d'une horrible journée de boulot. J'avais raté mon métro, aucun taxi n'était disponible. J'ai du rentré à pied. C'est alors qu'ils sont arrivés. Mais tu es arrivé peu après. Tu as été mon chevalier. Mon sauveur. Après t'avoir donner mon numéro, je me suis longtemps dis que s'était une erreur. Et s'en était une. Mais la plus belle erreur de ma vie. Ce soir là, tu as été là pour moi comme jamais personne ne l'avait été. Mais j'étais là pour te serrer la main, et te réconforter, à l'enterrement de ton père. Et je ferais toute ma vie. J'étais là, quand tu as fais un malaise, et j'ai pris soin de toi. Et je le ferais à jamais. J'étais là durant tes longues nuits de travail, à te faire du café pour que tienne le coup, pour que n'abandonne pas. Je ne t'ai pas abandonné. Et je ne le ferai jamais. Je t'aime Alex. Et ce, je pense, depuis le moment où tu m'as laissé pleurer sur ta chemise, ce soir, dans cette ruelle sombre et humide. On a déjà vécu dans l'ombre. Laissons nous porter par la lumière. Et tu ne seras jamais mon soleil, mon souffle de vie, ou autre connerie du genre. Non. Tu es Alex, mon chevalier à la sacoche et au jean troué. Rien de plus. Je t'aime.»

Le garçon d'honneur apporta les alliances. Alex prit un anneau fin couleur or. Dessus était gravé After all this time ? 

«- Nous sommes uniques. Et par cette alliance, je te fais mienne. Et notre amour ne se terminera jamais.»

En même temps qu'il prononçait ces mots, il passa la bague au doigt de sa dame. Cette dernière prit l'autre alliance, plus épaisse, sur laquelle était gravée Always.

«- Nous sommes uniques. Et par cette alliance, je te fais mien. Et notre amour s'essoufflera jamais.»

Et elle passa la bague au doigt de son mari. Le maître de cérémonie les déclara mari et femme, et Alex embrassa Clémence tendrement, mais avec passion. Un baiser chaste, mais puissant, électrique. Tout deux regardèrent ensuite leurs mains.

«- Nous venons réellement de nous marier... Avec des alliances gravées à l'honneur d'une série de livre. Déclara Clémence.

- Je béni tout les jours J.K Rowling pour avoir écrit ces bouquins, et encore plus Rogue pour m'avoir montré que l'amour résiste à tout.»

Quand ils sortirent du monument, ils furent accueillit par une floppée de pétales de roses. Ils se dirigèrent vers leur voitures, et partirent en direction de la salle, où le banquet devait avoir lieu. Ils étaient mariés. Alex leva les yeux vers le ciel bleu qu'offrait ce mois de juillet et envoya une pensée à son père : Je prendrais soin d'elle comme je t'ai promis de le faire Papa. Je serais un homme bon pour elle. Et un bon père pour l'enfant que nous avons mis en route. Papa... J'ai laissé, au premier rang une place de libre. Elle était pour toi. 


Inspire. Expire. Inspire. Expire. Tout va bien se passer… Tu n'as pas de raison de t'inquiéter… Mais… Mais oui. Bien sur que j'ai des raisons de m'inquiéter ! Il pourrait y avoir des complications… De GROSSES complications. Oh mon Dieu, mon Dieu, mon Dieu… Sortez moi de ce merdier ! 

- M. Stendia, elle vous demande.

Alex suivit le médecin dans une petite salle, où sa femme était allongée sur un lit, dans une blouse horrible, transpirante et haletante. Tout en rassurant sa femme, Alex se demanda comment il en était arrivé là. Il se rappela cette soirée, dans la ruelle, où il l'avait croisé pour la première fois. Puis il se souvint de leurs premiers rendez-vous dans le petit bistro du coin, ou bien au cinéma. Il se remémora du jour où il avait cru la perdre, lors d'un accident de métro, ou encore, du jour où ils avaient emménagé ensemble. Mais le mieux, restait encore le jour où elle avait accepté de l'épouser.

