Sampler et sans reproches-Largo De Senespo, Ecrits Vains...

Jaime De Sousa

L'ancienne femme de ma vie se tenait là, devant moi, resplendissante de superficialité. Elle me parlait, je l'écoutais à moitié. L'alcool avait déjà emporté ce qui me restait de lucidité et le volume du son de la salle anéantissait mes efforts d'attention.

Son visage affichait d'étranges rictus, sa bouche se contorsionnait abominablement. Les phrases s'enchainaient, sans aucun espace entre elles, m'empêchant de répondre. Je m'en foutais, je la regardais avec des yeux vitreux, détaillant la moindre imperfection que mon amour pour elle avait masqué. La rancœur amoureuse faisait admirablement son travail.

A l'époque, sa silhouette aux courbes démoniaques, sa culture et son intelligence émotionnelle m'avait attiré; mais comme toutes les filles dont je tombais amoureux, elle avait pris peur face à ma passion dévorante et mes carences affectives.

Nous nous étions séparé deux ans auparavant; je la retrouvais à l'occasion de la soirée qu'organisait l'éditeur de Chester Nivek pour le lancement de son nouveau roman.

Delphine, c'était son nom, m'avait rejoint sur le podium où j'évacuais mon inhibition par des déhanchés approximatifs. J'étais doué pour la danse, du moins la vodka pomme m'en convainquait. Je bousculais allègrement mes voisins de dancefloor, qui n'osaient rien me dire du fait de l'amitié que j'entretenais avec l'auteur célébré ce soir là, confortablement installé sur un canapé derrière moi. Entouré de courtisans qu'il n'écoutait plus, Chester guettait la salle à la recherche d'une «égérie nocturne», expression qu'il utilisait pour désigner les filles avec qui il couchait.

Manifestement, Delphine était pressé de me dire qu'elle avait changé. Elle avait eu une longue discussion avec son ex mari, qu'elle avait quitté pour moi et qui entre temps était redevenu son mari tout court; elle l'aimait, elle l'avait toujours aimé, ils avaient juste eu besoin d'un «break»....

Sa voix m'énervait...j'avais envi de la pousser au bas du podium, qu'elle se fasse piétiner, que le buffet soit renversé sur elle... Je la voyais à présent comme une boite à rythme, un sampler, diffusant le même son sur un tempo monotone...Un vieux truc à jeter dans une déchetterie...Un objet passé de mode...

Mes voisins en profitèrent pour se venger. Par mon immobilisme, je leur offrais un angle d'attaque avantageux; l'alcool se rependait sur ma chemise à chaque cahots corporels.

Delphine continuait à me bombarder avec toute sa verve de femme qui se redécouvrait; je mis fin au monologue en lui proposant d'aller lui chercher un verre que je ne ramenai pas, le barman m'avait recueilli

Je restai ainsi plusieurs heures, fixé au bar, exploitant toutes les possibilités de ma carte bleue avec mon frère et ses amis que j'avais réussi à faire inviter.

Vint l'inévitable verre de trop. La salle tanguait, tournait sur elle même, plus rien ne tenait en place, le DJ mixait au plafond, le lustre était à mes pieds...

Tiago me poussa à aller aux toilettes. Je titubai, essayant de garder une certaine contenance en passant devant le canapé de Chester, qui avait sans doute trouver son égérie puisqu'il avait disparu, et parvint aux sanitaires.

Je poussai la première porte et me trouva nez à nez avec lui, pantalon baissé, une femme à ses genoux. Delphine astiquait l'auguste plume de mon ami, je vomis sur eux.

«Merde!!! Largo!! Tu aurais pu te retenir!!» éructa Nivek. Il remit son pantalon en vitesse et sortit rapidement. Delphine se releva, ses cheveux relevant pour le reste de la soirée du composte improvisé, et se dirigea vers la sortie. Je bafouillai quelques mots qui la fit s'arrêter. Elle revint vers moi, me mit un coup de poing et quitta la pièce.

J'entendis ses talons claquer furieusement le sol, en même temps que l'hilarité de mon frère après l'avoir croisé. Je sortis à mon tour, le nez ensanglanté.

«La vache mano! Ce qu'elle t'a mit!! Mais qu'est ce que tu lui as dit?

- Qu'elle passe le bonjour à son mari...»

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