Sans permis
Jean Louis Bordessoules
Sans permis
Sketch
Jean-Louis BORDESSOULES
bordessoules@orange.fr
Durée approximative : 12 minutes
Synopsis
Une vieille dame très snob se fait conduire par son chauffeur dans une voiture sans permis. Mais quelle râleuse...
Personnages
Une femme.
Décor
Deux chaises (les deux sièges de la voiture)
Costumes
Rien
Deux chaises sont déposées sur le plateau ; la comédienne s'assoit sur la chaise à jardin. Il sera pour ce sketch une vieille «rombière» très snob. Elle se penchera légèrement sur sa droite (vers jardin) comme si quelque chose à sa gauche (à cour) le gênait (elle se trouve dans un petite voiture sans permis et un chauffeur un peu corpulent conduit et prend beaucoup de place).
Dites-moi, Firmin, vous ne pourriez pas aller sensiblement plus vite, je ne voudrais pas faire attendre mon amie Irène de Frétille-Duderche ! (...) Plaît-il ? Certes, mon ami, je sais parfaitement qu'il m'arrive de vous tutoyer, mais c'est uniquement lorsque vous êtes dans mon lit. Pour l'heure, vous êtes mon chauffeur et je vous traite comme tel. Et je ne vous appellerai pas Jean-Pierre non plus. Firmin c'est beaucoup plus stylé pour un domestique. (...) Je vous en prie, Firmin, un peu de tenue, s'il vous plaît ! Cette voiture ne vous a rien fait, que je sache... Avec ce que vous me coûtez, une voiture sans permis, c'est tout ce que je puis financer ! (...) Et vous me dites ne guère pouvoir dépasser 35 kilomètres à l'heure ? Eh bien au moins nous sommes tranquilles avec les radars ! Oh et puis faites en sorte de ne pas prendre toute la place ! Je me sens confinée comme la fois où j'ai dû prendre le métro... Quel atroce souvenir ! Toute cette faune prolétarienne, ces odeurs, cette promiscuité... J'en frémis encore... Ah, comme je regrette ma Rolls... là au moins, j'avais toutes mes aises. (...) Comment cela ? « je n'avais qu'à pas la casser » ! Un peu de respect, s'il vous plaît ! Vous savez très bien que je n'y suis pour rien, c'était un refus de priorité, je venais de la droite ! (...) Et vous dispense de votre humour sur la droite ! C'est très bien, la droite. La droite, c'est naturel et c'est supérieur. Ce n'est pas par hasard, que la plupart des gens sont droitiers, mon petit Firmin ! Vous ne vous êtes jamais posé la question de savoir pourquoi on dit « adroit » pour quelqu'un de particulièrement habile ? Et « gauche » pour un maladroit comme vous ? Vous devriez réfléchir un peu, de temps en temps... Bref, je venais de la droite, et la priorité est, elle aussi, tout naturellement, à droite ! (...) Plaît-il ? Sauf sur les carrefours giratoires où la priorité est à gauche ? Mais personne ne m'avait prévenue, imaginez-vous ! En tout cas rien dans « Gala » ni dans la « Revue d'Action française ». C'est bien une idée de ces gouvernements socialistes, ces carrefours où l'on vous oblige à tourner à gauche ! Où la priorité est à gauche ! Quelle décadence. (...) Et vous sous-entendez que j'étais dans mon tort ? Eh bien c'est du joli ! Elle est belle la France, tiens ! Une Rolls qui avait à peine trente ans ! Je crois que je ne m'en remettrai jamais, vous savez. Surtout que c'est dans cet accident que j'ai perdu mon mari. Mon pauvre Léon. Heureusement que j'ai hérité suffisamment pour vivre de mes rentes, sinon je crois que je ne m'en serais jamais remise... Je vis chichement, certes, mais imaginez si j'avais été obligée de travailler ! Je l'ai échappée belle. (...) La Bentley et la Mercedes, ce n'était pas pareil, je n'avais pas eu le temps de m'y attacher. (...) Je sais, Firmin ! Ce n'est pas la peine de remuer le couteau dans la plaie. La Bentley, c'est de ma faute. Enfin si l'on veut... Ce n'est vraiment pas la peine d'aller à un cocktail si l'on ne peut pas boire. De toute façon, ces sculptures contemporaines de Patrick Greleau des Etalons étaient tellement imbuvables que je c'est moi qui ai bu. Je me suis vu réduite à me rabattre sur le champagne ! Et puis je pensais vraiment être tranquille pour rouler, à deux heures du matin, vous imaginez ! Je me demande bien pourquoi cet imbécile qui conduisait cette Peugeot de prolétaire est arrivé de l'autre côté. Il avait le feu vert, certes, mais il aurait dû être au lit et se reposer pour être en forme et travailler avec ardeur pour son patron le lendemain ! Vous ne pensez pas, Firmin ? (...) La Mercedes, ce n'est pas pareil. D'abord, je ne l'ai jamais aimée, celle-là. Tout le monde en a une, de Mercedes ! Et puis c'est une voiture allemande, ça me rappelait trop Père... Du temps de la collaboration, les Allemands lui en avaient offert