Alex faisait les cents pas devant les portes automatiques du supermarché Casino. Il lui avait donné rendez vous ici. Il lui avait dit de se faire belle, parce qu'il l'emmenait dans un endroit spécial. Lui même avait revêtu un jean et une chemise hors de prix, mais qui donnaient un effet branché. Il la vit arrivé, de l'autre côté de la rue. Elle avait mis une robe noire, et de jolis escarpins. Ces cheveux bouclés dans le vent, le sourire aux lèvres, elle l'embrassa tendrement, et entrelaça ces doigts aux siens. 

“- Où m'emmènes-tu mon Lancelot ?

- Dans un endroit spécial ma Guenièvre.”

Ils avaient commencé ce jeu il y a quelques années de cela maintenant. Ils marchèrent main dans la main, et arrivèrent sur les bords de la Seine. Mais Alex continua a traînée Clémence, un peu plus loin, jusqu'au Pont des Arts. Il y avait beaucoup de monde, beaucoup de couple, mais il avait son idée en tête, et il n'en démordrait pas.

“- Oh Alex, tu te souviens quand nous avons accroché un cadenas ici même il y a quelques années ? Demanda Clémence, la joie imprégnant sa voix.

- Bien sûr que je m'en souviens, il est juste là.”

Alex prit délicatement le fermoir dans sa main, et fouilla dans sa poche. Il en sorti une clef. Il décrocha de petit objet, le regarda avec nostalgie, et le jetta dans le fleuve. Clémence, elle, était au bord des larmes. Ce cadenas signifiait son amour pour elle, et le jeter à l'eau revenait à la jeter elle.

“- Je… Alex… Je ne comprends pas… Si je… Si j'ai… Enfin… Alex je t'en prie… Bredouilla-t-elle, la tristesse lui serrant la gorge.”

Alex, maintenant trentenaire, souria comme un enfant.

“- Tu sais, ce cadenas ne représentait rien. Ce n'était qu'une image. Mais quitte à te donner une image de l'amour, je préfère avoir une représentation plus puissante.”

Il s'agenouilla, et sorti une petite boite de la poche de son jean.

“- Je ne veux plus d'un fermoir sur un pont pour te montrer mon amour. Nous ne sommes plus des adolescents. Clémence Maria Elizabeth Tornado, acceptes-tu de devenir ma femme ?”

Une main plaquée sur sa bouche, les yeux écarquillées de stupeur, Clémence ne savait plus que faire. Le choc avait été trop brutal. Après avoir cru un instant qu'il la quittait, voilà qu'il la demandait en mariage. Et tout ces passants qui les regardaient… Les larmes coulaient sur ces joues… Puis elle tendit la main. Dans un geste chevaleresque, Alex se releva, et passa la bague à l'annulaire de sa fiancée. Ce dernier voulu parler, mais elle le coupa :

“- Ne dis rien et embrasse moi.”

Il ne se fit pas prier. Pendant que la foule les applaudissaient, ils se murmurèrent “Je t'aime”, tout contre leurs lèvres.


“- ALEX TA MAIN !!”

L'interpellé sorti de sa rêverie, et donna sa main à sa femme, sans réellement comprendre ce qu'il se passait. Il revint immédiatement à la réalité quand il eut l'impression d'avoir les doigts écrasés par un douze tonnes. Clémence hurlait à s'en déchirer les cordes vocales, mais tant pis, la douleur était trop forte. Elle était encouragée par le médecin et ces assistantes, et par son mari, qui, à cet instant, se demandait s'il allait un jour pouvoir se resservir de sa main. Elle doit m'aimer pour pouvoir endurer ça... Pensa Alex, au moment même où Clémence beuglait :

«- Je te hais Alex de m'avoir fait ça ! JE TE HAIS !»

L'accouchement sembla durer des heures, au point que le futur père ne sentait plus sa main, toujours comprimée. L'autre caressait doucement tantôt les épaules de sa femme, tantôt ces cheveux. Il faisait tout pour lui montrer qu'il était là. Mais s'il avait le malheur de prononcer un seul mot ou d'émettre un simple son, Clémence crachait tout son venin et devenait pire qu'un dragon. Note à moi même : Ne jamais parler à une femme en train d'accoucher, sauf si on est médecin... Et encore. 

