Sang De Brume partie III

ezio-shulsky

Toutes nos idoles ne s’épanchent qu’en une seule finalité : aiser l’aigreur de notre cœur à la dernière pulsion du sentiment de l’existence, précédant l’expiation. Nous offrir une dernière inconscience, un ultime relan d’espoir. Le carrousel des souvenirs, l’embarras fumeux de tant de labeurs, à la fin de n’en synthétiser aux tenailles des chutes, qu’un vague parfum chaleureux, le percolateur de l’inexistence.

L’essence de l’existence humaine est le non appréhendable.

L’espoir est la vanité des existentialistes, elle suffira à ceux qui se bornent à vivre .

Le suicide attire davantage l’attention qu’une vie mélancolique, car il cristallise l’individu dans l’abstrait à révérer. L’existence est à nos flancs, elle nous transperce définitivement.

Sans une once de mépris, je songe aux critiques, enseignants, évaluateurs, aux instruments éducatifs d’une copulation saine et bien-pensante. Toute critique étouffe fondamentalement l’être, car elle considère son existence comme caractérisable, comme pensable, définissable. Le problème de la critique est que dans son appréhension de la chose, elle se comprend, s’inclue, dans cette appréhension. Elle ne définit rien sans s’inclure dans cette définition, et d’une certaine manière, elle ne considère rien sans se considérer dans cette même considération. De sorte qu’elle change la nature de l’objet qu’elle se propose d’étudier. L’on pourrait aller jusqu’à dire que l’objet critiqué, c'est-à-dire l’objet, car tout objet est sujet au jugement, serait essentiellement  différent de l’objet en soi. L’objet en soi pourrait bien être lui-même une fausseté, car un objet étant systématiquement un appel à une entité, la collusion est inévitable, fût elle de chair, de valeurs, idées, émotions, systèmes de vie. La critique substitue l’être à une forme de devoir être. Elle met en mouvement le statique de l’œuvre. Enfin, considérant qu’une œuvre est une incarnation de la sensibilité refoulée de l’artiste, la critique serait légitime si elle considérait l’œuvre non pas comme objet figé, mais comme personnage. Un personnage artistique de la même importance que l’artiste. Considérer l’œuvre achevée sans considérer l’âme qui l’a engendrée, c’est considérer que ni l’artiste, ni son moi artistique, qui forment son œuvre, ne peuvent pleinement exister. La critique conçoit de façon unilatérale l’art, et, viciée qu’elle est en ses principes d’existence, ne pouvant exister sans premièrement s’assurer d’elle-même, n’accorde aucune complétude à l’œuvre. Elle considère que l’œuvre doit se considérer pour être, se vérifier  alors que la seule chose que nécessite une œuvre d’art, c’est de s’abandonner à son unité. L’œuvre de l’artiste est une, mais elle n’existe que si elle laisse  toute son indépendance à l’artiste et ses productions.  L’œuvre est charnelle, elle s’infecte, elle se gâte, elle murit, elle dépérit, elle vit, au sens le plus littéral du terme. Or tout principe vital, biologique, se dispense des muqueuses pétrolières de la réflexivité.

L’on s’énamoure de rapports entre des circonstances, jamais d’une personne ou d’une idée.

La possession flatte beaucoup trop pour que l'on s’intéresse à son objet.

La pensée se périme bien trop vite pour s’enharnacher féroce en quelques concepts, quelques idéalismes qui se font archaïques au seul moment de leur naissance.

La beauté d’un sentiment métaphysique fulgurant est qu’il ne peut que perpétuellement aspirer toujours à l’existence, jamais perdurer. La durée d’une pensée est synonyme de déperdition, de la fermeté de notre obstination à nous l’approprier sauvagement.

Publier anonymement demeure une vanité notoire d’une posthume gloire. L’humilité n’est ni dans le crachat de tourments, ni dans leur affront stoïcien masochiste. Il est dans un aveu qui s’ignore, dans le dialogue , c'est-à-dire en considérant que notre corps, et jusqu’à ses dépendances les plus intimes, telles le sentiment de l’existence matérielle, sont temporaires, et commises à être rendues pour commencer à être véritablement.

Jusqu’à l’esprit le plus avisé est ébranlé par le tourment engendré par la vue d’une hagarde foule.

L’on oublie que l’existence idéelle, l’humanité d’un être se réalisant après l’achèvement de l’existence matérielle, est constituée, non de ce seul évènement a posteriori, mais aussi de la pensée de la conception, de l’engendrement. Le sacrement de la pensée de l’enfantement est plus espiègle que celui de la pensée d’un être regretté. Dans les deux cas, l’on est jeté avec les monceaux encore en vie, l’on demeure un moteur de passions. L’humain, jusque dans la mort, l’absence, l’inexistence, l’état d’hypothèse parentale, demeure un sujet meurtrier pour des semblables en vie. L’existence est un phénomène qui s’abat, par manque d’imagination.

Le symptôme de notre époque faite d’une synthèse maladroite et phénoménale entre l’exacerbation, l’ignorance, et l’annihilation de la nuance, se note particulièrement sur les affiches de  publicité et celles de cinéma. Les images sont tant contrastées, émaciées, qu’on eût dit qu’elles furent découpées à l’aide de quelque couteau coloré. L’esthétique ultra saturée et néo fasciste est particulièrement en vogue dans le domaine de la publicité, provoquant un rapport particulier à l’image. Elles sont aimées en tant que telles, en tant que perfections, non en tant que symboles de perfection. Il n’y a plus cet entre deux, l’image n’est plus un moyen pour atteindre un modèle esthétique humain  prôné ; désormais, l’image se bat contre elle-même, se dépasse elle-même, l’humain représenté n’étant cette fois qu’un moyen au service de l’image ; les rôles se sont inversés. Les affiches cinématographiques favorisent le ton apocalyptique, noir, poisseux, sursaturé, le clinquant grossier, les lettres énormes, contourées sauvagement, les visages repassés au trait, avec vigueur et rudesse.

