Sang De Brume partie II
ezio-shulsky
La mode féminine chez la jeunesse du début du XXI ème siècle, dans le milieu bourgeois, prône une annihilation définitive de l'imagination portée sur la tendresse. Au contraire, la fantasmagorie a dévié vers le désir pur. Nos petites bêtes hyper sexualisées aux double peaux se dandinent avec une aisance particulière, la grâce figée des choses.
L’on serait tenté de déclarer « le langage forme ses propres fins ». J’ai le sentiment que le « l », le « le », le « la », et généralement tout article ou pronom, handicape ce qui est désigné, car il l’alourdit du principe de l’entité et de celui de l’identité. L’on se persuade ce faisant que « le langage », « l’amour », « la politique », « une personne », entre mille exemples et notions, parce qu’ils seraient bornés dans la grammaire et la syntaxe, se devraient de l’être en eux-mêmes.
L’on voudrait que ce qui est désigné vécût pour la grammaire. On les déforme et les ignore. Le principe de l’identité est plus fondamental et pernicieux. Il est délicat d’y échapper. En effet, il consiste à associer, à tout ce que se propose de désigner une langue, le fait d’être caractérisable, en tant que « chose » naturelle, ou « élément ». L’on voudrait que le langage pût tout désigner. Il réside dans les notions si inoffensives au premier abord de « choses », « élément », « entité », un nombre extrêmement élevé de jugements, impressions premières à la notion de notion appliquée à tout objet. Une caractéristique du langage est d’être tel une forme de réseau. En est du passage de notions dites concrètes, telle « arbre », correspondant à une représentation directe à l’esprit, à « démocratie », par un saut progressif, dégressif pourrait-on dire, de représentations en représentations, jusqu’à ôter ce que toutes les notions d’une lange puissent se décomposer les unes au moyen des autres, afin de révéler en chacune l’entièreté des représentations correspondant aux autres. Précisément, comme on a pu dire que le monde était en chaque individu plutôt que celui-ci n’habitait ce dernier, chaque notion du langage fait écho à d’autres centaines, et leurs représentations.
Une notion abstraite est construite et peut être représentée car elle se heurte littéralement , progressivement ou non, à des fibres du réseau qui elles renvoient à des représentations directement accessibles dans l’expérience sensible. Par construction progressive, la notion abstraite peut recevoir sa représentation. Cette dynamique inconsciente du langage est explicitée dans les principes de l’allégorie ou de la périphrase. Ceci est dû en réalité à un nœud fondamental du réseau, que l’on pourrait appeler « nœud des représentations premières, » c'est-à-dire toutes les notions qui se suffisent à elles mêmes pour leurs propres représentations. Les notions de chose ou d’élément, qui veulent naturaliser l’objet, le rendre neutre, en réalité, l’affublent d’un nombre imperceptible de représentations, notions, associées ou non.
Certaines représentations ou notions apparaissent clairement à l’esprit, duquel l’on peut les annihiler, dans un processus classique de table rase. Mais d’autres sont vicieuses et inconscientes. C’est pour toutes celles-ci que la notion de chose, objet, entité, élément, perd de sa crédibilité, car ces éléments n’imposent pas seulement à l’objet d’être «un », mais une quantité infinitésimale, d’autres conditions d’existence. En fin de cette identification, faussement neutre de tout ce qui est perçu dans le monde, et saccagé par la langue, l’on a remplacé l’intuition émotionnelle que l’on a d’un comportement de la soi disant entité, que l’on ne perçoit pas en tant qu’entité, mais diversité multilatérale et contingente, par un comportement de la « chose ».
L’on a remplacé le comportement du perçu immédiatement par ce qui est perçu malgré nous, dans le langage. En somme, l’on demeure sourd au perçu, et l’on a eu le fantasme de considérer que toute vérité se trouvait dans le langage, ce qui est une tautologie, car il est son propre néant, son propre tout, sa propre concentration, sa propre naissance, sa propre inexistence, il est dans son inaccessibilité, ce qui le rend proche de ce que l’on appelle à tort, et de façon contradictoire, « le phénomène de la mort ». Il crée et déforme indéfiniment en roue libre, il crée son propre besoin. Le langage aspirerait à être lui-même une entité close, princière, alors que des représentations, notions, ne cessent de s’en écouler, de s’écrouler, et de se reformer selon des modes d’expression, d’existence, d’être, non finis, imperceptibles, et immaitrisables par lui-même ou ses hôtes supposés, hommes, faune, flore, entre autres. De lui-même, le langage admet sa propre avarice à vouloir être « un », son avarice de l’indépendance. Sa cohésion essentielle, identitaire, étant en premier lieu ambigüe, l’on comprend mieux d’où émane cet impératif à « chosifier », syntaxer, le monde, selon ses propres insuffisances. Le langage tâche et défigure le monde car il veut s’en affranchir.
La philosophie ne s’apprend pas : au pire, elle se vit, au mieux, elle s’ignore en vivant.
La pureté d’une œuvre philosophique, ou de quelconque penseur, se reconnaît au caractère fulgurant de son propos : la virtuosité courte, synthétique, extrêmement imparfaite, marque l’humanité profonde de la réflexion, son intuition. C’est l’intuition qui est le cœur le plus merveilleux dans une pensée. Elle est brute, nue, se suffit à elle-même et au penseur. Elle est belle, elle resplendit. Le monde entier, des dizaines de milliers de pages sont en son cœur. C’est une chrysalide incandescente. Elle est un feu mythique de la pensée, un rite fondateur de nos plus grands impérialismes de l’Esprit. Une intuition est précisément ce que la sculpture est au mouvement : une captation si juste de l’identité, la dynamique, l’éternité de ce dernier, que la statue figée ou l’intuition ne sont pas même des appels à l’autre, ou des synthèses extrêmement subtiles, ce sont les autres eux-mêmes.
