Second Regard

heathcliff

Second Regard           

Regards

 Il existe de nombreux regards. Des yeux océans, des yeux caramel, des regards nacrés. Mais également des yeux charbonneux ou vert-bouteille, des regards qui sont deux lacs immenses au milieu du visage, des regards de feu. Il y a de ces regards hypocrites, ou désabusés, ces yeux vides ou égarés, ces regards sombres et tourmentés. On peut également apercevoir, parfois, au coin d’une rue, au sommet d’une falaise, des yeux violets ou jaunes fluos dans la nuit, des globes oculaires injectés de sang, des pupilles qui se meuvent, des iris tremblants. De yeux de fous, des regards amoureux, des yeux qui crient la Vérité. Les miens cachent deux réalités. Ce que les autres ne savent pas--et vous me direz qu’il y a toujours quelque chose que les gens ne savent pas—c’est qu’en baissant ses paupières, on peut voir autre chose que le Néant.

Un vendredi soir, une rue, ma rue. Bruits d’immeuble étouffés, pas une voiture, pas un passant. Le jour qui baisse lentement, très lentement, belles couleurs de crépuscule qui viennent égayer le trottoir gris et  illuminer mes yeux. En arrière, cet air de piano qui résonne doucement entre les deux rangées de résidences. Le bruit de mes pas feutrés, sur le sol. Marche quasi-silencieuse. Un joyeux spleen qui m’envahit bizarrement. Une brise vient ébouriffer mes cheveux, le vent se lève, insolemment, vient me griffer le visage, mes yeux écarquillés et puis…la poussière. Une petite particule d’humain, un atome de dinosaure, qui vient se glisser sous ma paupière. Le grain de sable dans l’engrenage, qui assassine la routine, étouffe la petite vie tranquille, une fausse note dans une symphonie parfaite, une note juste dans un opéra exécrable, la fin du début, le début de la fin. Là.

Une larme coule de mon œil droit que je frotte énergiquement. Petite douleur agaçante, qui ne veut plus partir. A force de sanglots, on arrive à tout. Progressivement, j’ouvre les paupières, et la Vérité me foudroie.

Ces petites notes de piano qui résonnent encore plus fort, je les vois. Des ondes qui se fondent dans l’air, dansent avec l’atmosphère, s’évaporent gracieusement. J’aperçois l’autre monde. Inquiétant parallélisme.

Ces quelques secondes ont suffit pour me transformer. Mon regard se fait alerte, mon pas assuré, mais une douce mélancolie persiste tout au fond de moi. Cet instant a duré deux secondes et deux siècles. Il me rappelle au temps qui passe, aux heures qui s’écoulent, ne nous laissant aucun répit.

C’est une seconde naissance. Je rentre chez moi, hallucinée.

Paranoïa

Prédateurs, ils m’observent tout en se rapprochant, dans la foule. L’ étau se resserre. J’enfonce mes coudes dans la masse gigantesque pour avancer, quelque part, ailleurs. Des envies de voyages, quand je vais faire les courses. Mon sac tombe, tant pis, pourquoi le ramasser ? ce n’est qu’un bout de cuir sans intérêt, un objet futile, sans importance. M’échapper. Vite ! Le temps presse. Les chasseurs ont un demi-sourire en lune, sur leurs lèvres minces. Moi, la proie, moi, la victime. Partir. Tout laisser. Un bus arrive, je saute dedans. Ils ne m’auront pas !

Le souffle court, je m’assois, je ferme les yeux. Bruit de journaux, relents d’essence. J’ouvre les yeux. Plus rien. Le bus est vide. Plus un voyageur. J’erre entre les sièges, comme un fantôme. De nouveau ailleurs. Est-ce là, cette alcôve que je recherche depuis si longtemps, pour échapper à la vie, pour tuer le temps, pour tuer la mort. Un décor noir et blanc, des volutes de fumée dans lesquelles je me perds. La larme de l’autre jour perle de nouveau au coin de mon œil, évolue à toute vitesse sur ma joue. Pourquoi suis-je si triste ? Non…ce n’est pas de la tristesse. Je crois seulement que, pour la première fois, je suis heureuse. Je referme les yeux.

Je suis allongée par terre. Des visages inconnus, barbus, ridés, jeunes, enfantins, regards inquiets, affolés, des mains qui palpent mon visage. Trou noir. Je me réveille sur un lit d’hôpital.

 

 

Sans retour

On a emmené mon voisin de chambre. Il était gris. Sa peau parcheminée ne respirait plus.

Accroupie par terre, je réfléchis. Alors, j’aperçois sous le lit un papier sur lequel on a griffonés quelques mots.

Blancheur assassine

La blancheur me tue. Le blanc. Pâleur mortelle de ce lieu insalubre. Ce blanc sale, sur lequel coulent les larmes de sang de ceux qui vont mourir. Le silence, surtout. Cet endroit qui grouille de malades, d’infirmes et de cadavres, est étrangement silencieux. Une veillée éternelle. Parfois, des chuchotements affligés traversent les murs. Des cris  d’horreur murmurés. La peur s’agite autour de moi, tel un air impalpable, flottant dans  la souffrance.

Peut-être est-ce dans cet hôpital, qu’il me faudra mourir.

Aujourd’hui, attendre.

Demain, expirer.

Je ne peux m’empêcher de fermer les yeux. Le blanc des murs se fait mur de briques incassable. Pas une porte. Pas une clé. Un toit de marbre. De nouveau, des vapeurs semblent s’imprégner de ma personne, me font l’effet d’une puissante drogue. Dois-je crier ?

« Pars ! », me crie une voix rauque. Je m’approche d’un coin, obscur, d’où parvient cet ordre qui ressemble à un appel au secours. Les ténèbres se font puissants. Mais soudain, la lumière m’aveugle, et je vois, une créature décharnée, recroquevillée sur le sol. Mon âme. J’hurle. Il n’y a que ça à faire. Recherche beauté dans bunker sans couleurs.

Je m’éveille, encore. Le matin est toujours le même. J’attends quelque chose qui ne viendra pas. Pas de but. Juste une petite voix au fond de moi qui m’ordonne. Une autre vision. Un autre regard. Une autre vie.

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