Regrets du féminisme, et du machisme, qui ne curent aucunement la pulsion d’agressivité envers l’autre. Les analyses des camps respectifs sont superficielles et vaines : elles ne différencient pas le corps masculin, du corps féminin, l’impulsion de ce corps en terme de masculinité, et un autre en terme dit de féminité. L’on se retrouve avec des débats qui semblent tels des pastels d’auteurs précoces qui maîtrisent peu leur sujet. En outre, il est intéressant de constater que lesdits analystes pensent que ce qui n’est pas « masculin » doit se borner à une seule autre possibilité d’existence, le « féminin ». Il y a la une fermeture d’esprit à la diversité potentielle du méconnaissable, un enfermement dans la dualité. La dualité est le vice des philosophes et penseurs occidentaux, leur langue , certes, ne les aidant pas dans leur tâche. Il est fâcheux qu’ils n’eurent pas compris , en premier lieu, que, bien que bornant l’analyse à ces quatre concepts, les entrelacements qui eurent put en émaner sont colossaux, et insondables. Et, en seconde instance, pourquoi ne pas considérer ces quatre concepts comme de simples outrages à la supposée réalité, des simplifications barbares et honteuses ? L’on pourrait aisément verser dans les maximes prônant que nous fussions tous frères de l’émotion, du corps vécu, le champ de l’affect étant si puissant et multiple, qu’une catégorisation eût été une vaste plaisanterie. Si peu est nécessaire pour mettre en déroute l’absence de calme, de patience, de tempérance, et plus essentiellement, d’humilité,  des penseurs.  Le premier trébuchement de l’éducation est la différence établie entre les humains appelés « hommes », et ceux appelés «  femmes ».

 L’exploit paradoxal consiste à commenter l’apathie, l’indifférence intellectuelles, par écrit. L’on se contredit ouvertement, et l’on se complaît dans cette prise de distance factice.

Et l’on pestera contre la parole, se vautrant dans le langage. Et l’on sèmera nos pas sur les roulis de la métaphysique, glissant sur la passion de la prise de distance, de la dualité. Un aller vers l’autre perpétuel qui s’il se saisit s’empêche de former l’illusion de se saisir. Tout concept, toute phrase, tout langage conscient, est un mouvement définitif, ultime, et qui ne peut être inversé. L’existence ne peut se prendre elle-même.  Sa progression est un entrecroisement d’éléments, idées, émotions, ou quelconque entités, ou non entités. Le premier problème de la Raison est qu’elle entrelace un terreau primaire pour former l’illusion du temps, conceptuellement. Sur ce terreau, elle entrelace toutes les notions d’identification de l’espace, de personnes, et d’objets et éléments connus et mémorisés lors d’expériences sensibles précédentes.

Enfin, si l’on considère que l’entrelacement d’éléments du premier et deuxième problèmes forment le « flux initial » de la Raison, son objectif est particulier : saisir le geste du « penser ». Le problème du saisir, est qu’il faut toujours rajouter les éléments conceptuels de « détection », ou « d’analyse », pour pouvoir « appréhender » le flux. De sorte, que s’il existe un flux « inconscient », l’on aura successivement le flux conscient à dépasser ( illusion du temps , identification du monde en concepts ), et surtout, la vérification de la démarche conceptuelle comme assimilable à du « saisir ». Cela consiste à dire que pour saisir le saisir, il faudra ne pas le saisir, ou, le dépasser en allant plus loin que seulement le « saisir ». Mais cette vérification du dépassement du saisir consiste à connaître la notion de vérification, donc nous ramène à notre problème d’identification.

Et notre problème d’identification nous permet de remettre en cause la notion d’assimilation et de progression, donc de douter de la notion de temps. Et douter de la notion de temps, nous permet de douter de la légitimité de la Raison : car le processus critique de la pensée est une régression à l’infini. Le processus de la régression s’enferme dans la notion de temps, qui elle-même s’enferme dans la notion de concept, cette notion s’enfermant à son tour dans la notion «  d’ajout ». Une certaine vanité au « saisir », car la Raison ne peut aller vers les seules fins qu’elle se propose. Il est cocasse de remarquer que si la Raison n’avait guère formé ce concept, une partie entière de la philosophie n’aurait pas existé.

Tant de penseurs et de philosophes ne se seraient guère épuisés sur un concept qui est peu ou prou né dans une certaine ignorance de l’importance de l’invention. Le « saisir » est comparable  à la remise en question de la notion de « critique ». Elle doit se vérifier elle-même pour exister. Le saisie de la pensée par elle-même doit non seulement vérifier qu’elle est en train de de « vérifier », « saisir », mais aussi qu’elle est une pensée, c'est-à-dire qu’elle est censée identifier le monde dans une structure conceptuelle trompeuse, appelée « temps ». Elle doit se vérifier comme pensée, et comme pensée vérifiante, avant de pouvoir effectivement se prendre. Mais se vérifiant, le flux inconscient, premier, - en postulant l’illusion qu’est le temps-  qu’elle désirait « vérifier », devient inappréhendable, et différent. La plus grande erreur est de considérer que les choses existent seulement si elles sont « appréhendables ». Comme si, ce qui était inaccessible fondamentalement par tout langage conscient, ne pouvait exister hors des schémas traditionnels de la perception humaine. L’on en vient à considérer que l’existence biologique du cerveau, du corps, ne peuvent se concevoir sans leur existence « intérieure », raisonnée. Comme si le non « raisonnable » était inexistant biologiquement.