Une intuition ou une statue de Brancusi n’ont aucune identité propre, car leur propre est la cyclicité magique des autres mouvements. Il se suffisent à eux-mêmes, car ils font appel, dans leur posture délicate, à des lampées génératrices et imaginatives, de l’esprit. Le « génie » d’un sculpteur ou d’un penseur est schématiquement de faire préférer le statique ou l’intuition à leurs complets développements respectifs que seraient des milliers de statues alignées singeant le mouvement ou un système complet et malheureusement cohérent. Celui de déceler quelle posture conceptuelle ou picturale, serait « lanceuse d’affects », pour le dire de façon deleuzienne. Ce génie s’exprime en ce que l’œuvre qu’est l’intuition ou la sculpture qui fige le mouvement parfaitement, est tout à fait impersonnelle. Elle n’a pas, contrairement au langage, cette vanité à aspirer à « être », c'est-à-dire à se circonscrire en entité dans tout système idéologique et tout langage. Son identité est le gigantisme de l’imaginaire des spectateurs, amateurs d’arts. Ses entrailles, son essence, est celles de mondes fictifs, de paysages fantastiques.
Une statue ou une intuition ne sont que des atteintes agressives au monde : elles le laissent s’exprimer au pluriel en elles, car les spectateurs forment des entrelacs intellectuels et émotionnels du réel de sorte que des contrées bucoliques surgissent à partir d’un seul mouvement conceptuel, ou pictural. Ainsi, il n’y a pas un « monde » dans une intuition ou une sculpture, mais une entropie créatrice, une collusion de mondes plus divers et élaborés les uns que les autres. Une intuition ou une sculpture sont des agrégats vivants, des organismes émouvants en eux-mêmes. Leur cœur se déprend de mondes à idées, de forêts et cascades, de roulis conceptuels, pour attraper ceux de nouvelles générations de penseurs ou esthètes. Puis l’intuition est développée , car l’auteur croit que diffuser une idée en réaction à un problème, à la terre entière, en forme rigoureuse et compréhensible, le grandira d’ une réponse définitive. Je n’ai jamais compris cette lâcheté du penseur ni de l’écrivain : pourquoi est il reconnu et vanté que diffuser un trouble apaiserait plus le trouble que le combattre intérieurement .
La diffusion noie le problème, la souffrance, le questionnement, dans une infinité de sensibilités des lecteurs ou esthètes. Aussi, sur le plan conceptuel, la rigueur défigure l’intuition et une foule entière ne pourra que moins en saisir l’essence du questionnement, de la préoccupation, du penser. L’intuition et son désespoir possible, sa charge émotionnelle , sont nus et authentiques. Fondamentalement, autrui est toujours en étranger, et l’on ne peut jamais saisir l’intensité et la multiplicité des affects qui s’empare d’un corps vécu. Mais l’industrie du livre et quelques intellectuels jugèrent qu’il valût mieux sur développer une idée, la rendre communicable, que l’affronter dans sa force originelle. Cette image de petites machines parlant en long , en large, de problèmes qu’ils élurent fondamentaux, triturant leurs sacs de viandes mous dans d’austères bâtisses, onanismes d’intellectuels, au lieu d’y faire face, est très risible. Se cacher dans l’analyse à coups de flopées conceptuelles pour empâter nos sens et peurs semble être le parti pris des institutions de la culture.
L’Humanité culturelle fait face à un système philosophique , ou raisonnement accessible à la multitude, mais qui ne correspond plus du tout à la préoccupation originelle. On a communiqué un moyen de contraception par accumulation, du malaise, mais aucunement le malaise et l’intuition afférente. Ainsi, nous avons des flopées de penseurs qui commentent et dissertent des œuvres qui ont entièrement perdu de leurs origines. Mais tout le monde se congratule, sourit, et noie le concept, la lâcheté du développement par le concept, par d’autres développements. Et chacun se plaît à être l’exégète d’un texte qui ne mire plus d’une once de la pensée profonde de l’auteur. Le texte est devenu hautement impersonnel, il ne correspond plus à aucune réalité.
L’on se retrouve donc avec des situations cocasses : chacun y va de sa petite explication conceptuelle, croyant se déceler une souffrance attachée au questionnement présent dans le texte. Au terme, l’intuition « expliquée » est défigurée en texte, devient un prétexte pour que chacun vomisse ses propres peurs sur le texte lui-même. Et tous les commentateurs écrivent à leur propre personne croyant disserter d’ un texte d’auteur. Chaque lecteur s’affecte différemment d’un problème que sera ainsi différent du problème originel de l’auteur. Ainsi, le texte qui est le crachat communicatif et prude de la peur de l’un devient un objet symbolique, démocratique, de la catharsis. Et le texte, à la manière de la statue de Brancusi, vit par la procuration de peurs et d’interprétations si nombreuses que la peur et l’intuition originelle de l’autre sont non seulement oubliées et piétinées, imperceptibles, mais ne sont pas les objets mêmes des réactions des lecteurs. L’on a plus écrit sur le phénomène kantien et Kant lui-même , sur les résonances de l’œuvre, que sur la virginelle fulguration de son œuvre. Le simple mot « sur » appelle à un voile, à une prétention à cabrer le mystique de l’herméticité de la subjectivité, littéraire ou non. L’on en vient à un phénomène spectaculaire : l’intuition et l’émotion d’un auteur ne sont authentiques, au mieux, si elles demeurent vécues de l’intérieur, au pire si elles sont écrites en très peu de mots, voire en un mot. Ecrire crée un autre personnage littéraire que l’autre, seulement « aspirant à l’être ».