«- Allez y Madame, c'est bientôt la fin !» L'encouragea la blouse blanche.

Cette réplique fut très vite suivie par un «Je vois sa tête !», puis d'un «Encore un dernier effort !», pour se terminer par un cri strident, poussé par un nouveau né. Clémence lâcha enfin la pauvre main d'Alex, qui alla couper le cordon ombilical. Le médecin parti avec le bébé pour les examens d'usage. Quand il revint, les deux parents été côte à côte, roucoulant de bonheur.

«- Félicitations ! Madame...»

C'est les larmes aux yeux que la nouvelle mère prit son bébé dans ces bras. Elle ne dit mot, mais son regard en disait long. Les minutes passèrent.

«-Prends ton fils, mon Lancelot...» Murmura-t-elle, exténuée.

Il s'exécuta. Une vague de bien être le submergea, et emporta tout sur son passage. Alex hoqueta, et commença à pleurer de larmes silencieuses, tout en berçant doucement l'enfant, qui ouvrit ces yeux, et dévoila un océan bleu acier.

«-Bienvenu, mon Arthur...»


Arthur était à quatre pattes, devant ces jouets en plastique. Cela faisait plusieurs jours que ces parents tentaient désespérément de lui faire dire autre chose que des babillages, mais en vain. C'est alors qu'il vit son père, avachi sur le canapé du salon, surfant sur le net à l'aide de sa tablette tactile. Il se dirigea vers lui, non sans difficulté. Le sol se déroba soudain sous lui, et il se retrouva sur l'une des cuisses de son paternel.

«- Alors comment ça va mon bonhomme ?» Lui demanda-t-il, en posant un baiser dans ses cheveux filasses et brun. Mais l'enfant était nettement plus intéressé par le rectangle lumineux et coloré posé sur la basse en bois d'acajou.

«- Ça t'intrigue hein ? Aller... Tu as gagné !»

Alex récupéra la tablette, et la posa sur son autre jambe. Il tapota sur quelques boutons, et fit apparaître un poussin jaune, aux yeux démesurément disproportionnés. L'enfant rigola.

«- Il le plaît le poussin mon cœur ?»

Pour toute réponse, il eut droit à un des rires joyeux du bambin, qui avait le don de le faire craquer. Arthur regarda son père droit dans les yeux. Il les avaient bleus, comme sa mère. Peut-être les garderait-il ?

«- Papa.»

Devant le regard éberlué de son père, l'enfant ajouta :

«- Papa.»

Alex posa l'appareil électronique sur le divan, prit son fils en poids et le porta à bout de bras, le visage baigné de larmes de joies.

«- Tu as bien dit «Papa» mon trésor ?»

Et l'enfant prononça, les bras en avant :

«- Papa !»

Lancelot donna le câlin demandé par son fils, le serrant fort contre sa poitrine, pendant qu'Arthur répétait, au creux de son cou :

«- Papa...»


Anne était allongée dans un lit simple aux draps blancs, dans une chambre d'hôpital. Alex, les cheveux grisonnants, entra, suivi par Clémence dont les cheveux perdaient leurs éclats. Alex se posa près du lit de sa mère, et prit ces mains dans les siennes. Cela faisait plusieurs mois maintenant que sa mère était hospitalisée. Son cancer était en phase terminale, et, Alex le savait, elle pouvait partir du jour au lendemain. Les médecins l'avaient appelés en catastrophe en ce début d'après-midi : Anne le réclamait. Aussi bien Clémence qu'Alex savait ce qu'il risquait de se passer. La mourante, raccrochée à la vie par une multitude de tuyaux, demanda à la femme de son fils de s'avancer. D'une voix faible, elle annonça :

«- Clémence... Ma belle... Comment vas-tu ?»

