Rhapsodie mexicaine - chapt 13 / Vacances d'hiver à Mexico
sanka
Septième jour - Jeudi 18 Décembre 2008
Vacances d'hiver à Mexico
L'avion atterrit sans encombre à l'aéroport international de Juárez, à Mexico City. Hélène se dirige vers l'une des petites officines installées avant l'ultime barrage douanier pour prendre un taxi payé à l'avance. Elle rugit : « Polanco ! », avec le ton de celle à qui on ne la fait pas. On lui demande le prix normal : 170 pesos. Une moue approbatrice se dessine sur ses lèvres fines. On ne la prend pas pour une touriste fraichement débarquée.
Le temps est frais mais ne l'a pas pris en traitre. Elle a dirigé un projet dans la région quand elle était sur le terrain. Il ne faut pas s'attendre à une once de chaleur à cette époque de l'année, d'autant plus que la tentaculaire ville siège à plus de 2200 mètres d'altitude. Encombrée de bagnoles, bouffée par la pollution, elle n'a guère changée depuis sa dernière visite. Certainement s'est-elle étoffée de plus d'êtres vivants, qui s'agglutinent tels des insectes dans l'ancienne capitale Aztèque, boursoufflée par la modernité.
Hélène retrouve la métropole Mexicaine avec un plaisir mitigé, mais elle est soulagée d'avoir pu quitter Madrid. Son départ est une fuite qu'elle est contente d'avoir entamée sans délai. Elle déborde de toute part et ça l'inquiète au plus haut point. Hier soir, elle s'est carrément confiée à Pilar, passée à l'improviste tandis qu'Hélène faisait ses bagages. Les coupables ? De traitres White Russians[1], alliés à un manque flagrant de sommeil.
Le chauffeur de taxi s'évertue à embarquer la valise dans le coffre de sa Mercedes. Aussi large que haut, sa chevelure noir corbeau est coupée en brosse. Son accoutrement ressemble à celui de n'importe quel type d'Amérique du Nord : sweatshirt informe marqué d'un chiffre épais, comme s'il faisait partie d'une équipe de sport (ce que sa corpulence dément sans l'ombre d'un doute) et jean suffisamment ample pour épouser des formes compactes. A son cou se balance un médaillon de la Vierge noire de Guadalupe, dont la Basilique, construite sur les contreforts de la ville, est le monument catholique le plus visité après la Basilique Saint Pierre de Rome au Vatican. « Que maletón ![5] » hennit l'homme.
Hélène ignore tout de son contenu. Son hésitation teintée de stupeur quand elle a répondu avoir fait son bagage sans assistance n'a pas échappé à l'hôtesse au sol. Elle espère qu'elle ne l'a pas rempli de doudounes, d'écharpes et de gants de ski. Elle s'est réveillée dans un lit qui ressemblait à un étal spécial vacances d'hiver. Qui sait ce qu'elle a fait, hier soir, avant d'être avalée par un sommeil alcoolisé.
Après un trajet péniblement long sur le périphérique bondé, la voiture bifurque enfin vers Los Morales, dans le quartier de Polanco. Les kiosques rouges des cireurs de chaussures sont luisants de propreté, à l'abri des buildings.
Les portiers de l'immeuble dans lequel réside Mathilde ouvrent à Hélène avec servilité.
Ils l'ont rencontré quelques mois auparavant et savent qu'elle est influente dans l'entreprise qui loue l'appartement au 5e étage. Ils la saluent avec la déférence de ceux qui ont très peu. Hélène demande, sans perdre de temps :
- Avez-vous vu Melle Deloze ?
- Non, pas aujourd'hui, elle n'est pas là.
- Et comment le savez-vous ?
- Ben… son véhicule n'est plus garé à sa place.
Hélène fronce les sourcils, contrariée.
- Quand l'avez vous vu pour la dernière fois ?
- Mardi.
Ils se regardent et précisent qu'ils gardent l'immeuble à deux, par tour de 24 heures.
- Ok, je verrai les autres pour leur demander s'ils l'ont aperçu hier. Elle allait où, mardi ?