Mais en voulant contrecarrer cette peur par le développement ,l’auteur fait de son intuition « aspirant à être », une confusion qui est infinie, qui n’existe plus. L’intuition, c’est l’autre tout entier, mais sa force, c’est l’hypothèse, l’entre deux, le surgissement magique de l’identité fondamentale d’un problème, de quelconque peur.
Si l’on explicite cette peur, il n’y a plus de problèmes plus de peur nette, nue, il y a un « après » de l’intuition, et l’on a perdu par les développements conceptuels la force de cet entre deux qui appelle à l’autre. L’auteur n’ayant pas le courage d’affronter la peur dans sa simplicité primale et insoutenable a enfanté un monstre : un symbole de vomissement de la peur, par le découpage, l’analyse. Il a créé un objet fondateur pour la communauté : l’analyse. Mais cet acte de partage, s’il permet à chacun de déverser ses peurs, non seulement n’est réduit qu’au rôle de prétexte pur, mais rend paradoxalement encore plus incompréhensible l’œuvre, le penseur, et l’intuition de départ. Il faut comprendre qu’une œuvre conceptuelle, philosophique, sociologique, ou politique, voire esthétique, n’ a absolument aucun rapport avec l’origine de l’œuvre, celle-ci étant inconnaissable, car les éditeurs n’acceptent pas les traités ou un seul mot est inscrit sur la seule page du livre. Le besoin de reconnaissance se substitue au besoin de combattre le problème.
L’auteur en appelle à sa propre génitrice, en développant sa pensée, en explicitant, il veut être rassuré. Pourquoi la multiplication des sources de peurs résoudrait la peur elle-même, en sachant que la peur originelle du penseur n’existe plus à l’instant où il la développe, ou il la rend accessible, compréhensible ? « L’art est de la prostitution », disait Baudelaire. Cependant, tout œuvre littéraire , ou conceptuelle, devient une prostitution impersonnelle, parce que publique. Il y va de tout sauf de l’auteur et ses tourments premiers dans une œuvre littéraire. Elle est publique, froide. L’auteur s’est lâchement débarrassé de son monstre, et il attend les câlins conceptuels des lecteurs à propos d’un développement dont il n’a nullement le besoin, caresses qui ne lui seront pas même adressées. Les louanges des lecteurs sont au mieux adressées à l’ouvrage lui-même ( alors non à l’intuition ni à l’auteur ), au pire à eux-mêmes : dans ce cas, l’ouvrage devient le support d’autres peurs, le lieu public de toutes les révélations.
L’on a à partir de la lâcheté d’un seul, qui se matérialise en livre, traité, des lampées de crachats de peur, de milliers d’individus, sur des sujets divers. Un livre est l’agora des peurs de lecteurs qui n’ont aucune relation avec l’origine du livre. Un livre, conséquemment, est toujours une salissure impersonnelle de son origine humaine, l’intuition.
Les plus grands traités de métaphysique devraient être des suites de mots sans cohérence, qui représenteraient avec exactitude la trame psychologique du penseur. Ainsi verrait on paradoxalement que la plupart des auteurs placent le besoin de reconnaissance et de partage de leur questionnements avec l’autre, au delà du traitement du sujet lui-même. Ils veulent donner , par ce que l’on appelle « la nécessité de l’intelligibilité du propos » une identité singulière à la souffrance pour que le dialogue ne s’établisse plus entre elle et lui, mais entre elle et les autres.
La pensée est son propre éloignement : elle grandit sans se voir grandir.
Tout raisonnement, toute activité de la Raison, est un jeté irrécupérable. L’on tire sur la corde de quelconque mouvement idéologique, quelconque intuition, émotion, manifestation, langage, l’on touche dès lors à une forme de surplus de l’existence. L’existence matérielle ne se prend jamais avec elle. L’on inventa la notion de hiérarchie précisément pour donner aux hommes l’illusion de pouvoir allier leurs cœurs et esprits avec le sentiment originaire de l’existence, le temps biologique qui correspond à l’épuisement de l’être, le monde et l’être formant une seule entité fulgurante ( il est confondu en lui, lui est confondu en elle, le monde est l’être humain, l’être humain est le monde ).
La phénoménologie et toute la philosophie sont pétries de cet idéalisme inavouable de concentrer la physiologie considérée la plus intime de l’être , le « corps vécu », vers les conceptions les plus profondes, précises, scientifiques, et rigoureuses, que la notion de hiérarchie appliquée à ses différents objets pouvait en former. De par ces architectoniques troublées par la passion de l’avidité, et celle de la rigueur, il crurent toujours pouvoir remonter à ce temps biologique, qui fait partie cependant du champ non pas du méconnaissable, mais de l’inconnaissable. Les phénoménologues et les philosophes n’ont toujours pas compris, au bout de deux mille cinq cent ans, qu’il était une différence entre le méconnaissable, et l’inconnaissable, l’être à l’autre, et l’être à l’autre qui n’est pas un être à l’autre, étant inaccessible.
L’essence de l’être humain est l’inconnaissable. C'est-à-dire, non pas quelque chose qui pourra être appréhendé dans quelconque mode d’être humain, par des améliorations croissantes d’un progrès abstrait et nihiliste, ou « perfectionnements » de la pensée, mais un élément qui ne peut pas recevoir la notion d’élément. Un élément qui n’est ni un élément, ni une chose, ni appréhendable par les notions d’appréhendable, être à l’autre, sujet-objet, et toutes les vanités et racionations célestes que la pompe occidentale a pu en produire. Une entité qui est dans sa contingence, son inaccessibilité fondamentale.
Une entité qui n’est pas accessible par l’intelligence humaine, ou toute autre forme d’exploitation de la physiologie humaine selon un mode d’accoutumance de l’homo laborans à des besoins primaires s’étendant peu à peu.
