Rien à faire, ça sent le fromage
arthurm
Ça sent vaguement le vieux fromage dans la rame de train que j'occupe. Seconde classe,
qu'est-ce tu veux. On se demande quand même qui est le con qui a osé se pointer avec un claquebec dans ses valises. Putain, les individus sont quand même déprimants de connerie, quand on s'y arrête deux secondes. En les survolant, ça va, on échappe quand même au pire, mais quand ils ouvrent la gueule, ils crient, jactent, puent, suintent littéralement la peur, le dégoût d'eux-même et la fierté d'être comme ça. Sur quoi ? Allez, 5 milliards d'années d'évolution, nous sommes ce qui a été l'aboutissement le plus complet et complexe de Mère Nature, ça fait relativiser sur les pouvoirs de la daronne, et sur combien, en tant d'années, y a eu de véritables êtres humains.
Putain, ça sent vraiment le frometon. Même mon haleine de fumeur passe pour une brise de
printemps à côté, et c'est frais, tu vois, parce que là, face à moi, y a deux poulettes, juste majeures si on en croit la peau laiteuse qui tapisse leurs cuisses. Voilà que je bande, en plein milieu des effluves du symbole français, royal.
A ceux qui se poseraient la question de pourquoi je parle de cul, je leur dirai, bah, je sais
pas, qu'ils viennent. Déjà, j'aime ça, ensuite, dès le plus tendre de nos âges, absorbés que nous sommes par la télé et la pub qui envahit nos écrans entre deux programmes douteux, on ne voit que ça partout, pour vendre à peu près tout. Du lait de vache ? Allez. Un voyage aux Maldives ? Allez.
Tu veux un ventre plat ? Wow. En fait, y a tellement de porno-chic et dissimulé qu'il y a trois ans, les magasines de boules, les vrais, ceux qui assument et qui s'achètent honteusement, ceux qu'on dissimule dans un sac plastique opaque pour sortir dans la rue ensuite, ceux-là donc, ont tenté de faire des procès aux magasines pour ados qui, preuve à l'appui, parlaient, montraient, écrivaient plus de sexe sur leurs couv' que les magasines de boules, les vrais, ceux qu'on achète en cachette enfin tu vois le truc.
Alors ouais, je parle de cul, ouais j'en ai pas honte mon gars, si tu savais de quoi je parle
d'autre, t'aurais le fondement troué.
Bref, je suis un pur produit de mon époque.
Du genre contemplatif fantasmagorique, celui qui bande mais ne tringle pas, celui qui veut
mais ne peut pas. Pas de fric, tu comprends ?
J'en suis donc là de mes pensées, et puis je regarde le sac Longchamp des fausses petites
bourges, vraies pétasses d'en face de moi. Elles discutent sac à main, enfin l'une parle et l'autre hoche la tête. Pucelle, je dis à moi-même. Celle qui n'a qu'un sac, c'est une pucelle. Elle a sûrement taillé une pipe ou deux, s'en est pris la moitié d'une main, mais c'est tout, point barre. Un seul sac, elle a encore des goûts de petite fille. Pas l'autre, oh non, et puis ça se sent, la féminité qu'elle dégage rempli le wagon et je suis à peu près certain que le vieux, tout au fond, qui fait mine de lire son journal l'a demie-molle, facile.
J'aime bien les voyages en train, ça me détend. Je trouve ça long, chiant, mais c'est quand
même une belle invention. Et puis là, pour la première fois depuis des mois, ce voyage en train amorce une possible bonne nouvelle. En tout cas l'occasion de sortir de chez moi. Cool. On me convoque à Paris, pour discuter travail, et peut-être même honoraires. Ouais ouais. Fric, peut-être.
Je fais parti de ces gens qui ont fait le choix de vivre de leur plume, le genre crétins. Dans le tas, y a deux grandes catégories : les travailleurs à côté, les pas-travailleurs à côté. Je fais parti de la deuxième classe. Encore elle, l'abonné. Pas que je travaille pas à côté en plus, mais pour la famille en non-rémunéré ça compte pas.
Y a des jours où je suis trop saoul, ça arrive tous les jours. Je me dis que merde, je suis
quand même un sacré bon à rien. Pas que je veux pas m'en sortir, contrairement aux types qui bossent à côté, et je me prends pas pour un génie ou un artiste, ou un incompris, comme les autres types qui pas -travaillent à côté. Non. Mais je sais pas, je veux réussir grâce à ça, la plume.
