Scène de la violence ordinaire

Clément Thiery

Entre les Galeries Lafayette et le Monoprix de l’avenue Foch serpentaient une poignée de maillons de la chaîne alimentaire cannoise. Toutefois singulier, le spectacle qui suivit se vautra dans une violence animale qui ne siérait guère à un jeune public.

Dans le rôle principal, donc : un pigeon. Extérieur jour. Décor naturel, une ville.

Plutôt rapidement après les trois coups de semonce, notre jeune premier entre en collision avec le pare-brise de la 307 bleue roi d’un touriste du Gers ; notre jeune premier suffoque, se tord de douleur, agonise, puis expire. Le tout s’effectue entre deux volées d’essuie-glace. Lorsque le sempiternel Ultime Soupir quitte enfin la cage thoracique de notre jeune premier, la rue pavée est baignée d’une odeur de lave-glace.

Sur ces entrefaites âcres et chimiques, entre en scène notre élément perturbateur. Il a prit ce soir la forme d’un cormoran ventripotent, laid bâtard de l’albatros de Baudelaire et du pigeon des villes commun. La stature d’un Johnny Weissmuller, le teint d’un rescapé de l’Exxon Valdez et le regard carnassier d’un chasseur de prime hollywoodien. Plein de sa grise superbe, il se pose au centre de la chaussée, à quelque encablures à peine de la dépouille sanguinolente de  notre jeune premier. Avec la démarche gauche de l’aviateur descendu de son F-16, il aborde le cadavre. En fait le tour. L’inspecte. Puis lance son bec à la surface du corps de feu notre jeune premier.

Hallali.

Opposant son dédain aux véhicules qui vrombissent dans l’artère commerçante ; et son mépris aux touristes qui courent chargés de soldes autour de lui, le seigneur poursuit son cruel repas. Les plumes du vaincu sont emportées par le vent de sud-ouest qui souffle sur la cité ; son sang macule le granit du pavé.

Une camionnette de livraison arrive soudainement en trombe du côté jardin, l’oiseau n’a d’autre choix que de déguerpir. Alourdi par la carcasse qui barre son bec, il peine à prendre son envol ; il enfile la rue en zigzagant, rasant la chaussée.

Dans un effort que le dramaturge qualifia de ‘heerkuléen’ dans de gauches didascalies, l’improbable et capricieux équipage finit par quitter le pont, juste à temps pour éviter le rideau de fond de scène et disparaître derrière la voie ferrée.

C’est un cormoran repu et satisfait qui rejoint son aire, le soleil peut aller se couche derrière le fronton de la gare.

Musique : ‘Eye Of The Tiger’. Le rideau se ferme, timide remue-ménage d’approbation de la part du public.

Clément THIERY

Août 2011

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