Reviens, magicien

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Un texte, un message que j'adresse à mon camarade actuellement perdu dans l'océan Pacifique. Écrit sur le vif, prise par l'émotion, sans réfléchir à l'esthétique, juste pour le faire revenir.

À Tahiti, un après-midi houleux, froid, un adolescent a décidé de braver la tempête, d'ignorer l'alerte jaune qui incitait le monde à rester chez lui. Une houle de 3m et une pluie glacée.

C'est ce jour là que Matariki, garçon tahitien, a été emporté dans le large de Tahiti, approchant une passe nommée Tevahi, aux alentours de Paea alors qu'il voulait venir en aide à son ami déjà en difficulté à cause des vagues. L'ami est revenu sain et sauf, Matariki n'y arrivait pas. 

Son Paddle a été retrouvé le lendemain sur l'île sœur : Moorea. Lui ? Nous cherchons et espérons. L'infime chance qu'il puisse encore être en vie conserve notre équilibre déjà bien chamboulé.

Nous ne sommes pas prêts pour le départ d'un ami, pas de manière aussi brusque. Et même si nous n'étions au final que des inconnus qui se disaient bonjour une fois dans l'année, qui s'accordaient un regard de temps à autre, je peux dire que moi aussi j'ai mal. Et que, si tu reviens, j'apprendrai à faire de ces regards de vrais dialogues. 

Je te dédie ce texte.


  Reviens.

On s'en fout des gens, on s'en fout du monde, ton passé a déjà été démoli, il ne nous importe plus.

  Homme de la mer, accroche-toi même quand l'eau monte. Prends appuie sur tes rêves, embrasse cette jeunesse et cette vivacité, prends les avec les mains et ramène les au rivage de force. Crache au visage du froid, repousse-le, maudis-le. Accroche-toi à la vie.

  Reviens.

  J'ai pendant de nombreuses heures appréhendé, eu peur que cette angoisse laisse place à une irrévocable et affreuse réalité. Toi enfant perdu, retrouve ton chemin au travers de la houle, rentre à la maison. Je connais une fille qui t'attend.

  Elle est brisée, vidée, elle a attendu autant que ses larmes ont pu couler. Elle en a connu des misères, elle a pendant des années gardé son sang froid et compris que la vie n'était pas juste, mais qu'elle était en droit de vivre la sienne sans craquer.

  Pourtant le craquèlement s'est fait, là, entre son corps et son âme. Les lésions semblent graves, et elle se vide encore, sourit, pleure, endure, encaisse. Elle se fissure encore et encore, jusqu'à attendre que tu ne réduises les derniers morceaux qui la façonnent.

  Reviens.

  On a compris la leçon, ne nous accable plus de ton absence. S'il te plait, elle souffre, on le voit si bien. Toi aussi, je sais, je t'en prie, reviens.

  Les vagues ne triompheront pas, elles s'écraseront devant toi, comprendront qu'elles ne peuvent pas faire de toi leur disciple.   Petit homme de seize ans perdu en mer, camarade de classe, rayon de soleil, sourire sur pattes. Pitié, reviens.

Mata, je t'en supplie. Reviens.

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