Séduction et pérégrinations sentimentales

nelopee

J'ai un sentiment d'agacement qui ne me quitte pas depuis hier. Je pensais que c'était la fatigue, mais même après avoir dormi cette nuit, le sentiment est revenu en force…

C'est peut-être d'avoir regardé le film Before Midnight de Richard Linklater, dernier volet de sa trilogie, qui dépeint si bien la romance au sein d'un couple confronté aux réalités de notre monde. Julie Delpy tente vainement d'expliquer ce qu'elle ressent sans se faire qualifier d'hystérique, et montre que même avec toute la bonne volonté du monde, les femmes en feront toujours matériellement plus que les hommes car le risque du glissement vers le sacrifice de leur individualité est constant.

"Women explore for eternity in the vast garden of sacrifice." 

Ce visionnage m'a posé beaucoup de questions sur mes propres attentes face au couple. Je me suis rendue compte que j'avais presque complètement rayé cette éventualité pour mon futur proche. Il est vrai qu'à n'importe quel âge, je n'ai jamais eu l'opportunité de penser que le couple était quelque chose d'envisageable pour moi. Sauf qu'auparavant, c'était parce que je pensais que je ne serais “jamais assez” pour qu'un homme ait l'envie de me “garder”. Mon premier et seul petit-ami officiel à ce jour m'avait quitté alors que j'étais pleine d'espoirs romantiques à son égard. A présent, j'ai surtout peur de ne jamais trouver d'homme assez bien pour avoir l'envie de m'engager avec lui sur le long terme.

Ce qui a provoqué ce changement? Le féminisme et T. Je sais que j'ai du mal à ne pas l'idéaliser, pour lui-même et ce qu'il représente (un homme plus âgé, intelligent, charmant, drôle, cultivé), mais aussi parce que je l'ai aimé si fort. Je n'en mesurais pas forcément l'étendue à l'époque, j'étais encore jeune et immature émotionnellement. Je ne suis pas forcément devenue bien plus mature aujourd'hui, mais j'ai appris quelques trucs sur les relations à force de fréquenter des hommes. Pas un seul n'a pu me faire ressentir ce que j'ai ressenti avec T., m'apporter ce qu'il m'apportait sur tous les plans. C'est peut-être cliché parce que c'est aussi le premier homme avec qui j'ai fait l'amour, mais ce n'est pas au cœur de ce qui importe ici. Je ne souhaitais même pas tomber amoureuse. Déjà après J., j'étais devenue bien précautionneuse dans ma manière d'aborder les hommes. J'avais intégré que les sentiments leur faisaient peur, alors je gardais un masque assez détaché, m'adaptant à ses désirs de liberté, bien qu'au fond j'étais totalement affolée de lui. C'était comme un aimant. Malgré les dérapages, on finissait toujours par se retrouver collés l'un à l'autre.

Un an après la fin de l'Erasmus, lorsque l'on s'est revu brièvement pendant l'été, c'était pareil, voire même encore plus magnétique. J'ai peur que cela reste ainsi toute ma vie, comme Céline avec Jesse, qui après leur rencontre extraordinaire, a subi la distance venant couper court à toute tentative de projection dans un futur à deux, et a été malheureuse dans toutes ses relations suivantes. Comme elle le dit dans Before Sunset, “I guess when you're young, you just believe there'll be many people with whom you'll connect with. Later in life, you realize it only happens a few times.” Ici on ne parle même pas “d'âme soeur” ni d'amour “pour la vie” comme dans les autres films romantiques. Juste de connexion, celle qui est à la base de tout.

Ce n'est pas comme si je ne faisais pas d'efforts pour rencontrer de nouvelles personnes, de nouveaux garçons. J'adore discuter avec eux et découvrir ce qui les passionne. Mais la plupart du temps, cela devient soit mes amis ou “potes d'aventure”, soit on couche ensemble pour une nuit ou quelques unes, sans que ça aille bien plus loin. J'adore faire l'amour, les attributs physiques masculins représentent quelque chose d'extrêmement excitant et j'apprécie le partage d'une certaine intimité des corps. Mais un garçon avec qui je couche a toujours une date limite dans ma vie. Avec certains, j'arrive à entretenir un lien plus amical que d'autres. Néanmoins, réciproquement, je n'attire pas les hommes prêts à s'engager sérieusement dans une relation - déjà qu'ils sont en voie de disparition. Donc la question se pose rarement.