Truc con hein, les rêves. Parce que ça vous fait renoncer à tout ou presque, et en prime vous échouez souvent.
Tiens, l'exemple. Dans le système, tel qu'il existe, j'existe pas. Rien, nada, y a pas même un seul connard de l'administration qui a pensé à faire une case « inutiles » pour fourrer tous les inexistants du pays. Rien du tout. Pas l'âge requis, pas le salaire minimum requis, pas la gueule, monsieur, pas la gueule. J'ai même dû mentir sur mon statut au mariage de ma soeur où j'étais témoin. Mais le pire, parce que c'est quand même la blague douteuse, c'est que j'ai mis « intermittent du spectacle », t'imagines ? Même ça, c'est mieux que moi.
Retour dans le wagon, j'ai débandé depuis longtemps. Quand tu bandes, faut pas penser,
sinon tu débandes. Faut suivre l'instinct, ou alors faut qu'elle t'en taille une de première, au choix.
Vu que c'est rare, autant ne pas penser. Ça sert à rien, surtout, de penser. Moins tu penses, plus t'es heureux, au fond.
J'ai toujours pensé que c'était un luxe de penser, le luxe du pauvre. Parce que le riche, il s'en branle de penser, il est riche. Le pauvre, c'est le signe qu'il est un peu moins pauvre et qu'il a du temps pour lui. Sauf qu'aujourd'hui, le pauvre, ou la classe moyenne, c'est pareil, son temps libre, il le passe pas à penser. Les parents le passent à faire les comptes, les enfants à le ruiner, le compte et le temps, en même temps, d'un coup, pan.
Saleté d'humain tiens, je devrais faire un manifeste. De toute façon, avec le talent que je me suis gaufré, ça sera forcément un chef d'oeuvre, le truc juste, parfait, le quatrième volet de la trilogie biblique. A défaut de bander, autant se branler la tête, ça entretient le rêve.
Et putain que ça sent le fromage.
ET PUTAIN JE VEUX FUMER ! VOUS M'ENTENDEZ ? FUMER ! Je me demande bien
ce qu'en auraient dit certains, de cette Loi bien pensante pour le Bien et la Santé de Tous. Putain de merde ! Et je sais pas qui je blâme le plus, ces enfoirés, ou moi, qui agit comme un mouton, qui gueule silencieusement et qui fait au final comme les autres.
Si j'allumais une clope, il se passerait quoi ? Y en aurait bien pour gueuler, les chacals. Au
terroriste ! À moi, à nous ! Vite, quelqu'un ! La mère de famille ou le fonctionnaire des impôts. Ils alerteraient peut-être le contrôleur, qui me salerait l'amende parce qu'en plus je le traiterai de connard fasciste et complice d'un régime autoritaire. Y en aurait bien pour croire que j'ai raison, et p'tet même qu'ils me diraient qu'ils sont d'accord avec moi, mais une fois le contrôleur parti, ils veulent pas d'emmerdes. Remarque moi non plus, puisque je gueule que je veux fumer, mais jamais j'oserai allumer ma tige. Monde de lâches.
Le pays des droits de l'homme, ça veut dire que tu votes pour le moins lâche d'entre nous. Le pays de l'homme de droite, à peu de chose près et un effort d'imagination réalisable par un spectateur du 13h de TF1. La réalité pour tous les autres.
Putain.
Ça y est je rumine. Chier. Et j'ai vraiment envie de m'aligner une tige. Me prendre une
prune. En rallumer une, une deuxième prune. En allumer et en fumer autant que nécessaire jusqu'à ce que l'autre, en face, l'Autorité, se lasse. Et si elle se lasse pas, arriver à Paris, déchirer les amendes et attendre de voir ce qui se passe. T'imagines ? Avec un bon rythme, là, et à 135e l'amende, je dois pouvoir réussir à cumuler 3375 euros de contravention. Gueule du juge ou des flics quand ils t'arrêtent, te condamnent aux TIG ou te ponctionnent ton salaire sur 2 ou 3 ans pour rembourser le bordel.