Une entité qui annihile le langage. L’existence matérielle, - à différencier de l’existence idéelle qui est la célébration ou l’influence d’un être sur la chair du monde avant sa naissance, puis après sa mort -, marque, par la conception de l’individu, une tâche définitive du temps biologique. Tout être à l’autre postérieur à l’instant de la conception décale l’être de plus en plus de ce temps initial. Les litrées conceptuelles de Sartre, Hegel, Saint Augustin, Campanella, Husserl, ou Wittgenstein, en sont des exemples. Ces individus ne comprennent pas que leur œuvre est une futilité magistrale , un éloignement colossal d’un temps biologique qui leur est fondamentalement inaccessible. Le plus amusant est que le philosophe universitaire, ou le méticuleux, me demandera de prouver ce que j’avance.
Et je lui répondrai que sa réaction est le symptôme en propre de la déperdition et du meurtre de la pensée et de toute philosophie.
La philosophie est une expérience intime des limites métaphysiques qu’un individu peut concevoir. Si ces auteurs étaient si convaincus de leurs forêts conceptuelles et nombrilistes, en faisant à chaque livre une quasi psychanalyse sur la voie publique de leurs démences psychiques, ils ne l’écriraient pas. L’écriture est le confort de l’analyse, le trop plein de l’être, sa lâcheté devant lui-même. Il ne parvient pas à soutenir la confrontation de lui-même contre lui-même, alors il écrit, il crée une dépression en lui-même, selon le même principe de l’orgueil ayant besoin d’être rassasié dans le principe de l’amour. Trop plein de lui-même, il se vide par écrit, et ne lutte jamais contre ses idées, il cède à l’orgueil, à l’auto remplissage, au gavage. L’universitaire ne comprendra jamais qu’il faudra aller au-delà de la notion de hiérarchies, au-delà de l’Etre, pour pouvoir rejoindre le but pathologique, médical, premier, de la philosophie, l’apaisement de l’âme.
A la lumière de l’inconnaissable et de la lâcheté de l’écriture, qui est une analyse inconsciente des intimes tourments d’un être, l’on comprendra pourquoi l’œuvre de Nietzsche, qui est censée être un oui massif et définitif devant la vie dans sa diversité et son hypocrisie, une acceptation de la souffrance de la condition humaine dans sa complétude, un regard en face de ce qu’il croit être la réalité philosophique détachée de l’ « en – soi », est ambigüe : il a énormément écrit, ce qui est fâcheux pour quelqu’un qui se targuait de bénéficier d’une force morale à toute épreuve, malgré une physiologie pour le moins capricieuse.
Le « nous », le « je », et aucune syntaxe , n’est le monde. L’Humanité forme le monde car elle ne peut pas le sentir, il est omniprésent et automatique, l’humanité devient, elle n’est jamais. L’on ne « saisit rien », l’on arrange et l’on met en forme piteusement les restes d’une présence biologique que l’on fait trembler mollement de nos citadelles conceptuelles.
L’on trépasse sur les restes d’une instantanéité de l’acte de la conception. Une instantanéité corporelle, charnelle du monde, schématiquement, et pour accepter la distinction corps-vécu/corps représenté, l’on vit sur un temps de l’esprit, en opposition à un temps inconscient des organes. Nous précisons « inconscient » car l’universitaire grincheux dira que le temps inconscient des organes est tout à fait perceptible dans le processus de la souffrance, et de la kinesthésie. L’on rétorquera que le temps des organes qu’il conçoit lui est une vue de l’esprit du temps des organes métaphysiques et biologiques, desquels il est si loin que la notion même d’organe en deviendrait caduque. L’on vit sur une fulgurance indivisible et perpétuelle du monde, une indivisibilité que nous sommes. « Nous » ne sommes pas le monde, car la distinction n’a pas lieu d’être. Notre sentiment de l’existence matérielle, tous nos affects, si l’on pouvait les détacher de tout langage, eux, effectivement, sont le monde. Le monde sont nos affects, et nos affects sont le monde.
De sorte que nous ne sommes pas « en lui », il n’est pas « en nous », l’entité est. Combien le sommes nous, seuls au monde, car il n’y a qu’un « je biologique » qui permet une fulgurance de l’être et du monde. Mais les capricieux inventèrent les pronoms, pour faire croire à l’Humanité que les êtres humains vivaient dans le même monde, ce qui est une boutade divertissante mais peu sérieuse. C’est notamment la notion de langage et les ponts qu’elle permit entre ses différentes variétés et les différentes représentations , les différentes cultures, qui incita à croire à cette imposture consistant à dire que l’être humain continue de vivre lorsqu’il dort, ou que le « monde » vit sans lui, il se perpétue, ou à la goujaterie plotinienne et romantique selon laquelle le rêve est l’essence la vie de l’homme. Si l’on voulait radicaliser nos approches précédentes, l’on pourrait dire que tout langage conscient n’est pas le monde.
« avoir un droit » : le langage de la possession et ses monstruosités individualistes de la grammaire. Le verbe « avoir » est un verbe de la déchéance, de l’incertitude de l’être qui tente fébrilement de ressaisir son incapacité à vivre apaisé, c'est-à-dire dans l’inconscience d’être dans un droit, - et non un droit pour soi, le nôtre, en possédant la seule chose qu’ils peuvent encore « maîtriser », quoiqu’imparfaitement : les formes grammaticales de leur langue désignant l’identité, et l’avoir.
