Rohan d'Estaing

arlequin

Partout où il portait son regard, il ne voyait que désolation et cadavre à perte de vue. Combien de temps avait duré cette bataille ? Il était incapable de le dire, bien qu’y ayant participé depuis le début. En revanche, il se sentait extrêmement fatigué ; il aperçut un arbre, à quelques mètres de lui, la seule chose qui semblait encore vivante. S’aidant du fourreau de son épée comme d’une canne, il se mit à avancer péniblement vers lui. Quelques hommes montraient encore quelques faibles signes de vie ; certains corps bougeaient encore et l’on pouvait entendre des gémissements d’agonisant.

Enfin arrivé près de l’arbre, le capitaine Rohan D’Estaing laissa tomber son fourreau et s’assit à même le sol, s’adossant contre le tronc. Il se sentait de plus en plus fatigué ; il aurait aimé pouvoir s’endormir un peu, mais les gémissements semblaient redoubler d’intensité dans sa tête.

Où était le reste de ses soldats ? Y en avaient-ils d’encore vivant ? Qui avait remporté la victoire ? Trop de chose se bousculait dans son esprit. Il décida de fermer les yeux et d’essayer de se concentrer sur un évènement positif afin de redevenir plus serein. Très vite, une image heureuse apparut, celle d’une jeune femme au regard pétillant de malice, Marie de Saint, l’une des favorites de la Reine et la femme dont il était amoureux. Il se souvint qu’il avait son foulard blanc autour d’un bras ; il le dénoua et vit avec surprise qu’il n’avait pas été taché par le sang, qu’il soit le sien ou celui de ses ennemis tombés sous son épée. Il serra le foulard contre sa poitrine et referma les yeux.

Les images de bonheur continuèrent d’affluer dans son esprit ; il se remémora le dernier jour où il vit sa douce Marie, au bal donné par le Roi pour célébrer le courage des soldats qui allaient partir à la guerre. Il aurait préféré ne pas s’y rendre, rester avec ses hommes dont ils savaient que beaucoup ne reviendraient pas. Mais il lui fut impossible de résister à la demande de Marie, impossible de pouvoir partir sans l’avoir revu une dernière fois. Il avait donc revêtu son plus bel uniforme de parade et s’était rendu à Versailles avec plus de cœur qu’il ne l’aurait cru : l’amour donne des ailes.

Courtisanes, courtisans, barons, ducs, comte, quelques généraux et autres officiers, il y avait beaucoup de monde à ce bal, chacune et chacun venant pour des raisons toutes plus différentes les unes que les autres. En entrant dans la grande salle, Rohan se sentit à nouveau très mal à l’aise, pas à sa place. Bien que de sang bleu, il n’en était pas moins de ceux que l’on appelle de « petite noblesse » et qui, par conséquent, ne sont pas réellement à leur place au sein d’une cour royale.

Alors qu’il commençait à ruminer de mauvaises pensées, Rohan entendit une voix cristalline l’appeler derrière lui ; il se souvint qu’il n’avait jamais vu Marie autant mise en valeur que ce soir là. Elle portait une robe de bal blanche, ornée de fins liserées d’or, assez échancrée pour offrir une belle vue plongeante sur une poitrine généreuse.

- Eh bien, mon beau capitaine, vous ne daignez point me saluer ce soir ?

- Mille pardons, ma mie, mais… vous… Vous me coupez tous mes moyens !

- Usuellement, ne sont-ce pas les hommes qui font perdre leurs moyens aux femmes ? avait-elle répliqué en riant.

- Je ne trouve point de mots suffisant pour décrire la beauté qui se dresse devant moi.

- Je vous le dis et le répète, ce n’est pas militaire que vous auriez dû être, mais poète. Dansons-nous ?

Ils ne dansèrent pas très longtemps, à peine le temps d’une valse. Après quoi, Marie demanda à Rohan de la suivre sans poser la moindre question, ce à quoi il s’exécuta de bon cœur. Ils quittèrent la salle de bal, s’enfoncèrent dans un grand couloir et traversèrent la galerie des glaces. Au fur et à mesure de leur progression, le silence avait ravi la place au brouhaha des festivités.

Après de longues minutes de marche, Marie ouvrit une petite porte qui donnait à l’extérieur, d’un côté du château que peu de monde connaissait. La nuit était belle, étoilée avec une légère brise qui faisait beaucoup de bien après une journée de forte chaleur. Un banc en pierre se trouvait à quelques mètres ; Marie y conduisit son capitaine et ils restèrent ainsi, silencieux, pendant quelques secondes.

- Je viens de temps en temps me perdre ici, essentiellement quand quelque chose m’ennuie ou me chagrine.

