Rosa

arthurm

Le cri transperça le ciel et brisa les nuages, sans un son.

Dans ces heures sombres où le jour n’existe plus que dans le souvenir des gens, où il n’est même pas encore une promesse, où la lune elle-même quitte la scène sur la pointe des pieds, où les prédateurs rejoignent leurs nids, elle a crié, Rosa.

Fille de rien, ballerine chaussée de dr martens, la fille d’Adam et Eve souffre de sa condition humaine. La pauvre enfant. Les lèvres gonflées et le regard sanglotant, allongée sur le bitume dans une position grotesque, elle aimerait bien pouvoir tourner la tête et cracher le sang qui peu à peu l’étouffe, mêlé à sa salive, à la bile qui remonte, aux acides gastriques qui guettent le fond de sa gorge déjà saturé de foutre.

Il a fait ça sans un bruit.

Elle qui s’était toujours dit, depuis que l’adolescence avait marquée sur elle les formes d’une femme désirable, que le remue-ménage qu’elle ferait si ça lui arrivait serait de tous les diables, que son genou frapperait tant et si bien l’oppresseur qu’il lâcherait prise, elle dont le visage s’éclaire quand crépite le flash de celui qui la prend en photo, admirant son œuvre, elle, la Muse, ne fait qu’attendre, incapable de plus, elle dont les bulles de salive forment une écume dégoulinant de sa bouche, crachotant.

Rangeant son appareil photo, il se penche vers elle et lui sourit tendrement. Du revers de la main, délicatement, il écarte les cheveux collés par la sueur froide de son visage pour les guider vers le derrière de ses oreilles. Puis il caresse sa joue, suivant de près les coulures de son mascara doublé de larmes, lui rappelant la féline, sauvage panthère, maintenant domptée. Retirant son gant, il glisse, aux travers la bouche entrouverte, un doigt long, fin pour le tremper dans la mousse, avant de le porter à ses lèvres. Alors, fermant les yeux, levant la tête au ciel, dans une inspiration profonde, il le pose sur sa propre langue. Il laisse exploser en bouche les arômes, tel un cru exceptionnel, en connaisseur. Quand il finit par baisser la tête, son sourire et son regard ne sont que tendresse pour Rosa, qui, elle, ne le voit plus.

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