SEL

Christian Lemoine

Derrière les voilages débonnaires filtrant les rayons penchés par la baie entrouverte, on croirait distinguer en faibles vibrations lumineuses l'ombre intermittente d'un malfrat dissimulé. L'imagination qui vagabonde dans l'oisiveté de l'après-midi enclin à la paresse transforme les dessins, change les perspectives, modifie les silhouettes et mue l'immobile valet de pied en croquemitaine vorace. Malgré tout, la somnolence impose son inertie, et frappe d'engourdissement l'esprit désœuvré. C'est août, peut-être ; ou une ébauche de printemps traversée de fantômes bleus ; ou une oubliée d'octobre allant son pas d'automne dans des embroussaillements ébouriffés encore de nouaisons attardées. Une souvenance de septembre, revigorée d'une ondée brusque en verticale des nœuds racinaires. Saurait-on, sous les craquelures d'oisillons envolés, traquer l'épouvante des martyrs sans sépulture ? Caressez l'écorce, cajolez la branche blessée, souffrez la perte des dimanches en habits de cendres. Il pourrait en surgir les bataillons disparus au rebord des artères tranchées. A chaque vertige qui bascule, un suffrage gaspillé. Soudain un soir de bord de mer s'invite à l'oracle de la ville continentale, les intuitions paludières s'allongent dans l'air fraîchi. Et dans les ébranlements des persiennes éveillées, il est des gerçures que le sel a creusées, résurgence en un soleil flétri de blessures immémoriales. On ne devine pas, on ne soupçonne pas. Mais les pénombres cramoisies cachent des promesses infidèles, des serments sans amarres. Une clairière, au milieu des nuées amoncelées, en deviendrait astre premier, pivot central des galaxies, Altaïr en majesté. Cependant le vent tourne et ment, la brise n'effeuille pas les bouleaux en légions, et les rayons du soleil s'envolent, comme cet ineffable sourire qu'on n'a pas su retenir.
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