Sang De Brume partie I

ezio-shulsky

 

SANG

DE

BRUME

Baptiste Gourgouillon

 

Prologue

Emprunter avec une délicatesse contingente des portions de la chair mouvante du monde , jaillissant sur ses propres voutes perpétuelles. Se laisser infuser de ces roulis, pendant une vie entière. Puis, saisi, l’instant sensoriel précédant l’expiation des sens, d’une ultime et fantasmatique intuition. Une encre d’abnégation qui absorbe tous vos pores, les emplit de lumière, les irise. Vos chairs rejoignent celles qui vous ont engendrées. Les flamboiements nihilistes de la matière ne pourront guère advenir si vous ne vous délaissez pas les fruits de votre propre engendrement. Votre chair étant commise de nouveau aux tournoyantes révolutions du monde, elles peuvent désormais se poursuivre. Et dans vos yeux absents, dégénérescentes coagulations princières, perlent les complaintes indicibles de l’ailleurs. Je vais m’être laissé, je vais ne plus exister, m’appartenir en tant que sujet, je vais ne plus m’être.

 Sans ma disparition en tant qu’être de chair, des millions d’êtres ne pourront pas connaître le mode d’être si particulier chez les êtres humains qu’est l’Esthétique, la vie selon la sensation, seule donnée contingente qui soit donnée en pâture à l’être. L’Esprit est la sensation la plus raffinée, la plus réflexive, qui soit donnée à l’Homme. Je me donne tout entier à toi, ma terre, je te rejoins, je rejoins le stade le plus sublime dans les berceaux des temps par l’entreprise desquels  je fus porté à naître. Les foudroiements de la contingence la plus mignonne, la plus absurde, la plus étouffante, m’ont frappé. Je n’étais alors qu’une hypothèse des idées. Les êtres humains n’existent qu’en tant que les viandes dont ils sont composés se meuvent. Les pièces de viande acquièrent leur humanité par les tensions internes et externes qui  leur sont imprimées.

L’ensemble potentiel des déformations d’une chair, théorique, l’arc d’entrelacement chamarré de ces nuances, sont là les Idées. Les idées sont les vecteurs de déformations des chairs. Une multitude de séquences reconnues par d’autres pièces de viande mues par les mêmes déformations, ou des portions communes. Lorsque ma chair se  gâtera, pourléchée de toutes ses archées, farfouillée par les coléoptères, bafouillée par les grignotements, vêtue qu’elle sera de plaies, mon cœur aura atteint son stade éthique le plus sublime. Je donne la chance au monde de se perpétuer. La tâche que j’ai imprimée en son sein se retire, il peut perdurer dans son existence, dans sa ronde. Et des milliards d’êtres connaîtront l’indicible, l’ineffable, l’être et le non être, la vie Augustinienne, amour et désamour.

Et sur les solidarités stellaires, par delà les Mégalopoles noircies du nihilisme matérialiste scandé par le règne de la Liberté comme marchandise, le Renovatio des émotions perdura toujours.

Les  électronicités du cœur, les barbouillages de l’esprit, les brumes perpétuelles du progrès abstrait, les sphères d’enfermement et de contrôle paradoxalement prostituant des ultra individualismes, cet organon de principes d’instincts de morts, ces disparitions de nuances de la langue, ces boursouflures politiques de l’éthique, laisseront tout de même place, lors de quelques absences de la fortune, à la forme la plus aboutie de l’éros. Alors, je cèlerai mon cœur derrière la douceur lactée de mes pupilles,  qui trameront mes soupirs ; alors mes inconsciences se saisiront de l’insensibilité de mes chairs. Mon esprit demeurera alerte, abstraitement, faiblement ; mon pouls narguera les électrodes et leurs candeurs physiciennes.

L’on défiera Newton et les pesanteurs millénaires s’il le faut. Nos sangs se figeront, les artérioles se contracteront, les représentations de mes rêves se débattront. Mais je les laisserai. Je permettrai à mon corps de me refermer ; je murmurerai à Pandore mes derniers aveulissements. L’on se plaira à rêver au-delà du fantasme.

Avant de saluer les Empyrées, je m’avancerai timidement vers elle. Je voudrais tout retenir. Mes lèvres esquisseront un ultime sourire. Ma pensée en quadrige cotonneux songera à cet instant divin tant rêvé durant l’existence matérielle de tout philosophe : toucher à l’Ineffable, aux complaintes du sens et du non-sens, rétrograder l’existence  de la langue au langage, et du langage à l’anti langage. Défrayer l’écheveau de la langue qui a accumulé une vie durant pour se justifier ; à chaque explication, une perte, un ajout, un éloignement existentiel des origines. Je vais à une simplification progressive de l’existence. Toutes les couches mythologiques sont délaissées. Je me sens léger à l’avantage.  Je suis présence, je suis une idée, je ne suis plus une chair. Je suis mémoire, j’entame mon existence idéelle. Puis, plus tard, viendra ma deuxième mort, lorsque l’on ne se souviendra nullement  de moi, c'est-à-dire de l’ensemble des idées qui ont mis en mouvement la chair que j’ai portée pendant plusieurs dizaines d’années.

L’on a pensé à m’enfanter, contingence sismique, aléatoire, cosmique. L’on ne s’étonne pas de la naissance ou non naissance d’un enfant. L’on déplore des siècles durant l’absence d’un être. Une société est un ensemble de principes moteurs de chairs humaines pouvant s’identifier en partie.

