Ruelle

franekbalboa

C'était un jour d'automne, encore doux, même tiède. Nous parlions de choses et d'autres à la terrasse d'un café. J'étais en compagnie d'une fille avec qui je passais beaucoup de temps, on aimait se voir, histoire de bavasser, de papoter de tout de rien, du monde, et d'autres sujets. La discussion ce jour là dura longtemps, on s'était autorisé un petit extra, un cocktail sympathique, mélange de champagne, de liqueur et de citron.

Je ne sais pas si elle voulait que ça arrive, mais il y a deux choses à savoir:
Premièrement je supporte très mal l'alcool, ça a toujours été ainsi, je n'y peux rien.
Deuxièmement, quand je suis bien entamé, je suis très amoureux. Genre supra et apparemment très à l'aise pour charmer m'a-t-on raconté.

Bref, le cocktail aidant, et le bar fermant, nous nous retrouvâmes à errer dans les rues du faubourg, un peu éméchés, moi bien plus qu'elle, n'ayant pas l'habitude, et puis avouons-le, j'avais joué aussi le mec fort... Bref, étant entamé et très joyeux, tout comme elle, nous discutions de tas de choses. Et puis comme ça, sans prévenir, elle me prit dans ses bras et me murmura:
"Viens, on joue.
-Euh, à quoi?
-Cache-cache!
-Cache-cache? C'est pas une heure... Mais si allez! Le perdant a un gage!
-Euh quoi comme gage?
-Ce que décide le vainqueur!"
Elle avait un sourire empli de malice, nous sentions l'alcool, ses longs cheveux bruns tombaient autour de son visage d'ange et ses yeux verts me scannaient et s'amusaient de ce qu'ils voyaient. Je ne sais combien de temps j'ai pu réfléchir avant de répondre, sans comprendre vraiment ce qui était attendu de sa part:
"Euh ouais d'accord, qui compte?
-Bah toi, puis le premier qui voit l'autre gagne, d'accord?
-Je, euh, ouais! On fait ça!
-Compte jusque 30, ça devrait être suffisant."
Je comptais alors.
1,2,3...
A quoi veut-elle vraiment jouer..?
8,9,10...
J'me suis fait avoir non?
13,14,15...
J'ai l'air con à compter là...
19,20,21...
Bordel mais qu'est-ce que j'fous là?
25,26,27,28,29,30...
Bon, bah faut y aller.
Je n'avais même pas entendu de quel côté elle était partie, la différence, c'est qu'elle connaissait parfaitement la ville alors que je n'y étais moi-même venu que deux ou trois fois. Je pris une direction au hasard, toujours plongé dans la réflexion du pourquoi elle faisait ça. Cependant aucune réponse n'arrivait. Mon cerveau s'était fait démolir par les quelques verres que j'avais bus, et son regard avait fracassé le reste. Je regardais vaguement les coins de rues. Il commençait à faire sombre, et je me disais que j'aurai dû la laisser compter. Une rue pavée, une autre, une autre. C'était à la fois chiant et bizarre. Des gens me regardaient, il y avait encore du monde, il n'était, il faut dire, pas tard.
Je continuais mon chemin, passais devant des fontaines, puis reprenais une rue à gauche, à demi lucide. Les vapeurs d'alcool n'aidant pas, je n'avais aucune logique. J'aurais aussi bien pu visiter les six ou sept mêmes rues pendant deux heures que je pense que je n'aurai rien remarqué.
Après un long moment à déambuler hasardeusement, je m'arrêtais, effectuer une vidange de la vessie qui était pleine depuis trop longtemps. En me rhabillant, j'entendis quelque part derrière moi, un rire incroyablement familier. Je fouillais l'endroit, le rire venait alors de plus loin. Elle semblait énormément s'amuser, à l'entendre, j'avais du mal à mettre un pied devant l'autre, mais les rires m'amenèrent vers une ruelle isolée, un cul de sac sombre. Je me dis que j'allais l'avoir si elle était là, je continuais d'analyser l'endroit. Convaincu de l'avoir entendue, je continue à avancer, quand violemment, une main m'attrape l'épaule, me tourne, quelqu'un me pousse contre le mur, et m'immobilise.
Surpris, je la découvrit sous un autre jour, un rai de lumière de réverbère éclairait faiblement son visage. Le sourire qui s'y trouvait désormais était un sourire de malice couplé d'une victoire.
"Tu m'as..."
Elle mit sa main sur ma bouche. Puis elle mit un doigt sur ses lèvres me sommant de me taire. Je me dît que c'était là son gage, je ne devais plus parler, et au moment où j'allais partir, je reçus un baiser torride. Totalement surpris et effaré, ne sachant plus quoi faire, je restais là pendant qu'elle m'enlaçait délicatement et continuait son œuvre.
Elle s'arrêta.
"Tu n'aimes pas?"
Le ton déçu de la voix était clair, elle attendait ce moment. Et mon absence de réaction la blessait. Elle recula d'un pas, ses yeux étaient humides, le vert ressortait sous la lumière du réverbère. Ses longs cheveux châtains étaient maintenant attachés, et elle affichait un regard un peu coupable. Au moment où je réagis enfin elle tourna les talons, bien trop triste de mon manque de chaleur. Ayant fait quelques mètres, je la rattrapais et chutais lourdement sur le sol. Étonnée,  elle me regarda me relever péniblement. Je la regardai alors avec un nouvel œil. Comme si je ne l'avais jamais vue. Et je ne sais pas pourquoi, mais je l'embrassais à mon tour. Elle fut stupéfaite, hésita quelques instants, et me rendit mon baiser et mon étreinte.
Cela faisait des mois qu'elle y pensait, et pourtant ces instants durèrent une éternité, elle avait préparé ça depuis longtemps m'a-t-elle avoué plus tard, le résultat avait été bien plus fort que ses espérances, du fond du gouffre, elle s'était envolé tout là haut dans le ciel noir de cette nuit douce d'octobre, nous rentrions ensuite sous une fine pluie qui se mit à tomber sur notre retour. Je me rappelle que mon ivresse fit tomber un vase dans l'entrée de son appartement qui se fracassa au sol, je ramassais les morceau et me coupait un doigt, elle me soigna, me chuchota que ce n'était rien. Puis nous allâmes nous coucher la tête pleine d'émotion, dans les bras l'un de l'autre. Et elle m'avoua le lendemain, qu'à mes côtés, elle avait passé une nuit plus magnifique que les précédents mois d'insomnie régulière qu'elle avait vécu. Je l'ai vue dormir apaisée, et me suis endormi peu après, le réveil fut doux, un ciel de carnage et d'orage, une litanie dans les cieux.

Signaler ce texte