L’on ne publiera jamais une poétique trop argotique, jargonneuse ou dite vulgaire, la jugera –t- on telle une langue étrangère. Cependant, l’on a publié René Char, lui qui avait sa propre démence littéraire, qui peut aisément s’assimiler à une langue étrangère. Les deux sont des langues lointaines du courant principal, mais la langue de Char n’est pas jugée impropre car elle entrelace la langue en des formes plus cisaillées et entremêlées que les premières. Il est fort dangereux de fonder la pérennité d’une société, ou d’une culture globale, par , entre autres, une concentration de l’immensité des édifices de l’esprit sur un seul mode de construction : la hiérarchie.
Preuve en est que cette notion nous enserre inconsciemment : ma métaphore en est pétrie. Disprouver la notion de hiérarchie par une image hiérarchique, ou constater la puissance de l’habitude de la répétition de modes d’êtres de l’esprit sur sa perception de lui-même, devenant trop limitée. Le voile de la hiérarchie s’abat sur toute réflexion occidentale, la défigure, ainsi que le mode d’être des animaux est analysé au jour du mode d’être humain.
Nommer, c’est vouloir posséder, c’est défigurer par fierté l’identité d’un phénomène. Si un principe quelconque de la physiologie, du corps vécu, ou du soi disant corps représenté, s’accomplissait de lui-même dans une inconscience salvatrice pour l’existence en nos chairs , pourquoi nécessiterions nous de le « posséder » encore plus dans son explorations de nos mondes ? Pourquoi ne pas laisser les phénomènes, les dimensions, les contrées, les noirceurs célestes de l’imperceptible, s’emparer de nous, façonner nos illusions et tourments ? Pourquoi ne pas se laisser infuser de l’inconscience existentielle qu’elles nous offrent, en nous contentant, brutes que nous sommes, de les rendre visibles, en les massacrant, de nos larynx, souffles, salives, vents et fluides écœurants ? Pourquoi devrions nous rendre perceptible, saisissable, un bien si inconscient qu’il ne nous apparaît qu’une fois lacéré par notre volonté ? Parce que nous considérons à tort qu’il n’y a que le vouloir, et la conscience des phénomènes, pour engendrer ou légitimer leur dite existence. Encore la prétention de l’Esprit sur le fourmillement de la vie. Les hommes sont formés en négatif, inconsciemment, par des multitudes de phénomènes, de dimensions, de contingences, bien au delà des simples résumés occidentaux métaphysiques du méconnaissable, que sont « l’espace », et le « temps ». Ce n’est qu’en pure perte qu’on s’ingéniera à le répéter, car bornés comme ils sont, les penseurs impatients veulent des « preuves », alors que le paradigme métaphysique esquissé réfute fondamentalement cette fermeture de l’esprit à ses procédés plutôt qu’à ses contenus. La prétention des penseurs à la preuve se porte même jusqu’à oser croire que les entités ineffables n’existent pas. Et involontairement, ils ont raison, mais pas comme ils l’auraient voulu. Parce que l’ineffable est un appel à la non connaissance, à la manifestation d’un être à l’autre inédit, et surtout, inconcevable pour l’homme.
De ce fait, la notion d’existence, qui implique et présuppose les grandes flatteries que sont « l’Etre », ou « L’Esprit », ou « l’Identité », s’annule d’elle-même dans ce que nous voulons désigner, car l’on ne parlera pas d’existence, l’on ne parlera pas, l’on esquissera, en vain malheureusement, les joies de l’imperceptible qui n’est ni sujet ni objet, ni « autre », ni forme appréhensible par le langage conscient.
Infinité de perspectives, meurtre de la physiologie, songes fantomatiques, étourdissements, non compréhension, fluides et sensibilité, appréhension dans la non existence, rêve, œuvres d’une vie, suppositions, tourments, barbouillages conceptuels, superficialité, non connaissance, beauté étourdissante de la violence regardée avec avidité, cœur des êtres ignoré splendidement, impossibilité fondamentale de la perpétuation, questionnement de l’altérité paradoxale, vanité de la morale, contemplation de la diversité mécanique des commerces, miasmes de l’espoir, contentement, métaphysique, pertinence, absence, repos, sagesse hâbleuse, maximes, penseurs de cotons, abandon, apathie.
Monceaux de chair en suspension, aciéries copulatoires, monstres mécaniques et huilés d’intempérance.
Phénoménologie de la phénoménologie : une étude subtextuelle du construit social de la sophistique kantienne sous l’angle de la nomastique ontologico-freudienne d’Augustinius, par le psychologue sociologue directeur des hautes études de littérature comparée de philologie flamande à l’université étudiante de pédanterie sophrologique Jean Daniel Mafoy-Combré de Malissantes, maïeuticien orthopédiste, boulanger , tueur à gages, docteur en ingénierie lacano-marxiste de la fameuse période coléo-jakobsonienne d’avant 1848.
Homélie, aujourd’hui sera, proclamée, sa soutenance enfumée, des philosophes dissertant de « l’immatérialité de l’âme chez Berkeley », des « perspectives de l’abnégation », de « l’entendement et la question de l’animal , chez Derrida », au Collège de France, pour par la suite se jeter, tout entiers goulus transis qu’ils sont, aux tables du Flore, pour y savourer un cœur de rumsteck accompagné de sa sauce d’airelle aux framboises. Messieurs, votre immatérialité bénéficie pour le moins du mérite de divertir autre chose que les purulences de vos orgueils rancis d’immobilisme bourgeois.
La philosophie est une expérience du langage du cœur, une entropie fantastique et chaleureuse, un approfondissement du dialogue entre les sources exaltantes de la pensée – les intuitions-, et leurs tourments, une virée indéfinie dans un masochisme de l’ineffable. Pour d’autres, c’est une séquence militairement codifiée de signalétiques tribales d’hasardeux barbus frustrés, en trois parties, dans des institutions qui chronomètrent de tels développements pour ouvertement célébrer le plagiat de modes rhétoriques plus importants que des contenus de pensées se résumant à un strudel maladroit entre la tentation du moralisme, celle du besoin de reconnaissance, et celle de disposer des apparences légitimantes d’une science. En somme, la concevoir hors du cœurs des êtres, c’est la voir telle une scène burlesque qui attire la curiosité tout un glissant de subtils contenus idéologiques ; une farce politique précisément.
