Sauron, suite
François Vieil De Born
Je suis assez inquiet au sujet de mes mains. Elles semblent développer des idées bien à elles, et ma main droite par exemple a tendance à se fermer en un poing menaçant, et à contraindre mon bras à s’élever à soixante degrés dès les premières mesures de « l’Internationale ». Elle y prend goût et intervient parfois rudement auprès de mes pieds pour qu’ils me trainent dans les réunions de cellule. Elle n’a d’ailleurs aucune persistance dans ses choix politiques ou sociétaux puisque récemment, peut-être parce qu’elle avait bronzé, elle s’affichait avec un gant de cuir noir et dans toutes les manifestations sportives auxquelles encore une fois, elle me trainait, moi qui déteste le sport, elle contraignait ma tête à se baisser, s’il le fallait en pesant sur elle et sur mon cou, puis se levait très haut pour les hymnes, le poing fermé. Ma main gauche essayait de réfréner ces ardeurs parfois contradictoires et de se poser en recours. Mes pieds avaient eux rappelé dans le cadre de la récente campagne présidentielle qu’ils entendaient voter comme bon leur semble, et qu’en dernière instance, ce serait eux qui choisiraient.
Ayant décidé de partir tôt pour l’aéroport pour enregistrer mes bagages parmi les premiers sur le vol pour Salzbourg et de faire bêtement les boutiques, quelle ne fut pas ma déception de devoir faire la queue derrière un contingent de touristes orientaux souriants et matois, prétendant en particulier tout ignorer du concept de queue et disposer en souriant d’un droit imprescriptible à rejoindre leur groupe, même s’ils étaient arrivés un quart d’heure après, en remontant toute l’enfilade labyrinthique de voyageurs non orientaux exténués qui les en séparait. Si seulement ils avaient pu se faire enregistrer collectivement comme une sorte d’organisme complexe, mais unique et souriant..
Je ne suis pas dupe. Ce ne peut pas être par hasard. N et L, toutes deux très belles et ayant travaillé avec moi il y a peu, tombent enceintes en même temps ? Je suis à peu près certain qu’elles me signifient leur dépît de ne pas m’avoir conquis et, comme souvent les femmes, prétendent régler leur insatisfaction en faisant un enfant (l’autre n’est là qu’un instrument).
Ceux qui sont revenus de tout ont-ils croisé en chemin ceux qui sont partis de rien ?
Pendant la dernière campagne électorale et alors qu’il m’avait été demandé une intervention dans un colloque portant sur le droit humanitaire, je tentai sans succès de réserver une chambre dans un hôtel de Nice bondé et préempté par des cardiogues en congrès. Je crus bon de rappeler à l’hôtelier que les cardiologues n’ont pas le monopole du cœur.