Rock'n'roll suicide
scarletdiva
(Guns n'Roses – Welcome To The Jungle) Quand j'écoute “Welcome to the jungle” des Guns n'Roses, je pense irrémédiablement à l'histoire, dramatique de ma renonciation à devenir une rock star, qui est aussi célèbre dans mon entourage que mon penchant pour la bouteille et les minets à mèche. Il faut expliquer le contexte, pour comprendre comment j'en suis arrivé là, à aimer une chanson qui dit « Bienvenue dans la jungle / nous la prenons jour après jour / Si tu la veux tu vas saigner mais c'est le prix à payer / Et tu es une fille très sexy très difficile à contenter », les Guns, un branleur de première, et finalement le rock'n'roll. Le fait est qu'aussi loin que je m'en souvienne, je n'ai jamais été très forte pour les garçons. Pour résumer la situation : s'il existe une recette pour avoir les réponses à la question primordiale : « Comment mettre les mâles en émoi », comme il en existe une pour le gâteau au yaourt, et bien je ne la connaissais pas. Ma grand-mère avait oublié de me la laisser celle-là. Enfant déjà, les garçons me prenaient pour une des leurs, un petit mec, et au lieu de jouer au docteur avec moi, ils me filaient des tapes amicales dans le dos, dealaient des billes dans la cour de récré en essayant de m'arnaquer. J'en ai gardé une sainte horreur de la tape dans le dos et des arnaqueurs en tout genre. A l'adolescence, alors que les garçons s'affolaient dés qu'un jupon passait, mon tee-shirt Slayer acheté en économisant sur les pains au chocolat assorti à mon jean troué, ne faisaient de l'effet qu'à mes professeurs dépités par ces signes extérieurs de rébellion. Ma révolte et mes cheveux gras ne créaient aucune émeute. Aussi je commençais drôlement à me poser des questions. « Que fallait-il faire pour leur plaire, aux garçons ? » Le sexe opposé me paraissait être un monde très mystérieux dont les codes et les rites paraissaient aussi indéchiffrables que des calligraphies en arabe du Coran de ma grand-mère musulmane. Je ne comprenais rien aux mecs. Ce problème relationnel avec tout ce qui portait un service trois pièces entre les jambes, avait fini par devenir une obsession. Il fallait agir. Et vite. Avant que je finisse seule, vieille, édentée et fripée, une pinte à la main, un morceau de pizza froide dans l'autre, dévorée par mon chat (prénommé Elvis). La solution ne tarda pas arriver. Etant née de parents fin mélomanes, qui ont choisi mon nom en référence à la batteuse du groupe français new-wave Lili Drop, il y avait toujours eu chez moi des tonnes de numéros des Inrockuptibles, du NME, de Best, de Mojo et de fanzines plus ou moins obscurs. J'achetais Rock'n'folk, en ultime signe de contradiction face à ce bon goût indie et pointu des parents qui adulaient Joy Division, New Order, tout le label Factory, Glenn Branca, Satie, Section 25 et les balbutiements de la musique électronique. Un jour que j'admirais les posters punaisés au mur de ma chambre, en rêvant éveillée, devant Pj Harvey en combinaison rose, boa, poils sous les bras et Courtney Love dans sa robe de baby doll, mi pute de bas étage, mi fillette innocente, me vint une idée quasi géniale pour mettre fin à ma misère sexuelle. Ces filles là avaient la classe (depuis, ma définition du chic a quelque peu évolué). Je pensais qu'elles devaient susciter pas mal d'intérêt auprès des mâles. Pourquoi ? Simplement parce qu'elles tenaient entre leurs mains un micro et que cet objet phallique leur donnait du sex-appeal. Et si je me mettais, moi aussi, au chant ? Est-ce que cela ne ferait pas de moi un sex-symbol ? Est-ce que je n'aurais pas la même aura et le même succès qu'elles sur les hommes ? Le tableau qui se profilait était trop beau : mon nom sur les affiches, les tickets de concert, les magazines, prononcé à la télévision, les refus de contrats par amour du rock'n'roll et puis surtout les lettres de fans me harcelant, allant jusqu'à négocier avec le videur (un laisser passer contre une turlute ?) pour venir me voir backstage. Je serai bientôt vite obligée de me cloitrer chez moi pour échapper aux groupies hystériques. Je resterai alors longtemps assise dans l'herbe épaisse du jardin de mon immense villa flambante neuve, plusieurs garçons amourachés de ma personnes et triés sur le volet (élus ?) autour de moi, obnubilés par mon pouvoir sexuel, me priant de bien vouloir leur offrir une mèche de mes cheveux, pour la conserver dans leur boite à fantasmes d'adolescents, à côté de leur premier poil pubien, de la photo de la star de porno du film de canal + et du string volé à leur voisine. Je