 La société peut entrelacer ces séquences d’animation des chairs, appelées « comportements » pour donner un visage humain à la chair, pour l’intellectualiser, lui donner une parure supportable pour l’autocratie supposée de l’espèce. L’on peut entrelacer indéfiniment des comportements, pour en créer de nouveaux. Les comportements passés sont les comportements présents, ou futurs, modifiés, composés, décomposés, recomposés, sans fin aucune.

Les comportements qui n’ont jamais existé, qui n’existeront jamais en acte, demeurent des possibilités. Nous ne retenons pas des êtres humains leur composition de chair, mais les mouvements appliqués à cette chair. L’on retient le principe d’animation, l’idée, mouvant cette chair. Toute idée qui ne s’est jamais manifestée en tant que chair mue entre autre par celle-ci existe en tant qu’elle est un composé d’idées actuelles qui, elles, se manifestent sous forme de chair en mouvement.  En puissance, tout principe pouvant mouvoir une chair, existe comme décomposition et recomposition d’une autre.

Tout être devient humain par les séquences comportementales s’appliquant à ses chairs. Toute idée n’ayant jamais existé, et qui n’existera jamais, demeure une composition éternelle de toutes les autres qui se sont manifestées, et qui se manifesteront.  Les Idées ainsi sont Eternelles.

L’Homme n’acquérant son humanité que par les modifications en séquences de sa physiologie, c’est le caractère idéel pur qui lui donne ce statut. Tout être humain est un comportement, une somme de vecteurs d’animation, avant de former chair. Tous les êtres humains qui ont et qui existeront charnellement sont ainsi des décompositions comportementales des autres. Par extension, et le sublime réside ici même, tout être humain qui n’est pas né, qui n’est pas même pensé comme naissance potentielle, est la décomposition possible d’un humain qui existe déjà, qui a déjà existé, ou qui existera, en tant que chair. En sorte que tout être humain dont l’idée de la naissance n’est pas même pensée, en somme, tout être humain qui n’a jamais existé, et qui n’existera jamais, a déjà existé. Ce principe de l’idée annule la notion de temporalité. Futur, passé, et présent, ne font qu’un, sur le mode d’être de l’idée.

L'idée de dépression ou de suicide ne sont jamais des actes égoïstes. En leur sein, autrui est fondamentalement absent. Chaque instant en ces dispositions psychologiques est une expiation, une lassitude fondamentale, indescriptible de la notion de mouvement, d'activité, d'éthique, d'être à l'autre. Une perception extraordinairement juste du présent, de sa longueur, de son éternité, de son insoutenable répétition, de nos manquements à l'oublier en nos gesticulations.

Le langage est la jugulaire de son propre monde.

Le bonheur n'est pas une fougue extérieure, une piallierie de groupe, un déhanchement sordide, voyant, dégoulinant de gestes. C'est une passion intime, exaltante, qui se savoure perpétuellement, telle une goute tardive  perlant sur les ombres de nos espoirs, seul.

Pendant soixante ans, nous allons , grâce à des déterminismes ethnico-géographico-socio-professionalo-physiologico-psychico-temporels,  "vivre ensemble". Et les idéalistes surannés glapissaient les "projets" de couple, " le bonheur", la complicité  " naturelle" et " inédite"   avec " l'amour de leur vie".

La notion en propre "d'histoire d'amour"  est un spectacle : elle met en scène les physiologies selon des conventions , en sorte que les "émotions" doivent nécessairement être dites pour devenir  des "sentiments". Ces émotions devront se porter sur un autre et non les autres, leur caractère exclusif déforme la sensibilité de l'être qu'il porte naturellement sur le monde. Non contente d'empaqueter la physiologie en lui donnant un label unique, cette "histoire" ne laisse pas les individus avec leurs émotions factices et défigurées : elle les invite fortement à les "communiquer" à l'autre. Enfin, si ces émotions communiquées ne sont pas inconstantes, alors elles n'auraient aucune raison de vivre. La relation d'amour vit fondamentalement sur l'inconstance des émotions, leur fragilité, leur changement. Si les orgueils sont trop pleins d'eux mêmes, l'histoire prend sa vraie valeur, en négatif, en devenant lassante, et captivante de ce fait. Les péripéties, cependant, se retiennent sagement dès lors que les orgueils se fragilisent. Dès lors, la "magie" de "l'amour", ô combien différente de toute préoccupation charnelle, requiert toute l'attention de l'autre. Le but premier de l'histoire d'amour, et de la notion d'amour en général, et de permettre à un individu fragile de davantage s'aimer, en instrumentalisant autrui. L'idéal, à la lettre, est que les deux deviennent des objets de leur orgueil respectif. Pourtant, les acteurs continuent à parler " d'ineffable", de "dignité humaine", de "respect de l'autre en tant que personne". Les objets qui s'assument en tant qu'objets insatisfaits d'eux mêmes, impatients, lassés de leur propre vie, quérissent l'apaisement. Qu'ils  crépissent dans leur chair.

C'est dans les moments d'extrême joie intérieure, d'indicible apaisement, d'éreintante souffrance, ou d'une sécheresse de l'âme dépressive, que l'on perçoit avec précision la vacuité fantastique des activités humaines.