- Elle a amené les autres à l'aéroport. Après, elle est repartie avec une BMW noire.
Hélène les remercie froidement et monte dans l'édifice.
Elle fait tourner une clef dans la serrure. Puis une autre. L'appartement possède autant de verrous qu'il y a d'étages pour y parvenir, reflétant en cela la paranoïa ambiante de Mexico.
Ana est dans la chambre de Mathilde. Elle sursaute en voyant la silhouette longue d'Hélène dans l'embrasure de la porte.
- Bonjour Ana. Savez-vous où se trouve Mathilde ?
- Je… Je ne sais pas.
Ana agite nerveusement la tête en signe de dénégation. Elle n'est pas habituée à être vouvoyée par ses employeurs et Hélène se situe tout en haut d'une échelle dont elle constitue le barreau le plus bas.
- Vous avez bien une idée d'où elle est allée, dit Hélène, l'air soupçonneux.
- Non ! Tout ce que je sais, c'est qu'elle est partie après les autres.
Hélène la scrute avec méfiance. Ana supporte avec difficulté ce regard, mais elle reprend :
- Ils sont tous partis. D'ailleurs je voulais vous demander… Ils ont pris leurs affaires et on ne m'a rien dit à moi, j'aurais voulu sav…
Hélène l'interrompt :
- Tttt, ttt, ttt. Après. Quand avez vous vu Mathilde pour la dernière fois ?
- Mardi. Je ne viens pas le mercredi.
- Et qu'est-ce qu'elle a fait, mardi ?
- Elle… elle a accompagnée les autres à l'aéroport à la place de Lucinda. J'ai trouvé ça bizarre, d'ailleurs, mais comme Lucinda prépare la Quinceañera de sa fille… Je me suis dit qu'elle avait du s'arranger avec la patronne… Ensuite, un chauffeur est venu la chercher et depuis, on ne s'est pas croisées.
- Savez-vous où elle est allée, avec ce chauffeur, Ana ?
- Non. Mlle Mathilde ne me tient pas au courant de son agenda.
- D'après-vous, elle est repassée par l'appartement ?
- Oui. C'est sûr.
Ana désigne le désordre environnant, en guise d'explication pour sa déduction. Hélène note que l'affreux lino sur lequel se trouve le matériel de peinture du compagnon de Mathilde est la seule zone épargnée. Un cyclone semble s'être abattu sur la chambre. Des affaires s'éparpillent à même le sol. Livres, cartes de jeux, une paire de bas filé, une crème au coco pour le corps, un foulard, des fringues éparses, quelques papiers, dont un, brillant et argenté, qui se détache du tas. De rares vêtements sont encore accrochés à la penderie dans le dressing.
- Et Dom ? Où est-il ?
- Su marido[6] ? Il est parti ce week-end. Je sais pas où.
Ana se tait et regarde ses pieds.
Hélène souffle et lui annonce abruptement que l'on n'a plus besoin de ses services. Elle fouille son sac, lui donne sa paye et y rajoute quelques centaines de pesos pour tempérer la brutalité de la nouvelle, qui se fait, précise-t-elle, sur toile de fond d'une violente crise internationale.
En quittant l'appartement, Ana prend le téléphone portable que la Française a laissé sur le bar de la cuisine. Elle l'insulte à mi-voix, en insérant l'appareil dans la poche de son tablier. Ça lui apprendra.
Hélène est encore dans la chambre de Mathilde. Sur le sol, elle attrape un carton d'invitation scintillant, qui annonce pour le lendemain, en lettres orangées étincelantes, l'anniversaire des 15 ans d'une gamine prénommée Hazel.
Hélène va dans la cuisine. Ouvre les placards, extirpe une bouteille de Tequila José Cuervo. Note qu'elle est bien entamée. S'en sert une rasade, avec l'intention de la finir. Et se sent comme l'inspecteur Colombo. Ou Dirty Harry. Elle n'est pas encore sûre.
[1] Cocktail à base de vodka, de liqueur de café et de lait
[2] Quelle grosse valise!
[3] Son mari?