Seconde naissance version longue

Kévin Ribout

Paris. Début d’après-midi. Mois de Juillet Le soleil tape de toutes ses forces sur les chapeaux des touristes. Une chaleur sèche et étouffante s’est installée sur la capitale et son pays depuis quelques semaines au grand bonheur des cafés-restaurants qui remplissent leurs terrasses de gens assoiffés. Des jeunes Parisiens sont mêmes réquisitionnés pour arroser les passants à chaque coin de rue afin de les rafraîchir. La « ville-lumière » n’a jamais aussi bien portée son surnom. En se rapprochant de la célèbre cathédrale Notre-Dame de Paris et en longeant vers la droite les quais de la Seine, nous pouvons voir justement un de ces cafés et sa terrasse.

A l’une de ses tables, une jeune femme. Léa Martin vient de s’asseoir. Habituellement, elle ne s’y serait pas arrêtée. Toujours prise par le temps, elle longeait ce charmant café sans-même y prêter attention. Aujourd’hui, se prendre une boisson rafraichissante à l’ombre sous un parasol était un plaisir qu’elle pouvait se permettre. Un peu d’ombre ne peut faire de mal Par gourmandise, elle commande aussi une glace au citron-vert, son parfum préféré. Elle fouille dans son mini- sac à main tendance, sort sa tablette numérique et son rouge à lèvres.

 Léa est une perfectionniste, une femme moderne et aime se sentir parfaite. C’est son truc. Son cheval de bataille. Sa philosophie de vie. Sa signature. Elle tient beaucoup à montrer la meilleure image d’elle-même. User de ses charmes, cela l’aide beaucoup dans son métier de journaliste. Sa beauté naturelle plait aux artistes et renvoie une douceur qui cache son tempérament de feu, nécessaire pour tenir dans ce milieu. Elle est aussi jeune, tout juste trente ans, ce qui lui permet d’avoir de très belles perspectives d’avenir.

Sa tablette se mît à vibrer pour lui rappeler que son prochain rendez-vous de la journée était dans deux heures. Elle inspira un bon coup comme pour décompresser et se passa un coup de rouge à lèvres, fit son plus beau sourire au serveur, commença à manger sa glace avant qu’elle ne fonde et la dégusta avec délectation.

Marc Vauthier le sait bien... Assis confortablement sur la banquette arrière de sa voiture, il termine sa sieste. Dans deux heures environ, il va falloir sauter. Il en esquisse un sourire tout en se disant que c’est tout de même bien haut et pas sans risques. Mais la promotion est la promotion, et il faut en passer par là.

Et puis rien ne vaut ce qu’il va ressentir. Enfin il tenait ce qu’il avait toujours recherché au fil de sa  vie. L’instant de plénitude. La minute de bonheur, d’apaisement.  Celle qu’il a toujours avant de sauter et qu’il conseille à tous ces lecteurs dans son livre de développement personnel : «  Prendre son envol », succès mondial sans précédent dans son genre, et qui s’arrache en librairie.

Il a tout prévu. D’abord le livre. Après les démonstrations, devant ses lecteurs, qui par le biais d’un système de mot de passe et de lien Internet, en exclusivité connaissent les lieux et dates de ses sauts. Les médias aussi bien sur sont là ainsi que les curieux, attirés par tant d’agitation. Puis, l’ouverture de sa galerie d’exposition ultra- moderne, un temple dédié à sa gloire, qui va présenter les vidéos de ses exploits, telles des œuvres d’art.

Et ce n’est que le début. Lui, le cancre, celui qui était toujours au fond de la classe à côté du chauffage. Enfin il tient sa revanche sur la vie et sur tous ceux qui n’ont pas cru en lui. Il montre dans son livre qu’une fois tombé bien bas, tu à toutes les armes en toi pour remonter et toucher les étoiles. Il y compare le destin, la vie, à un rebord de toit d’immeuble. Mets-toi dessus, ouvre tes bras, et regarde devant toi. Tu a, devant-toi, deux choix. Le premier, de te jeter, simplement, et d’en finir Mais si tu réfléchis quelques instants, le deuxième choix s’offre à toi. Tu fais demi-tour et tu rebondis. Tu te libère ainsi de tes chaines et c’est la renaissance. Tu effaces tout et tu recommences.