une... Alors si j'ai pris l'autoroute à contre-sens et ai eu ce stupide accident - heureusement sans gravité... enfin... pour moi - je crois que c'est qu'inconsciemment je voulais me débarrasser de cette voiture. Il faudra que j'en parle à mon thérapeute, d'ailleurs... (...) Eh oui, Firmin, c'est à ce moment-là que je vous ai embauché. Je n'avais plus de permis de conduire ! Ces moujics de fonctionnaires communistes me l'ont pris. Alors que ce stupide musulman qui conduisait son antique Peugeot l'a toujours, lui ! Comme s'il avait besoin de son permis pour conduire son fauteuil roulant ! Quel gâchis... (...) Ah, merci, j'ai un peu plus de place. (Le comédien se penche vers la gauche) Mais, que se passe-t-il encore, Firmin ? Il semblerait que la voiture penche dangereusement vers la gauche, maintenant ! C'est une allusion politique ? Vous le faites exprès ou quoi ? Si vous avez juré de me rendre folle, vous allez gagner ! (...) Comment cela, de la faute de la voiture ? C'est plutôt vous qui êtes trop lourd ! Je vais réduire vos appointements, comme ça vous vous goinfrerez moins et vous serez plus léger ! Et puis pourquoi restez-vous bêtement là à attendre dans cet embouteillage ? Vous ne voyez pas qu'il n'y a personne dans la file de droite ? (...) Un couloir de bus ? Les bus ont un couloir juste pour eux ? C'est nouveau, ça aussi. Alors les prolétaires qui n'ont pas de voiture et prennent l'autobus avancent sans problème, pendant que moi, qui ai une voiture avec chauffeur, je dois rester dans les embouteillages ? Mais c'est le monde à l'envers, ma parole ! Ah, ils en ont de la chance, les pauvres, même les gouvernements de droite les privilégient ! (...) Ah ! Enfin nous arrivons ! Tenez, je vois une place libre, là. Vous pouvez parquer l'automobile. (...) Comment cela ? Ça aussi, c'est pour les bus ? Vous savez qu'ils commencent à m'énerver, vos bus, Firmin ? Enfin bon. Heureusement, il y en a une autre un peu plus loin, là bas. (...) Une place pour handicapés ? De mieux en mieux ! Alors entre les bus et les handicapés, qu'est-ce qu'il me reste, à moi ? (...) ho ! Ne vous arrêtez pas, filez vite, Firmin, je vois sur le trottoir mon amie Irène Du Tour de Laville, et je ne voudrais absolument pas qu'elle me voit dans une voiture de pauvre ! Le Tout-Paris serait au courant en moins de deux heures ! Tout le monde se gausserait de moi ! L'horreur, quoi ! Ah ! Regardez, une voiture qui part, prenez vite la place ! (...) Là, enfin nous sommes garés. (...) plaît-il ? De la monnaie pour payer le stationnement ? Et puis quoi, encore ?C'est vous, le chauffeur, pas moi ! Vous me prenez pour Crésus ? (le comédien sort de la «voiture») Je refuse de payer, Firmin, et si une de ces imbéciles de contractuelles veut nous verbaliser, débrouillez-vous ! Séduisez-là, violez-la au besoin. (le comédien se retourne et se retrouve face à une contractuelle) Oh tiens ! Bonjour, madame la contractuelle ! Beau temps, n'est-ce pas ? (vers Firmin) Et je vous répète ce que je vous disais, Firmin, je vous interdis de parler ainsi des contractuelles ! Ce ne sont pas des imbéciles ! Vous violez leur intégrité en disant cela... (un temps, gêné) Bien, bien, bien, bien... (...) Si j'ai mis le ticket pour stationner ? Eh bien, nous arrivons à l'instant, mais mon chauffeur y court, chère madame. (...) Mais c'est que je n'ai pas de monnaie, Firmin. (...) Vous non plus ? Ah... C'est très embêtant... Eh bien voyez-vous, chère madame la contractuelle, je crains de ne pouvoir me procurer le ticket en question, ni mon chauffeur ni moi n'avons de monnaie... (...) Les papiers du véhicule et le permis de conduire de monsieur ? Mais tout de suite, chère madame la contractuelle... Firmin ? Vous avez entendu ? Qu'est-ce que vous attendez pour vous exécuter ? (...) Plaît-il ? Vous n'avez pas votre permis de conduire ? Vous vous moquez, Firmin ! (...) Je ne vous l'ai jamais demandé ? (...) Oui, je sais, il est vrai que c'est dans mon lit que je vous ai recruté, mais je vous signale que cette andouille de contractuelle entend tout ce que vous dites ! (...) Oh pardon, très chère madame la contractuelle... je... enfin... (...) Mes papiers ? Au commissariat ? Vous plaisantez, supputé-je ? (...) Non ? ... Merci Firmin ! C'est grâce à vous, tout cela ! ... Merde !!! ... Pardon. Je voulais dire : morbleu ! Mon amie Irêne Du Tour de Laville qui vient par ici... Vite, inestimable madame la contractuelle... emmenez-moi au commissariat ! Il ne faut absolument pas qu'elle me voit dans cette situation ! (le comédien sort de scène «menottes aux poignets» ou noir bref).