Sauve-moi
vadim
Préambule 1 : je parle de MDTF – period. Préambule 2 : si ton opinion c’est « Ouais Kanye West c’est un connard prétentieux j’l’aime pas », retiens-toi de le dire parce que je modérerais le commentaire parce que sans déconner, on est pas sur doctissimo.
Le début: VMA, Taylor Swift et l’interruption de Kanye pour défendre, de la manière la plus authentique, spontanée et sincère qui soit, maladroite, malpolie, égotique aussi, Beyonce et son clip, qui gagnera un prix plus tard, de toute façon. Obama qui traite West de douchebag, tout ça.
Donc commençons par le commencement. Vous apprendrez rien de nouveau, j’ai pas le courage de lire des articles tout ça, vous aurez juste mon sentiment sur l’affaire et tout le tintouin.
Donc les G.O.O.D Fridays. Kanye débarque sur twitter, débarquement qui correspond, grossissons le trait, à son entrée en studio : pour ceux qui l’ont vu, le « No Tweeting » dans le studio. West est à Hawaii, il rameute ses copains pour son nouvel album, ambiance de travail qui casse tout ce que vous pourrez jamais imaginer, et décide de lâcher une chanson tous les vendredis, une sorte de W.I.P, de myspace 3.0, de communion, ouais, un gros mot !, avec les fans, et tout le monde se demande avec angoisse si on les aura tous sur l’album, si on a déjà entendu tout l’album. Au final on en aura 5 sur 15, avec toujours des sons retravaillés, modifiés, ça rassurera les ingrats oiseaux de mauvaise augure.
Les G.O.O.D. Fridays, Kanye qui joue, qui s’amuse, part dans tous les sens, remixe Justin Bieber et en fait de l’or grâce à un putain de piano (duquel tu peux jouer sur un internet), met en valeur son crew (Good Friday, entre autres), qui annonce du lourd, du très très lourd, et qui, à ma connaissance, fait un truc jamais fait avant, c'est-à-dire partager son processus créatif et ses récréations avec son milliard de followers. Magique parce que tous les samedis matins, les vrais étaient branchés comme des junkies en manque sur leur shoot de musique, créant à la fois le buzz (quel mot dégueu) et l’attente et alimentant ledit processus de West grâce à des retours indénombrables. J’vais pas tous les détailler, mais putain, dieu sait qu’ils ont fait mouiller la planète qui avait un accès à internet, putain, même Christian Dior est devenu hip-hop, sans déconner.
Donc, ellipse narrative, tu vois, Runaway, le clip de 34 minutes, juste assez pour pas battre le record de MJ, namedroppé assez pour dédicacer le respect du nouveau boss du rap game à une de ses légendes. Y’a des gens qui ont pas aimé, okay, j’respecte. Mon avis c’est que d’un, Runaway place West dans le champ des artistes totaux, ceux qui font de l’art autant que de la musique, ceux qui vivent, okay, cliché, leur art, autant qu’ils le font, et créent le décor dans lequel celui-ci doit être placé. En tirant tout ça par les cheveux, on peut débarquer sur les 9 éléments de KRS-One, remixés, qui donne sur le rap de West comme étant du hip-hop, inséré dans un univers à lui-même, un lifestyle qui a une image autant qu’un son. On pourrait disserter des heures sur les symboles du film, des serveurs blancs, soit disant une question de palette de couleur (justification peu crédible tant le thème du racisme est présent dans MBDTF), auphœnix, et c’est pourquoi je ne vais évoquer que le dernier. C’est un thème à la fois facile et qui tient aussi du mythe de Sisyphe. J’veux dire, ouais, West a été crucifié sur l’autel médiatique, et ouais, MBDTF devait être une renaissance, okay, mais enfin, faut être honnête, c’était pas gagné, et là c’est même pas un hold-up, c’est juste, ouais, d’accord, respect mec. C’est ce que Runaway laisse entendre avec chaque extrait de chanson qu’il offre, Kanye est de retour et pas pour de faux, il est là pour coucher la concurrence sans se soucier d’elle, et ce qu’on lui a reproché, ce qu’il a vécu, sera le fond de ce qui fera, encore une fois, de lui le meilleur. Parce que, si MBDTF n’a pas toppé tous les tops de l’année, c’est pas une question d’objectivité. Rien que temporellement, le meilleur groupe de rock du monde, aka The National est premier chez PMA parce qu’on a eu plus de temps pour l’écouter. Le grand plus de Runaway, c’est le storytelling. Avant même d’avoir écouté l’album, on a une histoire en tête, un tracklisting gravé dans l’esprit, que chaque morceau doit dérouler, on a un concept-album, ce qui manque à The College Dropout pour figurer en tête des meilleurs albums de West, pas de Skit pour faire la liaison, un disque qui va de soi, qui coule de source.
Donc l’album. Les samples sont intouchables, parfaits : 21st century schizoid man, fin de la discussion. Minaj et son flow guerrier sur Dark Fantasy donne le ton : on est pas là pour rigoler. Chicago, back to the roots, mon cul, c’est juste un point de contraste pour montrer le chemin parcouru et demander si on peut aller plus haut, si on peut faire mieux que ce qui a déjà été fait, et oui, homie, on peut le faire. “ The plan was, we drink until the pain over, but what’s worse, the pain or the hangover.” Pas besoin d’analyse, on a tous vu Kanye et sa bouteille d’Hennessy. Flow d’attaque, synthé rythmé, parfait, mot qui reviendra sûrement, chœurs ecclésiastiques, stop. Re-chœurs, okay, Kanye. (Petite parenthèse : d’aucuns reprochent à West son « mauvais » flow. Ok il est plus lent, plus traînant que la moyenne, mais c’pas le premier, et réécoute son bravado sur DF et on en rediscute).