C’est comme ça qu’est né Marc, il y a trois ans, suite à une rupture amoureuse, quand en voulant se jeter du toit de son immeuble, il a choisit l’option deux et à écrit ce livre qui fait aujourd’hui son succès. De New-York à Berlin, en passant par Londres et Sidney, il a assuré la tournée de promotion en sautant de toits d’immeuble préalablement sélectionnés par sa maison d’édition afin de prendre le moins de risques possibles. Un accident mettrait toute sa théorie en l’air.

Il la termine aujourd’hui par Paris, sa ville.

La pression montait au fur et à mesure. Il fallait à notre époque donner plus, toujours plus. Ne plus se contenter d’écrire un livre et d’attendre de voir si la sauce va prendre ou pas en librairie. Il faut devenir un « people ». Vous montrer. Vous vendre. Faire de la promotion non-stop sur les plateaux de télévision et sur les radios. Devenir une sorte de « sex-symbol » dans les journaux féminins. S’exposer partout, le plus possible, jusqu’à l’overdose. Marc n’était pas contre, il avait toujours désiré être célèbre. Sa raison de vivre, se perfuser à la notoriété. Une fois que t’y a gouté, tu en redemandes. Mais il y avait un danger, celui de se brûler les ailes, tel Icare. Vouloir aller toujours plus haut. Il fallait ne pas s’oublier, ne pas se perdre, l’accélérateur était au plus fort, ne pas oublier de freiner.

Léa termine tranquillement de boire son verre tout en fixant avec attention l’écran de sa tablette numérique. Elle y revoit les sauts de Marc autour du monde. Impressionnant ce gars, se dit-elle. Toute la nuit, elle avait lue le fameux livre dont tout le monde faisait l’écho dans son milieu et à sa grande surprise l’avait appréciée. Plutôt fervente amatrice de romans et de livres de cuisine, elle ne s’attendait pas à se prendre au jeu pour un livre de vulgarisation psychologique-philosophique. C’était pas mal écrit, et le sujet, bien que facile, tenait la route. Mais c’était plus son auteur qui la fascinait. Il paraissait à travers la lecture de ce livre si fragile et si fort à la fois. Une sorte de super-héros des temps modernes. Beau, oui, c’était son type de mec fallait bien se l’avouer. Ni trop grand, ni trop petit, en très bonne condition physique, un visage d’ange, un regard de braise. Bref, le beau gosse. Elle avait vue les différents reportages que les médias avaient faits sur lui, il avait l’air intelligent avec un soupçon de folie. Une folie dans la démesure. Il visait plus haut que les autres et le disait bien fort. Il voulait toucher à tout, atteindre le nirvana. Il était le point G à lui tout seul. Elle allait le rencontrer d’ici environ une heure et s’en mordillait les lèvres. Signe chez elle qu’il ne la laissait pas indifférente.

Marc monta dans l’ascenseur qui devait le mener au dernier étage de l’immeuble. Il aimait ressentir ce moment d’élévation. En sortit et atteint le toit en prenant les escaliers. Encore une heure devant lui, il avait le temps. Il se rapprocha du rebord, et jeta un coup d’œil vers le bas. Comme d’habitude, il y avait déjà beaucoup de monde, pleins de caméras, et l’énorme matelas à eau pour sa réception. Il s’assied et pris la position du lotus. Il pensa à ses parents. A son père, trop tôt disparu, qui aurait été si fière de son fils. Et à Patricia, sa mère, qui doit de sa maison de campagne, attendre le saut devant sa télévision, entourée de ses amies. A Carole, aussi. Son ex. Celle à qui il a dédié son livre. C’est grâce à elle finalement tout ça. Le destin est parfois bien fait, se dit-il. Elle doit s’en mordre les doigts maintenant.

Léa s’approcha du lieu de l’événement. Elle sentait déjà l’ambiance. Une foule compacte, nerveuse, attendant le saut du « héros ». Et puis devant, le « fan-club « …Ce groupe de jeunes femmes et jeunes hommes, le livre à la main, de pouvoir obtenir une énième dédicace de Marc. Elle se glissa tant bien que mal dans l’espace réservé aux journalistes. Heureuse d’être encore une fois là où il fallait être, elle scruta autour d’elle pour s’imprégner du parfum si particulier de l’attente. Elle entendait les bruits de conversations. Bien sûr, ça parlait de lui. Tiens, pensa t-‘elle, c’est fou, il y  a même un stand qui vend son livre, des posters et des t-shirts., son éditeur ne recule devant rien.

