Rose de Perse (part V)
Alice Liddell (Falling Cards)
Tout à coup, derrière la tenture d'Assyrie
Deux yeux noirs étonnés ont lui :
Déjà, ne croyant plus au rêve qui les mène,
Les brutes et les pâles danseuses se sont tus.
Leurs regards troubles ont aperçu là le maître.
Casqué, cuirassé d'or,
L'aigrette tremble
Sur le turban qui serre l'argent noir à son frond.
Ses dents brillent autant que le fil de sa lame,
Que l'émail où scintille comme une nuit fatale
Les yeux terrifiants.
Sa main étreint son glaive nu.
Arrêtées, elles portent à leur front leur bras frêle
Et n'osent pas s'effondrer à ses pieds,
Car derrière, serviles, tout prêts au meurtre,
Lâches, les janissaires
Attendent l'ordre,
L'arme avancée :
La lance où pend la laine rouge
Le cimeterre haut,
Et l'arc tendu.
Le sophar va sonner la mort des favorites
Laissant sur les tapis les coupes et les fleurs, les coffrets et colliers,
Tout le troupeau hagard recule pêle-mêle en se rétrécissant.
Les femmes serrées entre les nègres haletants et crispés,
Les esclaves écrasés.
Prompt.
Le maître, d'un coup, lance dans ces chairs nues
Son yatagan
Si affilé qu'il coupe sans heurt
Au vol, les cornes des gazelles.
Un cri timide
Noyé de sang. Et la panique.
Les gardes, les bestiaires aux léopards féroces,
Les soldats, les captifs mangeurs de chairs, bondissent
Le long des escaliers;
Aux margelles tranquilles des bassins où l'eau chante
Sous les rosiers géants.
Dans les étables sombres.
Les chasseurs rejoignent les danseuses défaillantes
Ceux-ci, les pieds aux reins des victimes surprises
Arrachent les chevelures dont le henné dore leur main.
L'éclair courbe des lames s'éteint dans les entrailles,
Les seins dont le lait blanc rosit la chair coupée.
La lance heurte les dents fardées pour le sourire
Et perce avec effort des ventres impubères
Ils frappent à la gorge sans même
Regarder les yeux
Sans même être émus de l'amour.
Ou massacre les nains aux grands chapeaux pointus
Tandis que les furieux
Sur les nègres rués
Ecrasent les têtes
Fendent les torses
Coupent les mains.
Le grand nègre doré,
Poursuivi quatre fois
Est atteint par un coup qui de l'épaule au ventre
Fait ruisseler le sang qui gicle jusqu'au haut
Des colonnades rouges. Il ne crie pas
Mais dans un saut fatal semble vouloir atteindre
Son âme qu'il emporte un dernier tiède jet qui siffle.
Il tombe.
Arqué sur trois courtisanes.
Inconnues.