Le roman est insupportable car il surajoute à nos spectaculaires vies d’autres artifices superflus, mais ces entrelacements fictifs tirés de vies connues ou inconnues  nous sont parfois rendus inestimables car nous donnent l’impression d’être en deuil du monde littéraire absorbé, de leurs personnages, et d’abhorrer le nôtre.

Derrière chaque configuration physiologique prisée par les hiérarchies médiatiques et artistiques, et celles des sensibilités intimes  - la notion de beauté- , se cache une sensibilité qui par la plupart des admirateurs de leurs matérialisations humaines  - personnes - , est ignorée. La beauté dresse un fantôme corporel sur l’enveloppe de la personne. Un fardeau existentiel tant que la personne jugée « belle »  parvient à ne pas se souvenir que son identité ne se définit pas seulement en rapport avec ce caractère. Tant qu’elle s’oublie dans cette seconde enveloppe et positionne son existence  en son regard, elle peut tout à fait se supporter. Mais dès que la mitose identitaire resurgit, dès qu’elle redevient familière avec l’idée qu’elle est d’abord une sensibilité, un « vécu » qui aspire à l’apaisement, puis, un entrelacement comportemental, physique, voire moral, nommé «  beauté », elle s’effondrera logiquement à partir de ce moment. Ou, se replongera dans une existence centrée sur une seule des deux peaux, la plus superficielle,  la substituant à son essence.

Quelle possibilité demeure à se prononcer sur les conditions des hiérarchies sociales d’autrui quand nous nous dispensons de penser la nôtre, ou que l’aisance psychologique qu’elle nous procure nous empêche de la penser elle-même.

L’absence de trouble  est peut être le seul égoïsme tolérable il est chevillé à la conscience, parfois révérée, nécessairement tolérée, voire légitime, qu’elle se trouve être.

Nous sommes dans un piège perpétuel de l’inconscient qui souhaite se récupérer en tant que tel. L’écriture et la parole sont des phénomènes d’exploitations de la physiologie , qui, comme tout phénomène connu jusqu’alors, ne peuvent exister sans prendre autre chose qu’eux -même dans leur  flux existentiel. La langue écrite est une mortification réincarnée en signes. La langue écrite tente de se détacher de sa condition figée pour se prendre non plus en rapport, ou en origine, avec elle-même, mais au moyen d’une autre entité .

Elle désigne avec tant de proximité certains objets  que son point de perfection et de non retour est lorsqu’elle se confond en elle ; d’une certaine façon, la langue écrite souhaite disparaître derrière l’objet et devenir l’objet même ; c’est paradoxalement quand une écriture est la plus emplie de descriptions  et de symboles , lorsqu’elle devient la plus découpée, qu’elle devient de plus en plus intelligible, et la plus éloignée de son objet. La langue écrite s’entoure de signes  pour empêcher l’écrivain de percevoir toute la difficulté de l’identité d’un phénomène corporel que l’on porte sur la page. L’être humain récupère les insatisfactions  de sa condition d’auteur incapable de donner à son moi littéraire une pesanteur suffisante pour s’affranchir de l’être de chair qui l’anime. Les objets littéraires sont viciés car leurs auteurs aspirent à les rendre émotifs, conscients littéralement ; l’on est si épris de la fusion de l’entendement avec le signe qu’on en oublie que  l’existence de l’écrit est une apologie du signe, non de leurs objets.  Le premier signe d’un écrit est l’auteur lui-même et son entendement.

L’entendement parvient à se tromper en rendant les signes sensoriels. La vie des signes est une vide de l’entendement. La grande tromperie de l’écriture est de vouloir se vivre comme une expérience indépendante du signe. C’est son point par lequel elle devient émotive, mais elle l’est car l’entendement est si épris par les représentations sensorielles désignées par ces  derniers, qu’il se déprend de sa condition de signe. L’entendement ne devient plus le signe fondateur de tous les autres, il s’abandonne .

 Le point par lequel  l’entendement se cache est celui où il se fait la muse des passions oublieuses.  Il devient l’orchestre sensoriel du signe , n’est non interprétatif, ni réflexif. Alors au seuil de pareille communion avec les charges émotionnelles devenant presque indépendantes, se flattant de telle illusion bienheureuse, l’on souhaite à demi mot à rêver d’une écriture  dépourvue de signes ; l’on voudrait laisser l’entendement, le déprendre de sa condition première  nécessaire à la symbolique de la reconnaissance d’une langue. L’on désire un entendement  comparable au flux perpétuel de l’inconscient.  Le signe se rêve comme sens avant d’être concept. Il se désire comme futilité accessoire, postérieure à une candeur particulière pour laquelle la production et l’interprétation du signe seraient identiques. Situation pour laquelle l’on ne serait réduits soit en  expulseurs compulsifs de signes, ou des avides consommateurs. Dans un cas, les expectorations de signes sont des libérations, une eudémonie indépendante  mais encouragée.  Dans l’autre, il y a une intimité inconsciente du bonheur qui s’ignore.

Beauté transperçante des insomnies. Les yeux, catalyseurs du monde, éteignent leurs corps échevelés , lunaires, fougueux fantasques, piteux inacceptables.

