Rick Bass

Bastien Bachet

Quand j'ai rencontré Rick Bass, il était en dédicace derrière une pile de livres d'Adèle Waldman au festival America à Vincennes. 

J'avais lu quelques nouvelles de lui, dont certaines m'avaient travaillées par leur beauté et leurs thèmes, mais rien ne m'avait encore vraiment conquis. Il avait écrit de très belles lignes dans le prologue au livre de Jim Fergus sur sa saison de chasse, "Mon Amérique", je voulais lire "Winter", "Le journal des cinq saisons"…, bref il faisait parti de ses auteurs autour desquels on peut tourner un moment avant de s'y intéresser en profondeur. 

Du coup, rencontrer les gens en vrai peut permettre ce rapprochement de leur oeuvre. Je crois de plus en plus, comme disait Raymond Chandler, que le style d'un écrivain n'est rien d'autre que le reflet de sa personnalité, et c'est vrai qu'un type un peu fade va difficilement me pousser à me pencher sur ses livres, alors que l'inverse ….(à ce propos je vais me plonger dans "au revoir là-haut", après avoir rencontré le drolatique et convainquant Pierre Lemaitre). Rick Bass a une attitude et une manière d'être au monde, tout en retenu courageuse, qui pousse à l'admiration. La qualité de ses interventions durant les débats du festival, un ton à la fois posé, enjoué et humble, et un rapport à son entourage doux et poétique en ont été l'illustration. 

Derrière sa pile de livre, il souriait comme un enfant ravi, et mon admiration devant tant d'aisance à passer d'une vie isolée dans la montagne à un salon surabondé en ville ne pouvait que grandir. Il n'y avait personne devant lui, j'ai pioché du tas de Waldman un exemplaire que je lui ai tendu en demandant une dédicace. Rick Bass est un petit gars trapu au physique de bûcheron, ses avants-bras costauds et sa démarche chaloupée renforcent son image d'homme des bois. Son crâne dégarnit et ses petites lunettes à montures légères adoucissent le trait mais ses manches de chemises retroussées montrent le tempérament d'un gars toujours prêt à passer à l'action. Si je devais trouver un mot pour le décrire je dirais affable. Il a rit en voyant le livre que je lui tendais et répliqua No problem, comme si ce n'en était pas un. Richard Ford m'aurait menti ? On peut signer le livre d'un autre sans s'offusquer ? Je me permettais d'en toucher deux mots à Rick Bass (Richard Ford signait "Canada" à tour de bras à quelques mètres de là) pour lui demander son avis sur la question quand débarqua David Vann.

Si j'avais beaucoup aimé "Suskwann Island", j'avais beaucoup moins aimé ses autres romans. Toutefois David Vann est un type charmant et hâbleur, qui sourit tout le temps, et de bonne compagnie. Il est si souriant que ça en deviendrait presque inquiétant au regard de son oeuvre, mais il a un discours intéressant et constructif sur la littérature et sur le monde, et il est traversé par une belle énergie communicative. 

Poursuivant la conversation entamée, Rick Bass lui demanda s'il avait déjà signé le livre de quelqu'un d'autre, et Vann (souriant à s'en faire péter une couronne) raconta l'histoire d'un salon en Espagne, auquel il avait participé, au cours duquel, au fur et à mesure que la nuit passait, les auteurs de plus en plus saoul changeaient de place et signaient les livres en face d'eux sans se soucier de qui les avait écrit. Drôle. 

Il charriait ensuite Bass en me prenant à témoin, parce que l'auteur du "livre de Yaak" était resté debout jusqu'à cinq heures du matin, au salon précédent, et que sous ses airs tranquilles et bonhomme, le trappeur était apparemment imprévisible et fougueux. 

Et je me disais que c'était peut-être ça, le secret de la bienveillance : ne pas s'accrocher aux principes et aux habitudes mais faire pour le mieux face à chaque situation qui se présente, et surtout, surtout, garder cette capacité fondamentale à se laisser surprendre. Alors j'achetais "les derniers grizzlys" et lui demandais une dédicace, une vraie, l'ordre des choses n'est pas non plus dépourvu de sens, et ma rencontre avec Rick Bass un beau grand moment. With every best wish !

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