La mélancolie est une nostalgie sans objet autre que l’amour propre, une tristesse qui se contemple. Elle est tout entière tournée vers l’autre. C’est un état paradoxal d’amour guère directement du regret du futur, mais de son unique posture correspondante, la plus affectée, impersonnelle, et ouverte aux louanges.
La sensualité et la tendresse sont les alliés d’une vie sexuelle épanouie, suggérait Freud. Ce qu’il ne disait pas, en revanche, est que l’on commet l’acte amoureux toujours avec un corps, jamais une personne. En cela, Kundera avait partiellement raison, prophétant que l’amour physique ne pouvait se faire sans violence. Un cœur amoureux, intimement lié à la sensibilité d’une personne, n’eût jamais toléré une once de la maltraitance physiologique imposée au corps lors de fines parties superficielles. Ce qui prouve précisément que l’acte s’adresse au corps et non au cœur est que la personne n’a absolument pas conscience que l’on viole et profane son humanité.
Elle demeure charmée en partie par ses passions et surtout leur légitimation, les apparences préliminaires de l’apaisement forcené et scénarisé, hypocrite, de la passion : la tendresse ou sensualité.
L’on a longtemps claironné les facultés humaines de la Raison. Elles ne peuvent à mon sens s’exprimer que par une tendresse qui ne s’atteint jamais elle-même, donc qui ne dévira jamais vers une intelligence unilatérale des corps, ou « passion », parce qu’elle ne prend pas conscience d’elle-même. S’ignorant, elle ne peut pas s’achever ou être abîmée vers les choses. La passion est sourde aux fantômes éternels de la tendresse qui au mieux enveloppe les âmes. L’authenticité d’une intelligence de la tendresse se trouve dans une forme d’ignorance. Le savoir génère la projection, le calcul, l’éventualité, le doute, fusille l’ingénuité non pas de l’ignorance, mais de l’absence de nécessité du savoir, en de telles entreprises.
Un auteur, ou écrivain, approfondit ou développe un sujet d’autant plus qu’il n’en est pas intimement convaincu. La conscience d’une chose est encore le pêché du verbe, car par un amas de schémas , de fouillis d’idées fouillées, on veut réhabiliter la sérénité de son cœur. L’évidence n’est pas dans le mot, elle est dans l’inconscience, la méconnaissance. Faire corps avec le savoir, c’est l’ignorer.
Quelle déception que ce Schopenhauer dont on m’avait soulevé et mandé tant de louanges. Dès la deuxième ligne de son « monde selon ma volonté nombriliste d’attirer la commisération et la ferveur de quiconque aime la sensualité d’une poétique philosophique », note que l’esprit humain est une « grandeur ». Il lui fallut probablement se trouver en des dispositions d’aristocrate esthète du désespoir, pour encore avoir l’impertinence de déclamer de tels appels à l’aide, vers lesquels un simple nihiliste ne se serait jamais hasardé.
La poésie rend le concept sensoriel, en quelques mots, par un principe que la philosophie souffre quelque peine à assimiler depuis sa formation : la formalisation excessive de l’anarchie du flux inconscient des idées les rend moins expressives. Si l’on pense la notion d’image sensorielle comme l’ensemble des affects farfouillant les archées d’un être , l’ensemble des données de ses sens, à un instant donné, ou lors d’une expérience sensible, d’un souvenir par exemple, l’idéal de la poésie est une écriture automatique qui ne se pense pas, seule composée du flux de telles images . S’affranchir de la médiation du mot. La philosophie existant pour commenter l’ordre, la jonction, la cohérence, et la légitimité du défilement de ces images, son idéal est une écriture automatique désarticulée qui retranscrit parfaitement les jonctions entre les pellicules de la pensée et leurs propositions grammaticales. Une dialectique de morceaux de phrases, de raisonnements, d’écueils. La philosophie est une commentatrice frustrée de la poésie. Une monteuse qui se voulait réalisatrice. Il est par ailleurs tout à fait éclairant de constater que quelque fulgurance de pertinence n’a été atteinte philosophiquement que lorsque cette muse disciplinaire s’est penchée poétiquement sur l’Etre. Etre et Temps, Ainsi parlait Zarathoustra, le Tractatus, l’ensemble des recherches Husserliennes, Spinoza et Héraclite, à la rigueur Kant, représentent les avancées chirurgicales , seules contre le monde et en cela définitives et poétiques, pures, dans une pensée picturale.
L'écriture gronde tel un cri du désespoir qui nourrit dans le projet de s’étouffer de lui même avant de s'achever. L’élan nécessite une tension pour exister : un balancement du cœur entre l'écœurement de l'inachevé, l'annihilation de l'aboutissement, et la lassitude de l’exigence de la forme compréhensible par un autre que l'auteur, quand bien même le concept sensoriel, l’affect, suffirait amplement à contenter ce dernier. L’écriture semble se répandre, invisible, vide, sur les frimas d’un temps qui se fige lors de son apparition. Je tiens, lors du phénomène de l’écriture, l'impression en ma créance de m'anéantir en me délassant, tout en consumant mon temps et ma conscience.