Il faudrait toujours accompagner une idée d’une historiographie émotionnelle de son auteur sans quoi sa part pulsionnelle demeurerait inaccessible.

L’écriture  synthétise de façon égoïste cet être à l’autre de la cellule et particule, du mouvement contingent, d’un impératif parmi d’autres de l’espèce, qui est être.

L’Etre survit par l’herméticité fondamentale de la métaphysique des langages : les principes intimes de la pensées, intraduisibles, permettent une mystification en grossièretés conceptuelles pour envisager l’inappréhendable. L’on se contente, de langage en langage, que de le nommer, on l’effleure pieusement, sans jamais s’y plonger.

Que ne  puissions soutenir nos troubles, laissons ces maux, laissons nous saisir de nos contrées émotionnelles. Nous sommes un sang multicolore, une bile de l’universalité. Le désespoir est le refus d’en pourlécher chaque frêle tremblement  vaporeux. Ce dernier sentiment représente l’impatience de se laisser ruiner par la diversité du plaisir aimé tant que châtiment statique d’une hypothétique stabilité.

Nous oublions de rêver au delà des fondements du fantasme. L’existence n’acquiert sa puissance dramatique que dans l’oubli des images immédiates au profit d’une abstraction sensorielle que l’on nomme sobrement l’ailleurs. En métaphysique, c’est une parabole duale entre le concept de souffrance, et l’exquis. En matière de désespoir avorté, sublimé dans une mélasse métaphysique, Bachelard est parvenu à quelque élégance, Kierkegaard  est  brillant – en tant qu’élève seulement- , Schopenhauer philosophe le désespoir, tandis que les littérateurs comme Wilde ou Nietzsche se noient dans l’ironie.

La peinture ne fige pas tout, n’a de puissance que si la nature peut jouer avec l’artiste pour se peindre, et non l’inverse. Mais pourquoi se peindrait elle ? Pourquoi ne se plairait elle pas, et, moins anthropomorphiquement, pourquoi aurait elle à se plaire ? Peut-être pour se garder d’être reconnue en tant que nature, pour s’offrir d’exister à elle même en se rendant méconnaissable de tous.

Il est quelque distinction qui m’ait  toujours éclairé depuis quelques années maintenant : la distinction entre la brillance hors du concept, et brillance dans le concept. La première notion désigne une insertion parfaite dans les structures hiérarchiques d’une société, multiples, marquée par une incapacité notoire de s’en détacher, principalement dans le domaine de la pensée critique . La seconde célèbre la possibilité de se déprendre de toute influence d’échelle de valeur, et , pourquoi pas, de la notion en propre de hiérarchie.

La brillance dans le concept, philosophiquement, se traduit par une noyade dans le mot, un amour de la charge émotive d’un écrit qui se voudrait indépendante des signes le constituant, en sorte à la manière d’un acteur qui ne se rendrait plus compte qu’il joue, imperceptiblement que le faux est à ses trousses, le spectacle luit dans ses yeux  pourtant affolés et inconscients.

 La brillance hors du concept consacre la possibilité d’affiner les hiérarchies une à une pour amener la réflexion à un plan quasi sculptural, lisse, dépourvu des altérités de la multitude de symboliques, différences. Un ascétisme de la pensée qui permettrait en théorie à toute bourgeoisie de l’esprit, dont la psychanalyse et la philosophie classiques sont pétries, d’embrasser la société non pas avec l’efficacité pachydermique langagière  qui est la leur, mais avec une efficience maligne car commune à tous. La brillance dans le concept peut être une remise en question de tout, sauf, malheureusement, de l’essentiel, la valeur du signe, de l’écriture, et surtout, d’amas de signes selon des séquences codifiées à l’écrit.

Les personnes brillantes philosophiquement tendent paradoxalement à négliger l’humilité métaphysique qui les entoure,  la puissance formatrice de l’inconnaissable, qu’ils traduisent imbécilement par méconnaissable, par avidité conceptuelle et orgueilleuse. Une brillance hors du concept est peu compatible avec la première, hormis grâce à une duplicité et manque d’intégrité morale exemplaires , ce qui serait appelé par les « brillants », une « flexibilité d’esprit », « virtuosité théorique ».

L’inconscience de cette distinction entre les premières personnes qui souffrent la philosophie dans son entièreté dérangeante et sublime, intime, métaphysique, et les secondes qui parlent de philosophie, ou qui « philosophent », m’a toujours permis d’évaluer avec certitude l’étincelance d’un esprit. Les coquins me souffleront aux oreilles qu’être  à la fois brillant hors du concept, et dans le concept, est possible, et recommandable. Les petits ingénieux pervers qui se seraient avisés à pareille recommandation, vous l’aurez reconnu, font partie des brillants dans le concept. Ceci doit surement explique pourquoi je n’ai jamais tenu en estime les gens qui me flattèrent de disposer,  de faire montre de brillance, l’astronomie m’ayant toujours repoussé, fût elle dans les salles scolaires.  Après tout, un esprit céleste, ou stellaire, nous renvoit personnellement aux planètes, πλανήτης (planêtês) signifiant en premier lieu « astre étranger », indirectement ainsi à une métaphysique des brillants hors du concept, les amoureux de l’inconnaissable,  engendrant l’antithèse la plus parfaite.  