La dénommée Clémence rigola nerveusement, sans réelle conviction, et répondit par l'affirmative.

«- Clémence... Comment vas mon petit Arthur ?

- Il est chez mes parents. Mon frère était de passage, et je crois que son parrain les as rejoint là bas. 

- Fais lui un gros bisous de la part de sa Mamie s'il te plaît...»

Clémence hocha la tête.

«- Clémence... Tu es un femme merveilleuse... Prends bien soin de mon Alex quand je ne serais plus là... Il a beau être père et adulte, il reste un enfant... Promets moi de prendre soin de lui Clémence...»

«- Je vous le promet Anne...» Hacha-t-elle, retenant un sanglot.

La grand-mère respira bruyamment. Elle avait beaucoup de difficulté à le faire, et cela se voyait. Les mains d'Alex devinrent soudainement moites, et sa gorge se serra. Sa mère avança alors une main tremblante vers la joue de son enfant, qu'elle caressa tendrement du pouce. Lancelot posa sa main contre celle de sa mère, et appuya sa joue contre elle, espérant que ce futile contact ne se rompe jamais.

«- Alex... Mon tout petit... Prends soin de ta femme comme tu as pris soin de moi mon cœur. Traite la avec respect, et aime la comme si tu devais mourir demain. On a qu'une seule vie. Prends soin d'Arthur comme j'ai pris soin de toi tout au long de ces années. Tu sais comme moi que l'on a qu'un seul père, et que rien, ni personne ne peut le remplacer.»

Les larmes coulèrent le long des joues d'Alex. Sa mère le força à la regarder. Ces yeux noirs étaient humides. Une autre larmes roula le long de son visage.

«- Chut... Mon tout petit, ne pleure pas... Cela fait parti des choses de la vie...

- J'aimerai simplement que les fées soient présentent.» Articula-t-il.

Anne souriait.

«- Je me souviens quand tu n'avais encore que trois ans. Nous étions dans le parc de jeux, et tu jouais avec ce ballon rouge que t'avais offert ton père pour ton anniversaire. Il y avait d'autres enfants, mais tu préférais jouer tout seul, dans ton coin, avec ton ballon, à le faire rouler et courir après. Je me rappelle que tu n'avais pas prévu que le passage entre les graviers et cette matière mi-plastique mi-goudron te mettrais au la face contre le sol. Tu as commencé à pleurer. Je sortais à peine du travail, et tu voulais tellement aller jouer au square que je n'ai même pas eu le temps d'enlever mes escarpins. Cela m'a beaucoup ralenti, et je ne me suis jamais tant haïe d'être coquette que ce jour précis. Quand je t'ai pris dans mes bras, tu m'as expliqué pourquoi tu pleurais, et je t'ai parler du bisou magique. Tu ne savais pas ce que c'était. Je t'ai alors emmené sous ce toboggan rouge, et je t'ai dis Le bisou magique mon fils, est un cadeau que les fées ont fait aux papas et aux mamans, pour que, quand le monde est triste, avec un bisou magique...

- Tout le monde soit à nouveau heureux.» Termina Alex.

Mère et fils rigolèrent ensemble, quand Anne fut prise d'une violente quinte de toux. Le cœur d'Alex se serra un peu plus, et sa gorge se nua. Il était au bord du sanglot.

«- J'aimerai tellement que les fées me donnent un peu de leur magie pour te soigner Maman...
- Ce ne serait pas juste. Parce que si les fées te donnent plus de magie, il n'y en aura plus assez pour les autres parents... Mon chéri... Tu es un homme maintenant. Un homme bon. Tu as su que cela se terminerait comme cela, quand nous avons apprit pour ma maladie... 

- J'aurais simplement aimé avoir un peu plus de temps... Un mois, une semaine... Un jour... Ou une heure... Une misérable petite heure... Dit-il en baissant les yeux.

- Alex... J'ai eu une belle vie. J'ai eu une belle enfance, et des parents aimants. J'ai fais un travail qui me plaisait. J'ai pardonné à ton père quelques années après qu'il soit parti. J'ai une belle-fille superbe et un petit-fils adorable. Et surtout, je t'ai eu toi. Je ne sais pas ce qu'aurais été ma vie sans toi... Je t'aime mon trésor...»

