Sans toit

Ana Elle (Cendrillon Des Routes)

Angélina,

 

Si tu lis cette lettre c'est que j'ai eu le courage de te l'envoyer, mais surtout, que j'ai eu les tripes de l'écrire et c'est tant mieux pour moi.

 

C'est vrai que tu ne me connais pas si bien qua ça, et j'y suis sans doute pour quelque chose, pourtant il y a cette sensation étrange qui plane tout autour de moi et qui me fait sentir que tu m'es très proche. J'ai beau chasser ces vagues de questions qui m'atteignent et me submergent quand je pense à toi ou te vois, je continue de me demander pourquoi t'es toujours là. J'ai l'impression que quoi que je fasse, d'une manière ou d'une autre, tu le seras toujours. De près comme de loin. Pourtant je ne demande rien !

Moi je suis qu'un pauvre cinglé, un trou du cul, un p'tit con orgueilleux qui fait tout pour contrôler tout ce qui l'entoure. Par peur de souffrir, sans doute. Tu parles… je ferais mieux de chasser ces putains de nuages à coups pieds. Chasser toutes ces conneries qui grandissent et pourrissent dans mon crâne. Putain, mais qui as dit qu'l'amour t'encrasse et t'fane ?

Et puis au bout de tout ce temps, devant cette endurance qui t'modèle et t'rend plus belle, je me rends compte que la terreur, la crasse et la laideur du monde moderne, me deviennent presque supportable. Comment t'arrive à faire ça ? C'est incroyable.

Et ce qui est incroyable aussi, c'est  ce que je suis en train de faire. Je ne sais absolument pas d'où me vient cette prose ‘pseudo romantique' et soudaine, alors que je suis plutôt rude et secret lorsqu'il s'agit d'exprimer ce que je ressens. D'habitude je suis comme un gamin qui ment…

 

T'as pas pu t'en empêcher, hein ? T'es une vraie emmerdeuse. T'es si touchante que t'en es scandaleuse ! Et moi… moi je, bah je tombe dans l'panneau !

Crois-moi, c'est la chose la plus difficile que j'ai eu à faire de toute ma vie.

J'ai l'impression d'avoir perdu mes couilles au font d'mon calbute. J'ai l'impression de faire des têtes à queues, entre raison et envie d'uppercut. Tu m'rends complètement dingue ! J'en deviens presque schizo. Un coup j'ai froid un coup j'ai chaud. Je me retrouve sur ce terrain de moi-même où tout s'emmêle, c'est un vrai bordel. Où le bien et le mal s'affronte. Et je finis par avoir honte. Alors je bombe le torse et je roule des mécaniques, et j'essai d'être le plus stratégique ! Parce que c'est vrai, j'aimerais bien être capable de mentir. De t'dire des choses que tu ne mériterais même pas d'entendre, par souci de contrôle, pour me protéger, oui je sais ce n'est pas drôle. Mais c'est comme ça. Et pourtant tu vois, j'y arrive pas. Pourquoi ça ne sort pas… fais chier ! Tout serait plus simple si j'y arrivais : J'suis pas un gars bien, j'suis pas une belle personne, crois pas en moi ça ne sert à rien ! Fais pas la conne ! J'suis qu'une sale bête, qu'a juste faim d'un cul en levrette !

Ouais… je n'y arrive pas. Alors je disparais de la circulation. Je prends la route sans condition. La métaphore de l'autruche. Celle du gars, qui croit qu'en fermant les yeux sur ce qu'il ressent, il s'en sortira vivant !

 

Mais cette fois, je vais essayer d'être adulte. Pas comme ces cons qui vivent sur une constante. Sans passion, sans lumière, sans rien, le genre de type qui se lève à l'heure le matin, qui sort de sa maison témoin. Le mec bien propre, bien habillé, qui tous les jours va bosser et s'exécute à la même rengaine, pour essayer d'oublier sa médiocrité humaine. Non pas ce genre là. Je vais juste essayer d'être vrai. D'être sincère. De te faire confiance quand tu me dis que je suis loin d'être ordinaire.

