Romagnas du Mont Davis / Chapitre 5

Kris T.L

Chapitre Cinq

 

— Pour commencer je crois que nous sommes assez proches et que je pourrais vous appeler Lisy, non ? demanda-t-il d’un ton assuré, me tendant la main pour m'aider à me relever.

— Euh, oui enfin si vous le souhaitez. À présent face à lui, le cœur battant, les mains moites, la bouche sèche, les cheveux complètement décoiffés, j'inspirai un bon coup en levant les yeux.

— Et vous, vous pourriez m'appeler Greg ? Son regard était insistant.

— Oui, très bien, Grégory, ça me va, dis-je en me noyant dans ses magnifiques yeux bleus.

Me faisant un sourire en coin il hocha la tête de gauche à droite et je crus entendre un “c’est pas gagné” sortir de sa bouche.

— Vous dites ?

— Non rien... rien, tout d'abord j'aimerais savoir comment va ma sœur ?

Sa voix se brisa, son front se plissa, pour la première fois, je voyais de l'inquiétude à travers ses traits. Et le fait de le voir baisser les armes le rendit à mes yeux plus humain et cela me rassura.

— Eh bien... la dernière fois que je l'ai vue, elle allait bien.

— Et le bébé ?

— Oh vous voulez dire les bébés, au stéthoscope j'ai entendu deux petits cœurs battre. Leurs constantes étaient bonnes, toutefois, je n'avais pas toutes les informations et de ce fait je n'ai malheureusement pas pu calculer les semaines d'aménorrhée.

Il souffla un bon coup comme si un poids lui était retiré de la poitrine.

— Elle va bien, répéta-t-il dans un souffle comme pour s'en convaincre lui-même. Elle va rentrer dans son huitième mois, enfin je crois !

— Oh !

— C'est quoi ce oh ! Il y a un problème ?

— Lorsque je l'ai vu la semaine dernière, elle avait des contractions, et avec des jumeaux il faut s'attendre à ce qu'elle accouche prématurément.

— Des jumeaux, comme nous, murmura-t-il perdu dans ses pensées.

— Vous êtes jumeaux ? répétai-je à mon tour en basculant la tête sur le côté.

Il hocha la tête pour affirmer mais ne dit rien de plus tant l'émotion qui l'étreignait était forte. Émue, je me raclais la gorge afin de lui expliquer les circonstances qui m'avaient poussée à rencontrer sa sœur.

— Mon oncle est médecin et vit avec sa femme Lisbeth à Lajitas du côté US au Texas. Ils font partie «Des fantômes de Terlingua», ils apportent leur aide aux migrants qui tentent de passer la frontière clandestinement. Ils fournissent des points d'eau dans le désert de Chihuahua et parfois, lorsque l'état de santé des clandestins le nécessite, ils apportent soins et médicaments.

— Mais c'est illégal ? s'insurgea-t-il.

Ok ! J’avais à faire à ce genre de type qui vit dans sa tour d'ivoire et qui ne voit pas qu'en bas des gens crèvent encore la bouche ouverte en rêvant de leur Eldorado.

— Effectivement, dis-je en retroussant mon nez.

J'espérais qu'il ne me fasse pas de leçon patriotique. J'étais américaine par mon père, mais mes grands-parents maternels étaient d'honnêtes mexicains.

Mon grand-père avait fait partie du programme Bracero, mis en place en 1942, c'était un accord entre les États-Unis et le Mexique qui permettait à des ouvriers mexicains de venir travailler aux États-Unis pour pallier à la pénurie de main-d'œuvre, notamment dans les travaux agricoles.

Ma mère était venue au monde à Lajitas au Texas en 1962, c'est là qu'elle avait grandi et rencontré mon père.

Mais il ne dit rien, hochant simplement la tête pour me demander de poursuivre.

— C'est Lisbeth, la compagne de mon oncle qui est venue me chercher, je n'ai pas l'habitude d'intervenir sur le terrain, mon oncle s'y est toujours opposé par respect pour mes parents, affirmai-je sans pour autant m'appesantir. Lisbeth se faisait beaucoup de souci pour votre sœur, celle-ci avait des contractions et de la fièvre, elle voulait que je la rejoigne, car mon oncle était en mission à Polvosur, sur une autre plateforme qui accueille des clandestins.

— Mais que faisait ma sœur avec des clandestins ? Je pouvais voir l'incompréhension naître dans son regard.

— Ça, je ne sais pas. Lorsque je suis arrivée, elle était en plein délire.

Elle n'arrêtait pas de dire : Greg, dites à Greg, lui seul comprendra... m'a promis de revenir rien que pour moi. Cette phrase vous dit peut-être quelque chose ?

À ces mots, je le vis blêmir, mais il ne daigna pas répondre, préférant changer de sujet.

— Pourquoi l'avez-vous appelé Teresa ?

— C'est ce qu'il y avait d'écrit sur le journal de soins : Teresa Rodriguez.

— Le journal ?

— Oui, mon oncle et Lisbeth ont pour habitude de tenir un petit journal. Nous savons que ces personnes ne nous donnent pas toujours leur vrai nom, ce petit journal nous permet de nous souvenir d'eux et des soins que nous leur avons prodigués.

