Rhapsodie mexicaine - chapt 10 / This ship has sailed

sanka

A 9 heures pile, j'appelle Sue-Ellen. Cela semble la contrarier. Elle m'annonce qu'elle allait justement me contacter. Bien. Je l'ai devancé de quelques minutes. Ce sera mon unique plaisir.

Quatrième jour - Lundi 15 Décembre 2008.

 

 

This ship has sailed

 

A 9 heures pile, j'appelle Sue-Ellen. Cela semble la contrarier. Elle m'annonce qu'elle allait justement me contacter. Bien. Je l'ai devancé de quelques minutes. Ce sera mon unique plaisir. 

La conversation est courte. Il faut dire que c'est simple : nous sommes virés.

L'efficacité est extrême. L'équipe doit quitter le pays dès le lendemain. Ils ont la journée pour faire leurs affaires. Pour eux comme pour moi, « l'aventure s'arrête là ».

Hélène utilise le vocabulaire d'une présentatrice télé qui aurait animé un Reality Show[1]. Son débit rapide, sa voix rauque, servent un rôle qu'elle semble avoir plaisir à endosser. Je la trouve borderline.

« Vous vous êtes bien battus », assure-t-elle, ponctuant comme à son habitude ses phrases d'anglais et d'espagnol, sans raison précise. « But you failed[2]. Dans ce job, les règles sont claires dès le départ, on ne garde que les meilleurs. Only the best[3] ! Certes, Mathilde, tu nous as donné beaucoup d'espoir et tu as même fait partie des vendeuses de choc pendant un temps. Court, mais prometteur. Tu étais au summum pendant ton premier projet au Portugal. Tu as dévoilé toute ta combativité en Arabie Saoudite, à l'abordage d'un terrain pourtant réputé difficile mais où tu as remporté de francs succès, qui ont fait la fierté de ton équipage. Cependant, cette dernière étape au Mexique te coûte son poste, querida. Lo sentimos mucho, pero así es[4]. Tu n'as pas su te montrer à la hauteur de ce que l'on attendait. Ttttn ttt, ne proteste pas, I don't wanna hear it[5]. Tu n'as pas tenu bon la barre et pour éviter le naufrage, mieux vaut changer de capitaine, d'équipage et de cap ! » Hélène semble maintenant commenter une régate sous un ciel zébré de tempête. « Ojalá[6], Mathilde, tu te trouveras d'autres défis à relever, sur des eaux plus calmes. » 

Ne s'embarrassant plus d'images maritimes, Hélène explique que si l'équipe doit partir dès demain, je dispose de 3 jours, pour clore le compte en banque, prévenir la propriétaire de l'appartement de la fin de la location, payer leur dernier salaire à Lucinda, la chauffeuse, et à Ana, la femme de ménage. Puis je quitterai à mon tour le Mexique. Ce jeudi même, après avoir rempli toutes les formalités nécessaires. Ensuite, je suis attendue à Madrid pour remettre le matériel et débriefer en personne. Et pour serrer la main à ses collègues d'un temps. End of story[7]. Sans rancune. E adiós[8]

L'Espagnole et l'Italien passent la journée à emballer leurs affaires.

Moi, je me barricade dans le mutisme. Je suis sonnée, absente, comme assommée. Je tapote mon clavier d'ordinateur sans me résoudre à faire les appels. Je tente de contacter Dom à plusieurs reprises, mais il n'y a pas décidemment pas une once de connexion, là où il se trouve. Je suis épuisée. Physiquement, moralement. Je décide de regarder Dexter en streaming et de faire semblant de travailler quand Alessandro ou Carmen passent dans la pièce dévolue au bureau. Quand je les vois, eux et leur air de reproche malheureux, je ne peux pas m'empêcher de fulminer : Qu'ils aillent tous se faire foutre ! J'ai donné 3 mois de ma vie pour un projet de merde. Y a-t-il un pays dont l'économie est plus liée à l'économie américaine que le Mexique ? Aucun ! On m'a mis dans une position pourrie, dans un projet pourri, pour un media pourri, à travailler pour la plus pourrie des connasses de la galaxie et en plus, je devrais me prendre la tête à aller consoler les troupes ? A terminer le projet en beauté ? A assurer la logistique ?

Aujourd'hui, bordel, je décompresse, sinon, ça va être Hiroshima. Demain, peut-être, j'atterrirai pour organiser la cessation totale des activités. Demain, on verra.

Demain, je serai encore plus seule qu'hier.

Ana, la femme de ménage, ne compte pas. Elle est aussi discrète qu'une souris. Quant à Lucinda, je lui ai déjà dit que nous n'aurions probablement pas besoin de ses services cette semaine. Notre agenda était désespérément vide et Lucinda passait par de sales moments… En plus, la Quinceañera de sa fille réclame toute son attention. Il faudrait l'appeler mais je n'ai pas encore le courage de la prévenir.

La seule chose que je veux, aujourd'hui, c'est regarder la vie d'un mec qui fait exactement ce qui doit être fait quand quelqu'un dépasse les putains de limites.


[1] Emission de télé-réalité

[2] Mais vous avez échoué.

[3] Seulement les meilleurs!

[4] Chérie. Nous sommes vraiment désolés, mais c'est comme ça.

[5] Je ne veux rien entendre.

[6] Si Dieu veut.

[7] Fin de l'histoire.

[8] Et adieu.

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