Pour évoquer notre questionnement de façon métaphysique, l’on est en définitif une tension non pas  vers « la » chose, ou vers « une chose » :  la dernière ayant pu séduire les  « humbles » âmes de brillants dans le  concept qui souhaiteraient passer de l’autre côté de la réflexion chez les cavaliers de pentes trop radicales à leurs rhétoriques poussives. Il faudrait littéralement éliminer, métaphysiquement chaque mot de la phrase, la grammaire, la syntaxe, c'est-à-dire, intérieurement, l’identité , pour réduire la phrase à «  L’on est », ou, au mieux, « est », voire, « [… ] », la dernière proposition, le vide, l’inconnaissable, étant la plus satisfaisante. Pour simplifier cet exemple, nous nous ruons systématiquement vers une pulsion, ou une passion, dont la fondamentale, fût elle le langage conscient ou inconscient, est difficilement définissable. Les nihilistes ou toute pensée arrogante qui veut se prendre en deçà ou au delà du dynamique, pour rejoindre le statique unifiant, ce qu’on nomme ‘la stabilité’, sont des utopistes frustrés.  Dépasser les structures de l’entendement, se ruer hors du langage, hors du monde, de nous-mêmes, en vénérant les signes, en ne questionnant plus des postulats éminents que nous considérons comme acquis, cela est une gâterie fictionnelle de bourgeois bien pensant, croupissant dans les corsets de sa pensée. Ce que l’on nomme par «  la » chose hypothétique ne peut à la fois être prise et se prendre en tant que chose en train de se former. Malheureusement, la flatterie congratulante  est toujours un complément utile à la rigidité intellectuelle.

Les arts et la littérature sont traditionnellement considérés comme des disciplines subversives. Mais ce sont paradoxalement les oppositions entre plusieurs degrés de subversivité  qui donnent toute leur chair consistante à l’inertie, et la grandit de son principe d’évolution par mutation, effondrement, évolution au contact d’elle-même, en somme. Les structures de la société sont définies d’une certaine façon par l’inverse, le négatif, par un ensemble de contraintes.  Le principe le plus affirmatif d’existence d’une société est la dualité, est plus précisément, la répulsion des idées qui la soutiennent.  L’idée, souvenons nous, prise dans l’acception qui est la nôtre, est le mode de déformation par usure de la physiologie d’un morceau de chair dans celle du monde. Une des idées les plus minimales, concises dans leur efficacité, est celle de la peur. C’est au moyen d’une série de démonstrations de contraintes, de menaces verbales, que la modification des physiologiques et comportements des individus se fait notoire, poisseuse, latente, durable. L’idée de peur est une idée sans objet ni hommes, si elle atteint son stade d’indépendance, selon lequel les entités se menacent elles mêmes sans représentation directe ou symbolique d’autorité, car les asservis constituent  paradoxalement la figure de  leur propres asservisseurs.  La culture est la portion la plus visqueuse d’une société. Considérant la société comme nous l’avions proposé précédemment, tel un ensemble entropique , auto entretenu, organique, d’idées – prises comme précédemment-, la culture pourrait être l’intériorisation du principe de de la peur, dont la pulsion de recherche de l’autre est la manifestation la plus claire.  La peur de mourir socialement est perfidement rattachée par les institutions de régulation à la peur de la déchéance , mais cela est commis avec une élégance tout à fait arrogante : ces organismes, à en appeler à la notion d’existence, cernent la seule existence matérielle, oubliant l’existence idéelle de l’être, avant et après sa matérialisation en tant qu’être de chair. La culture est l’intériorisation de la peur de la mort sociale. Elle est un gouffre pulsionnel. Elle contient les inclinations les plus vives et édulcorées en partie par ses institutions.  Les arts représentent la pulsion de survie de l’être, la culture celle du citoyen, la société celle de l’inertie, la conjonction des trois définit la survie du gouvernement.

L’être de chair ne doit pas exister, en société, il doit se justifier comme tel, perpétuellement. Des séquences de comportements clefs, plus ou moins intensives ou complexes, doivent être exécutées en de différences fréquences accoutumantes, en minutes, heures, jours, mois, années. Elles nous permettent non pas d’exister, mais d’acquérir un « droit à l’existence » : il y a une substitution espiègle entre l’existence et l’existence sociale.  On assiste à une mystification selon laquelle les institutions sociales nous invitent à croire que l’existence de l’être de chair est à appréhender dans le vocable, l’univers mythologique, symbolique, du droit, pourvu de son vocabulaire déshumanisant et flatteur de la possession. Aussi, qu’une existence de chair non justifiée n’est pas une existence, car la seule existence légitime serait celle en société. L’existence sociale est considérée comme première à l’existence même. La société entretient cette primauté injustifiable. Elle engendre la pensée de la fécondation, conserve vos carcasses pourrissantes, et fait vivre votre mémoire à votre insu. Votre existence matérielle et idéelle se jouent hors de vous. La pensée de votre existence et la pensée de l’engendrement, parmi les milliers de pensées qui sont tapies en son sein depuis la naissance des communautés sociales et de ses idées. La pensée de votre épuisement quotidien, votre investissement, est également en puissance. Votre chute, votre absence, également. Le plus caractéristique est que votre existence idéelle est cernée. Vous n’existez plus en propre telle une idée agile, vous n’êtes déjà qu’un symbole, une représentation, un citoyen, une somme donnée de comportements. Les idées précèdent et succèdent inlassablement à la façon dont elles architecturent les chairs, les façonnent et abandonnent.

