Rose de Perse (fin)
Alice Liddell (Falling Cards)
Seule Shéhérazade, au milieu du carnage
Est demeurée sur son coussin d'argent,
Épouvantée,
Deux janissaires jaunes
Lèvent sur elle, aigus
Les couteaux.
Ils hésitent.
Le maître
En caressant sa barbe, où sa lèvre trop rouge
Se tord,
Dédaigneuse du goût de la mort,
A vu la préférée.
Il la regarde
Seule demeurée de toutes ses femmes aimées.
La tuerie est finie.
Vers lui elle se dresse
Les seins tremblants, la gorge pâle, les yeux clos...
Il hésite.
Son regard.
Sous ses paupières prolongées de longs cils
Erre sur le tapis
Où palpitent encore des corps
Sous le frémissement des voiles teintés de sang.
Il s'attendrit. Voilà son harem !
A chacune il prend un souvenir
Et s'attarde parfois sur des lèvres figées.
Mais effroi : il a vu...
Sur les trois courtisanes aux chairs déchiquetées
Le grand nègre doré qu'aima Shéhérazade
Sourit.
Le nez saignant, les dents ouvertes, son poing serrant
Un peu d'étoffe qui fut de sa ceinture
Shariar porte à ses yeux ses deux mains et attend...
Shéhérazade a compris. Elle tourne la tête
Vers les couteaux déjà plus près de son coeur vierge
Et sa nuque sauvage et brune se contracte.
Deux larmes d'amour
Sont deux ruisseaux clairs sur les roses de son visage.
Et le maître n'ayant pas détourné la tête
Soudain elle arrache à ses bourreaux un poignard
D'un coup elle se frappe et se traine aux pieds rouges
Du superbe empereur
Le bras tombe, la tête penche, le sein monte
Et meurt.
Tandis que la roideur du muscle fait frémir
L'oeillet d'or tatoué sur sa peau triomphale...
Et trainant avec elle sur les roses foulées
La musique finit comme le dernier orage de l'été.