leur raconterais alors tout sur les figures imposées de la chose rock, les groupies, les coupes de cheveux du métal, les boots en cuir à talonnettes et bouts pointus. J'aurais les bonnes Ray-Ban aviateur, le perfecto court, le badge Iggy Pop, et puis la démarche « hanches cassées », que je réussissais plutôt bien (j'avais vu faire Patrick Eudeline, en le suivant à Pigalle, lors d'un voyage scolaire parisien) comme si j'avais porté des santiags pendant 115 ans, ce qui aurait été un vrai challenge dans la ville où les tongs sont reines, c'est-à-dire Marseille (mon tombeau natal). Mais avant que tout cela ne se réalise, il fallait régler quelques broutilles, comme trouver des compagnons susceptibles de m'épauler dans ma quête de succès fou. Car, léger détail, je ne savais jouer d'aucun instrument. Les camarades d'infortune que je trouvais furent de jeunes métalleux, qui envahirent ma maison au grand damne de mes parents. On passait presque tout notre temps libre à évoquer des choses aussi importantes que l'égo de Billy Corgan, la mort de Kurt, les bouclettes d'Eddie Vedder, le rouge à lèvres d'Uma Thurman dans Pulp Fiction, la fin d'Elvis aux chiottes, les cheveux des filles de L7, la sexualité des riot girls... On apprenait par cœur des phrases de Philippe Manœuvre dans Rock'n'folk, reprenait des chansons des Guns et de Metallica, espionnait les chorégraphies des clips de heavy métal sur MTV, pour les copier. Evidemment, on décida rapidement de se mettre au « travail » pour faire de l'ombre à tous nos héros, sans compter que ce projet devait enfin m'apporter gloire et beauté. Et surtout un mâle, et même des mâles, car c'était ça le but premier de tout groupe de rock. Courtney Love avait dit des choses très juste sur la bite et son importance dans le rock. Et je délirais en revoyant les crises d'hystérie collective qui avaient lieu à chaque concert des Rolling Stones et des Beatles dans les années 60. Ringo Starr sans sa batterie avait quand même une sacrée tête de gagnant. Comme quoi une bonne coupe de cheveux, et un instrument, voilà qui suffisait à faire naître un mythe. Tout était permis. Je réfléchissais déjà à ma tenue de scène : paillettes dans les cheveux, décoloration blonde platine à la Blondie, mini jupe en cuir, boots à talons aiguille de vinyle noir, collants résille troués, bref la parfaite panoplie de la rockeuse de diamant. Pendant ces élucubrations de la plus haute importance, nous avions même trouvé un nom : Radio Rebels, en hommage à un film crétin, mais culte dans lequel apparaissait le grand Steve Buscemi. L'histoire pouvait se réduire en quelques phrases : Chazz, Rex et Pip, trois gars pas futés, veulent absolument faire connaître leur groupe de rock. Ils investissent à cet effet une station de radio locale spécialisée dans l'alternatif, armés de pistolets à eau (vous imaginez bien le ridicule de la situation), menaçant les animateurs afin de diffuser leur démo. Comme eux, nous étions prêts à tout pour réussir. Y compris à mouiller de sueur nos chemises à carreaux, par 40 degrés à l'ombre. Les répétitions commencèrent de manière chaotique. Je jouais à la « chanteuse », pendant que le guitariste et le batteur essayaient de faire croire qu'ils maîtrisaient leurs instruments. Il n'y avait même pas de bassiste, ni de boite à rythmes. A ce moment là, je n'aimais pas encore les machines (il serait plus juste de dire qu'à ce moment là, je n'avais jamais pris de pilule). C'était déjà énorme d'être arrivé à être trois dans cette affaire, alors on n'allait pas se plaindre de ne pas avoir de basse. Le guitariste et moi avions déjà fait passer des tests d'entrée draconiens aux candidats pour recruter un batteur digne de ce nom. La cruauté des castings était digne de ceux qui ont lieu au début du film Petits meurtres entre amis, pour trouver le colocataire idéal. Si le palmarès du candidat, concernant ses dix disques préférés de tous les temps n'était pas à notre goût, ou qu'il ne connaissait pas certains noms essentiels (David Pajo, J. Mascis, Thurston Moore, Axl Rose, Kathleen Hanna, Kim Fowley), la porte de notre confrérie lui était fermée à tout jamais. Nous manions très bien l'élitisme, et pourtant nous étions loin d'être à la hauteur de nos références. J'hurlais des paroles improvisées dans un mauvais anglais, cherchant à imiter Kim Gordon, mais sonnant plus, au final, comme cette hystérique de Lydia Lunch. On se réunissait tous les mercredis et samedis après midis dans le garage de mes parents. Lorsque Radio rebels arrivait dans le jardin où se trouvait le lieu de répet, cheveux