Que nul moyen existe pour succomber aux charmes de la métaphysique, que de questionner les situations les plus fondamentales de l’existence : notre bipédie, l’esthétique, l’envers de l’écriture, de l’être, parmi quelques galaxies de dites propositions à l’assourdissante normalité apparente. La métaphysique est une provocation intellectuelle  permanente : elle se nargue, car brille sur une inconstance ; chirurgicale, elle scande en copeaux d’intuitions les existences, mais sait parfaitement que sa propre légitimé  à être est aussi une inconstance. Une discipline qui pour exister parfaitement devrait s’annuler, peut être est-ce là véritablement  son charme, son caractère empli  d’humanité, d’humilité.

L’état d’impassibilité devant le phénomène de l’existence conserve ceci de rassurant que le vacarme des couleurs des sentiments, que s’y mêlent les fougues de la joie ou les halos de l’amertume, s’accomplit dans une forme de dégénérescence rassurante des unes aux autres. 

L’indifférence est une nostalgie de l’impassibilité qui n’use pas de l’amertume pour appréhender toute pulsion existentielle dans laquelle une forme certes malsaine identifie à loisir plaisirs et abjections.

Le sentimentalisme existentiel est une ronde inconstante parsemée de bouffées imprévues, délicates. Jusqu’à l’ennui  conserve la mystique contemplative de  son propre approfondissement, car il a le malheur fondateur de se percevoir en tant qu’entité. C’est la perception de l’entièreté d’un phénomène qui l’inscrit dans une durée.

Après avoir établi précédemment nos distinctions entre être de chair humain et inhumain, et considéré les idées en tant que vecteurs séquentiels d’animation de ces chairs, nous avons émis l’hypothèse d’une société pouvait être définie comme une infinité d’entrelacs, de modifications de la physiologie des chairs. Les individus peuvent être conçus, nous l’avons posé précédemment, comme des sommes d’idées en puissance, avant d’exister pour eux-mêmes. Les sociétés et les individus étant tous deux définis comme   entrelacs de mouvements affranchis  de  « corps » ni « corps moral » avant de se faire être de chairs, étant des mouvements dépourvus de nécessité de conteneurs, il nous serait possible de proposer l’idée selon laquelle tout être  est décomposable en séries de mouvements ou portions d’autres séquences d’autres individus.  En sorte que deux êtres  de la même génération, ne se connaissant pas nécessairement, sont indéniablement rattachés. En radicalisant cette approche, tout idée étant décomposable par une infinité d’autres, malgré les limitations inhérentes à tout langage, tout être, fût il  vivant ou décédé, ne fût il pas même né, la pensée de sa fécondation ne fût elle pas apparue, son souvenir fût il disparu de toute mémoire, a déjà rencontré toute forme d’existence . Cela revient a dire que même si un être n’est pas pensé en tant que possible, il existe car il était en puissance comme entrelacs des idées de la société. D’une certaine façon, tout être de chair synthétisable sous la forme de principes moteurs – idées- de déformation de la physiologie pendant l’existence matérielle, et tout être n’ayant pas même eût une existence idéelle ( je ne veux pas un enfant x, je ne me souviens plus de l’existence de mon enfant x ), a déjà embrassé l’ensemble des combinaisons des idées des sociétés présentes, passées, futures, indirectement toute forme possible d’être de chair existant par l’entremise de l’idée.

Le nihilisme est la forme la plus subtile de la sensualité.

Le personnage clef du roman est le roman lui-même : il est une projection cubiste du Soi de l’auteur, en sorte que les signes littéraires possèdent leur propre personnalité, un moi, un soi, une identité piaffant de roman en roman, caressant moult  âmes de lecteurs. L’ensemble des signes que constitue un roman, une fois écrits, deviennent des hypothèses du sens lui-même. Le  sens du roman s’échappe de son propre séant et vagabonde sur d’autres carcans, en quelque façon  de l’ensemble des personnages balzaciens,  qui portés de romans en romans,  s’affranchissent du roman lui-même, pour constituer un unique personnage. Ce personnage recèle sa propre position sociale. 

Au-delà d’un prétendu désespoir de l’auteur, c’est celui des limites mêmes de l’écriture qui intervient et se manifeste dans les termes tels que le néant, ou le rien. Ces termes sont les symboles de l’inexpressivité émotionnelle  de l’acte de la lecture, symétrique mais hermétique  de celui de l’écriture.

 Ces termes  gravitant autour du néant forment les symboles de plans émotionnels insoupçonnables et insondables.  Ces mots représentent des institutions littéraires qui marquent le désaveu de la littérature en tant qu’outil ou langage. L’ineffable nargue le vocable de l’être humain. La conséquence de l’ impossibilité de l’expression pleine du corps vécu, l’insuffisance de l’acte de l’écriture, le conflit intérieur, se solde en une lassitude amusée. Le recourt à cette tradition muette du « néant », qui invite à l’infini de l’émotion,   conviés que nous devenons   à  la vision d’une forme de solitude la plus romantique et contemplative. L’être devenant auteur et s’abandonnant faute de mieux au « rien », traduit en un mot non pas une quelconque simplicité de réflexion, un nihilisme dit sans fondement,  mais plutôt l’insuffisance fondamentale des signes, de la matière, du support.

L’auteur, ultime signe du roman,  en deviendrait insuffisant à lui-même, paradoxalement.  Le passage de l’intimité de l’imaginaire aux glaces du réel qui les abstrait sur la page. Les pages ne sont pas «  en soi ».

L’encre devient page par l’auteur. C’est le lecteur qui redonne à la matière brute le lien charnel qu’elle entretient avec l’auteur quand elle se fait page après avoir été support. 