Je suis le symptôme d'une époque bardée d'infatuation pour le vide, guère

La relation sexuelle  pose comme acte de tendresse légitime ce qui n'en est que la nécrophilie la plus parfaite. La tendresse, la douceur, si elle s'atteint, se prend en tant que telle, par la parole ou tout langage, devient dès lors intéressée, consciente, et ruineuse pour ses fins : elle vit, à l'idéal,  à s'épuiser sur l'âme d'autrui, sans contracter l'idée même de corporéité.  La caresse de l'âme palpe le sang et ses reflux, se plaçant comme enveloppe de la chair. En de telles proportions,  placé dans un tel rapport de sensualité inconsciente d'elle même, autrui ne désire qu'une chose : que la pureté et l'élégance authentiques de ces gestuelles de l'esprit n'obvient jamais vers la chair.

A une échelle de statuts et "conventions" des "relations" correspond une échelle une légitimité du rapprochement de la chair de l'autre.  Toute fantaisie sentimentale  que l'on observe n'est qu'un désir de la présence, senteur, et corps de l'autre, sublimé dans un approfondissement du langage. D'ou les grandes discussions de "couple", "nécessaires", ou les "éminentes" différences de droits entre une "connaissance" et un "ami". 

On s'exténue de tout,  ainsi de la poursuite de l'indifférence.

La seule haine , le seul mépris qui ne soit pas rendu artificiel par une recherche outrageusement vaniteuse de l'élégance, est le dégoût sec, inexprimable, d'un "je" qui n'atteint jamais le "soi" idéal.

Pour faire mentir  la conscience, espérez d'autrui davantage que ce que vous vous imposez. Pour la soulager,   égalez le dans son intégrité, sa cohérence, son éthique, son dévouement, ou absence d'intérêt pour l'autre.  Pour l'apaiser définitivement, bornez la notion "d'autre" à vous-même, et vos déceptions, pour le moins,  ne seront plus des surprises, car les fleurs de vos  propres fruits.

Rappelle-toi toujours que tu vis en passager de l'existence. C'est à la dépendance envers celle d'autrui que tu bâtiras ta propre souffrance, quand ces derniers ne seront guère plus que les voyageurs de tes idées.

La régression de la Raison à l’infini : la Raison peut se penser, et peut même se penser impuissante, mais ne peut envisager ce qu’elle serait hors de ses limites. Ce qu’elle envisagera hors de ces limites de sera que des dérivés de ce qu’elle connait déjà. La raison procédera à un raccourci qui consiste à

dire que plus les combinaisons de représentations et concepts seront éloignés dans leur combinaison de l’expérience sensible commune, plus elle pourra penser hors de son impuissance. Cela revient à donner du corps au concept de l’impensable. L’impensable par définition est un concept vide. Car la forme même du concept de l’impensable, et le mode de représentation de l’impensable, ne sont peut être pas appréhendables sous la forme du concept ou sous la forme de ce que l’on a appelé la représentation. Etant donné que l’inaccessible à la raison humaine n’est peut être ni de la forme d’une représentation, ni de la forme d’un concept, ni de la forme d’aucun mode d’être des organes humains, se prononcer sur l’impensable et son éventuel contenu sont des pertes de temps intellectuelles pharamineuses.

L’angoisse finale est de comprendre que la vie humaine est une contingence, une possibilité. Notre vie est un hasard, nous aurions pu ne pas être. Tant de gens inconnus, jamais connus, tant de personnalités heureuses sans nous. Aucun bonheur, aucun questionnement. Confondu dans l’image monde, dans la terre, pourrissant allègrement en elle, vivant

l’entendement primitif à son stade le plus primaire, le plus sublime.

Le travail est le vomissement et l'aboutissement d'un principe fondamental qui est le mouvement, l'être à l'autre, le non statique de l'entité. Son avantage définitif est l'annihilation de toute possibilité réflexive, de captation et dilatation du présent. Il est l'essence de l'homme dans le sens ou il permet d'étouffer la réflexion sans l'intervention de la volonté. Il suffit de donner, en première instance, un peu de soi. Puis le travail fait la suite du chemin, en vous dispensant de penser. Une journée de travail bien dépensée est récompensée par l'incapacité notable le soir de réflexions poétiques sur l'existence, ou la perception dérangeante du présent, l'ennui existentiel.

Les êtres  sont si fiers d'être dans une  « relation »  qu'ils ne trouvent que souffrance, déception, et mélancolie pour en asseoir la continuité et lui donner un sens, une "histoire"  de l'amour  : ce faisant ils admettent le vide environnant , artificiel, et fondamental, qui définit le projet initial.

 

L'existence est une lèpre éthérée.

 

Les relations humaines sont l'actualisation dans notre vie de tissus théoriques, arbitraires, auto entretenus, de combinaisons  fondées sur l'espoir de la personne morale qu'est la société de perpétuer les  êtres humains en sublimant le coït dans une mélasse mythologique et symbolique de valeurs, gestuelles, hiérarchies, poses, notions de l'apparence,  à révérer.

Si la souffrance était si insupportable, elle ne nécessiterait pas l’appui de l’idée de bonheur ou de repos pour se réaliser ou asseoir sa légitimité.

 

 

 

Les humains, incapables de ressentir une émotion sans la saisir, l’affubler du moyen d’un langage  duquel ils se sont rendus familiers, inventent systématiquement les contraires. Ils associent une émotion observée et récurrente dans leur quotidien à un concept désignant une émotion dite idéale, parfaite, ou légitime.

