Ripailles.

Christophe Hulé

Comme la légende des grains de riz sur le jeu d'échecs, autour des familles nombreuses, les branches horizontales et verticales de l'arbre généalogique étaient exponentielles. Enfin surtout les verticales, suis-je bête. Dans l'armée des oncles et tantes (et arrières) et cousins cousines, il fallait bien faire un tri.


Sinon, il aurait fallu faire appel à l'armée (de métier cette fois) pour la logistique des fêtes de famille.

Pour certains membres très éloignés (dans tous les sens du terme à vrai dire), le tri était vite fait. On aurait bien voulu en éliminer d'autres, mais ils étaient trop proches hélas dans la généalogie. Je reviendrai sans doute sur certains spécimens, mais j'hésite encore pour ne froisser personne.

Les baptêmes et les communions solennels ont marqué la première période de la saga.

Les grandes messes se passaient surtout à table. C'était tellement long que nous on allait s'amuser pour revenir au dessert, en général le dessert correspondait à la fin de l'après-midi, c'est pour dire.

Après le vin blanc des fruits de mer, le vin rouge du gibier ( comme dans les 80 chasseurs de Lama « et la poule faisane » , cette chanson là on la connaissait par cœur) et le trou normand et les mousseux, et autres pousse-café, c'était chauffe Marcel de Brel.

Tout le monde avait les joues des filles de Normandie de Stone et Charden, qu'on chantait aussi avec Comme le prix des allumettes.

Bref, le résultat n'avait plus rien de liturgique.

A aucune de ces orgies que les Empereurs Romains n'auraient pas boudé, on aurait manqué les 2 hymnes qui entreraient à jamais dans la mythologie de la famille.

D'abord le Grand-père, le père de mon père, dont certains d'entre nous ont gardés les yeux bleus. Il chantait toujours :

Les enfants, il faut qu'on travaille (…)

Faire un métier, vaille que vaille

Ou de l'esprit ou de la main.

Nous on chantait en chœur, on trouvait les adultes un peu bizarres autour de nous.

On chantait les paroles comme Mike Brant qui ne parlait pas un mot de Français et utilisait la phonétique.

Bien plus tard, j'en suis sûr, les paroles resteraient gravées.

Il y a des messages de bon sens qui vaudraient bien mieux que toutes les chartes de citoyenneté qu'on nous pond aujourd'hui.

Restons un instant sur le grand-père. Il traitait ma grand-mère de tous les noms d'oiseaux.

«  R'garde moi c' t'espèce de grosse vache «  ou autres preuves d'amour.

Bon, c'est vrai, la grand-mère elle avait pas toute sa tête. Une fois, ma mère battait les oreillers à l'étage, il y avait des plumes partout qui tombaient dans le jardin.

- « Eh mémère, il neige » . (en plein été, s'il est besoin de préciser).

- «  Ben, c'est pourtant vrai » . Elle avait toujours la tête un peu penchée, les deux mains croisées sur le ventre et l'air un peu, (comment dirais-je?), autiste peut-être.

Comme dans Un crime au Paradis, sorti quelques décennies plus tard, c'est un couple qui détonnait un peu.

Il y avait des crottes de souris partout dans les placards. Quand on allait chez eux, c'est ma mère qui faisait la cuisine, principe de précaution. Le vrai boulot c'était le décapage total des plats et des assiettes.

Le grand-père, il avait une grosse mobylette Peugeot bleue, celle qu'on voit maintenant dans les expos de collections. Elle était dans une espèce d'appentis, à côté du poulailler et des cages à lapins. Il y avait des cathédrales de vieux journaux qui s'entassaient. On savait pas trop à quoi ça servait. En tous cas beaucoup trop pour la cabane au fond du jardin (comme dans la chanson), avec le gros clou où on accrochait les feuilles de journal et la trappe en bois et le grand pichet en fer émaillé.

Bon, j'ai encore plein de choses à dire sur le grand-père et aussi le père de ma mère qui chantait le 2ème hymne, dont j'ai déjà un peu parlé. Mais je suis en bout de page.

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