L’écriture est une progression déterminée vers l’insignifiance salvatrice, mais démesurément longue. L’on voudrait perpétuellement s’achever, s’élever définitivement par delà les valeurs, les contradictions internes à l’écriture, les passions refoulées et les ruines harassantes, dans une ultime fulguration presque sensorielle du projet. Mais cet achèvement perpétuel, cette course insatiable à l’avènement du concept sensoriel, nous tient en ses fers, et de tension nous ne pouvons nous départir sans souiller notre entière œuvre de ce qui nous semble une imperfection : l’inachèvement d’une projection éternelle vers un état d’une hypothétique perfection, irréalisable. La réussite du projet se drape en réalité dans un épuisement sensoriel d’un pourlèchement utopique de l’impossible.
Anathème introductif à la démarche philosophique idéaliste
Les philosophes anatomisent à la faveur du concept, tant le monde, delà des ormes luxuriantes et isolées de leurs jardins, ou de leurs crasseuses et bourgeoises bâtisses, qu’ils en parviennent en ne l’éprouvant aucunement, à des outrages du sens, de la réflexion, en réinventant ce qui leur permet d’inventer. Ils érigent deux fois la raison par la raison. Ce que l’on postule êtres des sens, la matière, le questionnement du dualisme, ils en réinventent le cadre, les postulats, par le concept, prenant à la tache de remonter en leur dehors les plus imperceptibles. Le simple fait de converser, d’être dote de la parole, de loger notre être en les structures de tout langage, est un premier salissure à l’expérience du corps vécu. L’écriture philosophique est une rare œuvre d’hypocrisie et de séduction.
Hypocrisie, car l’on veut styliser des méditations, expériences sensibles, et schèmes si ineffables, contingents, métaphysiques, aux limites mêmes de la réflexion, de la sensation, que la notion de simplification est un outrage perfide à la complexité de telles problèmes. Séduction, car cette forme qui se veut limpide, simple, académique, compréhensible, gît par leurs soins pour le seul mode d’appréhension de la chose, quand bien même le seul concept valide en terme de conscience de l’être métaphysique est le concept sensoriel. L’implosion en soi de rubans chamarrés de secousses, d’angoisses, de jets de mots désarticules, de larmes et épuisements physiologiques, de paniques et dépressions conceptuelles, seule, prévaut. Cette philosophie de la panique, du tourment, des limites, de l’affirmation fondamentale de la vie dans toute sa force insondable et intenable, n’est point formulable en d’augustes sophistiques. Aspirer à une limpidité éthérée du tourment est une marotte de bourgeois amoureux des formes et du populisme de la pensée. Point de paradoxe dans cet énoncé, quelques ablutions poétiques ne mirent qu’une goutte d’un empire ondoyant de désespérance, sur lequel il vous faudra voguer avant d’en édulcorer les houles et roulis comme je viens de m’y entreprendre. C’est une anarchie émotionnelle, physiologique.
Mais le gros des idéalistes et philosophes , dans leurs axiomatiques corsetées par l’habitude, subtilement négligent cet ensemble de sensation propre à toute recherche et désillusions philosophique digne de ce nom. Ce concept de sensation de la peur, de la déchéance viscérale de la recherche philosophique, est presque ce que Deleuze a baptisé sous le nom de Percept, c'est‐à‐dire une somme de sensations indépendantes du sujet, rendues au rang d’Idées platoniciennes. Mais n’oublions guère que le philosophe est un personnage qui est pétri, gâté en ses chairs de la robe métaphysique d’une raison indépassable : guère par la seule cause du postulat de la matière, qu’il veut dépasser par la notion de concept que l’on fait traditionnellement émaner , ainsi que le langage, de cette dernière. La précellence orgueilleuse du concept subséquent à la matière nourrissant dans le projet de s’échapper en ses dehors n’est pas la seule.
Pour contourner ce déterminisme physiologique fondamental qui ruinerait l’entière philosophie, et toute forme de réflexion, ils sont contraints de réinventer la notion de matière dans l’esprit sous une forme extrêmement torturée pour subtilement renverser une sensation hautement authentique et millénaire qui est l’écoulement de l’être hors de la matière, le principe corporel consistant à observer que la dégradation de la matière corporelle nuit aux facultés humaines.
Et niant le principe même de la douleur, de la souffrance, de la plaie qui paralyse les fonctions cognitives, ils rendent ultimo cette raison dépassable, par le truchement de concepts et de relations les plus séduisantes et tartuffardes. Ils en viennent à enharnacher dans le sang, dans le cœur, dans la chair matérielle , des concepts qui depuis des millénaires demeurent perçus par l’être humain comme des conséquences simples du corps. L’incongruité est formidable dans la recherche de ce savoir. Premièrement, pour ce que l’on se met en quête de dépasser un déterminisme matériel, temporel, originaire, de la matière, par sa seule conséquence palpable qui est le langage et l’affectivité. Et deuxièmement, pour ce que l’on s’est fixe de robustes et longues œillères en ce qui est de la notion de savoir. L’on postule le savoir comme seule voie vers le méconnaissable, vers la matière dont notre corps perçu est issu ; encore en est il de visiter les palpitants éthers par quelque ridicule lunette quand la voute céleste perdurerait dans ses narquoises œillades. La notion même de savoir, de découverte, comprend tant de postulats, certains palpables conceptuellement, en est du dualisme, en est de la prétention occidentale à l’éducation et à la toute puissance de la Raison bipédienne, en est l’impossibilité à admettre le méconnaissable comme essence d’une partie du champ de l’expérience humaine, et d’autres impalpables, de l’ordre de la sensation, à l’imitation du dualisme, l’échappée hors de la matière , l’échappée hors du système perceptif humain, l’échappée hors de la conscience. L’idée même de savoir est une égrotante tour car on ne saurait comment la nitescence du méconnaissable métaphysique se manifesterait , et si la notion de manifestation est adaptée au méconnaissable.