Seront dits « idéaux, parfaits, ou légitimes », des attitudes, gestes, postures, ou émotions, qui épuisent les chairs des individus, suffisamment,  chaque jour, pour que la société  évolue comme les autorités des sphères du Loisir, des Afflictions, du Politique, de la Morale, du Travail, l’ont établies. Non seulement les chairs doivent être épuisées selon le rapport de l’âme particulier à chaque individu, mais la vitesse d’épuisement, la quantité et le niveau d’altération des organes est modulée également. Plus les organes des individus en société sont fouettés jusqu’au sang, plus l’homme se réduit à un boc de sable modulable sans respect du fonctionnement interne de sa physiologie, et plus la société sera efficiente, selon la conception occidentale et celle de la culture globale. 

Les organes et la matière humaine sont  étouffés  sur l’ordre de l’esprit. Chaque jour, les chairs humaines sont étalées, tissées, échevelées, lacérées, en profondeur, sur lesdites sphères. Les mouvements du sang, de sueur, de peur, de terreur, sont entretenus. Les corps bouillent, se salissent, décrépissent sagement, sur l’autel du Progrès. Progrès abstrait cependant, car il faudrait évoluer continuellement, sans objet,  sans examens de la viabilité des situations d’arrivée. L’important est le non statique. Le mouvement. L’on ne sait pas vers ou l’on court, mais l’on court. Pour se dispenser de penser, et de tout retour sur soi. Sénèque se retournerait dans sa tombe.

 Un concept désignant une émotion en la coupant, précisément, de sa charge émotive, c'est-à-dire de sa manifestation dans un corps vécu à l’instant de l’énonciation en parole, ou gestes, ou autre langage, peut être nommé concept sensoriel. De cette première association diffusée dans les sphères de la société découle un spectre double : une échelle émotionnelle de part et d’autre de l’émotion idéale, et une échelle, correspondante, de concepts sensoriels. En sorte  qu’à un concept et ses artifices de valeur s’échelonnant de part et d’autre de l’émotion et concept sensoriel idéaux,  ils limitent et mettent en scène toute réaction émotionnelle « inconnue » qui se serait écartée de cette idée comme la plus proche de l’idéale, l’originelle. Ils créent l’imprévu pour le ressentir. Ils singent le sentiment théoriquement avant de le ressentir. Le concept sensoriel est dépourvu de toute charge émotionnelle.

Il suffira aux individus diviser un concept émotionnel  en son nombre de composants, de pulsions sensorielles, en de concepts sensoriels plus petits. Une fois ceci fait, ils peuvent se figurer abstraitement une émotion, sans pour autant ressentir ce qu’ils imaginent. Ainsi, une fois que les structures d’apparition d’une émotion apparaissent, ils l’ont déjà vécu abstraitement. Ils la ressentiront donc soit plus intensément, soit s’en lasseront. De toute évidence, la charge émotive de la scène est menacée.

A la fin de leur existence matérielle, les êtres occidentaux ont acquis un droit à la mort : cela correspond à un degré précis, théorique, d’épuisement des chairs durant l’existence. Rappelons-nous qu’une fois que les organes sont formés  à la naissance matérielle  de l’être, ils  sont constitués, évidemment, pour évoluer, selon certaines marges, un mode d’être propre, pour que leur fin puisse se réaliser sans altération de l’organe même. Ceci est le mode d’être pour la  constitution de l’organe, si l’on considère que le mode d’être de l’organe sera toujours invariant. Le but de la société est de modifier ce mode d’être, en général, aux limites mêmes de leur constitution, de sorte que l’organe ne peut parfois plus se régénérer lui-même. D’où les grandes théories forts cocasses sur l’excitation excessive, ou « stress », et les moyens d’y recourir, parfois très savants, très étudiés.

  A la fin de l’existence matérielle, le mode d’être est défiguré. Un organe, ou une portion physiologique, se manifeste pour elle-même, pas nécessairement pour exister dans un ensemble. Néanmoins, le corps humain est constitué d’un agencement de modes d’êtres et d’organes. Nous avons donc, la constitution des organes atteinte, un entrelacement de modes d’êtres qui, grâce à un environnement,  est vivable pour le corps vécu, le sujet. L’on ne peut pas se prononcer sur le bien fondé d’un tel agencement, sa praticabilité. Mais, il y a un fonctionnement. Le télescopage des modes d’êtres des organes n’est pas à juger, il est un fait. Cependant, si l’on demeure dans les faits, l’on remarquera que ce télescopage de modes d’êtres, pouvant évoluer durant l’existence matérielle de l’individu, se transforme en anarchie. Les organes sont épuisés car l’on ignore leur limites. Les modes d’êtres sont tant étirés de leurs limites originelles que l’être en pâtit, par mépris des autorités de la chair et de ses possibilités d’existence. Les autorités sont tant habituées à croire que le vouloir asservit le pouvoir, ce qui est possible pour la raison, qu’ils transposent maladroitement ce raisonnement sur une réalité biologique, en toute quiétude de conscience, commettant un raccourci de pensée qui ne leur apportera que la souffrance du mépris de leurs propres corps. 

L’idéal est que l’être meurt pour son travail. Les occidentaux révèrent grandement cette idée selon laquelle se dilapider charnellement dans une idée, se statufier dans une idée, mourir dans l’abstrait, est un honneur.

