Samedi soir

Hugo Desquennes

Novembre 2010

      Samedi, le soleil se lèvera, puis se couchera. Comme tous les jours. Mais entre deux, l'impalpable sensation de bien-être prendra place à la table même où mon cul aura décidé de passer quelques heures avec ces gens qui réussissent l'incroyable action télékinésique de faire grimper les commissures de vos lèvres le long de vos joues, et ce jusqu'à vos tympans pour qu'elles aillent y susurrer quelques bons souvenirs passés en compagnie de ce télékinésiste en personne.

    Et c'est autour d'un breuvage houblonné (ou deux) qui trahira notre sérieux et notre pudeur, que nous déblatéreront sur de vagues projets qui auront une mince chance de peut-être entrevoir l'hypothétique possibilité de connaître un jour ou l'autre le miracle de se voir exaucer. Cependant, mon ivre bon sens n'aura que faire de ces hypothèses, car après tout, il me l'a dit: ces projets le font rêver.

     Et puis, moi, la conscience sensiblement chancelante, et mon verre à moitié vide dans ma main (à moitié plein dans mon bide), on sera sûrement occupés à faire remarquer à nos télékinésistes que la fille de la table du fond, qui pense nous épier sans se faire remarquer depuis bientôt une demi-heure, a un très beau sourire, éclatant comme une étoile de mer, car la bière permet certaines métaphores qui ne paraissent pas compréhensibles au premier abord, mais qui deviennent absolument logiques si on se trouve à l'instant T dans le même état alcoolémique que la personne qui les prononcent.

   Alors, après avoir bêtement rit, les magiciens nous demanderont, à moi et mon verre, maintenant aux trois quarts vide, d'aller à la pêche à l'étoile de mer. Je me lèverai, seul, car entre temps mon verre se sera asséché, puis me rassoirai brutalement en bredouillant que je ne suis pas en assez pleine possession de protubérances testiculaires pour aller respirer l'air du large.

    Mais après tout, qu'est-ce que j'en sais? Je ne fais qu'imaginer. J'ai le droit, non? Pour l'instant je suis juste dans mon lit, et l'insomnie me guette et teste mes limites. Mais si ça se trouve, samedi, la fille de la table du fond aura eu un empêchement et sera restée chez elle à regarder un film à l'eau de rose en buvant un grand chocolat chaud bien fumant. Puis si ça se trouve, samedi, le bar qui fait face au vendeur de paninis au fromage sera fermé parce que le gérant devra se faire hospitaliser à cause de son mégot avalé de travers en tentant de se rouler une clope. Puis si ça se trouve, samedi, les télékinésistes verront des clients plus importants qu'un insomniaque avec lesquels ils parleront de vagues projets, mais qui ceux-ci s'exauceront. Puis si ça se trouve, samedi, je serai mort.

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