Cette intimité de l’auteur avec son support , page en devenir, est une anarchie indicible et close à celle qu’entretient le lecteur avec son support mutant en page, puisque les corps vécus , les subjectivités, des auteurs et du lecteurs , naissent et perdurent ,  inconciliables.

La page est une salissure du support par le cœur de l’auteur ;  le style,  une perversion aberrante de la page par une habitude de l’entrelacement de la physiologie  humaine , appelée intelligence. 

La maturité est le nom donné à une expression feutrée et inlassablement frustrée d’une sensibilité.

Adulte : Acceptation définitive des déterminismes sociaux, dont l’inhibition de l’empathie, l’infection que constitue le pragmatisme sceptique, abouchant malencontreusement sur  un idéalisme coutumier, paradoxalement grassement charnel et matériel, résurgence des entropies de l’imaginaire.

Les jeunes penseurs et la gens adolescente, affectés de la  lassitude d’une identité hypothétique avec leurs congénères spirituels, sont pourtant hardis par ce même effondrement patient vers l’acceptation du moins temporaire de l’inaccessibilité du phénomène humain.

L’excès de sensibilité est une forme de mépris involontaire de l’autre.

Le temps et le sentiment  conservent ceci de commun qu’ils ont toujours à être pour que l’on puisse n’apercevoir que leurs conséquences, et de cela, supposer naïvement leur manifestation « entière », leur « existence ». Ils constituent les  architectes invisibles des paysages de nos corps.

Aspirer à colleter hors  du corps vécu est une négation de l’existence, particulièrement du mode d’être humain nommé Esthétique. L’existence elle-même est une manifestation, un mode d’être de l’Etre, le seul qui nous permette de nous projeter néanmoins aux nues, d’embrasser notre petite démence langagière, personnelle. Cette notion de corps vécu, effeuillée, détient ceci d’éblouissant qu’elle ne peut s’appréhender, la serait-elle que cela se ferait sous le mode de la représentation. L’on ne peut vivre le corps vécu, sinon l’on embrasse une notion, une forme de corps représenté larvé dans un jargon psychologique ou philosophique qui cèle cette distinction. L’on n’en trahit pas moins l’authenticité mystique de ce mode d’être.

En la condition humaine, Kant est un philosophe qui a voulu se faire peintre, Beckett un peintre métaphysicien.

Les larmes forment le sang de l’âme.

Le temps est un fantasme refoulé d’une physiologie de l’instant. Bachelard et Saint Augustin, coquines prétentions que vous êtes. Rires indécents, mépris bienveillant.

Si nous ne daignons aucune légitimité à un propre du sentiment, la supposition du sentiment lui-même devient fragile. L’essence des choses se cabre.

La fatigue s’amorce t elle trop prégnante, il devient difficile de différencier un état individuel d’éreintement, clinique, de la notion d’individu elle-même. La non différenciation des états est une succube innommable exhalant de féconds tourments.

Se voir lacéré d’effroi devant la gigantesque contingence du négatif du mode d’existence que constitue le non connaissable, se voir lié, incliné à la peur envers celle-ci,  c’est laisser l’agapè anéantir notre moi, inspirer la solitude la plus paradoxale que constitue l’expiation, la fécondation éthique la plus étourdissante, tout en n’ayant de désir que de commettre au monde la chair du monde, l’énergie, que nous lui avons dérobée pendant notre existence matérielle, en fin de laisser aux futurs morceaux humains l’indicible et mystique  plénitude de vivre selon le mode d’être qu’est l’Esthétique, peut être est ce là un symbole éthique émotionnel que nous pourrions appeler « Dieu ».

Le désespoir est une extase qui ne se mire que trop pour s’affranchir des élégances de l’individu.

Il y a dans le voyage  une actualisation désarmante de la perversité que constitue l’exotisme, une forme de déni du monde dans son intégrité médiocre. Les voyageurs effeuillent leurs propres moi, se drapent dans des identités plus fines les unes que les autres, et dans ce petit tombeau des personae, manifestent une lâcheté envers le fourmillement de la vie. Le brouillas que constituent les fariboles de la « connaissance de l’autre », les éructations que forment les nécessités de la culture, notion se confondant littéralement en sentimentalisme de l’individu, en occident, légitiment cette forme d’errance, abandon abstrait, retardement inavoué de la vie.

On atténue les corps, jamais les sentiments.

L’on ne demeure amoureux d’une personne que parce que l’on s’éprend tour à tour  de l’immensité imperceptible des êtres qu’elle constitue successivement.

Nombre d’embrassées mystiques sont sommées en questions  étouffées, emprises,  sous les plans intriqués du  justifiable, de l’argumentable, du  réfutables, par autant d’arguments plus raisonnables et dits fondés, les uns que les autres. Devant cette empathie insondable de la raison, l’apathie nous saisit un instant et l’on soupire à demi mot : quelle entité précise nous encline à telle pulsion définitive. Ce qui est trop simplement nommé l’identité, la place immondément démesurée que constitue le « je ». La notion de décision, d’engagement, primerait elle au contenu lui-même ? Dans ces passions institutionnelles de la toute puissance qui se parent des splendeurs de la mesure, quel autre élément que la nécessité clôt cette solitude intellectuelle insoluble ?

Un écrit est une séquence de matière vomie par un morceau de chair sur un support. Les variations les plus factices de ces séquences sont précisément ce que la pompe de l’histoire estudiantine et culturo-narcissique a appelé genre littéraire.

Admirer une entité, en affleurer l’idée qui s’entiche le mieux de notre amour propre, à se blâmer pour se louer davantage. S’en éprendre,  aspirer à en posséder matérialité et temps.