Les êtres sont si insatisfaits  de leurs émotions que s’il ne les nomment pas, ou s’ils ne les placent pas dans les cadres des relations, ils se reprochent de les éprouver malgré eux. Alors, ils inventèrent la notion de légitimité qui fonctionnait de la suivante façon : si une émotion ressentie, ou un geste, acte, correspondent à un ensemble de situations théoriques prévues à l’avance et connues des participants de la relation, alors l’on  ne réprime pas l’émotion derrière une situation. Dès que le geste en réalité est un entre-deux , ou une improvisation inconnue, ce qui est prévu dans les règles comportementales théorique n’est pas respecté, et l’être ressentira un grand malaise. Il devra se repentir et sera enflé par le ressentiment, avant qu’il ne se rattache clairement son comportement à contexte connu. Et les piètres acteurs demandent l’asile…

 

 

 

Il manque quelque chose de fondamental aux relations humaines : une analyse en terme d'un spectre entrelacé et grisant d'émotions, et non en termes de hiérarchies. La hiérarchie est une organisation limitée  des affects, une castration de l'inconnu qui anéantit  la plus belle partie de la  charge émotive de l'individu : sa liberté dans le corps de l'être. Laissez-vous faire par vos émotions, laissez les venir, et constatez que les hiérarchies sont inconcevables surtout sur un plan qualitatif. Tout jugement ne peut percer l'expérience émotionnelle propre à un être. Le jugement est conceptuel, spirituel, analytique. Il atteint les noms correspondant aux affects, jamais les affects eux-mêmes. Deux natures extrêmement différentes et inconciliables. Le jugement, et la parole, sont même des incohérences pures, des objets épars et insignifiants, incapables d'appréhender la moindre pulsion sensorielle dans un corps vécu.

Les êtres ne se communiquent jamais des émotions :  l’on se fend d’un signe,  de l’espérance que l’autre s’en trouve intimement  affligé  spirituellement ou affectivement, et la coutume  qu’il affecte  gestuellement qu’il le serait . Cela équipolle à soutenir que l’entier commerce humain est un tissu de croyances. Lorsque l’on sait en quelles hauteurs la religion est tympanisée  et considérée comme grotesque en certains esprits, l’Esthétique, ou émotionnalité  humaine,  ne se réduirait qu’à une vague scène mythologique, si ces mêmes esprits matérialistes enflés d’orgueils demeuraient cohérents avec eux-mêmes.

Les êtres, au fond,  ne désirent jamais  partager la sensibilité intime d’un autre, son senti face au monde. C’est avec toute leur force qu’ils s’en rendront les plus incapables, ne pouvant que glaner quelque signes dont l’interprétation leur est  en quelque occasion voilée.  Ils veulent en priorité un statut social, une identité dans les structures des relations, pour légitimer une attitude extrêmement indépendante, orgueilleuse. Ils privilégient le regard de l’autre quant à la manière dont ils appréhendent les relations humaines, à leur propre ressenti dépourvu de toute notion de statut social.


L’occupation du gros des hommes est à cisailler leurs émotions  en concepts qui  les asservissent à des droits et devoirs qu’ils peuvent, contrairement aux charges émotives inconnues,  contrôler, et lénifier.

Les êtres, en marche vers la culture globale , trop enchainés à leurs notions capitalistes, à leur passions de l’avoir, ne peuvent , au comble du dévouement des « relations »,  que  « s’offrir », se  « donner » à l’autre , puisque leurs émotions inconsistantes  et la patience consacrée à les vivre sans les imaginer ni les brider leur sont devenues  étrangères et superflues.

Quel problème que celui de la vérité chez Socrate conçue comme possession. La vérité  semble à l’inverse  l’accord entre le sentiment qui émane de la fusion arbitraire entre deux éléments du langage dans le monde, et celui qui émane depuis l’observation et la reproduction consciente et tracassante de ces attitudes émotionnelles.

Epuisement sur les découpages conceptuels classiques : métaphysique, esthétique, langage, herméneutique. Identification de la philosophie à une science avec ses propres départements , on a oublié son essence : se jeter à grandes brassées dans l’inconnu. Explorer le langage pour parvenir à une forme d’insouciance, inconscience , de la découverte. Une appréhension du monde qui ne se contemple jamais elle-même en tant qu’appréhension. Tandis qu’elle se regarde et se vérifie continuellement, la philosophie oublie difficilement de « sombrer » littéralement dans cet enveloppement noir qu’elle commet et dont elle disserte de la chute et la survenance. De sorte que même si la philosophie chute, elle ne le sait même pas, trop occupée à le penser. Toute « connaissance » est dans l’inconscience de la découverte, c'est-à-dire une intuition suivie de grandes trouées aléatoires dans les névés de l’inconnu.

Hommage à Kierkegaard qui a cru « prouver » le désespoir par une accumulation chaotique d’hypothèses et de jeux de l’esprit qui ne touchent jamais vraiment au désespoir lui-même, mais surtout à ses apparences.

Le seul état de tranquillité se trouve dans un équilibre inconscient : ne jamais demeurer trop sous l’emprise d’une émotion, idée, raisonnement. En changer guère trop souvent, ni trop tard. Excès peut être est de vouloir changer. La Sagesse s’accomplit dans un équilibre scabreux.

Le travail est l’allégorie de la non pensée. Toute activité de l’esprit annule sa propre prise de distance. Le penser, ou se penser pensant, c’est déjà ne plus penser. Saisir le penser est inconcevable sans l’alourdir de pensées.

L’attention ne se « porte » jamais sur les choses, ce sont les choses dont font partie l’attention, qui en s’engendrant elles-mêmes, se font exister mutuellement.

S’objectiver en sortant des structures de la perception humaine, ou jacasser vainement sur les notions occidentales de l’identité , demeurant sourd à toute manifestation informalisable ?

« Pour goûter au miel, il faut goûter à l’amer », ou la compétition de la souffrance qui s’admire et se conte dans un détachement romanesque. La souffrance que l’on regarde sans déformation poétique nous dispense de regarder autre chose qu’elle.

