SAVE-TRIP. Chapitre IX

caiheme

Je suis les draps cuits par la fièvre.

Nous restons devant l'entrée. Durant un temps, Samuel ne bouge pas. Un soubresaut soudain l'agite, Suzanne et moi le regardons, nous avons faim. Nous rentrons dans l'hôtel et avançons jusqu'au comptoir, Samuel nous précède, impatient lui aussi de manger. Il fait tinter la petite cloche argentée vissée sur le bois du meuble d'accueil, un homme chauve et gras sort de la pièce située derrière le comptoir.

« —Bonsoir messieurs … dame ! Dites-moi tout. Qu'est-ce qu'il vous faudrait ? »

Son front luit, ses petits yeux me fixent, il sourit et laisse entrevoir des dents cassées.

Suzanne lui répond.

« —Bonsoir, nous souhaiterions avoir une chambre pour trois, avec une douche s'il vous plaît.

—     Je n'ai pas de chambres pour trois, l'occupation ne s'opère que par paire.

—     Alors nous prendrons pour quatre, un ami pourrait passer la nuit.

—     Ah oui, le jeune homme qui occupe la 37 et la 38, je vous ai aperçu en train de discuter dehors. Vous serez dans la chambre 72, au fond du couloir situé à votre droite, souhaitez-vous dîner au restaurant ? »

Les mains de Suzanne tremblent, elle a besoin de manger.

« —Non merci, nous avons ce qu'il me faut. »

L'homme lui tend une clef sertie d'une étiquette rouge.

« —Très bien, le petit-déjeuner est servi à partir de six heures, bon séjour messieurs…dame. »

Nous  quittons l'accueil pour le couloir de droite. Les murs sont tapissés de papier peint aux motifs variés. Les couleurs sont binaires. Difficile de différencier le fond et le dessin. L'abstraction nait du blanc et de ces noirs, du noir et de ces blancs. Par la fixation visuelle vient la reconnaissance des formes, ce couloir est celui du plaisir. L'astucieux mélange est égal à l'esprit de PST.

L'éclairage électrique des fausses bougies en cire fondue grésille, les soleils artificiels animent les formes. Les mouvements sont aléatoires, irréguliers. On voit se tordre des visages et des formes humaines amaigris. Le papier peint, semble pour elles un plafond de verre.

Les corps se bousculent et se grimpent les uns sur les autres. Ils tendent les mains vers leurs cieux comme si leurs pieds nus foulaient un sol de feu. L'un d'eux ouvre la bouche, la mâchoire inférieure s'abaisse et la tête se renverse en arrière. La commissure des lèvres tremble puis se déchire. Comme un piège à loups claquant à l'envers, la tête s'ouvre en deux.

Ne subsiste comme sommet sur ce corps rachitique qu'une langue qui s'agite par convulsions. Les unes après les autres, toutes les têtes se transforment ainsi. Réaction en chaine incontrôlable avec, pour finalité, des asexués à tête de lécheur de timbres.

 J'ouvre la porte au numéro 72. Quatre lits, un meuble en bois plaqué, une télévision et un pouf éventré occupent le vide de la chambre. Les draps portent en eux la trace des corps endormis.  L'histoire invisible de leur présence se flaire sans odorat. Suzanne tire les volets et ouvre la fenêtre. La lumière des lampadaires du parking se mêle au plafonnier en métal chromé. Les couvertures orange jurent avec le bleu sombre de la moquette parsemée, çà et là, de taches blanchâtres. La petite salle de bains semble propre, la jointure de silicone du carrelage est transparente, seuls quelques poils douteux parsèment les rebords de l'évier en porcelaine. Samuel referme la porte, le silence s'installe, nous nous asseyons chacun sur un lit, fermons les yeux et écoutons.

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