longs au vent, guitare en bandoulière, les voisins se planquaient chez eux, l'œil torve et la veine battante, semblables aux victimes de Nosferatu avant la morsure du vampire. Du coup, Radio Rebels avait même inventé un signe vengeur avec les mains inspiré du heavy métal pour leur signaler gentiment qu'ils pouvaient aller sucer des queues en enfer. Je crois bien que c'était mon idée. Je n'en suis pas très fière. Kyo fait le même signe aujourd'hui. Mais à l'époque, on avait de la gueule. Dans le garage, on avait installé, entre les posters de Lemmy de Motorhead (notre dieu à tous), d'Ozzy Osbourne (avec un rat dans la gueule), ceux de Kurt Russell torse-poil dans New York 1997 et ceux de filles en petite tenues. Un grand miroir récupéré dans la rue gisait contre l'un des murs, afin de contempler le reflet de nos pauses « r'n'r ». « Sommes-nous assez sex and rock'n'roll pour notre futur public ? » se demandait-on, non sans anxiété. Quand les gimmicks n'étaient pas assez burnés, on les répétait à l'infini. Nos chorégraphies prenaient parfois des airs de concours d'Air Guitar, sauf qu'on avait les guitares (même si nous ne savions pas tout à fait en jouer). Mais malgré tous nos efforts, les fans ne venaient pas frapper à la porte du garage et ma libido commençait à me tourmenter. Je m'étais donc finalement éprise (par la force des choses) du batteur qui avait un peu moins de boutons que les autres et les cheveux un peu moins sales : Pierre. Il y a plus rock comme prénom. J'imaginais plutôt perdre ma virginité avec un Ian ou un Dylan. Pas un Pierre. Mais ma première pseudo-relation sexuelle eut bien lieu avec un type au prénom franchouillard, dans une voiture empruntée à ses parents. La lose totale ! Devant la corniche et toute une bande de papis en train de prendre le Ricard dans le bar PMU d'à côté. On a fait plus excitant comme cadre. Aussi, je décidai, au dernier moment, juste avant qu'on passe aux choses vraiment sérieuses, que ça ne se ferait pas comme ça. - Non, ce n'est pas une bonne idée, dis-je, simplement. - Tu me prends pour un con, t'as pas arrêté de m'allumer pendant les répéts. - Tu ne comprends pas, Pierre. Il ne peut pas y avoir de relation physique entre nous. Il nous faut sacrifier notre amour sur l'autel du Dieu rock'n'roll. Car je dois rester pure pour faire fantasmer mes futurs adorateurs. Qu'est ce qu'on n'inventerait pas pour se tirer d'un mauvais pas. Et j'eus raison de me préserver, car mes efforts finirent par payer. Le moment de gloire de Radio Rebels allait enfin arriver. Nous étions sélectionnés pour jouer au tremplin rock du lycée. C'était un peu comme perdre notre virginité. Nous en rêvions depuis des lustres, et on s'était beaucoup masturbé à ce propos. J'allais enfin prouver au monde (qui n'en demandait sans doute pas tant) combien j'étais une fille sexy et ultra classe. Quelqu'un allait me repérer, c‘était certain. Radio Rebels avait tout fait pour cela, c'est-à-dire que je m'étais teint les cheveux en rose, et imprimé de faux tatouages-décalcomanies sur les bras. Et puis j'avais beaucoup bossé au Mac Do, à imprimer les stigmates des brûlures de frites sur ma peau et à emprunter les sourires indélébiles du clown Ronald, pour me payer les bonnes Ray Ban. Et voilà, quelques jours après, on y était. Sur la scène. Des tas de lycéens surexcités hurlaient tels des pourceaux égorgés. On commença à jouer, la folie monta très vite et je voulus tenter un ultime truc rock'n'roll, en me jetant dans la foule. J'avais vu Courtney Love faire ça durant un concert sur MTV, juste avant de traiter une de ses fans au premier rang de « salope » parce qu'elle portait le tee-shirt d'un groupe bidon (bonne raison cela dit). Mais la vie, c'est pas comme sur MTV. La plèbe, sans doute effrayée par mes quelques kilos en trop, ne fut pas au rendez vous. Je me rétamai donc, lamentablement, sur le sol, le nez cassé, en sang. Bonne pour les urgences. A peine, eus-je le temps, face aux soupirs de sentir que la situation n'était pas géniale pour mon aura. Le sang, les larmes, tout y était. Mais rien de cela n'était excitant. J'étais juste en piteux état. Après l'accident, les relations sexuelles ne furent pas au rendez vous et je dus renoncer à devenir une rock star pour me contenter par la suite du rôle moins glorieux, de rock critique.
Pas simple d'être rock'n roll ! Quand les illusions cèdent . Bref, un ton à la docteur House. J'ai bien aimé. Si tu as quelques minutes, je te propose la lecture de certaines de mes nouvelles comme Ad vitam aeternam.
· Il y a plus de 8 ans ·Magali Gasnault