La modestie est une louange de la gloire posthume.

Le mal comme possibilité de conservation ?

Renier l’héritage, donner de la chair au squelette de l’illusion d’un but, et transmettre  toute la pompe spectaculaire de cette illusion à la génération future, espérant qu’elle ne s’apercevra assez tôt de la supercherie.

La force du pouvoir politique structure  l’ampleur du caractère bouffonnier  et piailleur des moralistes, afin de mieux s’établir.

Définir sa vie en négatif.

L’union  nécessite des mots, projections, stabilité. La séduction qui se projette malignement dans ces dispositions ne laisse jamais insensible, elle est une pièce.  Les bas séducteurs se contentent de faire exploser leur moi le plus loin possible, croyant atteindre un soi idéal. Les plus fins délaissent leur moi pour le substituer à celui de l’autre. Les perversités des Dom Juan représentent le Soi de l’autre, le déséquilibre provoque ainsi l’admiration.  Le moi du séducteur explose, et son soi n’a toujours pas varié.

Les moralistes jouent perpétuellement sur une distinction fondamentale entre le bon et le mauvais, le bien et le mal, sans jamais questionner la légitimité fondamentale de telle arbitraire distinction. Il est fort dangereux de fonder toutes les activités mentales d’un individu sur une simple distinction conceptuelle.

On ne « sait » rien de l’autre. On observe des habitudes comportementales, et on conjecture en oubliant qu’autrui est un bouillon de culture, qui quand il prend conscience de lui-même, prend déjà conscience d’un autre. La « connaissance » de l’autre est un empilement malheureux  d’émotions triangulaires imperceptibles et changeantes.

La sensation d’un bien permet de biens plus grands outrages qu’un mal illégitime.

Le langage, c’est l’autre.

La modestie, l’humilité, l’abnégation, sont les fruits de haines, vanités, et meurtres passés.

Les appareils électroniques sont les nouveaux cosmétiques du cœur

L’histoire d’amour est bâtie sur une inconstance fondamentale : le moi désire le soi qu’incarne l’autre. L’on désire des fantômes.

La  vérité, la vraisemblance, l’erreur, sont des variétés d’interprétations extrêmement discutables. Seule  l’intuition qui soit adéquate aux doutes fluctuants dont sont pétris les champs du méconnaissable.

Recherche de la vérité : torturer le langage pour créer des transcendances imperceptibles que l’on pose dès le départ comme inatteignables. Le loisir de se complaire dans l’entre deux artificiellement, montre combien les êtres et philosophes sont épuisés de devoir choisir dans le cadre d’une « dualité » conceptuelle.

La notion de connaissance, ou d’amour, déforment la sensibilité d’un être sur le monde, la réduisant, la systématisant, et l’industrialisant, sur quelques individus et entités. L’éthique est à la connaissance ce que les moralistes sont à la société : des procéduriers de l’humour qui aisent le travail de l’intelligence, dans un cas, à légitimer son pouvoir, dans l’autre, à être au service d’une agressivité lente, poisseuse :  «  la morale » d’un progrès, sa prétendue « conscience » d’elle-même. L’éthique est encore plus dangereuse que le progrès, car le principe de réflexion donne tout de suite le sentiment de participer d’un mouvement libérateur.

Le suicide, par sa préparation inconsciente et lente, recèle d’une authenticité et d’une durée que la mort, jugée comme « phénomène », «  processus », durable, ne possède pas,  alors qu’elle n’existe pas, nous n’en voyons que les conséquences. La mort n’est pas même un instant : c’est un aller impossible vers la captation du « présent ». La seule chose perçue serait l’après, mais le cœur périt avant d’y accéder.

L’expérience ne garantit en rien la déformation future de ses fruits, d’autant plus si elle est jugée intéressante. L’intérêt appelle à une fructification, un mécontentement de ne pas voir les fruits d’une expérience. L ' on peut se priver définitivement de les voir, en faisant fructifier des fruits inconscients.

Toute action morale, tout engagement, ne s’accomplit au mieux dans l’inconscience, au pire l’intuition.

La civilisation est l’art de donner aux hommes la technique, afin que sa chute n’apparaisse pas directement reliée  à eux-mêmes, mais à un principe fictif, inhérent à la notion de civilisation, personnifiée, semblant déresponsabiliser l’espèce humaine.

Obsession permanente de la « dualité » de l’analyse. Opposer des éléments par pur plaisir de les insérer dans des démarches conceptuelles . La philosophie exacerbe les propres tensions du langage comme la richesse de l’autre ne pouvait se suffire à elle-même sans  les cadres du génie humain.

«  avoir du goût » : connaissance des  grands courants Esthétiques, et entrelacement qui approfondit les œuvres considérées comme canons artistiques, ou plus profondément intuition du beau indépendantes des strictes hiérarchies auxquelles l’on se trouve accoutumé.

Le langage conscient est sale.

La raison ne « veut » rien, la structure du langage nous incline non pas à « anthropomorphiser » le concept, mais simplement à le faire vivre, car nous établissons le mode d’être de toute chose comme dérivé du notre, qui lui se fonde sur une structure particulière.