Condamné pour avoir fumer un paquet de clope, putain, ça me ferait plaisir d'essayer, de
voir jusqu'où ça va, de vérifier si nos institutions ne vont pas se rendre compte de là où on est déjà, dans quel absurde on vit.
Bien sûr je le ferai pas, mais je donne l'idée, au cas où. Si quelqu'un tente l'expérience, qu'il
m'appelle, promis, je suivrais son affaire et je paierai ses frais de justice dans la mesure du possible, quitte à créer un lobbying. Le lobbying des cancéreux et ceux qui veulent le devenir, celui de ceux qui en ont marre et qui font de cette affaire un étendard, un truc icono-truc pour appuyer la stupidité sans nom de notre Société actuelle, un lobbying des amoureux de la liberté et de ceux qui veulent baiser sur la voie publique, un lobbying de connards, de pétasses, de gays et de politiciens ratés prêts à tout défendre pourvu qu'on parle d'eux. Et portés par les milliards des fabricants de blondes, on irait loin, on pourrait peut-être même bien faire jurisprudence, ou un machin du genre, en tout cas faire reculer la Loi. La révolution française a eue son « s'ils n'ont plus de pain, qu'ils mangent de la brioche », on peut avoir notre « éteignez votre cigarette s'il vous plait ». En comparaison on
pourrait se dire que c'est stupide, que le peuple devient con s'il révolutionne pour un truc du genre.
Mais non, époque pour époque, il s'agit bel et bien de la suppression de nos libertés individuelles, et si justement ça ne pète pas, c'est parce qu'ils prennent soin de ne pas trop augmenter le prix du pain au delà du raisonnable..et encore. Pas totalement cons, les bougres.
Putain, et puis ça couvrirait cette odeur de fromage.
Parce que c'est ça aussi, maintenant tu vas dans un bar ça sent l'horreur. Ça sent la sueur, la pisse, le saucisson et les pieds, la bière rance et l'aigreur des sentiments, ça sent la merde humaine et les vieilles rengaines. Et on voit toujours pas la mère de famille, avec son marmot en poussette, venir dans les bars. Parce qu'avant d'entrer dans le bar, son bébé à déjà choppé une dizaine de cancers à respirer les vapeurs d'échappement qui sont juste au niveau de son pif, pour que sa mère aille trinquer son paf. Superbe. Splendide, rien à dire. Avant, ça se contentait de sentir la clope, ça allait très bien.
Retour dans le wagon, encore une fois, et on approche du bout, de la délivrance, si on veut.
Dans 20 minutes, destination atteinte, je vais sortir fumer une clope, prendre le métro, aller chez un pote, boire des cafés en fumant des clopes avant de partir, un couple d'heures plus tard, manger en plein saint-germain-des-prés (bordel que c'est cliché) et j'hésite déjà à pas faire d'efforts de présentation, tu sais, pour aller les voir, mes types du déjeuner. Arriver les mains dans les poches, la clope au bec et commander une bière, une belle, une pinte, pendant qu'ils siroteront leur rosé et grignoteront leur salade sans vinaigrette.
En attendant, y a rien à faire ça sent le fromage là, et je sens plus, parce que dois être imbibé des vapeurs. J'ai eu le droit à un spectacle comique tout à l'heure, parce que le fromage vient d'une des deux minettes du début, la pucelle. Elle est venue parée de son meilleur ami, un gay jusqu'au bout des ongles qui gloussait et demandait à ce qu'on mette du parfum dans la rame pour ne pas aller vomir. Quand la pucelle a ouvert sa valise, j'ai bien cru qu'il allait tomber justement, parce qu'il faisait de grands gestes en poussant de petits et perçants cris de moineau. Un truc hallucinant,
tu sais le genre de type qu'a pris le plus mauvais côté des mecs et le plus mauvais caractère des nanas. C'est con, il avait pas l'air méchant, juste drôle malgré lui. Quand elle a montré sa charmante petite robe à volants qu'elle s'était acheté, il est presque tombé par terre de rire parce qu'elle empestait le claque-mouille.
Bref, me voilà arrivé et je ne connaîtrais jamais la joie que procure l'absence totale d'interêt
aux amendes qui pleuvent pour « fumage interdit ».
Putain. Parce que là, y a quand même des circonstances atténuantes.
Qu'est-ce que ça pue le fromage.