Le problème, c'est que je ne prends même plus le temps de construire un solide jeu de séduction. Je n'ai pas la patience. Pourtant, je me souviens bien de la façon dont les débuts innocents avec J. étaient magiques. Mais j'ai tant de mal à supporter la déception à présent, que je me protège en m'impliquant très peu émotionnellement. Je me comporte parfois “comme un mec” : il faut que je consomme tout de suite la relation, sinon, c'est du gâchis. Inconsciemment, c'est comme si je m'étais mise peu à peu dans la configuration suivante : je peux partager ma couche avec qui je veux, mais mon cœur et mon esprit resteront attachés à T. quoi que je fasse. C'est très fataliste ; je me suis quand même efforcée de me répéter intérieurement à maintes reprises qu'il fallait que j'attende de trouver “la bonne personne” qui me fera tourner la page pour de bon. Mais est-ce que ce jour viendra vraiment, si l'on a déjà brûlé notre chance de trouver la personne qui nous fera le plus vibrer dans notre vie ?

Il est vrai que j'ai du mal à coucher avec un homme que je n'estime pas un minimum. Il commun d'être davantage attirée par quelqu'un qui partage au moins une de ses passions ou valeurs. J'ai l'impression d'avoir déjà assez souffert, ou en tout cas d'avoir assez mis mon cœur à l'épreuve à force de me dévaloriser et d'accorder beaucoup trop d'importance au regard des hommes sur ma personne, pour avoir le luxe de perdre du temps avec des hommes décevants. Et en même temps, il existe une expression à laquelle je pense souvent: “You can't spell disappointment without men.”

Pour revenir à ce sentiment d'agacement qui m'a fait débuter ce texte : c'est davantage comme une déception envers moi-même et c'est presque encore pire que la déception tournée vers les autres. La personne que je blâme la première lorsque je continue dans une voie dont je sais pertinemment qu'elle est périlleuse, c'est moi. C'est typiquement ce qu'il s'est passé dernièrement avec V.

J'ai dormi avec lui alors que je le savais en couple, je l'avais même vu se balader avec sa copine alors que je ne le connaissais pas encore. On s'est embrassés alors qu'on était en boîte de nuit, pas sobres du tout. Dès le lendemain, il a commencé à me parler presque tous les jours par messages. On s'entendait bien, je l'ai même revu un soir dans un bar et ça s'était très bien passé. Mais je ne comprenais pas ce qu'il voulait. Il ne me proposait pas ouvertement de coucher avec lui mais il laissait la porte grande ouverte au flirt alors même qu'il était encore avec sa copine.

Un jour il posta une photo de couple sur les réseaux sociaux en sachant très bien que j'allais la voir. J'étais énervée, je ne pensais pas que ça allait autant me toucher. Je n'aimais pas la position dans laquelle cela me mettait. J'étais décidée à ne plus lui parler, pourtant, je savais que s'il me renvoyait un message, j'allais craquer et lui répondre. C'est exactement ce qu'il s'est passé une semaine plus tard. On a continué de flirter, on allait sûrement se revoir bientôt et j'avais toujours dans l'idée de coucher avec lui, vu comme ma vie sexuelle était sans horizon en ce moment et que ma libido tournait à pleins régimes. Je savais que ça craignait qu'il ait une copine, mais j'avais plus ou moins vécu ça avec T. à l'époque (bien que la situation était alors complètement différente). Je ne sais quelle conjonction de planètes a fait que sa copine Erasmus retourna dans son pays le jour même où il y avait une soirée prévue chez lui le soir, mais j'avais le champ libre, comme me l'avait rappelé son pote, et bien sûr, je n'étais pas assez naïve pour ne pas en profiter.

Finalement la soirée a, sans que j'y fasse vraiment attention sur le moment, complètement changé l'appréciation que j'avais de lui. En présence de ses potes masculins, clichés d'ingénieurs, c'était un festival de propos sexistes, racistes et homophobes sous couvert d'humour. Son côté pédant parisien ne me faisait plus vraiment rire depuis qu'il en rajoutait une couche avec ses moqueries sur mes opinions politiques, Monsieur étant macroniste. Bien sûr, ce n'est pas totalement un connard. Il m'a expliqué qu'il ne voulait pas que je vienne chez lui “juste pour baiser” parce que pour lui ce n'était pas que ça, dans le sens où il appréciait ma compagnie. Au final, le sexe était plutôt agréable. Seulement le lendemain matin, tous ses défauts me sautaient aux yeux et je n'arrivais plus à “apprécier sa compagnie”, pour reprendre ses mots. C'est assez rare : au matin post-coïtal, j'ai plutôt un sentiment de satisfaction, un contentement assez béat. Là, il ne me faisait plus rire, je grimaçais à chacun de ses propos qui ne me plaisaient pas. Peut-être que je ne les remarquais pas avant, ou que je faisais exprès de ne pas les entendre. Comme si avoir couché avec lui avait brisé l'illusion.