Le cœur et l’esprit s’attachent aux seules catégories données. Le méconnaissable rend indifférent plus le réel est sectionné dans le langage, plus les émotions se portent entières sur ce dernier. Les émotions ne sont pas imaginatives. L’on regarde toujours le monde avec une vue miniature. L’immensité potentielle du méconnaissable au pire nous laisse indifférents. Il est une difficulté fondamentale à porter nos ressentis vers l’inconnu. Au mieux, il nous garde vivants. Mais le méconnaissable est si riche, insondable, que sa découverte nous laisserait entrevoir combien nos découpages du monde en émotions , idées, sont  insuffisants. Le méconnaissable incline à l’attendrissement. C’est lui-même qui nous réduits  à penser que la notion d’émotion , connaissance, ou méconnaissable, sont déjà des découpages nous aveuglant  d’un méconnaissable métaphysique qui lui nous est fondamentalement imperceptible dans sa globalité.  ( sa globalité même est une forme de découpage ). Le méconnaissable se confond avec  le connaissable en ce que l’on sent que rien n’est appréhendable sans découpage. Notre notion de découpage elle-même en est un. Que reste t il , dans ce sophisme métaphysique ? Une cécité abstraite devant le monde. L’on sent l’inaccessible, l’immensité d’autres langages qui façonnent notre monde autrement que par « découpages », l’on sent ni le « Rien », comme les enfants du nihilisme le prétendent,  ni la complétude : l’on sent un « non rien », qui est informulable et ineffable. C’est le drame de tout langage : sentir qu’il ne représente rien et qu’il est pourtant tout ce que nous avons pour exister dans une durée.

L’on est l’hôte des idées, émotions, corps, afflictions d’existences. L’on attaque jamais le corps vécu, le vivre du corps, de l’être, le « moi émotionnel », la sensibilité virginale, intime de l’être, mais les apparences supposées de ce dernier, c'est-à-dire l’identité de l’individu.

«  certaines personnes ne seraient jamais tombées amoureuses si elles n’avaient jamais entendu parler de l’amour », dit Nietzsche.  Le langage par son approfondissement provoque  ses plus belles exquisités  par d’augustes raisons de se contempler, et de mirer les émotions afférentes, mais également d’indicibles bouffées d’incertitude.

Une réflexion est une anarchie telle que le concept est intraduisible et informalisable en nul langage, que l’on affuble du sentiment rassurant de la cohérence pour que l’auteur puisse faire semblant de l’achever.

La poésie émeut l’inconcevable.

L’intérêt est une expansion destructrice, car détourne le cours inconscient des choses, au lieu de s’y glisser sans l’altérer. La découverte idéaliste devrait supplanter à l’intérêt meurtrier, qui tout comme la connaissance, croient percevoir un trouble et une identité aux choses, alors que cette identité qu’ils avisent n’est le fruit que de leur seule présence.

L’univers est une circonstance du langage.

La notion de  physiologie est encore une aberration de l’Esprit contre la vie.

Pourquoi cette obsession du monde en soi, du caché, d’une dualité imperceptible ? Pourquoi ne pas accepter l’universalité de l’inaccessible, et ses fondements et manifestations inappréhendables ?

La notion de fausseté ou d’habitude, d’intuitions métaphysiques intéressantes, sont devenues des « habitudes » de réflexion , des apparences du penseur, une institution philosophique.

Différence est entre le temps biologique, imperceptible, le temps de la chair du monde qui s’effondre sur elle-même, et  le temps du langage, en sont les constructions morales pour récupérer maladroitement quelques lambeaux de l’autre. Les vies occidentales sont réglées sur des concentrations extrêmes de la physiologie, des sens, sur trois notions arbitraires du langage, « passé, présent, futur ». Fort heureusement,  penseurs eurent donné suffisamment de chair à ces idées, nonobstant ne demeurent elles que des découpages artificiels. Pourquoi est il quelconque nécessité à s’écheveler  continuellement à eux ?  L’Histoire et les activités sont entièrement fondées sur ces réductions émotionnelles bornées à trois notions. Quel danger.

On ne se soumet jamais à des lois, juste à l’estime qu’on aimerait bien en avoir.

Certains mots, comme la justice, si on leur enlève tout leur faste historique, philosophique, et intellectuel, se résument à un principe ambigu : en croyant isoler l’individu de la société, elle le place dans une position encore plus inconfortable, ou il est regardé de tous, montré. Le besoin de reconnaissance , et d’existence à l’autre, avec autrui, est transformé en voyeurisme pour célébrer la prétendue cohérence des communautés humaines.

La philosophie est une drogue de l’esprit : elle entrelace tout problème immédiat à une société en des questionnements de plus en plus complexes et conceptuels, pour parvenir à des situations effaçant la ligne entre jubilation artificielle et angoisse existentielle. Le corps est un enfant qui s’affecte de tout, pourvu qu’il soit  habitué à être broyé par le concept d’une certaine manière.

On parle toujours du « juste », mais jamais de la possibilité d’un établissement de son commun référent, si l’on se plait à en postuler un.

De toutes les postures, le désespoir est la plus affectée.

        La vérité est la reconnaissance du sentiment de reconnaissance.

Toute naissance tâche irréversiblement le cours de la chair du  monde.

Une vie intellectuelle saine ne devrait pas s’attacher à jouir de ses propres créations, ou à mordre avec pachydermie dans l’inconnu, mais à s’attacher à rendre sensible le « non Rien » qui git derrière ce que l’on  nomme sommairement et naïvement le « méconnaissable ».