- Y-a-t-il donc quelque chose qui vous chagrine ce soir ? s’enquit Rohan.

- Pourquoi n’êtes-vous donc pas poète ? Vous partez pour la guerre et j’ai peur… comme un mauvais pressentiment. J’ai peur de ne plus jamais vous revoir !

Un rayon de lune éclairait le visage de Marie ; le capitaine put voir que ce visage était devenu brusquement grave, que les yeux, habituellement pétillant de malice, brillaient des larmes qui montaient. Il se leva, obligeant la jeune femme en en faire autant, et, d’une voix solennelle, lui dit :

- Bien que d’origine modeste, je n’en suis pas moins un gentilhomme. Je vous donne donc ma parole de capitaine et celle de gentilhomme que je reviendrais de cette guerre ! Jamais, au grand jamais, je ne vous abandonnerai.

- Est-ce bien vrai ?

- Douteriez-vous de ma parole, ma mie ?

- Non, bien sûr que non.

Marie voulut rajouter quelque chose, mais les lèvres de Rohan vinrent se sceller aux siennes ; le baiser, au début timide, devint de plus en plus langoureux, un long échange qui finit par dissiper les craintes de la jeune femme, pour céder la place à un désir montant.

Rohan, lui-même, se laisser prendre au piège de se baiser ; il finit par quitter les lèvres de sa bien aimée, pour s’attaquer à la nuque, bien dégager par une chevelure fixée en chignon. Il se laissa enivrer par le parfum poivre et sel qui émanait de ce jeune corps, un corps qu’il commençait à sentir frémir.

Marie sentait que sa gorge devenait de plus en plus sèche, que son corps prenait le contrôle sur son esprit ; un instant, elle se maudit d’avoir mis une robe de bal avec une baleine, accessoire rendant impossible certaines choses, mais ce ne fut qu’un instant, un très court instant ; Rohan s’était mis à genoux et s’était glissé sous la robe, sous les jupons, sous la baleine. Ses mains se promenaient à présent le long des cuisses dénudées, remontant lentement vers l’objet de toutes les convoitises.

Marie ne peut retenir un gémissement lorsqu’elle sentit que la bouche de son amant avait pris la place de ses mains. Les yeux fermés, la tête légèrement en arrière, elle se laissait aller au plaisir de ces caresses expertes. Ses jambes tremblèrent légèrement lorsque la langue de Rohan vint flirter à l’entrée du Mont de Vénus et un autre gémissement, plus long celui-ci, s’échappa lorsque cette même langue se mit à jouer avec le bouton d’or.

Le capitaine se délectait de la boisson que lui offrait sa bien aimée. Il emprisonna le clitoris entre ses dentes et fit ensuite tournoyer sa langue tout autour ; la jeune femme commença à onduler des hanches ; il sentait ses cuisses se crisper de plus en plus, prenant sa tête en étau. Tout en continuant à titiller le clitoris, Rohan pénétra l’antre humide de deux doigts, en explorant le moindre recoin ; il entendait les gémissements de plus en plus forts et rapprochés ; les jambes de Marie tremblaient de plus en plus.

Elle sentait les premières vagues de plaisir envahir son bas ventre ; en travers les tissus, malgré la baleine métallique, elle arriva à agripper la chevelure de son amant, tout en refermant un peu plus ses cuisse sur cette tête qui lui donnait tant de bonheur. Elle se mit à accompagner les mouvements des doigts qui faisaient, à présent, des mouvements de va-et-vient, imaginant, en lieu et place, le sexe de son amant. La grosse vague de délivrance, l’explosion finale arriva enfin ; Marie cria sa jouissance ; son corps tout entier était pris de tremblements incontrôlables ; elle finit par tomber, à son tour, à genoux tandis que son amant se relevait, regardant, avec un amour non feint, la beauté qui se dégage d’une femme transportée par le plaisir.

Rohan sentit soudain une violente douleur, comme une grosse brûlure, provenant de sa poitrine. Il ouvrit les yeux et la réalité reprit aussitôt le dessus ; il n’était pas à Versailles, mais bien sur un champ de bataille, adossé à un arbre. Il baissa le regard vers sa poitrine et s’aperçu le foulard blanc de sa dulcinée était à présent maculé de sang, son sang. Subitement, il se souvint du sabre transperçant sa poitrine juste avant qu’il ne tut son adversaire. Il leva la tête vers le ciel ; le soleil commençait à descendre à l’horizon ; une larme roula le long de sa joue ; il savait qu’il ne pourrait honorer la parole donnée à Marie, que sa route allait s’arrêter ici, en Anjou.

Dans un dernier sursaut d’énergie, il poussa un puissant cri qui parcouru la campagne environnante. Puis il laissa ses yeux se fermer.

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