Le terme plus doux, et plus rassurant, mais non moins hypocrite, d’ « appréhender » le méconnaissable, postule un être à l’autre, une intentionnalité, un dualisme. L’on se roule encore, même avec toutes les largesses bien pensantes et apaisantes conceptuellement, dans notre farouche incontinence contre l’Inappréhenddable. Cet appréhendable, les philosophes l’affublent de noms , concepts, plus florissants, précis, et totalisants, d’où leur faute. Peut être quelques onces de circonspection nourries de scepticisme seraient à déverser en les cuves percées d’aigreur dogmatique de nos beaux penseurs . Il est une forme de contingence dans l’être. Si l’on ne sait pas si l’être est un être à l’autre, un être aléatoire s’écrasant perpétuellement en Un sur lui-même tellement qu’une une rivière en son sein , et si l’on perdure en cette philosophie du factice réinventant les structures de création du factice, omettant volontairement le rappel perpétuel à la physiologie, seul donné inconstant que l’on embrasse, l’on demeure sourd à la vie, mais surtout à toute forme de compréhension éventuelle de sa survenue.
« Malgré » : définition la plus synthétique de la dynamique de l’existence humaine en quelques millions d’années.
Les désespérés populistes cantonnent la souffrance à la pensée de la finitude. Les désespérés honnêtes à la naissance de l’être humain. Les sincères à la pensée de la fécondation. Les idéalistes définissent le besoin inconscient de toute fusion contingente, toute appréhension, ce que l’on pourrait appeler « l’altérité ineffable et inaccessible », inhérente aux mammifères et aux espèces pouvant engendrer, comme meurtre fondamental viciant la seule fin acceptable que tout organisme peut raisonnablement se proposer : l’inexistence en quelconque mode d’êtres.
Encontra-t-on plus belle incarnation de l’abnégation que le dialogue. La fusion théorique des consciences derrière une commune contemplation. Si pure qu’elle ne se nommerait assurément guère « recherche de la connaissance », car la recherche, la connaissance, le savoir, sont pour ceux qui mordent l’existence, qui l’avalent sans la goûter. Ils se meurent de vivre, se plaisent à saccager leurs existences. Leur fin est d’épuiser leurs chairs avec davantage d’application que leurs congénères.
La seule critique que l’on peut adresser à la notion d’art et qui la rend essentiellement caduque et vaniteuse, c’est d’avoir été formée, d’exister en somme. L’art est déjà sa propre réduction, sa nette définition, son hermétique chute.
Je conseillerais volontiers à quiconque voudrait s’engager dans la lecture de la philosophie politique, ou en comprendre les fins, de se détourner de ses présentes ablutions pour s’engager dans celles de traités portant sur les systèmes organisationnels des ovidés.
Je pense Politique, je pense feu d’artifice, je pense Rhétorique, je pense bourgeoisie, je pense flatteries dinatoires, je pense idéaux, je pense droit, -ou autoperpétuation par un emmitouflement séducteur du vocabulaire de l’avoir, je pense champs d’ovins régulés par des hectolitres de bibliothèques érudites et savamment révérées, je pense confort matériel, je pense organes de régulation, je pense citoyenneté, je conceptualise l’humanité en moyens, en processus , j’en conviens les déterminants en les substituants à leurs racines communes, la perception intime qu’ont de leur vie les êtres. Je théorise sur l’incompréhension, en somme.
La seule affliction qui ne soit pas superflue à l’existence humaine est complexe : le sentiment d’une ignorance si stupéfaite par la diversité des actes humains, leur variabilité, leur inconstance à soutenir la perpétuation ou l’annihilation, qu’elle se transforme en une forme d’absence étonnée . Cette contemplation silencieuse de l’immensité du territoire des possibles, de l’inaccessibilité fondamentale de l’existence, de l’étrangeté qu’est la physiologie humaine et sa toute fameuse Raison, pourrait être nommé le surréalisme, l’absurdité de l’existence. A la différence que dans le surréalisme, l’absurdité, il y a encore un certain courage factice, une forme de plainte, une excitation malsaine à balbutier avec la grammaire et l’existence d’une quelconque fierté ou amour. L’on est souvent rendus, au sentir de cette émotion, à une forme d’apathie salvatrice. Mais l’on perçoit brièvement que jusqu’à cette apathie est une complaisance dans le besoin de l’autre, de reconnaissance, de contemplation. Constatant avec regret que la physiologie s’attache à tout ce que l’habitude peut soulever et diminuer en elle, notamment toujours et encore ce « moi », ce « je » sentimentaux, risibles, l’on achève notre courte amertume par une méditation lente sur la vision d’une existence entièrement fondée sur l’entrelacement de langages. Vision apocalyptique d’un être tourmenté par une infirmité de galaxies de langages inaccessibles et en friche, guère encore inventés ; l’on songe jusqu’à une évolution radicale de la physiologie humaine favorisant l’émergence de langages aux structures complètement nouvelles, si opposées à nos notions de « langage » que nous ne pourrions aucunement appréhender cette nouvelle forme d’expression qui n’en serait pas une. L’on imagine donc être tourmenté par si peu que la souffrance qui l’affect en est rendue accessoire. L’on se sauve par une généralisation hâtive , sur laquelle l’on se s’attarde jamais vraiment, car son aspect rassurant puisque imaginatif, provient d’un des vices qui obstruent notre oubli de la notion d’amour ( de quelconque entité ) : l’espoir. Et sur cette note critique de l’identité, l’on revient dans une inconstance, par lassitude, mais, également, par espoir, encore. Le diallèle métaphysique dans toute sa vacuité annihilatrice.
Ecriture et cécité volontaire.
Toutes nos idoles ne s’épanchent qu’en une seule finalité : aiser l’aigreur de notre cœur à la dernière pulsion du sentiment de l’existenc