Ricochets
velvet
La fille dont nous allons parler n'était ni une héroïne qui, en se sacrifiant sauva patrie et famille, ni une personne exceptionnelle. Elle n'était ni belle ni laide, ses habits étaient banaux, son caractère était banal, ses cheveux banaux, sa voix banal. Et pourtant, cette histoire parle d'elle, une histoire tout aussi banale que le personnage en question. Elle s'appelait Marie. Marie Blanchard. Marie n'aimait pas les contrôles, les toilettes publics, les marchés, le vent, la pluie, la neige, l'hiver, l'automne, les inconnus et les photos qui, d'après elle lui faisait un grand nez. Elle aimait les fleurs roses, les papillons, le soleil, l'été, le printemps, mais seulement la partie où il faisait chaud, déchirer le papier, couper le tissu, écrire au stylo à encre lorsque celui – ci glisse bien sur les feuilles et faire des ricochets. Lors d'une journée banale et ennuyante, galets en poche et bonnet sur la tête, elle se mit en route pour la rivière. Le vent lui ébouriffait les cheveux et elle grimaçait. La pluie lui battait dans le visage et elle plissait les yeux. Il faisait froid et elle grelotait. Pas loin d'elle marchait un homme étrange et son cœur battait à tout rompre. C'était une journée d'automne banale qui réunissait tout ce qu'elle haïssait. Et pourtant elle était dehors. Pourtant elle marchait vers la rivière avec ses cailloux plats. Une fois arrivée, elle s'assit. Regarda devant elle. Ferma les yeux. Regarda à nouveau. Se passa la langue sur les lèvres. Se releva. Lança le premier galet. Dix rebonds. Lança le deuxième. Douze rebonds. Lança le troisième, le quatrième et le cinquième ainsi que le sixième et le septième. Elle ferma un instant les yeux. Les rouvrit. Les ferma. Les rouvrit. Et les ferma. Dernier galet. C'était le plus grand. Aucun rebond. Sans faire de ricochet il coula dans la rivière, emporté par le courant, bien au fond d'une poche. La poche de Marie. La poche de Marie de la veste de Marie qui avec le dernier galet et sans un seul ricochet, sourire aux lèvres, sous la pluie, le froid et le vent, sombra, avec ou sans banalité, dans l'eau profonde.
La cousine Amélie l'a lue? Bravo
· Il y a environ 10 ans ·Philippe Larue