Une machine commença à émettre des bruits étranges, alors que la respiration d'Anne se faisait de plus en faible, et des mots n'étaient plus que des murmures.

«- Maman...!

- Alex... Mon tout petit...» Murmura-t-elle.

La machine émit un son aiguë en continu. Les membres d'Anne devinrent pantelants, et sa poitrine ne se soulevait plus.

«- Maman.»

Alex était désespéré. Les larmes coulaient sur son visage, mais il ne s'en rendit pas compte. Il serra la main de sa mère, toujours présente dans la sienne. Il la secoua. Il appelait sa génitrice, mais il n'avait aucune réponse. Elle était parti.

«- Maman.... Non... Je t'en prie... Maman...»

Clémence encercla le torse de son mari de ces bras, et le berça doucement. Il posa la main de sa mère sur son front. Son corps devenait froid.

«- Maman, je t'en prie... Je t'en prie... Je t'en prie...»

Il prononçait cette phrase tout en sachant qu'il n'aurait jamais de réponse. Ces yeux se posèrent sur la dépouille de sa mère. Il ne supporta pas cette vision. Elle, cette femme si belle, si forte, sa mère... Elle ne pouvait pas.. Cela ne se pouvait. Et pourtant. Toujours assis sur le tabouret, il se retourna et serra sa femme entre ces bras, la tête sur sa poitrine, les bras autour de sa taille, s'accrochant à elle : elle était son dernier espoir. Clémence le serra contre lui, caressant les cheveux de son époux. Elle aussi pleurait. Mais elle ne voulait pas lui montrer. Connaissant son Lancelot, il voudrait la consoler elle. Mais aujourd'hui, elle n'avait pas besoin de son torse pour sécher ses larmes. Cette fois, c'est lui, cet homme qu'elle aimait, cet homme déchiré par la mort de sa mère, qui avait besoin de soutient, et de réconfort. Ses sanglots étaient puissants, mais tant pis. Sa mère était partie. A jamais. Et ni lui, ni les fées, ne pourraient changés cela. Elle était parti... Elle est partie... Elle est partie... 


Alex, à genoux dans son jardin, arrosait ses plans de carottes et ces rosiers, quand un petit garçon aux yeux aussi noirs que les siens de viennent vers lui.

«- Tu fais quoi Papi ?

- Tu vois bien mon chéri, j'arrose mes plantes.

- Pourquoi ?

- Pour qu'elles grandissent.

- Pourquoi ?

- Et pourquoi pas ? Répondit-il, le sourire aux lèvres.

- Elliot ! N'embête pas ton grand-père ! Héla son père.

- Voyons Arthur mon garçon ! Laisse cet enfant vivre... Va donc aider ta grand-mère à éplucher les patates pour ce soir Elliot. 

- Oh oui, la cuisine avec Mamie !»

Et le petit-fils parti aussi vite qu'il était venu. Père et fils rigolèrent de bon cœur, Alex se redressant doucement.

«- Un vrai phénomène ce petit...

- Tu étais bien pire à son âge !

- Non !

- Oh si !» Confirma Alex.

Ce dernier toussa. Ces poumons lui faisaient un mal de chien. A en croire qu'ils tentaient de sortir de sa cage thoracique par sa gorge. Arthur, prit de panique, tenait le bras droit de son père, une main dans son dos. 

«- Allons, allons... 

- Papa, tu devrais te reposer... Tes plantes peuvent attendre.»

Le vieil homme et son fils retrouvèrent leurs joyaux dans la cuisine. Sa femme et son petit-fils pour l'un, sa mère, sa femme et son fils pour l'autre. Une fois le repas près, ils mangèrent avec convivialité, comme à chaque fois. Enfin, quand Elliot commença à somnoler, sa mère alla le mettre dans la voiture. Elle souhaita la bonne nuit à Alex et à Clémence, et se retira, leurs précisant qu'ils étaient les meilleurs beaux-parents au monde. Arthur embrassa sa mère, et fit un câlin à son père. 