Marc vient d’atteindre son moment, celui où il ne fait plus qu’un avec l’espace autour de lui. Il se sent léger comme l’air. Libéré de toutes les contraintes. Il fixe le soleil comme s’il voulait le toucher avec ses yeux. Encore une vingtaines de minutes le sépare du grand saut. Il est prêt. De toute façon, c’est le dernier. Ce soir, il fait la fête. Tout est prévu pour ça. Il doit passer au journal de vingt heures avant en direct et rencontrer une journaliste. Il l’a promis à son éditeur. Son agent ne va pas tarder à le rejoindre pour les derniers préparatifs. Tiens, le voilà justement. Il ne doit pas parler à Marc, c’est dans le contrat. Juste déposer un sac avec quelques exemplaires de son livre et un appareil-photo ainsi qu’un téléphone portable et un numéro griffonné sur une feuille blanche.

Toujours le même rituel. Commencer par prendre des photos. Et quoi de plus beau que Paris vu des toits…D’ici il voit la Tour Eiffel, la Tour Montparnasse, le Sacré-Cœur, les tours de Notre-Dame, le toit du Grand Palais…Ca va être superbe pour sa future galerie. Puis le téléphone, il compose le numéro. Un jeu-concours avait eu lieu précédemment sur le web pour faire gagner le droit d’avoir quelques mots de Marc avant son saut. En bas, un petit mouvement de panique, une femme venait de s’évanouir après avoir décrochée son téléphone. Le service de sécurité avait l’habitude et la fît rapidement évacuée. Marc s’attarda pas, bien loin de tout ca. Il prît dans le sac quelques exemplaires de son livre et les jeta un par-un vers la foule.

Léa n’arrivait pas à comprendre pourquoi toute cette mise en scène. Cela faisait partie du show mais c’était un peu trop à son goût. Voir ces gens se jeter au sol pour s’arracher un livre, elle n’avait jamais vue ça de sa vie et ne le verrait certainement plus jamais. Mais lui, là-haut, à quoi pense-t-il…Il est seul. Il doit crever de chaud. Le moment fatidique approche. Une musique se fait entendre, Jean-Michel Sarre, l’éditeur de Marc, monte sur la scène érigée pour l’occasion. Il remercie tout le monde et ne perd pas l’occasion de rappeler les records de vente du livre dans le monde entier en espérant que cela continue de plus belle. Un compte à rebours débute… Léa pointe sa tablette en mode caméra vers le toit de l’immeuble. Elle ne veut rien louper.

10…9…8…7…6…5…4…3…2…1…0…

Un cri se fait entendre…Puis un deuxième, strident celui-là…Et un troisième….Dans cette cacophonie, Léa ne sait plus où elle est. Le mouvement de la foule à été si soudain qu’elle s’est retrouvée plaquée au sol. Ses mains sont trempées, ses genoux aussi…Elle comprend que quelque chose d’anormal vient de se passer mais n’ose bouger la tête. Pourtant il le faut, c’est son métier. Faut qu’elle couvre l’événement. Qu’elle soit au cœur de l’action. Elle relève la tête doucement, soulève ses lunettes de soleil comme pour mieux voir, aperçoit des visages apeurés, des larmes coulant sur le visage d’une jeune femme…Elle fait quelques pas, écarte de ses bras la foule immobile pour se frayer un chemin et voit étendu au sol sur le ventre Marc, immobile,  et le gros matelas à eau à moitié vidé.

Elle a juste eue le temps de voir le saut. On aurait cru un oiseau qui venait de perdre ses ailes. C’était magique oui. Mais il était censé rebondir sur le matelas et se relever les bras en l’air, en signe de victoire… Ne pas finir comme ça, sur le sol. Les secours sont autour de lui. Visiblement, plus de peur que de mal, si l’on peut dire. Marc Vauthier n’est pas mort, il respire. Il a heureusement bien atterrit sur la cible mais le matelas était trop usé et n’a pas tenu sous le choc. Du coup, il a été projeté sur le sol, est inconscient mais va reprendre bientôt ses esprits, déclara le chef des secours. Il va lui falloir beaucoup de repos.

…Marc, encore sonné, rouvre doucement les yeux…Un mal de tête affreux se fait ressentir. Il n’a pas souvenir de ce qu’il vient de se passer. Ne sait même plus qui il est…C’est à ce moment qu’il voit Léa, un frisson surgit en lui, il esquisse un sourire…Il vient de retomber…Amoureux…

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