 

Il n'y a pas dix mille façons de faire les choses, alors je vais me lancer. Voilà : j'ai rencontré quelqu'un. Par accident je crois. Je ne l'avais pas prévu. Ça m'est d'un coup tombé d'ssus. On parle souvent de coup de foudre ou de coup de cœur, mais je ne suis pas vraiment sûr que ce soit ça. Ça ressemble plus à un coup bien fort à l'entre jambe. Le genre de truc brutal qui t'émascule et te fait sentir comme un pauvre con qui recul. Ça fait mal. Tu ne le vois pas venir et surtout surtout tu ne peux pas l'éviter. C'est comme si t'avais mouillé ton froc. Tu sais plus où te mettre. T'as l'air d'un abrutie, là, debout, assis, tu ne tiens plus en place. T'as qu'une envie c'est de faire le coq et de dire bye à cette garce. Mais ça ne marche pas comme ça... En fait ça ne marche jamais comme ça devrait marcher. Sinon ça ne serait pas : la vie.

 

Elle a dit un truc, j'en ai dit un autre, et l'instant d'après je voulais passer tout le reste de ma vie, avec elle, dans cette conversation. J'avais plus vraiment envie de faire le con. En plus elle était nulle. La conversation, pas Elle ! On ne disait rien d'intéressant. Enfin j'me souviens plus vraiment. C'est fou, mais je sens que tout au fond de moi, elle pourrait être la femme de ma vie. Je ne sais pas si je crois en toutes ces conneries âmes-mon-cul, mais quand je l'ai vu… moi je suis plutôt comme un p'tit animal qui lorsqu'il est content remue la queue et renifle tout ce qui traine. C'est désespérant pour certains mais qu'est-ce que j'aime les chattes ! Elles sont si douces, si belles. Et elles ronronnent quand tu t'approches. Tantôt sauvages, tantôt câlines, faut voir quand tu les touches et les caresses dans le sens du poil…

 

Cette fille… c'est le genre de fille complément dingue d'une manière qui me fait sourire. Le genre de fille extrêmement forte et prête à se briser. Le genre de fille trop sincère pour renoncer. La fille qui porte fièrement des paillettes et des chaussures différentes tous les soirs, pour camoufler ses frontières de désespoir. La fille qui me fait prendre conscience de moi-même d'une manière affolante. Elle m'adoucit, me précipite, m'attendrit et me crépite. C'est tout ça à la fois. C'est ça qui me rend dingue ! Elle est vraiment disjonctée ! Et cela demande qu'on veille et prenne soin d'elle en permanence, même si elle est trop fière pour remettre en questions, quelque fois, son indépendance. Cette fille c'est toi Angélina. Ça c'est la bonne nouvelle. Oui on peut dire ça comme ça.

 

La mauvaise c'est que je ne sais pas comme faire pour être avec toi en ce moment. Ça me fait vraiment peur, j'crois. Parce que je suis déjà pas bien droit, j'suis bancal, j'suis pas du genre normal, ouais j'suis un peu cassé et même carrément paumé ! Et j'ai le sentiment que si je ne suis pas avec toi maintenant, si je ne suis pas à tes côté des aujourd'hui, j'ai le sentiment qu'on va passer à côté l'un de l'autre. On va se perdre de vu. Ce qui nous entour est tellement vaste et dur. Tellement pourri, comme… avarié. Il y a pleins d'imprévus et il suffit de battre des cils, ou au contraire de manquer un battement de cœur, pour rater et laisser filer à jamais le moment essentiel, le moment qui aurait pu tout changer dans notre vie merdique.

 

Je ne sais absolument pas ce qui se passe entre nous, et je ne suis pas vraiment sûr qu'on ait des choses en commun, tout comme je ne sais pas pourquoi je t'écris ça et te demande, te supplie de me faire confiance. Je sais que c'est dur pour toi. Je sais que tu n'y crois peut être plus, peut être pas. Parce que je suis qu'un connard qu'à tout fait foirer depuis presque un an mais… je sais que tu es encore là. Et ça c'est important. Tu es importante. J'ai enfin compris.

Bon dieu, tu… tu sens toujours bon, et même quand tu es triste tu sais sourire pour deux et tu fais les gâteaux maison comme personne et je… je… moi je ne suis qu'un imbécile, parce que je ne peux pas encore te dire ce que tu aimerais entendre, mais je te promets de tout faire pour y arriver ! Et quand ça sortira, j'espère profondément que tu seras là. Avec moi.

 

Alors si tu veux, appelle moi.

 

Infidèlement tiens, Jean.

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