«- Je t'aime Papa...» Sussura-t-il à ton paternel, au creux de son oreille. Ils se regardèrent.

«- Moi aussi je t'aime mon fils.»


Alex s'allongea avec difficulté dans son lit. Il embrassa sa femme, lui souhaita la bonne nuit, et lui dit, une fois de plus, qu'il l'aimait de tout son être.

«- Je t'aime Clémence... Ma Guenièvre.

- Je t'aime Alex... Mon Lancelot.»

Elle se retourna, et s'endormit aussitôt. Alex, lui, ne trouvait pas le sommeil. Sa poitrine lui faisait horriblement mal, comme depuis plusieurs mois. Il ferma les yeux, et repensa à sa vie. Il se rappela combien il s'était senti heureux quand sa défunte mère lui avait raconté pour la première fois, l'histoire du bisous magique. Il repensa à son début d'après-midi avec sa petite fille, Lina.

La fillette poursuivait une très vieille balle rouge. Manque de chance, elle chancela soudainement et tomba sur les genoux. Elle commença à pleurer. Tout les adultes s'étaient levés d'un bond, mais Alex, le plus âgé fut, paradoxalement, le plus rapide. Il aida la prunelle de ces yeux à se remettre debout, et lui demanda d'une voix douce :

«- Pourquoi pleures-tu ma belle Lina ?

- Je... Je suis tom... Tombée !»

Et elle pleura de plus belle. Un sourire se dessina sur le visage du vieillard, et il demanda :

«- Tu veux que je te face un bisous magique pour te guérir ?»

Lina le regarda avec les yeux de merlan fris.

«- Papi. C'est quoi un bisou magique ?

- Tu ne connais pas l'histoire du bisous magique ?» Dit-il, faussement outré.

La petite fille hocha la tête en signe de dénégation. Alex la prit par la main, et l'emmena à l'autre bout du jardin. Il se mit à sa hauteur.

«- Je vais te dire un grand secret qu'il ne faudra répéter à personne ! Même pas à Papa et Maman. Parce que ma chérie, le bisou magique est un cadeau que les fées ont fait aux papas et aux mamans, pour que, quand le monde est triste, avec un bisou magique, tout le monde soit à nouveau heureux.

- Mais tu n'es pas mon Papa, Papi !

- Oui. Mais je suis le Papa de ton Papa à toi. Et j'ai une réserve de poudre magique caché dans un boîte dans le garage. Lui annonça-t-il en lui faisant un clin d'œil.»

Alex prit les poignets délicats de son trésor, et déposa un baiser dessus. Instantanément, la fillette retrouva le sourire, étreignit son grand-père, lui disant merci, et lui disant qu'il était le meilleur grand-père du monde entier et qu'elle l'aimait.

Un sourire se plaqua sur ces lèvres au souvenir de ce moment. Il se souvint du jour où il avait rencontré Clémence. Du jour où elle avait accepté d'être sa femme. Du jour où il avait revu son père. Du jour où  Arthur est né. Au moment où sa vision se troublait, et où une douleur fulgurante à la poitrine le paralysait, il se souvint du sourire de sa mère. 


Il vit une lumière blanche éclatante au bout d'un long couloir sombre. Seul le bruit de ses pas résonnaient. Mais plus il avançait, et plus il rajeunissait. Jusqu'à quelque centimètre de la sortie, il était de nouveau un nourrisson. Une force invisible le propulsa dans la lumière. Il fut aveuglé. Il ne pouvait pas respirer. C'est avec difficulté que l'air pénétra enfin dans ces poumons. Il poussa un cri puissant, et sonore. Un homme étrange le tenait. Il portait une charlotte, un masque et une blouse en papier étrange bleu. Sa voix grave résonna dans la petite pièce.

«- Félicitations Madame. C'est un garçon.»


Et si notre vie n'était que le rêve d'un nourrisson encore dans le ventre de sa mère ?

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