Gorgeous, cette guitare qui bourdonne, entêtante, c’est ma chanson préférée actuelle, c’est dire à quel point cela fluctue, Cudi très bon sur le refrain, c’est une des qualités de West de bonifier chaque feat., West qui aborde les thèmes du racisme, de la cooptation, de la crise économique et de l’attirance sexuelle, simple fait qui pourrait le consacrer au top du game a capella. “ I need more drinks and less lights, and that american apparel girls in just tights, etc.”
Power, tribal au possible, Kanye West, au sommet du XXIè siècle, King Crimson, encore le racisme « In this white men’s world, we’re the one chosen », c’est simple, classique, et en même temps out of the box, ne serait ce que ces chœurs, encore, et cette densité sonique. Putain, je sens que je vais me répéter. « It’s gonna be a beautiful death. »
All of the lights, interlude, no comment, parce que c’est simplement parfait de retenue et de charge émotionnelle, et la suite, trop bien décrite par un journaliste de Slate pour que j’en rajoute, mais simplement incroyable. Juste Rihanna quoi. Et, peu importe que l’on entende pas les 25 guests, l’important est que de tout ce bordel sorte un des morceaux les plus fous de l’année.
Monster, Jay-Z à son mieux, encore ce côté tribal, l’urgence sonore, un morceau un peu décoratif mais tellement bon qu’on ne peut pas vraiment lui reprocher d’être là, ne serait-ce que pour les punchlines qu’il recèle. So Appalled, qui laisse présager doucement du ton provocateur de Runaway, facture classique, si ce n’est qu’elle dure 6 minutes, ce qui illustre la capacité de West d’élargir les carcans dans lesquels il évolue. Aborde l’exil post Swiftien, entre autres: “ live long enough to see yourself become a vilain, I went from the favorite, to the most hated.”
Puis la magique magistrale soul Devil In A New Dress avec ses chœurs implorants et son orchestration tout en retenue, qui rappelle, sans déconner, TCD et ses premières productions : « the resurgence of [the soul] sound ».
Okay donc Runaway, y’a plus grand-chose à dire dessus si ce n’est que c’est le morceau de bravoure de l’année et que rien ne risque de l’égaler et que cette outro autotunée inaudible et saturée me fait presque chialer à chaque fois.
Le bourdon d’Hell Of A Life qui martèle un bon gros beat des familles et n’est même pas insupportable et un ou deux chiots de sa chienne pour Amber Rose, et puis ce son électronique là indescriptible, carillonnant, tourbillonnant, entêtant.
Et donc Blame Game, un des 13 sommets du disque, qui synthétise en une phrase les aspirations de West, qui n’est pas juste un rapper qui aime les grosses gamos et les blings blings et les putes mais les « i like art type girls » : on a changé de dimension, on est plus en 1990, homie. Le dialogue avec John Legend est un des trucs les plus ultimes que j’aie entendu de l’année, et c’pas comme si j’étais autiste. Comme sur All Of The Lights, c’est plus une chanson mais un film entier qu’on ingère en 7 minutes, quand Booba dégueule des polaroïds. (Parenthèse 2 : c’est déjà la première partie de l’argument contre celui qui veut que West soit un mauvais parolier : du storytelling pareil s’écrit pas par hasard. Ensuite, ils ne savent simplement pas de quoi ils parlent. Sur Robocop, version VH1 Storytellers, West explique qu’il voulait sonner comme du Jack Black, étant fan de Tenacious D. Donc tu vois, je pense qu’il faut piss off sur les punchlines LOL, que ce soit Leona Lewis ou le pussy in a sarcophagus. Ce serait trop con d’être sur le toit du monde et de pas en profiter pour rigoler un peu.)
Retour aux amours autotunées, c’est à la fois chiant et cool une fois que ça se calme et puis c’est Bon Iver sur un disque de rap, qu’est ce qu’il te faut de plus quoi ? Sampler Gil Scott-Heron après son comeback triomphant a rien de téméraire mais putain qu’est ce que c’est bon, et ce morceau en regard de l’année écoulée acquiert une dimension bien plus importante que le simple name-dropping.
Après tant de branlette, disons que ouais, c’est l’album de l’année et le meilleur de West. Oh il est pas révolutionnaire mais West le sera jamais, il est juste, et c’est déjà beaucoup, une sorte d’incubateur, de mélange de diverses influences dont Kanye tire le meilleur, bonifiées par, ouais, n’ayons pas peur des mots, son génie. C’est le meilleur parce qu’il est plus cohérent que TCD, on l’a dit, mais qu’il synthétise tout ce que West a fait jusqu’alors, la soul de deux premiers, le côté électronique de Graduation, et l’aspect intime de 808 : « I sent this girl a picture of my dick ». Je le disais début septembre, et j’ai pas eu tort, nobody can beat West, et ça arrange rien à mon tropisme hip-hop actuel.