Cela m'a fait un peu peur. Est-ce que cela allait devenir la norme avec chaque nouvel homme que je fréquente ? Un début sympathique, où je pense beaucoup à lui, puis une fois que la magie du flirt s'est envolée, je sortirais de l'aveuglement pour me rendre compte que le garçon ne me correspond pas le moins du monde, voire qu'il est vulgaire et/ou méprisant envers la gente féminine dans son ensemble, comme tous les autres ? Car si un homme me respecte, moi, individuellement, cela ne veut pas automatiquement dire qu'il respecte les autres femmes. Et ça rend les choses encore plus compliquées. Je ne veux pas qu'on me dise que je suis différente des autres filles. C'est un compliment qui n'en est pas un, qui nous place dans une position inférieure et qui nous flatte uniquement pour mieux raviver un esprit de compétition qui n'a plus lieu d'être.

Je me rends compte que beaucoup de femmes choisissent de faire des compromis pour entretenir leur relation de couple, quitte à chambouler leur vie en fonction de leur compagnon. De mon côté, j'ai appris à vivre avec moi-même, à n'en faire qu'à ma tête. Mon échelle du bonheur a toujours privilégié ma relation avec ma mère, mes amitiés multiples, mon développement personnel et mon travail avant les relations amoureuses, parce que pendant longtemps je n'ai pas eu le choix : j'étais seule, il a bien fallu que je fasse avec et que je prenne ma vie en main. Peut-être qu'un jour cet ordre changera aussi. Je ne suis pas imperméable aux changements lorsqu'ils sont justifiés. Mais je ne sais pas si je pourrais accepter de bouleverser radicalement ma vie pour un homme, à moins d'être 100% sûre que cela en vaut la peine. Ce ne pourra être qu'avec quelqu'un envers qui je porterais une confiance absolue. C'était clair comme de l'eau de roche avec T., mais comme il n'est plus là, cela n'arrivera pas.

Il y a beaucoup de gens qui disent que le véritable amour résiste à tout, même à la distance. J'aurais tendance à les croire... Mais dans notre cas, l'amour n'a jamais été véritablement formalisé lorsque l'on était dans la même ville et que je le croisais tout le temps : les mots qui comptaient sont sortis bien après. Bien sûr, il n'a pas pu avoir tout à fait le même point de vue que moi. Il était bien plus expérimenté, il ne peut pas s'emballer comme moi je me suis emballée. Néanmoins, les sentiments étaient réciproques. Je sais que lui aussi en ressent encore un peu, même maintenant. Peut-être qu'il ne qualifie pas cela comme de l'amour. Mais on aura toujours ce lien, même avec les kilomètres qui nous séparent et qui risquent de rester inconciliables.

Nos vies avancent sur une ligne parallèle. L'engagement, c'est bien pour que l'on se retrouve à un point donné, sinon cela reste voué à l'échec, non ? Cela ne sert à rien si l'amour n'est pas matérialisé en une présence réelle aux côtés de l'autre. En tout cas, cela ne m'intéresse pas, et lui non plus. Nos existences sont bloquées dans la continuité de ces lignes parallèles, et si elles ont le hasard ou la chance de se croiser à nouveau, ce sera pour une durée évidemment éphémère.

Peut-être qu'un jour le destin en décidera autrement. En attendant, je continuerais à voguer sur les eaux troubles de la séduction, en usant de ma lucidité. Parfois j'arrive presque à comprendre comment certaines filles en viennent à devenir anti-féministes, quand je vois dans quel état misérable mes propres réflexions sur les hommes et le couple hétérosexuel me mènent parfois. Sommes-nous toujours les perdantes, condamnées à souffrir, dans ou en dehors de nos relations avec les hommes, de cette oppression patriarcale qui n'est parfois même pas tangible, quantifiable, caractérisée par un enchaînement de micro-agressions qui s'accumulent jusqu'à nous faire étouffer ? C'est beaucoup plus facile d'embrasser les codes de masculinité que de se rendre compte de l'étendue de leur toxicité.

Le seul conseil que je pourrais donner, sans vraiment de légitimité, est de garder son intégrité, chacun y posant ses propres limites, et d'écouter son instinct. Ce qui implique de bien se connaître. Love yourself first. It's true.

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