Ce n’est pas de la finitude dont on a peur, mais de la souffrance. Celle seule des circonstances autour de ce qu’on appelle « la mort », de « sa » théâtralisation, si l’on daigne donner à ce concept la chair de la temporalité. L’on souffre par anticipation du tenaillement de la perte d’être dits « proches ». L’on souffre d’un état futur que l’on ne connaît pas. En quelque sorte, la peur des circonstances de la mort ne diffère pas de la peur d’une maladie. Mais la peur de la perte d’autrui est une mort pourrait on dire, double : on souffre tant par anticipation que l’on préfère les pleurer tant qu’ils sont en vie ; de ce fait, l’on rejoint une autre peur soi disant infondée : celle de ne plus leur parler après leur trépas. L’on commet donc un suicide et un meurtre dans le phénomène de la souffrance de la mort.

La souffrance est une peur intrépide, impatiente d’exister pleinement.

Une émotion est un trouble existentiel, un sentiment sa communication.

Je suis le héraut d'une génération fulgurante de tourments.

Mon fantasme est de vivre ce désespoir poétique et littéraire, tant conté et sublimé. De le vivre dans sa froideur, son immédiateté, son impossibilité de s'en distancier. De le vivre comme un acte de création avorté : la première et la dernière pulsation du temps de ma soif de l'autre.

Qu'on fait les poètes, écrivains, et "grands" hommes de nos contrées ? Ils ont brassé salives, fluides, vents et chairs du monde, avec plus de conviction que les autres. La conviction des cabotins qui s'oublieraient presque, démentiellement, dans le théâtre social des identités.

Le sentiment doucereux d’avoir touché à une métaphysique si pure qu’elle s’affranchirait de sa propre existence.

Ce que l’on appelle l’autorité , ou la reconnaissance, portée aux penseurs, se fonde sur la gloire d’une appréhension du monde récurrente et légitimée par l’habitude, l’archaïsme de l’intelligence inadaptée  aux champs immensément denses du non connaissable.

Lucrèce pense la vie humaine tant que répugnance insondable : pourquoi nage t il dès lors dans une de ses classiques superficialités  de sa littérature, la critique, en usant de la langue ; n’est ce pas lui rendre quelque hommage ambigu ?

Emile Boutroux a écrit un traité sur les lois contingentes de la nature, Condillac sur l’entendement animal, Peter Singer le droit des singes, et Derrida a déconstruit le langage paradoxalement en ajoutant un peu plus  à tout ce qu’il enlevait conceptuellement, se retrouvant avec une somme de méthodes et d’exemples vidés de contenus. La philosophie prouvera n’importe quelle proposition, perpétuellement, car sa plus grande faiblesse, et ce qui en grandit l’admiration béate, est la rhétorique , et la Logique. Je serais fort curieux de demander à Emile Boutroux si rabibocher la nature en la plaçant dans des cadres étroits de l’impérialisme conceptuel l’a  apaisé pendant ces quelques mois d’égarement durant lesquels il a écrit cette chose. Et à Condillac d’où il tient ses serendipités divertissantes sur les « émanations du lait ». Ce qui sauve Condillac, qui veut se faire chien, ou Singer, qui maçonne le cours  de l’inconnu des espèces par des plâtrées grossièrement humaines, est précisément et uniquement, la rigueur du propos,  son « sérieux »,  son niveau de technicité, ou,  cela est au choix, «  profondeur intellectuelle ».  Mais j’ai le sentiment que dans cette recherche de la preuve, pour le dire de façon quelque peu humoristique et anthropomorphe, que la « Nature » ne nécessite point d’être « prouvée » pour exister dans son inconsistance. Elle n’attend pas les hectolitres de rhétoriques cicéroniennes ou kantiennes pour commencer à être. J’ai ce sentiment fugace que la seule entité que ces penseurs tentent crânement de se persuader, et d’étouffer sous des concepts, sont eux-mêmes. L’on écrit toujours pour le moi. Le moi et le soi idéal discutent, cela est tout. La rigueur compréhensible de l’autre est un  besoin de reconnaissance factice, la dialogue intérieur suffit. En effet, l’on pourrait former son propre langage. Le soi projeté sur la page est déjà une autre personne que le moi et le soi que constituent l’auteur. La rigueur et l’obédience  à la forme sont des lâchetés d’affronter le tourment dans son entièreté.

Les hôpitaux psychiatriques accusent certains d'être différents, les mettent dans une position du ressentiment, alors que c'est la société qui permet en premier lieu ces différences. La folie est toujours la folie d'un autre. La vraie folie est dans l'inconscience. L'horreur de ces institutions est qu'elles agissent dans les mêmes principes que la justice : la punition. Le problème étant que la folie ne se prenant pas d'elle même, elle n'est pas perçue par le sujet comme une déviation. Le sujet à l'impression d'être puni, en réaction à une attitude normale. Le plus choquant est l'application d'un système judiciaire ( réaction, contre réaction ) à une situation statique ( un sujet fou se perçoit normal, donc sujet à aucune réaction particulière ) qui n'est pas même une situation.

La tendresse est une  sexualité refoulée.

Lorsque les philosophes et penseurs auront le courage de ne plus signer leurs traités sur l'abnégation, la modestie bohème à l'occidentale aura enfin atteint son stade critique, l'inexistence.

Vivre la pensée, s'en infuser, s'en enivrer, s'en périmer.

La plus grande brutalité des hommes s'ébroue aux racines de leurs espoirs.

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Regardez donc ces monstres qui tiennent encore debout, après tous ces siècles à s'élever, en à-coups, vers l'abstraction, le nihilisme total, matérialiste, sec et charnel. Ces oripeaux d'orgueil qui mugissent proprement, classifiés, criant le monde, crachant le droit , scandant la liberté, s'entre découpant dans leurs graisses mythologiques.

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