— Oh ! Et comment avez-vous fait le rapprochement dans ce cas-là avec ma sœur Tess Cummings ?

— En fait, je l'ai appris par hasard. Je ne regarde que très rarement la télévision et je n'ai pas pour habitude de m'attarder sur les infos. Mais ce soir-là, alors que j'étais sur mon ordi, j'ai reçu un mail. Vous savez ces chaînes qui circulent de contact en contact. C'était une de ces alertes ; édition spéciale enlèvement. Je ne l'ai pas reconnue de suite, elle a beaucoup changé vous savez.

Sourcils froncés, il me laissa continuer le regard éteint.

— Quand je suis retournée la voir le lendemain pour l'ausculter, j'ai vu qu'elle avait une cicatrice sur son avant-bras droit. C'est à ce moment-là que j'ai fait le rapprochement avec la fiche signalétique de mon mail.

— La cicatrice, murmura-t-il en fermant les yeux, comme si ce souvenir lui était douloureux.

— Vous êtes allée lui parler ? Que vous a-t-elle dit ?

— Elle était épuisée, les contractions l'avaient beaucoup fatiguée, le temps que j'aide mon oncle à s'occuper d'autres personnes en difficulté, elle s'était endormie.

— Ok !

Il semblait déçu et ma crainte augmenta, sachant très bien que les nouvelles n'étaient pas si réjouissantes que ça.

— Vous savez, nous avons à faire à des personnes terrorisées.

— Terrorisées, dites-vous ! Savez-vous ce que c'est au moins que d'être terrorisé ?

Bon ! Cela n'allait pas être si simple. Il était tendu comme un arc et je pouvais sentir la douleur dans le son de sa voix.

—Je comprends ce que vous ressentez, soufflai-je d'une voix chevrotante. Alors ce n'est pas la peine d'élever la ton avec moi.

— Je suis désolé.

Sa voix se brisa et par pudeur je continuais à parler pour éviter d'affronter sa peine.

— Je comprends. Dans tous les cas lorsque je suis rentrée à la maison, j'ai fait des recherches sur le net et j'ai trouvé une photo de vous et de Tess, c'est comme ça que j'ai su que c'était bien elle.

— Et qu'avez-vous fait ? demanda-t-il impatient de connaître la suite.

— J'ai appelé mon oncle.

— Et ?

Son front se plissa. Tendu, je pouvais voir à son regard qu'il était sensible à chacune de mes expressions.

— Comme je vous l'ai dit ces gens sont terrorisés, il nous a fallu du temps pour créer un climat de confiance. Mon oncle n'a pas souhaité prévenir les autorités... enfin, je sais à présent que c’était une erreur.

— Pourquoi dites-vous ça ? Que s'est-il passé ?

En moins d'une nanoseconde il se posta devant moi, les mains sur mes épaules.

— Je n'ai plus de nouvelles.

— QUOI ? Mais où sont-ils ? demanda-t-il en me secouant.

— Arrêtez !criai-je d'une voix forte qui stoppa immédiatement son geste. J'ai essayé de le joindre sur son portable, mais n'obtenant pas de réponse, je suis retournée tant bien que mal dans cette ferme désaffectée. Le problème c’est que lorsque je suis arrivée sur les lieux, il n'y avait plus personne.

— Ce n'est pas possible, c'est un véritable cauchemar. Où se situe cette putain de ferme ?

— Près de Terlingua, une petite ville fantôme du Parc national de Big Bend

— Ok ! Je vais devoir passer des coups de fil. Putain j'en reviens pas d'être bloqué ici à cause de ce temps POURRI !

Sa main s'éleva dans les airs et d'un coup de colère il envoya valdinguer le vase qui était posé sur la commode, celui-ci se brisa en percutant le sol.

— Je suis désolée, soufflai-je.

— Désolée, vraiment ? Si vous aviez prévenu la police, ma sœur serait ici avec nous ce soir, ajouta-t-il avec dédain, les yeux remplis de larmes.

Une boule se forma dans ma gorge. J'étais consciente de tout cela et je savais qu'il avait raison, mais la situation était réellement complexe et mon oncle m'avait fait promettre de ne pas faire intervenir les Border patrol.

Lisy O'Brian tu es dans une merde noire.

— Je crois qu'il serait plus sage pour vous de me laisser seul quelques instants. Vous avez besoin de vous détendre. Relevant le menton, il me pointa la porte de la salle de bains.

Oh !  Etait-ce une manière élégante de me congédier ?

— Au cas où vous l'auriez oublié, je suis venue ici de mon plein gré, dis-je en appuyant sur chaque mot. Et il n'est pas question que je vous serve de défouloir.

— J'aimerais savoir une chose O'Brian. Vous m'avez bien dit être la fille d'un Border Patrol ? Pourquoi ne pas l'avoir prévenu, il aurait pu faire quelque chose, non ?

— Mon père est mort, murmurai-je.

— Oh ! Je ...

— Il est mort quand j'avais neuf ans, le sujet est clos.

Je baissai les yeux pour mieux ravaler mes larmes, puis, tournant la poignée de la salle de bains, je me réfugiai à l'intérieur.

 

 

 

 

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