Rhapsodie mexicaine - chapt 7 / La prochaine, c'est la bonne !

sanka

Après la rupture, Hélène a cru qu’elle aurait l’occasion de rencontrer un autre amour. Un autre homme, qu’il lui serait donné d’aimer.

La prochaine, c'est la bonne

 

Après la rupture, Hélène avait cru qu'elle aurait l'occasion de rencontrer un autre amour.

Un autre homme, qu'il lui serait donné d'aimer.

Mais le temps avait déroulé sa longue et monocorde chanson jusqu'à ce qu'elle soit si répétitive qu'Hélène avait fini par décider de prendre un nouveau départ, avec une agence de communication basée à Madrid. L'entreprise avait besoin d'une coordinatrice commerciale pour des publi-reportages portant sur divers pays du monde. Voyager me fera du bien, avait-elle décrété. Elle sortirait du microcosme parisien et rencontrerait sûrement quelqu'un, en d'autres terres plus propices à la réunion qu'elle appelait de ses vœux. Oui, l'existence se révélerait prodigue, elle vivrait à nouveau une véritable histoire d'amour, elle le sentait. Elle s'imaginait déjà ingénue et surprise, la poitrine gonflée de bonheur, la joie emplissant ses poumons. Elle rêvait à des aubes qu'on voit poindre à quatre yeux, après des nuits de confidences et de rires sur l'oreiller. Elle se raccrochait aux dictons, au bon sens populaire. Elle se le promettait : « Ce que j'ai vécu avec Peter, je l'ai vécu pour en apprendre quelque chose ! » Elle le martelait à ses amies, avec lesquelles elle discutait encore régulièrement, par téléphone ou messagerie interposée : « Cette rupture, c'est un mal pour un bien », disait-elle avec fermeté et toutes approuvaient d'un « Oui, oui, la prochaine, c'est la bonne ! », avec une confiance calquée sur celle qu'Hélène montrait.

Mais au fil du temps, les certitudes s'étiolent comme les voiles se déchirent.

Au fur et à mesure, les amies d'Hélène trouvaient « chaussure à leur pied » et leur temps devenait trop précieux pour le dispenser en discussions sans fin avec elle. Hélène avait l'impression de devenir de plus en plus insignifiante dans leur ligne de mire, de se transformer en un point minuscule qu'on aperçoit à peine en bas d'une tour d'ivoire qui n'en finit pas de s'élever. On l'oubliait d'autant plus facilement qu'elle était loin.

Le décalage horaire avec les contrées exotiques où elle résidait ne facilitait pas non plus les échanges. Et puis, elle et ses amies finissaient par n'avoir que peu de choses à se dire. Leurs quotidiens n'avaient plus rien en commun et surtout, Hélène s'était fermée comme une huitre.

Pour l'ouvrir, il aurait fallu y aller au couteau.

Elle était excédée d'affirmer, tête haute et moral au top : « C'est un mal pour un bien, le prochain, c'est le bon ! » Quand ses copines concluaient encore sur cette rengaine dont la seule raison d'être résidait dans son avantageux optimisme, Hélène avait envie de hurler sauvagement : « Mais la ferme ! Y'en a pas, de prochain ! J'ai raté ma chance, c'est tout ! » Elle n'en faisait jamais rien. Pour éviter que la violence de ses sentiments ne déborde sans contrôle, elle l'enfermait à double tour.

Il ne lui venait pas à l'esprit de partager sa tristesse et ses doutes car sa colère était au premier plan, dévorant tout sur son passage, cachant une vulnérabilité qu'elle même peinait à déceler tant sa rage était puissante. Pour conserver des relations authentiques avec les autres, encore aurait-il fallu qu'elle soit en contact avec la tristesse profonde que provoquait sa solitude amoureuse. Mais elle se tapissait derrière une fureur impérieuse. D'être si isolée, éplorée, esseulée ! Toute seule ! Une de ces personnes dont on ne veut pas. Cette injustice lui donnait envie de défoncer les portes à coups de bottes, de vider des bouteilles de whiskey dans son gosier, de taper des rails de coke à s'en faire exploser les narines. Elle avait passé des années à dire que son chemin solitaire rejoindrait celui d'un autre marcheur, d'un moment à l'autre. Que cet itinéraire en terre de moi et juste moi prendrait fin, incessamment sous peu. Elle était supposée vivre une vie excitante, riche de rencontres ! Où se planquait donc son prince charmant ? Pourquoi prenait-il tant de temps à la trouver ? Qu'il vienne, ce naze, qu'elle lui éclate le portrait ! Ne voyait-il pas que le temps passait, inexorablement, pour elle comme pour lui ?

Hélène, dont la ponctualité était parfaite, souffrait immensément de cette ironie du sort. Et sa solitude qui perdurait lui semblait si dégradante qu'elle avait même finit par s'inventer des aventures. Cela avait commencé sans qu'elle ne le décide vraiment. Un jour, en réponse à la sempiternelle question qui intervenait dans l'ensemble de ses conversations : « Tu as rencontré quelqu'un ? », elle s'était entendu lancer un affranchi : « Oui, enfin, rien de sérieux, mais c'est agréable !»  Cela avait paru soulager son interlocuteur, qui ne s'était pas hasardé à lui en demander plus. Ces quelques mots avaient débarrassé Hélène, momentanément, de l'annonce d'un échec qui s'éternisait. Avantage collatéral, cela avait rendue ses copines vaguement envieuses, car elles ne goutaient plus au jeu léger de la séduction, ou à celui, doux-amer, des aventures sans promesses ni gravité.

