Rouge feu (rouge glace)

Caïn Bates

   Je suis sorti ce matin après ce qui m'a semblé être une interminable captivité, bien qu'ils prétendent que je ne suis resté qu'une dizaine de jours. Une fois passé l'étroite porte d'acier camouflé derrière une bannière, je pensais enfin revoir le ciel mais, je m'étais une fois de plus trompé. Il n'y a que du béton à perte de vue et des débris de bois et de verre qui jonche ci et là le sol irrégulier. La porte a claqué derrière mois, résonnant contre les murs et soulevant la poussière. Je suis seul, à nouveau seul.

   Bien que les murs dressés soient rares, je pense m'être perdu dans ce bâtiment. La lumière était déjà faible à mon arrivée et elle semble inexistante à présent. Il doit y avoir un accès vers l'extérieur quelque part. Le froid fige un peu plus mes jambes à chaque minute qui passe et j'ai abandonné tout déplacement depuis presque une heure maintenant. L'idée de faire un semblant de feu m'avait plusieurs fois effleuré l'esprit et j'ai dû m'y résigner. Avec les morceaux de plâtre et les gravats, j'ai improvisé un petit four pour le protéger des courants d'air qui me scie les os et j'ai foutu le feu aux restes d'une table fracassée. 

     À l'instant même où le feu s'est mis à crépité, j'ai crû renaître, c'était comme les cris d'un nouveau né. J'en avais presque oublié cette sensation agréable qu'il m'avait maintes fois apportée, sa chaleur me caresse la peau et ses flammes dansent uniquement pour moi, sa lueur m'éclaire comme le sourire d'une mère. Sur la plaque supérieure de ma cheminée improvisée, je pose le briquet que cette femme m'a offert et, dès que je le lâche, tout me semble limpide, ce que j'avait construit n'était rien d'autres qu'un autel pour le dieu qui m'avait toujours guidé.

   Le claquement d'une porte me sortit brusquement de ma transe et j'attrape une pierre en me plaquant au sol, sûr que le feu va les attirer. Au loin, j'entends des applaudissements qui semblent se rapprocher. Ils doivent être trois ou quatre. Une fois le bruit de leurs chaussures audible, je jette de la poussière dans le feu, et la flamme se met à vaciller. L'obscurité regagne à nouveau la pièce et je les entends accélérer. C'est comme ci l'ombre chuchotait à leurs oreilles pour les conduire vers moi. Le combat semble inévitable.
      Puisque les ténèbres leur donnent un atout, je décide de faire appel au mien. Je jette tout le bois qui me tombe sous la main et le jette au feu jusqu'à le faire jaillir au delà de la pierre où je l'avais enfermé et dans ma colère, très vite, ce sont les flammes qui se jettent sur le bois qui traîne. 
     À mesure que le brasier se propage, il me sépare d'au moins d'eux d'entre eux et éclaire une silhouette qui s'approche dangereusement de moi. Je lui fais face mais je m'aperçois rapidement qu'il se déplace presque à l'aveuglette. En l'interpellant, il sursaute en se retournant vers moi comme s'il ne soupçonnait pas ma présence puis sort un flingue et tire juste à côté de moi. Bien qu'il me rate d'un bon mètre, je me jette au sol et plusieurs coups de feu retentissent de plusieurs coins de la salle. D'accord, si ils veulent jouer aux chasseurs, alors je jouerais la créature sauvage. 

     Les règles sont bien évidemment inversées et je comprends bien qu'il va falloir que je sois le moins discret possible. Je cherche alors une longue perche et fabrique une lance rudimentaire qui, au final, fait plus office de masse à longue distance que de couteau à beurre. Je ramasse ensuite des lambeaux de tissus qui pue la charogne pour renforcer l'attache et les plongent dans les flammes. Le premier ne s'aperçut même pas que je l'avais atteint avant que lui fracture le crâne et m'acharne sur sa nuque et ses côtes. Je fît de son cadavre un brasier, un sacrifice, une offrande. 
     Son arme à ma ceinture, je m'oriente vers le duo qui a reprit la recherche. Je bondis sur l'un d'eux et le bouscule vers son complice qui perd l'équilibre. Je tente de lui asséner un coup dans le ventre mais l'autre balaie ma direction de coups approximatifs. Je le frappe aussi fort que je le peux mais la pierre se détache du manche en percutant son épaule, il tombe à genoux quand l'autre se redresse. Plus le choix, je frappe sa gorge avec le bois déchiré et la transperce. En tentant de la déloger, je fais levier et son corps recouvre celui de son collègue qui tombe le menton contre une chaise cassée. Les flammes dansent sur son cou du et un éclair retentit sur la tempe du second qui s'écroule lourdement. 
    Aucune trace du dernier, le coup de feu à dû l'avertir de la mort de ses complices. Je retourne à mon campement improvisé pour bénéficier de sa chaleur et de son brouillard de guerre. C'est là qu'il m'attendait, ou plutôt, qu'elle m'attendait. 

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