L’individu lui-même, fatalement, n’atteint pas le corps vécu. Il se voute sur la trame des sentiments, réalisations à autrui des émotions. Les sentiments constituent l’être à l’autre, éthique, de l’ineffable des ressentis. Les sentiments sont des décences sociales, des personnages extérieurs à l’être.

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Le suicide représente l’acceptation d’une vie par procuration de l’idée, et la tentation d’une subjectivité pleine, spontanée du monde que constitue l’être.

Les auteurs de philosophie se jettent obstinément dans les mécanismes rhétoriques de la preuve, pour se dispenser de percevoir la force annihilatrice de l’acte de la pensée solitaire.  Ce sont des émondeurs raffinés du tourment.

L’on ne se hâte jamais trop longtemps sur les radicalités de ce que l’on appelle, nimbé d’une douce vitalité orgueilleuse, la lucidité absolue, car elle sape la distance prophétique, idéale, entre existence et suicide. Existence matérielle et idéelle, pensées de l’engendrement et souvenirs, idées en puissances décomposées en infinités ayant existé ou futures, hypothétiques d’autres, cendres et tendres cercueils, l’existence matérielle, sociale, est une sentence définitive à la conservation. Cet ordre de survie de l’être malgré lui, impératif social, mâchure ostensiblement ce que Schopenhauer et Maupassant nommaient, dans un élan misérable de simplicité conceptuelle, mais métaphysiquement éloquent, d’ «  indicible volupté du néant ».

Je me méfie des petites démences émotionnelles que constituent les idées. Leurs manifestations saugrenues, leur empire. Les idées surgissantes  engendrent les humeurs, les croupissantes le tempérament, les vacantes l’arc visqueux des passions.  La pensée est le recueil contingent, faussement cohérent, de cette Babel des désuétudes. Une eudémonie organique. Les idées, les avons-nous conçues comme séquences indépendantes,  d’animation des corps en lesquelles elles logent malgré elles, ne sont pas concevables. Elles se manifestent à posteriori.  Ce que nous appelons idée formée, ou une idée rattachée à quelconque formation dite arbitraire ou « consciente » ( je retiens la salle de s’esclaffer bruyamment, la salle, tais toi donc ) , est un artifice.  L’on nomme par une séquence de mouvement de la chair , le fait que l’on vient d’apercevoir une autre chair changer d’état, physiologiquement. La chair se meut, l’être l’avise, et nomme idée le fait de reconnaître la manifestation antérieure de l’idée originelle dont il croit parler. Ces expressions d’idées marquent l’immanquable fantasme philosophique de vivre sur un temps originaire biologique, en opposition aux temps de l’esprit qui nous transpercent  dans une quiétude suffisante.

La souffrance traduit l’incapacité pour l’être de se déprendre des idées qui morcèlent son être de chair.

Deux types d’esthétiques littéraires coexistent : la versée dans les architectoniques conceptuelles, splendides édifices de l’esprit. Kant, Hegel, Schelling, sont d’abord des peintres de nuances les plus éclatantes et subtiles avant d’être philosophes.  Leurs écrits donnent une chair picturale aux concepts. L’illusion fondamentale est l’amas de la chair du langage pour parvenir à son point antérieur de fondation, sa candeur première, son indivisibilité originelle. La deuxième  est formée par les aristocrates du désespoir.  L’on distingue une première catégorie marquée par les emphases fictives de la plume, et le fétichisme du roman, et des romances, en témoignent les écrits du romantisme allemand, de Tchekhov, Balzac, Théophile Gauthier, entre autres. Le roman dit : sois l’ultime acteur de ma pièce. Accepte cette fausseté originelle, ces amas de fictions qui sont des copeaux épars réagencés  artificiellement. Aie foi en cette spéciosité,  célèbre là. L’autre catégorie est faite d’auteurs qui désirent entrelacer sens et non sens, infuser le corps du langage pour que de ses plaies flambent de fortuites ouvertures, en sont garant les écrits de Char, d’un Beckett, de Wittgenstein, Héraclite ou Husserl. Ces ouvertures désignent la tentative idéaliste de réunir la subjectivité de l’auteur, charnellement acteur et personnage, écrivant sa propre pièce qu’est le roman, avec la subjectivité d’un personnage symétrique  qui ne naît véritablement qu’avec l’acte de la lecture, donnant au support son identité de page. , et à ce lecteur le statut de personnage clef du roman.

La rigueur est un mode d’identification sectaire entre les penseurs.

L’on observe, dans le phénomène de l’écriture, une sublimation du tourment dans l’élégance du propos. Une cristallisation.  La sobriété d’une plume ou de ce que la modestie artisanale de Céline  désignait comme le « style », marque l’espoir de parvenir au non connaissable, à entreprendre une remontée sensorielle, et non temporelle. Cette remontée ne peut s’appréhender  et nourrit la fin de réduire les éloignements des subjectivités. Entre être et auteur, auteur et auteur écrivant, support et page, support et être lisant, support et lecteur, page et lecteur , page et être lisant.

L'esprit est une émotion frustrée, piégeuse, qui n'a jamais acquis son indépendance, ressassant constamment sa propre matière tel un enfant indécis.

Quelque génie né ne se sera que trop exposé au monde pour s'être véritablement ignoré dans sa fulgurance .

La culture littéraire n'a de coquetterie que de mépris de la sensibilité originelle des auteurs.

La poésie est une peinture méditante sur la solitude, une épreuve constante du néant, une petite mort à l'essai.

 

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