Rouge Madras

Clarisse Kalfon

Ce que j'ai retrouvé aux confins de mon vieux blog.

Vous courrez encore. Je vois vos ombres vagues glisser derrière les murs et dans la foule de roseaux près du lac. Oh, mes enfants, la chaleur et l'éclat de l'astre continuent de peindre leurs mirages tremblants. Tout à côté, ou peut être très loin des amphores craquelées, échouées près des rives rouges, où résonnent toujours quelques murmures imitant vos petites voix, j'entends vos pas. Le souffle chaud des vents lointains longe les pentes comme de carmin sous le zénith. Je ne perçois le minime son des petits nuages de grains qu'ils soulèvent en caressant les roches friables, le bruissement pareil aux voix de la pluie des rameaux du Grand Penseur, vieil olivier du commencement. Seul le silence dans lequel je crois vous entendre dévaler les collines bordant les eaux immobiles m'atteint.
 
Ne daigne pas se taire le chant des souvenirs. 
Ne me laissez jamais seule, ô jeunes âmes consumées. Saisissez ma main, prenez la et, sans me regarder, emmenez-moi frôler les herbes sèches. Près de moi, je sens vos chemises de lin tâchées de poudre de ruffe me frôler les épaules. Je tends le bras à mon côté. Une poignée de rien, pourtant voilà quelques poussières du temps sur ma paume moite se noyant dans les larmes qui s'y déposent en tintant. Sous le disque brûlant tombe un étrange crachin. Il ne retombera jamais d'aussi haut qu'il pleut des voûtes célestes, non, mais du bout de mes cils inclinés vers les sols arides.
 
Vous attendiez toujours le soir, amours.
Que vois-je sous l'azur déclinant ? Vos doigts s'entrelacent lentement ; l'un entraînant l'autre, vous retournez vers la maison. Sous vos souliers se cachent les richesses de la nuit ; à chaque foulée, une apparaît là-haut. Un pas, une étoile, un saut, la Grande Ourse, Cassiopée, Orion !
Ah ! belles danses de vos enfances, belles danses de vos courtes vies...
 
Mais ne tarde guère à venir l'instant, la seconde où il vous faut succomber.
Au bord du lac, vos corps s'allongent.Vous contemplez la grande étendue, vos yeux capturent quelque comète, que le voile de vos paupières couvre aussitôt. Dormez...
 
Le grillon se tait. Il revient aux aurores du lendemain.
Je me réveille. Tout rosit et se lève. Je soupire, et sens la vérité, parole amère qui me dit que tout cela n'est plus, m'aider à me redresser.  
 
Madras de nos terres du sud, madras des robes dans lesquelles se glissent les jeunes filles d'ici, madras du soleil levant... Ou rouge madras de vos existences, ces six petites années d'innocence enfantine dont la fin fut votre terme ?

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