Séduction in vitro

Dans le souterrain de la Banque de la Vie, l’assistante de laboratoire casse par inadvertance deux éprouvettes dans une bassine, alors qu’elle aurait du les ranger dans le congélateur. L’une contient des spermatozoïdes et l’autre des ovules.

Elle ne sait pas comment faire pour réparer l’erreur. Elle s’agite, elle cherche quelque chose pour récupérer le liquide qui contient les composants vitaux. Elle essaie avec une grosse seringue pour aspirer. Ça ne marche pas. Après elle fait une tentative avec un compte-goutte. Ça ne marche pas non plus. Elle monte à l’étage pour se précipiter à l’accueil où il y a  le bocal de poissons rouges de la secrétaire et  l’épuisette que celle-ci utilise pour attraper les poissons quand il faut changer l’eau. Elle la prend et retourne rapidement où il y a la bassine. Elle va à la pêche du liquide et arrive à en prendre une bonne partie. Elle enlève les morceaux de verre avec la pince à épiler qu’elle sort de son sac et avec un entonnoir de laboratoire elle verse le liquide dans une seule éprouvette, une nouvelle. Elle y colle une étiquette blanche. Elle prend un feutre pour écrire sur l'étiquette mais ne sait pas quoi écrire et le met de côté. Ensuite elle prend un gros verre qu’elle remplit de glace pour y planter l’éprouvette et le poser sur la table.

Elle se pose aussi : elle met des écouteurs dans ses oreilles pour écouter de la musique, s’assoit et commence à scruter le récipient en verre. Son regard est fixe, il  pénètre le verre et la glace comme un zoom, il nous fait rapprocher de plus en plus de l’objet. On voit comme à travers un microscope et on repère les deux petits organismes :

Spermato, gamète mâle, vaillant et sûr de lui-même appartenant à un jeune professeur de culture physique;

Ovula, gamète femelle, issue d’une féministe militante.

 Spermato engage tout de suite la conversation, essoufflé en s’adressant à Ovula, placide et altère 

SPERMATO : J’ai failli mourir à cause de la chaleur. Et toi poupée, ça va?

OVULA : La chaleur c’est mon élément, vous devriez le savoir. D’ailleurs votre ignorance ne vous  autorise  non plus  à m’appeler « poupée ».

 SPERMATO : Allez, ne sois pas si susceptible ! Tu devrais te réjouir qu’on est les seuls à avoir survécu à l’accident  causé par cette étourdie qui nous regarde.

 OVULA : Déjà j’étais contre l’idée du don à  la Banque. On en avait discuté ensemble avec les autres ovules et on  avait voté NON, à l’unanimité. NON à la procréation forcée, NON à le hasard du partenaire, NON à la prison dans le congélateur. Un ovule doit garder le droit de choisir de s’accoupler ou de ne pas s’accoupler et...

SPERMATO : Ecoute, si t’as tes règles, pas la peine de me faire le caca nerveux sur l’émancipation ovulaire.

 OVULA (en montant le ton d’un cran): Vous prenez les raccourcis typiques du machisme dominant. La menstruation n’est pas synonyme de stress et tristesse. C’est nous qui réglons les règles. Par exemple : une femme peut être parfaitement détendue et avoir même très envie de faire l’amour pendant cette période.

SPERMATO : Qu’est-ce qu’on attend alors ? 

Ovula prise au dépourvue, se tait. Les filaments dont elle est constituée commencent à friser, c’est sa façon de rougir.

SPERMATO : T’es encore plus mignonne. Tu ressembles à un petit mouton. Je peux toucher ? (en se rapprochant)

 Quelqu’un entre dans la pièce sans frapper, l’assistante fait disparaître immédiatement le verre et l’éprouvette.  Spermato et Ovula sont violemment secoués à l’intérieur du flacon qui a été caché dans un sac thermique Picard. A l’intérieur on n’y voit rien. On entend juste des essoufflements (Ovula nage très mal) et leur conversation.

SPERMATO : Donne-moi ta main, j’ai un brevet de maître nageur, tu peux me faire confiance.

OVULA : Merci beaucoup, je ne suis pas trop sportive…

SPERMATO : Pourtant ça doit être physique les manifs pour la contraception… vous n’organisiez pas des ateliers pratiques à la fin ? ça m’aurait beaucoup plus d’y participer !

 OVULA : Vous auriez rapidement épuisez votre cartouche et vous auriez terminé votre vie dans le bout d’un préservatif. Ce n’est pas trop glorieux pour quelqu’un qui nage bien comme vous !

 SPERMATO : Tu n’es pas obligée de me lancer des fleurs parce que je t’ai sauvée d’une noyade. Il y a juste quelques minutes tu me voyais comme le prototype du spermatozoïde inculte et machist

OVULA : Mais là…je ne vous vois pas. Je vous sens.

 SPERMATO : Et qu’est-ce tu sens, exactement ?

 OVULA : La vie !!

 L’assistante ouvre le sac Picard et la lumière perce dedans. Elle découvre qu'Ovula a été fécondée par Spermato. L'assistante sourit et écrit quelque chose sur l’étiquette de l’éprouvette que remet dans le sac et part avec, heureuse.