Et ainsi, tandis qu'elle enchainait les projets dans divers pays, son espoir de rencontrer l'âme sœur s'était peu à peu amenuisé, jusqu'à disparaitre, sans qu'elle ne dise plus à personne à quel point son esseulement lui faisait mal.

Aucun coup de foudre n'était venu strier son ciel sentimental. Les hommes qui lui plaisaient n'étaient pas disponibles. Ils étaient en couple ou incapables de s'engager. Et quand ils l'étaient, ils étaient pétris de problèmes, alourdis de faiblesses si peu ragoutantes qu'elle ne comprenait que trop bien pourquoi les candidates ne se pressaient pas au portillon. Non, il n'y avait eu aucune rencontre intéressante.

Aussi, quand elle avait pris le poste à Madrid, deux ans auparavant, elle avait tout simplement décidé de ne rien vivre si ça n'en valait pas la peine. Elle ne sortirait avec un homme que s'il était :

A- Libre

B- Prêt à s'engager

C- Non affecté par une tare rédhibitoire.

Trouver cet ABC de base était aussi ardu que de dégoter le mouton à cinq pattes. D'autant plus qu'Hélène donnait une définition considérablement large au point C. Mais après tant de temps sans être touchée ou aimée, ne pas rencontrer d'hommes était devenu plus facile. D'ailleurs était-elle encore une vraie femme ? Les hommes bien devaient sentir qu'elle était une sorte de mutante au sang froid et la fuir comme la peste. Tant pis, se dit-elle. Finalement, je n'ai besoin de personne. Surtout pas pour m'envoyer en l'air.

Hélène a une telle collection de joujoux que lorsqu'elle laisse son imagination vagabonder, elle se voit bien ouvrir un sex-shop. Comme les libraires, qui écrivent des fiches cartonnées sur ce qu'ils ont pensé de tel ou tel ouvrage, elle s'imagine facilement livrer ses commentaires sur les godemichés et autres anneaux de Venus, lapins vibrants et cercles de plaisir, histoire de guider le chaland. Parfois, elle se dit que c'est une bonne idée de reconversion pour elle. Un projet à monter en parallèle de son boulot actuel, peut-être ?

Une expression vient souvent à l'esprit d'Hélène ces derniers temps : Il faut savoir saisir les opportunités quand elles se présentent. Elle n'arrête pas d'en assaisonner ses diverses équipes, pour leur donner du cœur à l'ouvrage. D'ailleurs, cette phrase colle bien mieux à la réalité que cette fable d'« un mal pour un bien ». Est-ce qu'on imagine une directrice commerciale dire à ses équipes que « le ratage avec x ou y, c'est un mal pour un bien, la prochaine fois, c'est la bonne » ? ». Quelle fadaise ! Le conseil est mauvais, en affaire comme en amour et en ce qui concerne l'amour, elle a loupé le coche, voilà tout. Il faut accepter cette triste réalité. Il est trop tard. Son opportunité lui est passée sous le nez et à bientôt 40 ans, elle ne veut plus y croire. Il est illusoire d'attacher un quelconque sens aux péripéties de sa vie, se dit Hélène dont les yeux fixent sans le voir son écran d'ordinateur. Aucun ordre supérieur ne permet l'apprentissage. La prochaine fois, ça ira mieux, ça ne marche que s'il y a une prochaine fois. Pourquoi la vie serait-elle juste ? Pourquoi mènerait-elle quelque part ? Rien ne l'y oblige. Mieux vaut ne rien en attendre. Et ce n'est pas non plus cela qui fera tomber une belle moisson de résultats. Ça non plus, ça ne marche pas.

Pour preuve, lorsqu'elle avait cessé d'attendre (en gardant dans un coin de sa tête que c'est quand on n'attend rien que tout survient), rien n'était venu, à part son goût pour l'alcool. Que je gère, d'ailleurs. La bête est sous contrôle, se tranquillise Hélène dont la peur prosaïque d'être dépossédée de ce qu'elle a la terrifie suffisamment pour qu'elle maintienne un semblant de cap. Finalement, voilà ce qui la tient. Elle n'est qu'un organisme qui cherche à assurer sa protection. Et quel intérêt a la vie d'un microbe ?, se demande Hélène. Je n'ai pas l'âme d'une biologiste. Les hommes qui me croisent non plus, visiblement. Elle soupire.Frotte ses yeux. Heureusement qu'il y a le boulot, se dit-elle. Ça m'occupe et ça comble en partie mes besoins économiques et socioculturels. C'est déjà pas mal. Parfois, elle aimerait se laisser couler dans le chaos et la folie mais les tourments de la clochardise ne l'attirent pas. Elle n'a pas le courage que requiert l'autodestruction rapide, celle qu'on prend à bras le corps jusqu'à en tomber par terre et à en rouler sous un pont. Elle préfère la lente putréfaction de l'esprit, l'étourdissement doux comme une valse que procure l'alcool mondain.

Et non, elle ne pensera pas à Peter.

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