Scènes de vie quasi-ordinaires - Coup de théâtre

lodine

Un homme et une femme ont une altercation à la sortie d'un théâtre...

Un homme et sa femme reviennent du théâtre. Ils se sont rendus à la séance de 15h; c'est dimanche. Le temps quelconque les indiffère. Il fait gris et froid.
Ils arborent une mine plutôt réjouie. Leur tenue est sobre, La pièce était bonne. A vrai dire, le rôle principal était tenu par une amie de Madame. Le cocktail suivi après la séance était d'un bon goût élégant – champagne, petits fours, des invités plutôt raffinés.
Monsieur conduit. Il a des gants de velours noirs qui enserrent le volant de façon élégante. Une petite musique de fond – du jazz, Billy Holliday - emplit l'espace de la voiture. Madame se farde les joues. Elle aura usé un pot entier, ce soir. Monsieur lui jette un regard.
« Ca coûte cher, l'entretien d'une femme », pense Monsieur.
A voix haute:  Combien as-tu fait ?
La voix de Monsieur est posée. Il n'a pas quitté la route des yeux. La femme répond, tout en continuant à se farder :
- Douze mille.
L'homme, tout en regardant la route :
- Pas mal, pas mal. Tu as mis où l'argent?
La femme, imperturbable :
- Dans la loge de l'actrice principale. Personne n'ira voir dans le pot de fleurs.
- Tu en es sûre ? Et ton amie n'a rien vu ?
- Non ! J'ai profité d'un moment où elle allait aux toilettes pour faire ce qu'il fallait.
- Et tu récupères quand le magot ?
- On se revoit demain. Je lui apporterai d'autres fleurs, ou j'irai changer l'eau, enfin je trouverai bien un truc!  Je récupère le fric et le tour est joué !
- J'espère que tu ne te plantes pas, sinon…
- Sinon, quoi ?
- Rien, rien…
L'homme tapote un peu plus nerveusement le volant.
- T'inquiète pas, Bob. Tu sais bien que tu peux me faire confiance. Ca fait sept ans qu'on travaille ensemble.
- Oui, oui, je sais. Je ne m'inquiète pas. Mais je serais simplement complètement rassuré demain quand tu seras de retour. Tu me trouveras chez Alfredo, 105 Avenue des Chardons. Tu connais le code et t'as le pass. A toi de jouer maintenant.
- On ne change pas une équipe qui gagne !
L'homme tapote le bras fin de sa compagne, comme s'il tapotait le volant. La femme arrête de se farder.
- Mon chéri, personne ne nous a jamais soupçonnés depuis que nous exerçons ce charmant métier. C'est vraiment un créneau porteur. Voleurs de luxe ! Heureusement que nous avons eu l'idée en premier.
- Et oui... Pouvoir profiter de l'argent des riches, se faire des gueuletons - pardon, des festins-  au lieu de galérer comme tout le monde! Ah ! C'est la belle vie !
- T'as raison ! Il fallait juste y penser. Corrompre le type du vestiaire pour faire les poches des invités, et pour ne pas se faire piquer, remplacer les vrais billets par des faux… Ni vu ni connu. J'aime notre intelligence !
La femme se regarde dans la glace, se tire la langue.
- Il faut simplement être sûr du type du vestiaire, pour qu'il me laisse agir à ma guise.
L'homme plisse des yeux. Il a le regard froid.
- Ça, c'est mon affaire.

La femme termine de se farder, comme si elle n'avait pas entendu le timbre de voix (glacé) de son compagnon. Elle se tourne enfin vers lui et débite d'un ton atone:
- Tu vois, Bob, j'ai envie de prendre ma retraite dans quelques mois. Nous avons accumulé assez pour faire bâtir la maison de nos rêves. Ne penses-tu pas avoir un chien ? Un poisson rouge ? Accessoirement un enfant ?
L'homme est arrivé devant leur logis. Un deux-pièces au rez-de-chaussée d'une rue quelconque d'une banlieue quelconque. Il coupe le moteur, regarde sa femme.
- Tu veux arrêter ? Maintenant ? Nous avions dit que nous tiendrions pendant dix ans.
- Oui, mais voilà, je commence à  en avoir marre de jouer. Composer à chaque fois de nouveaux scénarios pour approcher les artistes. Je suis à court d'idées. C'est stressant, d'être toujours sur le fil du rasoir...
- Ah! T'es une vraie girouette, toi ! Tu disais tout l'inverse, il y a quelques minutes à peine. Je te croyais plus…
L'homme n'achève pas sa phrase. Sa femme a braqué un silencieux sur lui. C'est elle qui a le regard froid, désormais.
- Désolée, Bob. Mais je n'ai plus envie de cette vie, ni de toi. J'ai rencontré un type sans histoires. Et il m'aime, lui.

Elle appuie sur la détente sans que Bob ait le temps de faire un geste.


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